Texte intégral
A. Hausser.- Vous vous battez pour l'emploi en cette rentrée. Alors, est-ce que vous décernez un satisfecit à J.-P. Raffarin, pour son plan pour faciliter la création d'entreprise, et par conséquent l'emploi ?
- "Qu'il y ait démarche pour créer davantage d'entreprises, de petites entreprises dans l'artisanat ou dans d'autres domaines, c'est une chose. Mais il me semble que l'emploi restera principalement, très majoritairement et pour longtemps, de l'emploi salarié. Et c'est là que le bât blesse, notamment au vu des annonces qui sont susceptibles d'être prononcées dans les prochaines semaines. La situation financière, économique et internationale montre l'extrême fragilité. Nous sommes particulièrement inquiets de ce qui va pouvoir nous être annoncé dans un certain nombre de groupes, notamment."
Vous avez des informations précises de ce qui va être annoncé ?
- "Il suffit de regarder ce qui se passe chaque semaine. La situation financière, qui se dégrade très rapidement, va servir d'argument, comme c'est assez classique, pour bon nombre de groupes, pour présenter de nouveaux plans de suppression d'emplois, dont on n'a pas encore l'exacte mesure. De ce point de vue, nous sommes très inquiets."
Dans ce contexte, je suppose que vous pensez que le Gouvernement a raison de ne pas respecter les critères de Maastricht pour favoriser la croissance ?
- "Il y a un problème de politique européenne. Au niveau syndical, je fais le point avec mes homologues, demain, à Bruxelles, sur la situation sociale en Europe. Il y a une tension sociale qui est en train de progresser dans beaucoup de pays européens. On a assisté à une très grande manifestation en Espagne dernièrement, sur l'indemnisation du chômage pour les [personnes] privées d'emplois ; en Italie, de nouveau une grande journée d'action, en vue de protester contre une réforme du code du travail protégeant les salariés. Il y a donc des lignes de tension objectives dans toute l'Europe et le mouvement syndical est en train de réfléchir, de chercher de nouveaux moyens pour faire pression sur les Etats, de manière à redéfinir une politique sociale en Europe."
En France, l'action est plutôt préventive. On l'a vu le 3 octobre, puisque les salariés d'EDF et du service public en général sont descendus dans la rue pour défendre le service public.
- "Oui, cela fait partie du coeur du problème dans la construction européenne que de savoir s'il faut poursuivre dans cette voie, faite de déréglementation, de privatisations, dans la mesure où les services publics, au-delà de l'efficacité globale de l'activité économique, participent aussi à la cohésion sociale. Nous ne sommes pas favorables à affaiblir des secteurs - par des réformes juridiques, économiques - qui ont montré leur pertinence, leur performance et qui disposent de professionnels dont les compétences sont reconnues."
La France s'est toujours montrée très prudente dans ce domaine, du point de la libéralisation des services publics. La semaine dernière, le ministre des Finances a dit "pourquoi voudriez-vous que la France affaiblisse ces services publics?". Vous n'y croyez pas ?
- "En même temps, je vois bien quelques prises de positions plus que contradictoires, dès lors que l'on s'inscrit..."
Ce ne sont que des prises de positions...
- "Oui, des prises d'opposition, mais il y a aussi d'autres ministres, notamment dans les débats européens, qui livrent leur feu vert sur une libéralisation sans limite, par exemple s'agissant de la distribution de l'énergie électrique pour l'ensemble des particuliers. Je ne suis pas du tout convaincu - je dirais même le contraire - que c'est une bonne chose. Après les épisodes comme ceux de France Télécom, il me semble qu'une réévaluation devrait être faite de la manière d'articuler le poids des pouvoirs publics, la démocratie dans des secteurs stratégiques. Les télécommunications sont parmi ces secteurs stratégiques, dès lors qu'ils touchent aussi à des éléments liés à la sécurité, à l'accès à l'information."
Vous dites "réévaluation", mais ce n'est pas un "non" absolu à une évolution ?
- "Nous sommes parmi les premiers, chez les syndicalistes de ces secteurs, à dire combien les progrès techniques pourraient être mis au service de la satisfaction de besoins de la population qui ne le sont pas. Or nous avons bien vu dans les télécoms, comme dans d'autres secteurs - je pense au rail britannique qui a été privatisé -, combien la logique financière était parfois incompatible avec une logique de service public, de satisfaction de besoins qui ne peuvent pas s'apprécier sur une logique exclusivement marchande."
Mais ce ne sont que des mots, parce que par exemple, au ministère des Finances, on dit qu'il y a trop d'emplois et donc, le Gouvernement veut en supprimer un certain nombre. Certains travaux sont fait manuellement, alors qu'ils pourraient être faits par ordinateur, tout ça uniquement pour sauvegarder l'emploi !
- "Discutons des objectifs et des missions qui doivent celles de Bercy. Avant de partir du principe qu'il faut diminuer les emplois à Bercy, discutons des missions et nous verrons quelles conséquences tirer. Les organisations syndicales ont aussi des propositions de missions qui ne sont pas totalement, pas bien ou pas du tout assumées aujourd'hui, en matière de contrôle, de suivi, des différences de traitement sont faites entre citoyens, entre entreprises. Donc, discutons des missions et ensuite, nous en tirerons les conséquences sur le besoin d'affecter tel ou tel emploi dans tel ou tel secteur, avec des qualifications correspondantes. Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs, en partant du principe qu'il faille diminuer les emplois a priori."
Sur ce point, vous êtes sur la même ligne que votre homologue de la CFDT, F. Chérèque ?
- "Ce qui montre que parfois, les organisations peuvent avoir des opinions et des points de vue communs."
Pourquoi est-ce que vous ne vous voyez pas ?
- "Cela fait partie des lacunes du mouvement syndical français. L'absence d'unité syndicale devient un véritable drame. Il n'est pas normal que dans un pays comme le nôtre, dans des négociations avec le patronat, avec les pouvoirs publics, que le syndicalisme français fasse la preuve de ses divisions en permanence, de son incapacité, au-delà des différences de point de vue qui peuvent exister entre nous. S'il y a plusieurs organisations syndicales, c'est qu'il peut y avoir plusieurs approches sur un certain nombre de problèmes. Mais que nous ne fassions pas davantage d'efforts sur des points de convergence qui peuvent exister entre nous, sur l'emploi, et vu les problèmes sociaux qui se posent dans notre pays, il me semble que le syndicalisme français aurait un autre terrain à occuper de manière beaucoup plus efficace qu'il ne le fait de façon dispersée."
Vous auriez besoin d'un médiateur ?
- "Je ne sais pas, il suffit que chacun prenne conscience de la responsabilité très importante qui est la sienne. Il y a beaucoup d'attente à l'égard du mouvement syndical dans la société française. Face à cette société pleine d'incertitude, je pense que les Français attendent des syndicats qu'ils occupent une place plus importante et je crois qu'ils attendent qu'ils agissent plus souvent et plus systématiquement en commun."
Est-ce à cause de cette absence de concertation qu'il y a eu une si faible mobilisation sur les 35 heures ?
- "Une mobilisation est en cours ; nous continuons sur une pétition, nous allons faire un rassemblement devant l'Assemblée nationale le jour où les députés voteront. Au-delà de la loi adoptée, peut-être, à l'Assemblée nationale, il y aura des discussions de branche et la mobilisation va se poursuivre, y compris dans les entreprises, puisque comme au moment de l'adoption de la loi sur les 35 heures, nous avons fait l'expérience que c'est aussi par la pratique, dans chacune des entreprises, que suite allait ou pas être donnée à la mise en oeuvre concrète de cette loi."
Vous avez pris rendez-vous avec le Medef ?
- "Nous n'avons pas encore de rendez-vous avec le Medef. Mais si j'en crois les commentaires de mes homologues qui se sont déjà rendus au siège patronal, il n'y a manifestement pas grand-chose à en attendre !"
Est-ce que vous avez un garde du corps ?
- "Non, j'ai un accompagnateur qui me permet, dans mes déplacements, de pouvoir travailler, lorsque nous nous déplaçons en véhicule ou en transport."
Vous ne vous sentez jamais menacé ?
- "Non. Vous faites référence à une actualité particulièrement pesante. Manifestement, il y aussi des individus dont les gestes sont assez imprévisibles. Et je ne pense pas que toutes les mesures de sécurité envisageables soient susceptibles de répondre à de telles situations dramatiques et dangereuses."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2002)
- "Qu'il y ait démarche pour créer davantage d'entreprises, de petites entreprises dans l'artisanat ou dans d'autres domaines, c'est une chose. Mais il me semble que l'emploi restera principalement, très majoritairement et pour longtemps, de l'emploi salarié. Et c'est là que le bât blesse, notamment au vu des annonces qui sont susceptibles d'être prononcées dans les prochaines semaines. La situation financière, économique et internationale montre l'extrême fragilité. Nous sommes particulièrement inquiets de ce qui va pouvoir nous être annoncé dans un certain nombre de groupes, notamment."
Vous avez des informations précises de ce qui va être annoncé ?
- "Il suffit de regarder ce qui se passe chaque semaine. La situation financière, qui se dégrade très rapidement, va servir d'argument, comme c'est assez classique, pour bon nombre de groupes, pour présenter de nouveaux plans de suppression d'emplois, dont on n'a pas encore l'exacte mesure. De ce point de vue, nous sommes très inquiets."
Dans ce contexte, je suppose que vous pensez que le Gouvernement a raison de ne pas respecter les critères de Maastricht pour favoriser la croissance ?
- "Il y a un problème de politique européenne. Au niveau syndical, je fais le point avec mes homologues, demain, à Bruxelles, sur la situation sociale en Europe. Il y a une tension sociale qui est en train de progresser dans beaucoup de pays européens. On a assisté à une très grande manifestation en Espagne dernièrement, sur l'indemnisation du chômage pour les [personnes] privées d'emplois ; en Italie, de nouveau une grande journée d'action, en vue de protester contre une réforme du code du travail protégeant les salariés. Il y a donc des lignes de tension objectives dans toute l'Europe et le mouvement syndical est en train de réfléchir, de chercher de nouveaux moyens pour faire pression sur les Etats, de manière à redéfinir une politique sociale en Europe."
En France, l'action est plutôt préventive. On l'a vu le 3 octobre, puisque les salariés d'EDF et du service public en général sont descendus dans la rue pour défendre le service public.
- "Oui, cela fait partie du coeur du problème dans la construction européenne que de savoir s'il faut poursuivre dans cette voie, faite de déréglementation, de privatisations, dans la mesure où les services publics, au-delà de l'efficacité globale de l'activité économique, participent aussi à la cohésion sociale. Nous ne sommes pas favorables à affaiblir des secteurs - par des réformes juridiques, économiques - qui ont montré leur pertinence, leur performance et qui disposent de professionnels dont les compétences sont reconnues."
La France s'est toujours montrée très prudente dans ce domaine, du point de la libéralisation des services publics. La semaine dernière, le ministre des Finances a dit "pourquoi voudriez-vous que la France affaiblisse ces services publics?". Vous n'y croyez pas ?
- "En même temps, je vois bien quelques prises de positions plus que contradictoires, dès lors que l'on s'inscrit..."
Ce ne sont que des prises de positions...
- "Oui, des prises d'opposition, mais il y a aussi d'autres ministres, notamment dans les débats européens, qui livrent leur feu vert sur une libéralisation sans limite, par exemple s'agissant de la distribution de l'énergie électrique pour l'ensemble des particuliers. Je ne suis pas du tout convaincu - je dirais même le contraire - que c'est une bonne chose. Après les épisodes comme ceux de France Télécom, il me semble qu'une réévaluation devrait être faite de la manière d'articuler le poids des pouvoirs publics, la démocratie dans des secteurs stratégiques. Les télécommunications sont parmi ces secteurs stratégiques, dès lors qu'ils touchent aussi à des éléments liés à la sécurité, à l'accès à l'information."
Vous dites "réévaluation", mais ce n'est pas un "non" absolu à une évolution ?
- "Nous sommes parmi les premiers, chez les syndicalistes de ces secteurs, à dire combien les progrès techniques pourraient être mis au service de la satisfaction de besoins de la population qui ne le sont pas. Or nous avons bien vu dans les télécoms, comme dans d'autres secteurs - je pense au rail britannique qui a été privatisé -, combien la logique financière était parfois incompatible avec une logique de service public, de satisfaction de besoins qui ne peuvent pas s'apprécier sur une logique exclusivement marchande."
Mais ce ne sont que des mots, parce que par exemple, au ministère des Finances, on dit qu'il y a trop d'emplois et donc, le Gouvernement veut en supprimer un certain nombre. Certains travaux sont fait manuellement, alors qu'ils pourraient être faits par ordinateur, tout ça uniquement pour sauvegarder l'emploi !
- "Discutons des objectifs et des missions qui doivent celles de Bercy. Avant de partir du principe qu'il faut diminuer les emplois à Bercy, discutons des missions et nous verrons quelles conséquences tirer. Les organisations syndicales ont aussi des propositions de missions qui ne sont pas totalement, pas bien ou pas du tout assumées aujourd'hui, en matière de contrôle, de suivi, des différences de traitement sont faites entre citoyens, entre entreprises. Donc, discutons des missions et ensuite, nous en tirerons les conséquences sur le besoin d'affecter tel ou tel emploi dans tel ou tel secteur, avec des qualifications correspondantes. Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs, en partant du principe qu'il faille diminuer les emplois a priori."
Sur ce point, vous êtes sur la même ligne que votre homologue de la CFDT, F. Chérèque ?
- "Ce qui montre que parfois, les organisations peuvent avoir des opinions et des points de vue communs."
Pourquoi est-ce que vous ne vous voyez pas ?
- "Cela fait partie des lacunes du mouvement syndical français. L'absence d'unité syndicale devient un véritable drame. Il n'est pas normal que dans un pays comme le nôtre, dans des négociations avec le patronat, avec les pouvoirs publics, que le syndicalisme français fasse la preuve de ses divisions en permanence, de son incapacité, au-delà des différences de point de vue qui peuvent exister entre nous. S'il y a plusieurs organisations syndicales, c'est qu'il peut y avoir plusieurs approches sur un certain nombre de problèmes. Mais que nous ne fassions pas davantage d'efforts sur des points de convergence qui peuvent exister entre nous, sur l'emploi, et vu les problèmes sociaux qui se posent dans notre pays, il me semble que le syndicalisme français aurait un autre terrain à occuper de manière beaucoup plus efficace qu'il ne le fait de façon dispersée."
Vous auriez besoin d'un médiateur ?
- "Je ne sais pas, il suffit que chacun prenne conscience de la responsabilité très importante qui est la sienne. Il y a beaucoup d'attente à l'égard du mouvement syndical dans la société française. Face à cette société pleine d'incertitude, je pense que les Français attendent des syndicats qu'ils occupent une place plus importante et je crois qu'ils attendent qu'ils agissent plus souvent et plus systématiquement en commun."
Est-ce à cause de cette absence de concertation qu'il y a eu une si faible mobilisation sur les 35 heures ?
- "Une mobilisation est en cours ; nous continuons sur une pétition, nous allons faire un rassemblement devant l'Assemblée nationale le jour où les députés voteront. Au-delà de la loi adoptée, peut-être, à l'Assemblée nationale, il y aura des discussions de branche et la mobilisation va se poursuivre, y compris dans les entreprises, puisque comme au moment de l'adoption de la loi sur les 35 heures, nous avons fait l'expérience que c'est aussi par la pratique, dans chacune des entreprises, que suite allait ou pas être donnée à la mise en oeuvre concrète de cette loi."
Vous avez pris rendez-vous avec le Medef ?
- "Nous n'avons pas encore de rendez-vous avec le Medef. Mais si j'en crois les commentaires de mes homologues qui se sont déjà rendus au siège patronal, il n'y a manifestement pas grand-chose à en attendre !"
Est-ce que vous avez un garde du corps ?
- "Non, j'ai un accompagnateur qui me permet, dans mes déplacements, de pouvoir travailler, lorsque nous nous déplaçons en véhicule ou en transport."
Vous ne vous sentez jamais menacé ?
- "Non. Vous faites référence à une actualité particulièrement pesante. Manifestement, il y aussi des individus dont les gestes sont assez imprévisibles. Et je ne pense pas que toutes les mesures de sécurité envisageables soient susceptibles de répondre à de telles situations dramatiques et dangereuses."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 octobre 2002)