Texte intégral
Valérie LECASBLE
Jean-Michel LEMETAYER, bonjour.
Jean-Michel LEMETAYER
Bonjour.
Valérie LECASBLE
Alors il semblerait finalement que la Politique Agricole Commune, dont vous êtes le garant, en tant que patron des agriculteurs, fasse en partie les frais de l'élargissement de l'Union Européenne ; c'est votre sentiment ?
Jean-Michel LEMETAYER
Pas tout à fait, parce qu'il y avait un vrai danger à ce que l'agriculture et la politique agricole soient sacrifiées justement, au nom de cet élargissement, et que l'élargissement soit un prétexte pour réformer la politique agricole. Donc la décision qui a été prise par les Quinze, finalement, vendredi soir, maintient cette politique agricole, d'abord jusqu'en 2006, mais maintient aussi le principe même d'une politique agricole jusqu'en 2013. Donc j'allais dire que c'est à la fois un soulagement à court terme, parce que souvenons-nous tout de même, il y a sur la table encore un projet de réforme de la part du commissaire européen, Monsieur FISCHLER, commissaire européen à l'agriculture, et au nom de toute la Commission. Donc soulagement à court terme, c'est vrai, mais question, questionnement, à partir de 2007, dès lors que nous serons 25 autour de la table, pour un budget qui n'évoluera quasiment pas.
Valérie LECASBLE
Oui, mais tout de même, Jean-Michel LEMETAYER, il y a eu cet accord franco-allemand vendredi jeudi, pardon. Vendredi, à quinze, les choses ont été plus compliquées, puisque Tony BLAIR a tout de même continué à réclamer une réforme de la PAC avant 2006, et surtout il a refusé, lui, de céder sur le chèque anglais, sur le fameux rabais anglais.
Jean-Michel LEMETAYER
C'est vrai que d'abord l'Europe elle doit fonctionner à quinze, et pas seulement avec l'axe franco-allemand. Je dirais quand même que c'est important que le chef de l'Etat français et le chancelier allemand, le chancelier SCHRÖDER, aient pu avoir l'ambition de redonner du tonus à l'Europe, parce que sans l'axe franco-allemand, je pense que l'Europe aura du mal à fonctionner. Alors ensuite, que certains pays n'aient pas apprécié ce préambule franco-allemand, on peut le comprendre, d'autant plus que, concernant les Britanniques et concernant Tony BLAIR, le président français a dit : " Mais il faudra rediscuter du chèque britannique "... c'est quelque chose qu'avaient obtenu les Britanniques il y a quelques années, qui est un peu... dont il serait bien normal de remettre sur la table, parce que pourquoi y aurait-il quelques faveurs aux Britanniques, qui ne sont pas forcément les plus européens des Européens. Et puis il y avait aussi les Espagnols. Il n'y avait pas seulement les Britanniques, il y avait les Espagnols, parce que les Espagnols, avec les Portugais et les Grecs, ont beaucoup bénéficié de l'Europe depuis leur entrée, et notamment lorsque l'on parle de fonds structurels, c'est-à-dire de moyens financiers pour aménager leur territoire, donc...
Valérie LECASBLE
Et eux n'ont pas accepté un plafonnement de ces fonds structurels, contrairement à la France, qui elle, a accepté un plafonnement de la Politique Agricole Commune.
Jean-Michel LEMETAYER
Non mais, il y avait d'ores et déjà débat pour remettre en cause... le projet de la Commission et le projet de Monsieur FISCHLER était déjà de prendre une partie de l'enveloppe financière de gestion des marchés et de la transférer vers ce que nous appelons la politique de développement rural. Donc ce qui est important, c'est que l'on bien sûr, il y aura plafonnement à partir de 2007, mais c'est que l'on maintient...
Valérie LECASBLE
Jusqu'en 2006.
Jean-Michel LEMETAYER
Jusqu'en 2006, mais fin 2006...
Valérie LECASBLE
Sauf quand même que Tony BLAIR a continué à exiger une offre européenne défendable sur la Politique Agricole Commune, notamment à l'OMC, dès 2004.
Jean-Michel LEMETAYER
C'est vrai. Moi, ce que je tiens à souligner, c'est que nous ne sommes pas opposés à ce que la politique agricole évolue. Mais on ne pouvait pas le faire sous prétexte, d'abord, d'un élargissement, et de régler ça en deux mois. Deuxièmement, je ne suis pas d'accord avec Tony BLAIR sur le fait d'adapter notre politique agricole, là aussi sous couvert qu'il va y avoir des négociations à l'Organisation Mondiale du Commerce. Pourquoi ? Parce que tout simplement, lorsqu'il y a eu réforme de la Politique Agricole en 1999 à Berlin, c'était déjà pour aller avec nos propositions et notre Politique Agricole, à ces négociations. Vous savez, le président américain, George BUSH, il se pose beaucoup moins de questions que Tony BLAIR. Il a décidé, il y a quelques mois, d'accroître ses soutiens à ses agriculteurs, d'accroître le soutien de la politique agricole américaine. Et nous, dans le même temps, on pense qu'il faut baisser la garde, avant même d'aller à la négociation. Je pense que, et ce que nous avons toujours dit, c'est que, à la fois le commissaire européen chargé des négociations, le commissaire LAMY, en lien avec le commissaire à l'agriculture, le commissaire FISCHLER, ait la volonté de défendre notre Politique Agricole Commune, c'est-à-dire une politique agricole d'abord pour les paysans européens. On n'est pas là pour, j'allais dire, se soumettre aux diktat américain, ou de ce que nous appelons le groupe de Cairns, je pense en particulier à l'Océanie, la Nouvelle-Zélande, l'Australie...
Valérie LECASBLE
Alors pour qu'on essaie de comprendre ce sujet qui est particulièrement compliqué...
Jean-Michel LEMETAYER
C'est vrai.
Valérie LECASBLE
Ça veut dire quoi, ce qui s'est passé jeudi et vendredi ? Ça veut dire que les pays, les nouveaux pays membres, les dix pays qui vont rentrer dans l'Union Européenne, auront à peu près dix ans pour bénéficier, au bout de dix années, d'autant d'aides à l'agriculture qu'en bénéficient les pays membres aujourd'hui, c'est bien ça ?
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, je pense que ce qu'ont décidé les chefs d'Etat, moi aussi j'ai besoin de comprendre, on n'a pas tous les détails de ce qui s'est décidé, mais c'est qu'en 2013 nous devrions avoir une politique agricole pour l'ensemble des paysans européens des 25 pays, c'est ça que cela veut dire, puisque, à compter de 2004, date à laquelle vont entrer les premiers pays, les premiers pays, je crois que Roumanie et Bulgarie pourraient entrer dans un deuxième temps, les aides agricoles aux agriculteurs de ces pays vont être améliorées de manière progressive jusqu'en 2013. Et c'est aussi ce que nous souhaitions, c'est-à-dire que nous souhaitions à la fois une période transitoire, mais au bout de laquelle il ne peut pas y avoir deux politiques agricoles. C'est-à-dire que...
Valérie LECASBLE
Et donc, ça veut dire que de 2007 à 2013, la phase d'après, les crédits de la PAC seront gelés, de la Politique Agricole Commune, seront gelés, c'est ce qui a été décidé à Bruxelles, et partagés entre les 25.
Jean-Michel LEMETAYER
La décision qui semble être prise, c'est celle d'un budget, celui de 2006, augmenter de 1%, d'inflation, d'un équivalent de 1 % d'inflation chaque année...
Valérie LECASBLE
Ce qui n'est pas beaucoup.
Jean-Michel LEMETAYER
Ce qui n'est pas beaucoup. C'est vrai que si on a, je crois savoir que si on a 2,5 % d'inflation par an, le 1,5 point, effectivement, consistera un manque à gagner pour le secteur agricole. Mais nous n'en sommes pas là. Ce qu'il faut...
Valérie LECASBLE
Et là, on a vu que les Hollandais étaient sur une position assez dure envers la France, puisque c'est le Premier ministre hollandais qui a exigé ça.
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, mais la politique, vous le savez aussi bien que moi, c'est très complexe, parce que les Hollandais, les Anglais, et d'autres, voulaient une réforme rapide de la politique agricole, c'est-à-dire voulaient dès 2004 baisser les soutiens à l'agriculture. Je pense qu'effectivement ils n'apprécient pas que, à la fois la politique agricole est maintenue en l'état jusqu'en 2006, et que nous avons encore l'ambition d'une politique agricole digne de ce nom après 2006. Les enjeux sont considérables, ils ne sont peut-être pas les mêmes pour tous. Mais les enjeux en tous cas pour les Français, la politique agricole c'est, bien sûr, de l'économie, mais c'est aussi un aspect social, c'est aussi un aspect d'aménagement du territoire. Et si on imaginait un seul instant une diminution forte du nombre d'agriculteurs dans un certain nombre de régions de France, ce sont des milliers d'emplois en moins, je l'avais souligné au moment de la réforme proposée par Monsieur FISCHLER. Je crois qu'aujourd'hui on a une vision à court terme, c'est trois, quatre ans, c'est malgré tout du court terme ; on a une vision à moyen terme jusqu'à 2013. Il y a des économies budgétaires possibles à faire. Moi j'appelle depuis longtemps la Commission européenne, l'Europe, à mieux gérer nos marchés. Actuellement, on importe des blés d'Ukraine, en total dysfonctionnement avec l'Europe. On parle désormais de mettre des contingents à l'importation. On a importé énormément de viande de volaille au cours de l'année 2001, début 2002. Peut-être qu'en gérant mieux nos marchés, on arrêtera d'importer ce que j'appelle, moi, des baisses de prix. Actuellement...
Valérie LECASBLE
Jean-Michel LEMETAYER, pour essayer de comprendre vraiment l'impact de ce qui s'est passé ces derniers jours, on a dit, Jacques CHIRAC avait dit : " La Politique Agricole Commune ne doit pas être la seule variable d'ajustement de l'élargissement de l'Union, du financement de l'élargissement de l'Union ". Est-ce que oui ou non, vous avez le sentiment aujourd'hui que Jacques CHIRAC a imposé l'avis de la France par rapport à ça ?
Jean-Michel LEMETAYER
L'agriculture disons que l'élargissement n'est pas devenu le prétexte, ou a cessé d'être le prétexte à une réforme rapide de la politique agricole, que nous contestions. Donc de ce point de vue-là...
Valérie LECASBLE
Donc vous êtes content.
Jean-Michel LEMETAYER
Disons que nous sommes soulagés pour le court terme. C'est vrai que sur le plan budgétaire, à partir de 2007, beaucoup de questions vont se poser, mais à très court terme, et l'élargissement et les négociations à l'Organisation Mondiale du Commerce, ne vont pas être des raisons de réformer notre politique agricole.
Valérie LECASBLE
Donc sur le court terme, vous êtes soulagé, mais on voit bien quand même que sur le moyen terme assez proche, la Politique Agricole Commune va forcément changer, et de dimension et d'organisation générale. Alors est-ce que la France va se préparer à ça, et les agriculteurs français ?
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, mais nous avions dit, et nous disons encore qu'il est normal que la politique agricole s'adapte. Le contexte ne va pas très bien, mais il y a aussi des opportunités. L'Europe...
Valérie LECASBLE
Ça veut dire quoi, " s'adapte " ?
Jean-Michel LEMETAYER
S'adapte, ça veut dire qu'effectivement, la seule solution n'est pas dans l'augmentation des soutiens. Il faut que les choses soient claires. On a devant nous un formidable marché de 500 millions de consommateurs, puisqu'on va passer de 370 à près de 500 millions de consommateurs. Nous disons qu'il faut poursuivre dans la démarche d'une agriculture de qualité, respectueuse de l'environnement, du bien-être animal, de la sécurité sanitaire, c'est-à-dire la sécurité des aliments que nous proposons à nos consommateurs. Mais nous contestions dans le même temps que cette politique se traduise par des prix toujours plus bas. Donc si on veut bien s'engager à la fois vers une politique de qualité, et en même temps de mieux gérer nos marchés pour que, quelque part, les agriculteurs vivent un peu mieux des productions qui mettent sur le marché, on est prêt, bien entendu, à ces évolutions.
Valérie LECASBLE
Donc quel sera le moyen pour que les agriculteurs français, d'ici une petite dizaine d'années, réussissent à vivre davantage d'eux-mêmes et moins des subventions européennes ?
Jean-Michel LEMETAYER
La réponse, elle est évidemment dans la gestion que nous aurons au niveau européen de ce grand marché qui est le nôtre, d'abord, en défendant, notamment sur le plan international, le fait que les conditions de production, avec tout ce que cela comporte, y compris l'aspect social, ne soient pas forcément les mêmes en Europe, aux Etats-Unis, en Océanie. Je crois que nous pouvons défendre sur le plan international la spécificité de l'agriculture. Et ça vaut notamment aussi pour les pays en développement. Nous ne défendrons pas... on parle tous les jours de l'agriculture dans les pays en développement, nous défendrons aussi leur agriculture si on veut bien reconnaître que l'agriculture n'est pas une industrie comme les autres et qu'elle a besoin d'être traitée de manière un peu particulière.
Valérie LECASBLE
Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que l'intégration de dix nouveaux pays va enlever quand même à la France une partie de sa spécificité de grand pays agricole européen ? Est-ce que ça ne va pas être la banalisation ?
Jean-Michel LEMETAYER
Je ne le pense pas. La France est un grand pays agricole, agroalimentaire, fournissant, je crois, des produits de qualité. Bien sûr, parmi les pays qui rentrent, je pense à la Pologne, où on aussi là un grand pays agricole, mais les pays qui aujourd'hui sont très présents en agriculture, la France fera partie encore demain de ceux-là.
Valérie LECASBLE
Et il faudra partager avec les autres, alors.
Jean-Michel LEMETAYER
Non, mais là vous parlez de partage budgétaire. La France est le premier pays en matière de produits de qualité. Et quand on parle d'Appellation d'origine contrôlée, quand nous parlons de labels, quand nous parlons de produits certifiés, même quand nous parlons d'agriculture biologique, la France est en tête de ces produits de qualité. Ce qu'il faut, c'est que nous le restions...
Valérie LECASBLE
Et compter sur nous-mêmes, en fait.
Jean-Michel LEMETAYER
Mais il faut... moi, je n'attends pas tout, je n'attends pas tout de l'Etat. Et c'est pour ça que j'appelle aussi à une meilleure gestion des marchés sur le plan européen, parce que nous n'avons pas à tout attendre sur le plan budgétaire. Nous ne vivrons pas... d'ailleurs, vous savez, quand on parle de soutien budgétaire, ça concerne les productions végétales, c'est-à-dire les céréales, les... ça concerne aussi la viande bovine, ça concerne, à un degré beaucoup moindre, le secteur laitier. Mais vous avez des secteurs entiers, je pense aux fruits et légumes, je pense au vin, au porc, à la volaille, vous savez, ils n'ont pas d'aides de l'Europe. Donc...
Valérie LECASBLE
Donc tout le monde va évoluer de cette façon. Jean-Michel LEMETAYER, je vous remercie beaucoup, merci.
(source http://www.agri02.com)
Stéphane RENOTTE
Nous retrouvons Emmanuelle DUTEIL en compagnie de son invité. Vous le savez ce week-end à Bruxelles, Paris et Berlin sont parvenus à un accord sur la réforme de la politique agricole commune, elle est repoussée, en quelque sorte. Alors nous allons voir ce qu'en pensent les principaux intéressés, les agriculteurs eux-mêmes avec l'invité de Emmanuel DUTEIL, donc, Jean-Michel LEMETAYER. Il préside la FNSEA, le premier syndicat agricole français.
Emmanuel DUTEIL
Effectivement, Jean-Michel LEMETAYER vous êtes en ligne avec nous, bonjour. Alors, Allemands et Français ont réussi à se mettre d'accord sur cet épineux dossier de la PAC. Concrètement, la Politique Agricole Commune reste sous sa forme actuelle jusqu'en 2006, même si dès 2004, les nouveaux entrants bénéficieront des aides de l'Union. A compter de 2007, les dépenses agricoles seront plafonnées en tenant compte de l'inflation et ceci jusqu'en 2013. Alors voici pour le résumé. J'imagine, Jean-Michel LEMETAYER, que vous avez soufflé tout de même un ouf de soulagement en découvrant cet accord ?
Jean-Michel LEMETAYER
Nous avons été soulagés au moins à court terme puisque nous avions sur la table depuis les semaines avant l'été, un nouveau projet de réforme de la politique agricole que nous avions d'ailleurs immédiatement contesté, puisque nous sommes actuellement..., la politique agricole est actuellement, en fait, sous le couvert des accords qui avaient été passés entre les chefs d'Etats et de gouvernements à Berlin en 1999 et que nous contestions à la fois le moment de cette réforme et aussi la forme. Le moment parce qu'il faut que les agriculteurs puissent travailler dans la durée ; on ne peut pas réformer la politique agricole et deux ans plus tard, dire qu'il faut encore la réformer et deux ans plus tard dire encore qu'il faut la réformer..., donc ce que donne cet accord - au moins pour l'instant - c'est qu'il y a stabilisation de la politique agricole jusqu'en fin 2006 et qu'on maintient aussi une véritable politique agricole jusqu'en 2013. Donc, je n'ignore pas qu'il y aura des difficultés budgétaires à partir de 2007, sans aucun doute, mais en tout cas, là, pour les quatre années qui sont devant nous, les agriculteurs savent à quoi s'en tenir.
Emmanuel DUTEIL
Alors, rappelons tout de même que la France est le premier bénéficiaire de la PAC, les agriculteurs tricolores reçoivent chaque année 9,2 milliards d'euros de subventions européennes. Malgré cet accord, ils vont tout de même devoir se serrer la ceinture. Effectivement, il va falloir découper en 25 parts, un gâteau prévu pour 15.
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, mais les agriculteurs reçoivent, enfin français, reçoivent plus de la PAC parce que nous sommes les plus nombreux, nous occupons le territoire le plus important et parce que, à la clé de tout cela, il y a une production relativement importante. Mais ce qui est décidé concernant la PAC, ne l'oublions pas, concerne tous les agriculteurs européens. Je crois qu'on ne le dit pas assez. Quand il y a, par exemple, une aide aux producteurs de céréales, elle vaut pour le céréalier français comme pour le céréalier allemand, danois ou espagnol. Ce sont les mêmes aides. Donc, ce ne sont pas plus les agriculteurs français qui sont touchés que les agriculteurs européens.
Emmanuel DUTEIL
Mais là, tout le monde va devoir se serrer la ceinture, Jean-Michel LEMETAYER ?
Jean-Michel LEMETAYER
Alors c'est vrai que, à partir de 2007, il va falloir partager un budget qui était aujourd'hui prévu pour 15 pays, le partager entre 25 avec une utilisation progressive puisque vous le savez, dans le même temps, les chefs d'Etats et de gouvernements ont décidé, le niveau des aides pour les agriculteurs des pays qui vont entrer dans l'Union et que l'application va être progressive. Donc, c'est vrai, il va falloir quelque peu se serrer la ceinture. J'y vois malgré tout un intérêt, enfin pas l'intérêt de se serrer la ceinture mais sur la décision qui a été prise, c'est qu'elle maintient l'enveloppe concernant la gestion des marchés et c'est quelque chose à laquelle nous tenions parce que la Commission européenne voulait déplacer une partie du soutien à l'agriculture vers le développement rural. Or, la décision qui est prise, c'est un maintien de cette enveloppe au niveau où elle est, où elle sera en 2006, pour la gestion des marchés et il n'est pas question de plafonnement pour le développement rural, parce qu'il faut aussi pouvoir concilier cette politique de développement rural indispensable. Avec une meilleure gestion des marchés, je pense que nous pouvons faire des économies sur le plan du budget agricole si nous gérons mieux les marchés agricoles au niveau européen. Actuellement, on a un dysfonctionnement de l'Europe dans un certain nombre de secteurs, je pense aux céréales et à la volailles, des secteurs où ces dysfonctionnements font en sorte que l'on importe par exemple des céréales d'Ukraine, de Mer Noire, à très bas prix et qui créent des difficultés pour les agriculteurs concernés. Même chose en matière de volailles, avec des importations venant de Thaïlande et du Brésil. Je pense que si on gère mieux les marchés, si on a des façons de principe, de fonctionnement de l'Union européenne, et je pense en particulier à la notion de préférence communautaire, c'est-à-dire privilégier notre marché européen, entre les 15, demain entre les 25, il peut y avoir aussi des opportunités, parce que être 25 pays demain c'est un nouveau grand marché qui s'ouvre. C'est-à-dire que nous allons passer de 370 millions de consommateurs à 500 millions avec, je l'espère, une certaine croissance, notamment pour les citoyens des 10 pays qui vont entrer, c'est-à-dire donner du pouvoir d'achat et par-là même améliorer la consommation.
Emmanuel DUTEIL
Alors à Bruxelles, on affirme tout de même que la réforme prônée par le Commissaire FISCHLER chargé de l'Agriculture reste sur la table, vous l'avez dit, qui prévoyait la réduction et la réorientation progressive des aides vers des projets de développement rural ; vous êtes contre mais est-ce que ce n'est pas finalement reculer pour mieux sauter, tout cela ?
Jean-Michel LEMETAYER
Eh bien nous étions contre, notamment, une adaptation au moment où Monsieur FISCHLER nous le proposait. Je crois que maintenant nous connaissons les règles du jeu, elles vont être affinées je pense, dans les semaines qui viennent, nous allons pouvoir discuter sereinement de ce que dot être la politique agricole dans les années futures. Ce qui me paraît intéressant, c'est effectivement de ne pas attendre 2006. Je pense que 2004/2005, on va pouvoir préparer cette politique agricole qui donnera des perspectives aux agriculteurs, peut-être quelques craintes en matière de soutient budgétaire mais aussi leur permettre de dire : voilà la politique agricole à laquelle nous devons nous adapter jusqu'en 2013 parce que, vous savez, notre métier, je suis personnellement producteur de lait, j'ai des investissements à faire, c'est mieux de savoir que ces investissements-là je les fais dans tel et tel contexte, que de dire : les choix que je viens de faire, ils sont remis en cause par les choix de politique agricole et par les chefs d'Etats et de gouvernements.
Emmanuel DUTEIL
Alors autre interrogation, la réaction de l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Le plafonnement des aides, environ 40 milliards d'euros à compter de 2006 ne devrait pas lui suffire. Les Etats-Unis, le Canada, l'Australie mais aussi le Brésil sont bien décidés à combattre toutes ces subventions agricoles européennes ?
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, les Etats-Unis seraient mal venus de nous les combattre. Quand on sait le choix que vient de faire le président américain George BUSH à l'égard de ces fermiers américains en augmentant ses soutiens à son agriculture, je crois qu'il serait très mal venu de les combattre. D'ailleurs je reviens d'un colloque avec les collègues canadiens, mexicains et américains avec mes amis européens, ceux qui étaient sous le.., j'allais dire, sous les feux des attaques, ce n'était pas les Européens pour une fois, c'était les Américains. Donc, c'est vrai que le Commissaire LAMY, le commissaire européen chargé des négociations internationales va devoir se battre sur les bases de cette politique agricole. Mais tout de même, je crois que les choses là aussi doivent être claires. Nous devons nous battre sur les bases de la politique agricole que nous voulons pour nos agriculteurs et, à la limite, nos pays. Pourquoi ? Parce que notre agriculture c'est à la fois bien sûr de l'économie mais.., et en France tout particulièrement, c'est aussi l'aspect social et c'est aussi l'aspect aménagement du territoire. On ne le souligne pas assez. Si on ne veut pas défendre un minimum de politique agricole, y compris sur le plan international et notamment les spécificités de chaque grande région du monde, et là nôtre, pour ce qui nous concerne, celle de l'Europe, je crois que ça serait très destructeur, alors que l'intérêt cet aussi de défendre des paysans, partout sur le territoire.
Emmanuel DUTEIL
Jean-Michel LEMETAYER, merci beaucoup. Jean-Michel LEMETAYER, le président de la FNSEA, principal syndicat agricole français. FIN-
(Source http://www.fnsea.fr, le 15 janvier 2003)
Jean-Michel LEMETAYER, bonjour.
Jean-Michel LEMETAYER
Bonjour.
Valérie LECASBLE
Alors il semblerait finalement que la Politique Agricole Commune, dont vous êtes le garant, en tant que patron des agriculteurs, fasse en partie les frais de l'élargissement de l'Union Européenne ; c'est votre sentiment ?
Jean-Michel LEMETAYER
Pas tout à fait, parce qu'il y avait un vrai danger à ce que l'agriculture et la politique agricole soient sacrifiées justement, au nom de cet élargissement, et que l'élargissement soit un prétexte pour réformer la politique agricole. Donc la décision qui a été prise par les Quinze, finalement, vendredi soir, maintient cette politique agricole, d'abord jusqu'en 2006, mais maintient aussi le principe même d'une politique agricole jusqu'en 2013. Donc j'allais dire que c'est à la fois un soulagement à court terme, parce que souvenons-nous tout de même, il y a sur la table encore un projet de réforme de la part du commissaire européen, Monsieur FISCHLER, commissaire européen à l'agriculture, et au nom de toute la Commission. Donc soulagement à court terme, c'est vrai, mais question, questionnement, à partir de 2007, dès lors que nous serons 25 autour de la table, pour un budget qui n'évoluera quasiment pas.
Valérie LECASBLE
Oui, mais tout de même, Jean-Michel LEMETAYER, il y a eu cet accord franco-allemand vendredi jeudi, pardon. Vendredi, à quinze, les choses ont été plus compliquées, puisque Tony BLAIR a tout de même continué à réclamer une réforme de la PAC avant 2006, et surtout il a refusé, lui, de céder sur le chèque anglais, sur le fameux rabais anglais.
Jean-Michel LEMETAYER
C'est vrai que d'abord l'Europe elle doit fonctionner à quinze, et pas seulement avec l'axe franco-allemand. Je dirais quand même que c'est important que le chef de l'Etat français et le chancelier allemand, le chancelier SCHRÖDER, aient pu avoir l'ambition de redonner du tonus à l'Europe, parce que sans l'axe franco-allemand, je pense que l'Europe aura du mal à fonctionner. Alors ensuite, que certains pays n'aient pas apprécié ce préambule franco-allemand, on peut le comprendre, d'autant plus que, concernant les Britanniques et concernant Tony BLAIR, le président français a dit : " Mais il faudra rediscuter du chèque britannique "... c'est quelque chose qu'avaient obtenu les Britanniques il y a quelques années, qui est un peu... dont il serait bien normal de remettre sur la table, parce que pourquoi y aurait-il quelques faveurs aux Britanniques, qui ne sont pas forcément les plus européens des Européens. Et puis il y avait aussi les Espagnols. Il n'y avait pas seulement les Britanniques, il y avait les Espagnols, parce que les Espagnols, avec les Portugais et les Grecs, ont beaucoup bénéficié de l'Europe depuis leur entrée, et notamment lorsque l'on parle de fonds structurels, c'est-à-dire de moyens financiers pour aménager leur territoire, donc...
Valérie LECASBLE
Et eux n'ont pas accepté un plafonnement de ces fonds structurels, contrairement à la France, qui elle, a accepté un plafonnement de la Politique Agricole Commune.
Jean-Michel LEMETAYER
Non mais, il y avait d'ores et déjà débat pour remettre en cause... le projet de la Commission et le projet de Monsieur FISCHLER était déjà de prendre une partie de l'enveloppe financière de gestion des marchés et de la transférer vers ce que nous appelons la politique de développement rural. Donc ce qui est important, c'est que l'on bien sûr, il y aura plafonnement à partir de 2007, mais c'est que l'on maintient...
Valérie LECASBLE
Jusqu'en 2006.
Jean-Michel LEMETAYER
Jusqu'en 2006, mais fin 2006...
Valérie LECASBLE
Sauf quand même que Tony BLAIR a continué à exiger une offre européenne défendable sur la Politique Agricole Commune, notamment à l'OMC, dès 2004.
Jean-Michel LEMETAYER
C'est vrai. Moi, ce que je tiens à souligner, c'est que nous ne sommes pas opposés à ce que la politique agricole évolue. Mais on ne pouvait pas le faire sous prétexte, d'abord, d'un élargissement, et de régler ça en deux mois. Deuxièmement, je ne suis pas d'accord avec Tony BLAIR sur le fait d'adapter notre politique agricole, là aussi sous couvert qu'il va y avoir des négociations à l'Organisation Mondiale du Commerce. Pourquoi ? Parce que tout simplement, lorsqu'il y a eu réforme de la Politique Agricole en 1999 à Berlin, c'était déjà pour aller avec nos propositions et notre Politique Agricole, à ces négociations. Vous savez, le président américain, George BUSH, il se pose beaucoup moins de questions que Tony BLAIR. Il a décidé, il y a quelques mois, d'accroître ses soutiens à ses agriculteurs, d'accroître le soutien de la politique agricole américaine. Et nous, dans le même temps, on pense qu'il faut baisser la garde, avant même d'aller à la négociation. Je pense que, et ce que nous avons toujours dit, c'est que, à la fois le commissaire européen chargé des négociations, le commissaire LAMY, en lien avec le commissaire à l'agriculture, le commissaire FISCHLER, ait la volonté de défendre notre Politique Agricole Commune, c'est-à-dire une politique agricole d'abord pour les paysans européens. On n'est pas là pour, j'allais dire, se soumettre aux diktat américain, ou de ce que nous appelons le groupe de Cairns, je pense en particulier à l'Océanie, la Nouvelle-Zélande, l'Australie...
Valérie LECASBLE
Alors pour qu'on essaie de comprendre ce sujet qui est particulièrement compliqué...
Jean-Michel LEMETAYER
C'est vrai.
Valérie LECASBLE
Ça veut dire quoi, ce qui s'est passé jeudi et vendredi ? Ça veut dire que les pays, les nouveaux pays membres, les dix pays qui vont rentrer dans l'Union Européenne, auront à peu près dix ans pour bénéficier, au bout de dix années, d'autant d'aides à l'agriculture qu'en bénéficient les pays membres aujourd'hui, c'est bien ça ?
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, je pense que ce qu'ont décidé les chefs d'Etat, moi aussi j'ai besoin de comprendre, on n'a pas tous les détails de ce qui s'est décidé, mais c'est qu'en 2013 nous devrions avoir une politique agricole pour l'ensemble des paysans européens des 25 pays, c'est ça que cela veut dire, puisque, à compter de 2004, date à laquelle vont entrer les premiers pays, les premiers pays, je crois que Roumanie et Bulgarie pourraient entrer dans un deuxième temps, les aides agricoles aux agriculteurs de ces pays vont être améliorées de manière progressive jusqu'en 2013. Et c'est aussi ce que nous souhaitions, c'est-à-dire que nous souhaitions à la fois une période transitoire, mais au bout de laquelle il ne peut pas y avoir deux politiques agricoles. C'est-à-dire que...
Valérie LECASBLE
Et donc, ça veut dire que de 2007 à 2013, la phase d'après, les crédits de la PAC seront gelés, de la Politique Agricole Commune, seront gelés, c'est ce qui a été décidé à Bruxelles, et partagés entre les 25.
Jean-Michel LEMETAYER
La décision qui semble être prise, c'est celle d'un budget, celui de 2006, augmenter de 1%, d'inflation, d'un équivalent de 1 % d'inflation chaque année...
Valérie LECASBLE
Ce qui n'est pas beaucoup.
Jean-Michel LEMETAYER
Ce qui n'est pas beaucoup. C'est vrai que si on a, je crois savoir que si on a 2,5 % d'inflation par an, le 1,5 point, effectivement, consistera un manque à gagner pour le secteur agricole. Mais nous n'en sommes pas là. Ce qu'il faut...
Valérie LECASBLE
Et là, on a vu que les Hollandais étaient sur une position assez dure envers la France, puisque c'est le Premier ministre hollandais qui a exigé ça.
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, mais la politique, vous le savez aussi bien que moi, c'est très complexe, parce que les Hollandais, les Anglais, et d'autres, voulaient une réforme rapide de la politique agricole, c'est-à-dire voulaient dès 2004 baisser les soutiens à l'agriculture. Je pense qu'effectivement ils n'apprécient pas que, à la fois la politique agricole est maintenue en l'état jusqu'en 2006, et que nous avons encore l'ambition d'une politique agricole digne de ce nom après 2006. Les enjeux sont considérables, ils ne sont peut-être pas les mêmes pour tous. Mais les enjeux en tous cas pour les Français, la politique agricole c'est, bien sûr, de l'économie, mais c'est aussi un aspect social, c'est aussi un aspect d'aménagement du territoire. Et si on imaginait un seul instant une diminution forte du nombre d'agriculteurs dans un certain nombre de régions de France, ce sont des milliers d'emplois en moins, je l'avais souligné au moment de la réforme proposée par Monsieur FISCHLER. Je crois qu'aujourd'hui on a une vision à court terme, c'est trois, quatre ans, c'est malgré tout du court terme ; on a une vision à moyen terme jusqu'à 2013. Il y a des économies budgétaires possibles à faire. Moi j'appelle depuis longtemps la Commission européenne, l'Europe, à mieux gérer nos marchés. Actuellement, on importe des blés d'Ukraine, en total dysfonctionnement avec l'Europe. On parle désormais de mettre des contingents à l'importation. On a importé énormément de viande de volaille au cours de l'année 2001, début 2002. Peut-être qu'en gérant mieux nos marchés, on arrêtera d'importer ce que j'appelle, moi, des baisses de prix. Actuellement...
Valérie LECASBLE
Jean-Michel LEMETAYER, pour essayer de comprendre vraiment l'impact de ce qui s'est passé ces derniers jours, on a dit, Jacques CHIRAC avait dit : " La Politique Agricole Commune ne doit pas être la seule variable d'ajustement de l'élargissement de l'Union, du financement de l'élargissement de l'Union ". Est-ce que oui ou non, vous avez le sentiment aujourd'hui que Jacques CHIRAC a imposé l'avis de la France par rapport à ça ?
Jean-Michel LEMETAYER
L'agriculture disons que l'élargissement n'est pas devenu le prétexte, ou a cessé d'être le prétexte à une réforme rapide de la politique agricole, que nous contestions. Donc de ce point de vue-là...
Valérie LECASBLE
Donc vous êtes content.
Jean-Michel LEMETAYER
Disons que nous sommes soulagés pour le court terme. C'est vrai que sur le plan budgétaire, à partir de 2007, beaucoup de questions vont se poser, mais à très court terme, et l'élargissement et les négociations à l'Organisation Mondiale du Commerce, ne vont pas être des raisons de réformer notre politique agricole.
Valérie LECASBLE
Donc sur le court terme, vous êtes soulagé, mais on voit bien quand même que sur le moyen terme assez proche, la Politique Agricole Commune va forcément changer, et de dimension et d'organisation générale. Alors est-ce que la France va se préparer à ça, et les agriculteurs français ?
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, mais nous avions dit, et nous disons encore qu'il est normal que la politique agricole s'adapte. Le contexte ne va pas très bien, mais il y a aussi des opportunités. L'Europe...
Valérie LECASBLE
Ça veut dire quoi, " s'adapte " ?
Jean-Michel LEMETAYER
S'adapte, ça veut dire qu'effectivement, la seule solution n'est pas dans l'augmentation des soutiens. Il faut que les choses soient claires. On a devant nous un formidable marché de 500 millions de consommateurs, puisqu'on va passer de 370 à près de 500 millions de consommateurs. Nous disons qu'il faut poursuivre dans la démarche d'une agriculture de qualité, respectueuse de l'environnement, du bien-être animal, de la sécurité sanitaire, c'est-à-dire la sécurité des aliments que nous proposons à nos consommateurs. Mais nous contestions dans le même temps que cette politique se traduise par des prix toujours plus bas. Donc si on veut bien s'engager à la fois vers une politique de qualité, et en même temps de mieux gérer nos marchés pour que, quelque part, les agriculteurs vivent un peu mieux des productions qui mettent sur le marché, on est prêt, bien entendu, à ces évolutions.
Valérie LECASBLE
Donc quel sera le moyen pour que les agriculteurs français, d'ici une petite dizaine d'années, réussissent à vivre davantage d'eux-mêmes et moins des subventions européennes ?
Jean-Michel LEMETAYER
La réponse, elle est évidemment dans la gestion que nous aurons au niveau européen de ce grand marché qui est le nôtre, d'abord, en défendant, notamment sur le plan international, le fait que les conditions de production, avec tout ce que cela comporte, y compris l'aspect social, ne soient pas forcément les mêmes en Europe, aux Etats-Unis, en Océanie. Je crois que nous pouvons défendre sur le plan international la spécificité de l'agriculture. Et ça vaut notamment aussi pour les pays en développement. Nous ne défendrons pas... on parle tous les jours de l'agriculture dans les pays en développement, nous défendrons aussi leur agriculture si on veut bien reconnaître que l'agriculture n'est pas une industrie comme les autres et qu'elle a besoin d'être traitée de manière un peu particulière.
Valérie LECASBLE
Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que l'intégration de dix nouveaux pays va enlever quand même à la France une partie de sa spécificité de grand pays agricole européen ? Est-ce que ça ne va pas être la banalisation ?
Jean-Michel LEMETAYER
Je ne le pense pas. La France est un grand pays agricole, agroalimentaire, fournissant, je crois, des produits de qualité. Bien sûr, parmi les pays qui rentrent, je pense à la Pologne, où on aussi là un grand pays agricole, mais les pays qui aujourd'hui sont très présents en agriculture, la France fera partie encore demain de ceux-là.
Valérie LECASBLE
Et il faudra partager avec les autres, alors.
Jean-Michel LEMETAYER
Non, mais là vous parlez de partage budgétaire. La France est le premier pays en matière de produits de qualité. Et quand on parle d'Appellation d'origine contrôlée, quand nous parlons de labels, quand nous parlons de produits certifiés, même quand nous parlons d'agriculture biologique, la France est en tête de ces produits de qualité. Ce qu'il faut, c'est que nous le restions...
Valérie LECASBLE
Et compter sur nous-mêmes, en fait.
Jean-Michel LEMETAYER
Mais il faut... moi, je n'attends pas tout, je n'attends pas tout de l'Etat. Et c'est pour ça que j'appelle aussi à une meilleure gestion des marchés sur le plan européen, parce que nous n'avons pas à tout attendre sur le plan budgétaire. Nous ne vivrons pas... d'ailleurs, vous savez, quand on parle de soutien budgétaire, ça concerne les productions végétales, c'est-à-dire les céréales, les... ça concerne aussi la viande bovine, ça concerne, à un degré beaucoup moindre, le secteur laitier. Mais vous avez des secteurs entiers, je pense aux fruits et légumes, je pense au vin, au porc, à la volaille, vous savez, ils n'ont pas d'aides de l'Europe. Donc...
Valérie LECASBLE
Donc tout le monde va évoluer de cette façon. Jean-Michel LEMETAYER, je vous remercie beaucoup, merci.
(source http://www.agri02.com)
Stéphane RENOTTE
Nous retrouvons Emmanuelle DUTEIL en compagnie de son invité. Vous le savez ce week-end à Bruxelles, Paris et Berlin sont parvenus à un accord sur la réforme de la politique agricole commune, elle est repoussée, en quelque sorte. Alors nous allons voir ce qu'en pensent les principaux intéressés, les agriculteurs eux-mêmes avec l'invité de Emmanuel DUTEIL, donc, Jean-Michel LEMETAYER. Il préside la FNSEA, le premier syndicat agricole français.
Emmanuel DUTEIL
Effectivement, Jean-Michel LEMETAYER vous êtes en ligne avec nous, bonjour. Alors, Allemands et Français ont réussi à se mettre d'accord sur cet épineux dossier de la PAC. Concrètement, la Politique Agricole Commune reste sous sa forme actuelle jusqu'en 2006, même si dès 2004, les nouveaux entrants bénéficieront des aides de l'Union. A compter de 2007, les dépenses agricoles seront plafonnées en tenant compte de l'inflation et ceci jusqu'en 2013. Alors voici pour le résumé. J'imagine, Jean-Michel LEMETAYER, que vous avez soufflé tout de même un ouf de soulagement en découvrant cet accord ?
Jean-Michel LEMETAYER
Nous avons été soulagés au moins à court terme puisque nous avions sur la table depuis les semaines avant l'été, un nouveau projet de réforme de la politique agricole que nous avions d'ailleurs immédiatement contesté, puisque nous sommes actuellement..., la politique agricole est actuellement, en fait, sous le couvert des accords qui avaient été passés entre les chefs d'Etats et de gouvernements à Berlin en 1999 et que nous contestions à la fois le moment de cette réforme et aussi la forme. Le moment parce qu'il faut que les agriculteurs puissent travailler dans la durée ; on ne peut pas réformer la politique agricole et deux ans plus tard, dire qu'il faut encore la réformer et deux ans plus tard dire encore qu'il faut la réformer..., donc ce que donne cet accord - au moins pour l'instant - c'est qu'il y a stabilisation de la politique agricole jusqu'en fin 2006 et qu'on maintient aussi une véritable politique agricole jusqu'en 2013. Donc, je n'ignore pas qu'il y aura des difficultés budgétaires à partir de 2007, sans aucun doute, mais en tout cas, là, pour les quatre années qui sont devant nous, les agriculteurs savent à quoi s'en tenir.
Emmanuel DUTEIL
Alors, rappelons tout de même que la France est le premier bénéficiaire de la PAC, les agriculteurs tricolores reçoivent chaque année 9,2 milliards d'euros de subventions européennes. Malgré cet accord, ils vont tout de même devoir se serrer la ceinture. Effectivement, il va falloir découper en 25 parts, un gâteau prévu pour 15.
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, mais les agriculteurs reçoivent, enfin français, reçoivent plus de la PAC parce que nous sommes les plus nombreux, nous occupons le territoire le plus important et parce que, à la clé de tout cela, il y a une production relativement importante. Mais ce qui est décidé concernant la PAC, ne l'oublions pas, concerne tous les agriculteurs européens. Je crois qu'on ne le dit pas assez. Quand il y a, par exemple, une aide aux producteurs de céréales, elle vaut pour le céréalier français comme pour le céréalier allemand, danois ou espagnol. Ce sont les mêmes aides. Donc, ce ne sont pas plus les agriculteurs français qui sont touchés que les agriculteurs européens.
Emmanuel DUTEIL
Mais là, tout le monde va devoir se serrer la ceinture, Jean-Michel LEMETAYER ?
Jean-Michel LEMETAYER
Alors c'est vrai que, à partir de 2007, il va falloir partager un budget qui était aujourd'hui prévu pour 15 pays, le partager entre 25 avec une utilisation progressive puisque vous le savez, dans le même temps, les chefs d'Etats et de gouvernements ont décidé, le niveau des aides pour les agriculteurs des pays qui vont entrer dans l'Union et que l'application va être progressive. Donc, c'est vrai, il va falloir quelque peu se serrer la ceinture. J'y vois malgré tout un intérêt, enfin pas l'intérêt de se serrer la ceinture mais sur la décision qui a été prise, c'est qu'elle maintient l'enveloppe concernant la gestion des marchés et c'est quelque chose à laquelle nous tenions parce que la Commission européenne voulait déplacer une partie du soutien à l'agriculture vers le développement rural. Or, la décision qui est prise, c'est un maintien de cette enveloppe au niveau où elle est, où elle sera en 2006, pour la gestion des marchés et il n'est pas question de plafonnement pour le développement rural, parce qu'il faut aussi pouvoir concilier cette politique de développement rural indispensable. Avec une meilleure gestion des marchés, je pense que nous pouvons faire des économies sur le plan du budget agricole si nous gérons mieux les marchés agricoles au niveau européen. Actuellement, on a un dysfonctionnement de l'Europe dans un certain nombre de secteurs, je pense aux céréales et à la volailles, des secteurs où ces dysfonctionnements font en sorte que l'on importe par exemple des céréales d'Ukraine, de Mer Noire, à très bas prix et qui créent des difficultés pour les agriculteurs concernés. Même chose en matière de volailles, avec des importations venant de Thaïlande et du Brésil. Je pense que si on gère mieux les marchés, si on a des façons de principe, de fonctionnement de l'Union européenne, et je pense en particulier à la notion de préférence communautaire, c'est-à-dire privilégier notre marché européen, entre les 15, demain entre les 25, il peut y avoir aussi des opportunités, parce que être 25 pays demain c'est un nouveau grand marché qui s'ouvre. C'est-à-dire que nous allons passer de 370 millions de consommateurs à 500 millions avec, je l'espère, une certaine croissance, notamment pour les citoyens des 10 pays qui vont entrer, c'est-à-dire donner du pouvoir d'achat et par-là même améliorer la consommation.
Emmanuel DUTEIL
Alors à Bruxelles, on affirme tout de même que la réforme prônée par le Commissaire FISCHLER chargé de l'Agriculture reste sur la table, vous l'avez dit, qui prévoyait la réduction et la réorientation progressive des aides vers des projets de développement rural ; vous êtes contre mais est-ce que ce n'est pas finalement reculer pour mieux sauter, tout cela ?
Jean-Michel LEMETAYER
Eh bien nous étions contre, notamment, une adaptation au moment où Monsieur FISCHLER nous le proposait. Je crois que maintenant nous connaissons les règles du jeu, elles vont être affinées je pense, dans les semaines qui viennent, nous allons pouvoir discuter sereinement de ce que dot être la politique agricole dans les années futures. Ce qui me paraît intéressant, c'est effectivement de ne pas attendre 2006. Je pense que 2004/2005, on va pouvoir préparer cette politique agricole qui donnera des perspectives aux agriculteurs, peut-être quelques craintes en matière de soutient budgétaire mais aussi leur permettre de dire : voilà la politique agricole à laquelle nous devons nous adapter jusqu'en 2013 parce que, vous savez, notre métier, je suis personnellement producteur de lait, j'ai des investissements à faire, c'est mieux de savoir que ces investissements-là je les fais dans tel et tel contexte, que de dire : les choix que je viens de faire, ils sont remis en cause par les choix de politique agricole et par les chefs d'Etats et de gouvernements.
Emmanuel DUTEIL
Alors autre interrogation, la réaction de l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Le plafonnement des aides, environ 40 milliards d'euros à compter de 2006 ne devrait pas lui suffire. Les Etats-Unis, le Canada, l'Australie mais aussi le Brésil sont bien décidés à combattre toutes ces subventions agricoles européennes ?
Jean-Michel LEMETAYER
Oui, les Etats-Unis seraient mal venus de nous les combattre. Quand on sait le choix que vient de faire le président américain George BUSH à l'égard de ces fermiers américains en augmentant ses soutiens à son agriculture, je crois qu'il serait très mal venu de les combattre. D'ailleurs je reviens d'un colloque avec les collègues canadiens, mexicains et américains avec mes amis européens, ceux qui étaient sous le.., j'allais dire, sous les feux des attaques, ce n'était pas les Européens pour une fois, c'était les Américains. Donc, c'est vrai que le Commissaire LAMY, le commissaire européen chargé des négociations internationales va devoir se battre sur les bases de cette politique agricole. Mais tout de même, je crois que les choses là aussi doivent être claires. Nous devons nous battre sur les bases de la politique agricole que nous voulons pour nos agriculteurs et, à la limite, nos pays. Pourquoi ? Parce que notre agriculture c'est à la fois bien sûr de l'économie mais.., et en France tout particulièrement, c'est aussi l'aspect social et c'est aussi l'aspect aménagement du territoire. On ne le souligne pas assez. Si on ne veut pas défendre un minimum de politique agricole, y compris sur le plan international et notamment les spécificités de chaque grande région du monde, et là nôtre, pour ce qui nous concerne, celle de l'Europe, je crois que ça serait très destructeur, alors que l'intérêt cet aussi de défendre des paysans, partout sur le territoire.
Emmanuel DUTEIL
Jean-Michel LEMETAYER, merci beaucoup. Jean-Michel LEMETAYER, le président de la FNSEA, principal syndicat agricole français. FIN-
(Source http://www.fnsea.fr, le 15 janvier 2003)