Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Le Parisien" du 31 janvier 2003, sur la réforme des retraites, notamment la durée des cotisations et le niveau des pensions.

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Média : Le Parisien

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Vous serez dans la rue, demain, avec l'ensemble des leaders syndicaux pour manifester l'avant veille de l'annonce par Jean-Pierre Raffarin des grands axes de la réforme des retraites. Quelle mobilisation attendez-vous ?
François Chérèque : Avec plus de cent cortèges, dont trois manifestations régionales à Paris, Metz et Lille, nous tablons sur une mobilisation importante. Cela nous permettra de dire au gouvernement que la réforme des retraites que les sept organisations syndicales réclament dans leur déclaration ne pourra pas se faire sans elles. Nous montrerons aussi au pays que sur ce sujet très crucial, nous entendons faire preuve de responsabilité et de pédagogie.
Vous souhaitez aussi établir un rapport de force vis-à-vis du gouvernement, non ?
Le fait que l'ensemble des syndicats se mobilisent pour organiser une telle manifestation est évidément destiné à créer un rapport de force. C'est aussi un moyen de rappeler que si notre rôle n'est pas de tenir la plume des parlementaires qui voteront la réforme, il est de faire valoir nos positions en amont car la retraite constitue un des élements clé du contrat social. Nous souhaitons discuter en profondeur des éléments qui permettront aux députés de faire la loi.
La plupart de nos voisins européens ont récemment allongé la durée de cotisation nécessaire pour toucher une pension pleine. La France peut-elle échapper à cette évolution ?
Dans les cinq ans qui viennent, il n'est pas nécessaire de toucher à cette durée de cotisation pour le privé : il serait incompréhensible d'allonger la durée de cotisation pour ces salariés tant que les entreprises continueront à licencier en si grand nombre ceux qui ont plus de 55 ans. Cela reviendrait à faire financer par l'assurance chômage cet allongement de la durée de cotisation. Il faudra néanmoins rediscuter à échéances régulières, tous les 5 ou 10 ans, pour décider des adaptations nécessaires. Beaucoup de pays européens ont également mis en place un système de retraite à la carte, pour lequel il existe une forte demande, en France. L'idée est simple: chacun serait libre de partir avant ou après la durée légale de cotisation, en choisissant d'y perdre, ou d'y gagner financièrement.
Par quel bout faut-il, selon vous, prendre la réforme des retraites ?
La première chose à faire est de fixer de manière très claire le niveau des pensions, c'est-à-dire ce que les retraités touchent- de façon durable et variable en fonction du salaire de référence. Concrètement, la retraite d'un Smicard doit représenter 100% de son salaire de référence, celle d'un salarié gagnant 1500 euros devrait être d'environ 80%, de 75% pour 3 000 euros de revenus ... Ceci posé, il convient ensuite d'assurer le financement des retraites à travers le niveau des cotisations, la durée et la solidarité nationale (le fonds de réserve des retraites). Précisément, les salariés du privé ont déjà donné en 1993: la réforme Balladur leur aura fait perdre 20% de leurs pensions. N'est-ce pas le tour du public maintenant ? Pour que la réforme des retraites soit acceptable pour nous, il faudra que l'on revienne sur certains dispositions de la réforme Balladur. La dégradation du niveau des pensions qui atteindra effectivement 20% dans les vingt prochaines années doit être stoppée. Concernant le public, il faudra aussi corriger les inégalités dont sont victimes les pensions les plus basses.
N'est-ce pas un peu court, concernant le secteur public dont les retraites, en moyenne, sont supérieures à celles du privé ?
Pour la CFDT, ça sera donnant-donnant: nous n'accepterons pas de discuter de la durée des cotisations des fonctionnaires sans avoir préalablement eu des réponses claires sur le niveau des pensions. Il n'est pas acceptable qu'une aide soignante parte aujourd'hui avec une retraite équivalente à 53% de son dernier salaire parce que ses primes, importantes, ne comptent pas dans le calcul de sa retraite. Comme dans le privé, il faudra également des réponses claires concernant la retraite choisie et la prise en compte des métiers difficiles. Même chôse concernant la validation du travail à temps partiel qui concerne de nombreuses femmes. Enfin, il faudra obtenir aussi, comme dans le privé, le droit au départ avant 60 ans si on a cotisé 40 ans, situation de nombreux ouvriers des collectivités locales.
La position du gouvernement vous paraît-elle claire, aujourd'hui ?
Non ! Il y a un vrai problème de lisibilité sur les intentions du gouvernement. Voilà pourquoi nous attendons beaucoup du discours de Jean-Pierre Raffarin, lundi 3 février. Le Premier ministre devra préciser les pistes d'action et les paramètres à négocier. J'insiste : la CFDT ne soutiendra la réforme que si le gouvernement s'engage à garantir un bon niveau de pensions. Il devra aussi confier à un seul pilote le suivi de ce dossier. Enfin, il devra préciser sa méthode (période de concertation, rôle du Parlement, etc.)
Pensez-vous qu'en juin 2003, comme annoncé, la réforme des retraites sera vraiment sur les rails ?
En tout cas, contrairement à ce que disait Michel Rocard en 1991 (NDLR : ce dossier est suffisamment miné pour faire sauter 5 ou 6 gouvernements), le plus grand danger, pour Jean-Pierre Raffarin, serait justement de reculer devant l'obstacle et de ne pas engager une vraie réforme. Dans ce cas, il s'exposerait à une grave crise politique.
(Source : http://www.cfdt.fr, le 4 février 2003)