Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF à RTL le 10 mai 2000, sur l'harmonisation fiscale pour les entreprises, notamment l'épargne entreprise et les négociations sur la Refondation sociale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

OLIVIER MAZEROLLE : Bonjour Ernest-Antoine Seillière. Vous avez rencontré hier soir pour la première fois Laurent Fabius. C'est un autre climat qui débute avec le gouvernement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Laurent Fabius a une très belle expérience à la fois politique et je dirais économique parce qu'il a énormément connu ces problèmes, il a, permettez-moi de le dire, une belle intelligence et donc nous espérons qu'il va comprendre des problèmes de notre société, notamment les sociétés économique et sociale, et nous aider donc à progresser dans le sens de la rénovation de nos relations sociales et, si possible également, de nous mettre en situation de pouvoir réussir en France, faire la lutte contre le chômage et faire l'emploi et faire bien entendu de la croissance.
OLIVIER MAZEROLLE : Alors concrètement quelles attentes vous placez en lui ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien écoutez, d'abord certainement qu'il comprenne que si nous n'avons pas les mêmes conditions que dans les pays qui nous entourent pour faire de l'entreprise, nous serons amenés à réduire notre activité par nécessité et probablement en effet progressivement, sur 5 ou 10 ans, à transférer un certain nombre de nos initiatives économiques, nos créations d'entreprise, nos développements d'entreprise en dehors de France. Et je crois en effet que c'est un vrai problème qui se pose actuellement, on commence à le sentir, on a mis en place une grande zone économique, tout le monde est libre - les choses sont maintenant en, effet tout à fait faciles quand il s'agit d'aller ailleurs - et il faut que la France soit comme les autres, c'est-à-dire qu'on n'ait pas envie d'aller ailleurs.
OLIVIER MAZEROLLE : Mais alors l'harmonisation fiscale pour lees entreprises précisément, e, avez-vous parlé avec lui hier soir ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, hier soir le sujet était entièrement sur ce que l'on appelle l'épargne-entreprise.
OLIVIER MAZEROLLE : On va en reparler dans une seconde. Mais l'harmonisation fiscale, c'est un sujet prioritaire pour vous au sein de la zone euro.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est-à-dire que je crois que quand on regarde en effet la moyenne fiscale sur pratiquement tous les sujets en Europe, nous avons le sentiment qu'en France nous sommes partout plus taxés et donc l'harmonisation, quoiqu'il arrive, sera au bénéfice de notre économie. On prélève actuellement 400 milliards de plus en France qu'on en prélèverait si nous étions dans la moyenne européenne, c'est une énorme masse d'argent pour les entreprises, pour les ménages.
OLIVIER MAZEROLLE : Mais à vos confrères, les patrons, vous n'avez pas envie de dire " attendez, vous êtes Français, restez en France " ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, bien entendu, d'ailleurs nos confrères n'ont aucune envie d'aller ailleurs . Seulement, vous savez, il y a quelque chose qui s'appelle la compétition, la survie de l'entreprise, la capacité d'avoir des coûts similaires aux autres et si on n'a pas les mêmes, il n'y a malheureusement pas le choix.
OLIVIER MAZEROLLE : Un mot sur l'euro dans cette discussion de savoir s'il faut un euro faible ou un euro fort. Par exemple le Chancelier Schröder dit, lui, : l'euro faible, c'est très bien, ça permet d'exporter.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, en dehors des appréciations politiques ou monétaires, en tous cas pour les chefs d'entreprise, pour ceux qui sont dans la production, l'euro faible, comme on dit, c'est-à-dire sa valeur actuelle, qui donne un avantage à l'exportation c'est pas mal mais il faut bien se rendre compte que dès qu'on importe de l'énergie ou des matières premières c'est plus cher et donc il y a tout de même une tendance actuellement à la hausse des prix du fait de la faiblesse de l'euro pour tous ceux qui doivent importer ou des matières premières et bien entendu de l'énergie qui est presque intégralement importée. Donc il y a de conséquences tout de même mécaniques sur les prix qui ne sont pas faciles.
OLIVIER MAZEROLLE : Vous souhaiteriez une intervention de la Banque centrale européenne sur les marchés ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, ça je crois, si vous voulez, que ça n'est pas à moi de dire ce que doit faire la Banque centrale européenne, très honnêtement elle a sa responsabilité, elle a sa réflexion et nous ferons, nous, ce que nous pourrons avec le cadre monétaire que la Banque centrale décidera pour l'ensemble de la zone euro.
OLIVIER MAZEROLLE : Alors donc hier soir avec Laurent Fabius vous avez parlé de son projet de plan d'épargne-entreprise, il vous satisfait ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je ne peux pas dire qu'il nous satisfasse. Ce qui nous satisfait vraiment c'est que Laurent Fabius et le gouvernement aient pour une fois une initiative positive. Au lieu de chercher à taxer, à interdire, à réglementer, comme c'est l'habitude, cette fois-ci on essaie de regarder s'il y a une manière d'engager plus avant l'association des salariés aux risques et bien entendu aux bénéfices des entreprises en favorisant leur investissement en épargne avec les entreprises. Et nous pensons que cette démarche est bonne, nous avions d'ailleurs recommandé, nous avons fait à cet égard beaucoup de propositions et nous avons hier examiné techniquement les premières propositions du gouvernement à cet égard. Sachant que bien entendu si on fait des choses simples, libres, c'est-à-dire ni réglementées, ni obligatoires, ni complexes, pas des usines à gaz mais des choses incitatives, on arrivera à faire en sorte en effet que les salariés aient envie de devenir plus actionnaires de leur entreprise.
OLIVIER MAZEROLLE : Dans les grandes lignes ce plan - blocage de 10 à 15 ans avec sortie en rente ou en capital - sur le principe, ça vous satisfait ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est-à-dire que l'allongement du plan d'épargne-entreprise, qui existe actuellement et qui est très apprécié - environ 1 million de salariés qui en bénéficient et je crois qu'ils en sont heureux - l'allongement est une notion qui ne nous paraît pas, quant à nous, absolument essentiel s'il s'agit de créer d'autres instruments compliquée. En tous cas je peux vous dire une chose, ça peut rassurer tout le monde, c'est tout au monde sauf un fonds de pension ! Nous sommes toujours privés de ce moyen indispensable de préparation à la retraite, qui existe dans le monde entier, à la satisfaction universelle. La France se l'interdit toujours pour des raisons politiques et ce que monsieur Fabius a l'idée de faire bien entendu n'est en aucune manière des fonds de pension. C'est un allongement, un aménagement du processus d'épargne.
OLIVIER MAZEROLLE : Là, vous lui facilitez la tâche, vous ne parlez pas de fonds de pension comme ça les syndicats vont dire " d'accord " !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh écoutez, dire qu'on facilite la tâche de la France en la privant de quelque chose qui est, encore une fois, universellement reconnue et sur laquelle on s'est crispé de façon assez, ridicule, n'est pas rendre service à quiconque.
OLIVIER MAZEROLLE : Vous allez rencontrer Robert Hue, bientôt ? Qu'est-ce que vous allez vous dire parce quand même il va vous engueuler Robert Hue quand vous allez le rencontrer ! Il va dire que vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas, que vous faîtes de la politique, que vous remplacez la droite politique qui est incapable de tenir sa place !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, écoutez, j'ai simplement eu avec lui un petit échange de correspondance pour lui dire : monsieur le secrétaire national du Parti communiste français, je vous rencontre très volontiers, comme je l'ai fait d'ailleurs avec madame Alliot-Marie, avec monsieur Madelin, monsieur Bayrou, avec monsieur Hollande, je vois bien entendu les dirigeants politiques pour expliquer nos positions et puis le partenariat entre le monde politique et le monde de l'entreprise, c'est tout de même quelques chose d'absolument normal, il n'y a qu'en France qu'on s'en étonne et que ça fait un peu un événement. Mais je lui ai tout de même bien dit : si vous voulez me rencontrer, comme vous le dites en, tant que " chef de l'opposition , alors ce n'est pas la peine de vous déranger, vous vous trompez sur la personne. Moi je suis le représentant des entrepreneurs et si actuellement nous prenons des positions et si nous faisons des propositions, c'est notre métier, je crois d'ailleurs que c'est apprécié, notamment par les partenaires sociaux, et donc il faut nous dire " bravo " et " merci " et pas nous dire que nous faisons de la politique ! Ca, c'est complètement ridicule, vous êtes bien d'accord, et donc il m'a répondu en disant : bien entendu je viendrai vous voir en tant que représentant des entrepreneurs, tout en précisant qu'il venait me voir entant que secrétaire national du Parti communiste français, ce qui bien entendu ne m'étonne pas !
OLIVIER MAZEROLLE : Et vous le recevrez au MEDEF ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est là que je lui ai demandé de venir parce que c'est normal.
OLIVIER MAZEROLLE : Vous n'irez pas place du Colonel Fabien, vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah, nous n'irons pas place du Colonel Fabien parce que ça, si vous voulez, ce serait sur le plan symbolique une espèce de démarche qui serait très commentée. Au MEDEF, ça n'a pas beaucoup d'intérêt parce que l'endroit n'est pas très prestigieux mais au moins c'est professionnel !
OLIVIER MAZEROLLE : Vous avez toutes les négociations avec les syndicats sur la Refondation sociale en ce moment. Vous allez aboutir avant l'été vous croyez ? on parle d'un raidissement des syndicats en ce moment.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois si vous voulez que c'était très important que nous proposions la Refondation sociale, elle vient de s'installer comme un élément assez majeur de la vie sociale de notre pays, les syndicats sont tous dans les très nombreux groupes de travail que nous avons en commun, groupes de négociations, et donc il est tout à fait normal alors que nous avons fait des propositions et de vraies propositions nous semble-t-il de bon sens et parfaitement acceptables, il est normal qu'il y ait des réactions, c'est ce que l'on appelle une négociation et nous sommes dedans et ça nous paraît, je dirais, très bien. Chacun prendra ses responsabilités.
OLIVIER MAZEROLLE : C'est bien engagé, là , Vous croyez vraiment qu'avant l'été il y aura un accord ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Moi je pense que c'est pas mal engagé, je crois que le fait que tous les syndicats, tout en protestant contre ce que nous faisons, c'est un peu de tradition vous savez quand les entrepreneurs proposent quelque chose, le CNPF hier, le MEDEF aujourd'hui, par définition - il faudra changer cela - mais enfin par définition les syndicats se mettent à l'écart en disant : mais qu'est-ce que c'est que ça ? 'C'est pas normal etc. Ca fait partie des rites mais je crois que les syndicats comme nous, nous sommes sérieusement en train de regarder des sujets sérieux, celui du chômage, celui de l'assurance-maladie demain, celui de la formation professionnelle. Nous sommes sur des sujets de fond, ceux qui ne sont pas conflictuels en eux-mêmes et sur lesquels nous cherchons à faire en sorte que la société marche mieux, qu'il y ait moins de chômage.
OLIVIER MAZEROLLE : Vous estimez que vous avez vraiment des interlocuteurs ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous avons des interlocuteurs c'est incontestable, nous avons des interlocuteurs, ils sont là, ils sont présents et encore une fois on verra à la fin ! S'ils ne veulent pas conclure à la date d'accord, eh bien il n'y aura plus de Refondation sociale, nous retomberons dans la réglementation à tous crins. Permettez-moi de vous dire qu'actuellement il y a des initiatives de réglementation qui sont prises, nouvelles, ce que l'on appelle la loi des régulations économiques. J'ai lu là-dedans qu'il y avait l'obligation pour les salariés de toutes les entreprises de dire le salaire des dix salariés. Vous vous rendez compte ? Toutes les entreprises ! Des centaines de milliers de salariés dans notre pays vont voir leur traitement révélé ! Alors c'est une atteinte à la liberté ! On se lance dans de la réglementation, dans l'improvisation sans réfléchir. Mais vous vous rendez compte ! On cache les impôts, paraît-il. Eh bien là maintenant on va révéler les salaires de tous les salariés de toutes les entreprises, les 10 salariés les mieux payés ! Donc on est dans un monde curieux dans lequel au lieu d'écouter les partenaires sociaux et d'aller , je dirais, lentement mais sûrement vers de vraies solutions, pour des raisons politiciennes on se lance à l'emporte-pièce dans des réglementations pour essayer d'en tirer un bénéfice politique et ç'est comme ça qu'on dégrade l'espace économique français et je dirais la société française.
OLIVIER MAZEROLLE : Merci Ernest-Antoine Seillière.
(source http://www.medef.fr, le 11 mai 2000)