Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à RTL le 13 janvier 2003, sur la question des retraites et sur les risques de guerre en Irak.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. F. Mer a dit hier soir que la réforme du financement des retraites EDF-GDF sera réalisée vers le mois de juin, malgré le "non" des salariés. Est-ce que pour vous c'est un passage en force, ou au contraire la responsabilité du pouvoir tout simplement ?
- "J'avoue que je suis très surpris : on organise un vote, au suffrage universel des salariés d'une grande entreprise, EDF, et puis on fait comme s'il n'avait pas eu lieu. J'ai effectivement le sentiment que le Gouvernement veut passer en force."
L'accord a été signé par trois syndicats, ce qui suffit sur le plan purement légal.
- "Oui, sur le plan juridique. Mais est-ce que vous croyez vraiment que cette réforme si complexe, qui est nécessaire c'est vrai, peut se faire en passant en force, même si les conditions juridiques sont réunies ? Il faut qu'il y ait un consensus. Dans cette affaire, moi je vais vous dire : la vérité c'est que le Gouvernement a l'intention de privatiser EDF et que les salariés ont dit "non" à cette privatisation. Je crois qu'on ne peut pas imaginer demain que le nucléaire, l'industrie nucléaire par exemple, dépende de la cotation en Bourse. Il y a un service public qui marche, qui fonctionne, je pense que c'est une erreur de s'être engagé dans cette affaire. Beaucoup le pensent, et moi je le dis très fort aujourd'hui : le Gouvernement commence très très mal l'année, et en particulier sur le dossier des retraites."
Sur le dossier des retraites, puisque vous dites vous-même que ce n'était pas cela qui était en jeu finalement, mais la privatisation d'EDF-GDF, j'ai envie de dire, qu'auriez-vous fait si vous étiez au pouvoir ? Vous avez dit que la réforme est nécessaire, elle est même impérative dans certains domaines...
- "Je crois qu'il faut commencer par se poser la question : quel niveau de retraites nous voulons, nous, servir à tous les Français, quelle que soit leur situation, qu'ils soient dans le public ou dans le privé. C'est la première question ; il faut partir de là. Parce que beaucoup de Français pensent que leur retraite va baisser. On dit qu'on va cotiser beaucoup plus longtemps, et on a même dit - c'est le N. Sarkozy - jusqu'à 70 ans. C'est complètement fou !"
J. Chirac n'a jamais dit ça, ni J.-P. Raffarin !
J. Chirac dit que les Français ne doivent pas être inquiets par les réformes. Eh bien les Français sont inquiets, légitimement de cette réforme, tant qu'ils n'auront pas le sentiment qu'on leur dit la vérité. Et j'ai l'impression qu'on leur cache la vérité, que les cartes sont biseautées. Je vais prendre un autre exemple qui montre qu'il y a un doute, en ce moment, qui s'installe dans les esprits : la majorité parlementaire a voté une loi de finances, un budget pour 2003, et nous savions pertinemment que les taux de croissance qui étaient envisagés étaient faux. Eh bien en ce moment, le Gouvernement est en train de préparer des décrets - monsieur Mer et ses collègues - d'annulation de crédits. C'est un plan d'austérité qui ne dit pas son nom ! Cela veut dire qu'il va y avoir des baisses de dépenses. Sur quoi ? On ne nous le dit pas ! Donc, il faudrait que le Gouvernement annonce très vite la date à laquelle il va nous présenter un nouveau projet de loi de Finances. On ne peut pas créer la confiance sur des sujets aussi difficiles, quand on cache une partie de la vérité !"
Mais est-ce qu'on peut rester inactifs, ou en tout cas paralysés, comme vous l'ont reproché les membres du Gouvernement actuel ou de la majorité actuelle, lorsque L. Jospin avait aussi beaucoup parlé de réforme de retraites, mais qu'il n'y était pas allé ?
- "D'abord, on a mis en place ce qu'on appelle le "Conseil d'orientation des retraites", où sont tous les partenaires concernés par le dossier, où des consensus se dégagent, notamment sur la nécessité de réformer. Certains disaient il y a quelques années, il y a encore trois-quatre ans qu'il n'y avait pas besoin de réformer les retraites, que ce n'était pas la peine. Aujourd'hui, il y a un consensus et c'est grâce au travail qui a été fait."
Sur la nécessité de réformer ? Mais un jour il faut réformer ! Un jour ou l'autre, vous le savez. Vous avez été au pouvoir...
- "Oui, mais pas n'importe quoi !"
Vous savez que c'est bien difficile, donc il faut y aller à un moment !
- "Oui mais vous savez très bien que pour certains il s'agit simplement de cotiser plus longtemps, de faire partir plus longtemps les gens en retraite. Donc, il faut répondre à cette question : est-ce que le Gouvernement est d'accord pour qu'on supprime l'âge de 60 ans ? Et puis, est-ce que le Gouvernement est d'accord pour que les..."
Le Président a dit non ; il a réaffirmé son attachement à la retraite à 60 ans.
- "Est-ce que le Gouvernement est d'accord que pour des salariés, qu'ils soient du public ou du privé, qui travaillent dur - je pense en particulier aux salariés-ouvriers, il y en a beaucoup dans le privé, mais il y en a aussi dans le public - puissent éventuellement partir plus tôt à la retraite à taux plein, parce qu'ils sont fatigués, parce qu'ils sont usés par le travail ? Et puis, pour d'autres, partir plus tard s'ils le souhaitent. Mais que le Gouvernement mettent toutes les cartes sur la table ! Aujourd'hui les cartes sont biseautées et on sait très bien que ceux qui nous ont reproché pendant cinq ans de ne pas être allé plus vite sur ce dossier, alors que nous nous voulions le consensus, - nous avons mis en place le fonds de garantie des retraites -, vous savez ce que voulait l'opposition ? Toutes les semaines, on nous disait "faites les fonds de pensions !". Vous croyez que c'est ça la réforme des retraites que les Français attendent ?"
Parlons de l'Irak, puisque c'est aussi un des thèmes sur lesquels vous êtes présent. Vous avez beaucoup répété que le Parti socialiste s'opposerait à une guerre en Irak ou, en tout cas, à une participation française à la guerre. Le Président a annoncé qu'il y aurait un débat au parlement, et que le recours à la force restait la pire des solutions. Vous êtes donc rassuré ?
- "Non je ne suis pas rassuré du tout parce que je sens que le Président souffle le chaud et le froid. L'action de la France a été très positive dans les premiers mois, et puis, aux voeux à l'Elysée, J. Chirac a demandé à notre armée de se tenir prête à toute éventualité..."
...C'est normal qu'on dise à l'armée d'être prête ! Vous seriez déçu si elle n'était pas prête, non ?
- "...A toute éventualité, en citant explicitement l'Irak. Et donc, je le sens se résigner peu à peu..."
"A toute éventualité", ce n'est pas l'Irak !
- "Il a parlé de l'Irak à cette occasion. Je sens qu'il est en train de se résigner à la guerre, qu'il est en train de préparer l'opinion à cette guerre. Je crois qu'il faut dire non à cette guerre. Et s'il le fait, s'il engage les forces françaises aux côtés des Etats-Unis, il aura l'écrasante majorité de la nation contre lui ! Et là, il ne peut pas se défiler. Pour l'instant, les inspecteurs de l'ONU n'ont rien prouvé d'un réarmement de l'Irak, d'une volonté d'intervention militaire de l'Irak. J. Chirac dit que la France s'en remet à l'ONU mais il se trouve qu'en ce moment, l'ONU est présidée par la France. Ce n'est pas une institution hors du temps et du monde ; la France préside cette institution, elle dispose du droit de veto. Est-ce que la France va utiliser le droit de veto ? Et est-ce que si J. Chirac suit la volonté américaine avec ses 150.000 hommes qui se massent là-bas, est-ce que le Parlement pourra non seulement en discuter, mais voter ? Je demande qu'il y ait en toutes circonstances..."
...Non seulement un débat, mais un vote, c'est ce que vous dites ?
- "Je souhaite que le Gouvernement engage sa responsabilité, que chaque député, chaque sénateur puisse se prononcer en conscience. S'il y a effectivement un refus d'un engagement militaire, le Gouvernement, le Président aura le soutien unanime de la nation et de la représentation nationale. S'il prend le parti de la guerre, il aura le pays contre lui. Ne comptez pas sur les socialistes pour qu'il y ait union sacrée."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 janvier 2003)