Interview de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à l'émission "L'Invité" de TV5 le 4 octobre 2002 à Paris, sur la position française dans le conflit en Côte d'Ivoire, sur les formes de relations avec l'Afrique, sur les questions de l'émigration et de l'effacement de la dette, et sur les perspectives du sommet de la francophonie de Beyrouth.

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Média : Emission L'Invité - Télévision - TV5

Texte intégral

Je voudrais d'abord évoquer cet accord qui semble redonner l'espoir à la Côte d'Ivoire, après deux semaines particulièrement sanglantes et cette tentative de coup d'état qui aura, au total, fait jusqu'ici 400 victimes. Rappelons que les rebelles contrôlent toujours la totalité du nord de la Côte d'Ivoire, de la frontière ghanéenne à la frontière guinéenne. Ces combats particulièrement terribles pourraient s'achever grâce à cet accord intervenu, grâce aux négociateurs de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et aux rebelles qui accepteraient donc un cessez-le-feu.
Les Français ont été dans une situation particulièrement difficile, certains de ces ressortissants, 77 d'entre eux sont arrivés aujourd'hui à Roissy.
Q - Monsieur le Ministre, quel est le message d'abord que vous donnez à la communauté française ?
R - C'est un message de solidarité bien sûr. Je pense que nos compatriotes sur place ont bien vu à quel point nous étions près d'eux et décidés à tout faire pour assurer leur sécurité, éventuellement leur rapatriement, ce qui a été le cas.
Q - La France a parfois été accusée d'être dans un camp, de soutenir le régime en place par les rebelles ?
R - Lorsque l'on s'efforce d'être médiateur, c'est en général le risque que l'on encoure : les deux parties en face vous reprochent de ne pas les soutenir directement, de ménager leurs adversaires. Je pense que c'était la bonne politique, et nous n'avons pas, en France, à prendre partie dans des conflits politiques ou même sur le plan intérieur ivoirien. En revanche, je pense que nous avons la responsabilité à la fois d'assurer la sécurité de nos compatriotes et d'être soucieux de la sécurité du pays dans lequel ils vivent.
Q - Actuellement, la situation permet d'espérer, grâce à un cessez-le-feu, cet accord, une médiation africaine, c'est quelque chose qui est bon, l'Afrique résolvant ses propres problèmes ?
R - Oui, je crois que c'est une bonne démarche. Ce n'est pas la première mais je pense que c'est dans ce sens que la plupart des problèmes ou des conflits peuvent trouver une solution et que les Africains eux-mêmes peuvent rechercher les formules, les accords et garantir le maintien de la paix ou le retour à la paix.
Q - Il y a des zones particulièrement sensibles, il n'y a pas que la Côte d'Ivoire, on a vu le Tchad où les rebelles interviennent au nord, aujourd'hui, on a l'impression que l'Afrique souffre toujours des mêmes maux, de la même instabilité ?
R - Oui et non. Nous parlons de ce qui va mal, c'est normal. Mais, l'Afrique est un continent très grand, il y a beaucoup de pays, et ces incidents, ces événements quelquefois tragiques comme c'est le cas pour la Côte d'Ivoire masquent beaucoup d'efforts, de progrès, y compris sur le plan du fonctionnement démocratique des pays africains et sur leur développement.
Il ne faudrait pas que ces informations qui se succèdent puissent concourir à l'afro-pessimisme, où l'on croit que tout va mal, de manière systématique. Non, je pense au contraire qu'il y a pas mal d'espoir sur ce continent.
Q - Souhaitez-vous d'autres formes de relations, la France a parfois été critiquée dans ses relations avec l'Afrique, le soutien à certains chefs d'Etat africains, le conditionnement à la démocratie ou une certaine forme de démocratie pour apporter l'aide nécessaire, souhaitez-vous d'autres formes de relations ?
R - Il y a d'autres formes de relations qui sont en train de s'établir et que nous approuvons et soutenons avec détermination, en particulier transformer les relations entre nous, et également nous d'ailleurs, entre les Africains eux-mêmes, entre les organisations internationales qui participent au développement de l'Afrique, en partenariat où nous sommes sur un pied d'égalité, où l'on se met d'accord sur ce qu'il faut faire et auquel chacun apporte sa propre contribution. Ceci vaut mieux que l'assistance au sens classique du terme où ce sont, de fait, les riches qui aident les pauvres. Je crois que maintenant, nous devons être des partenaires majeurs, décider et agir ensemble.
Par exemple le NEPAD est une idée africaine, les Africains eux-mêmes prennent des engagements, sur la façon dont sont appliquées les règles, les procédures, la transparence, la démocratie, la lutte contre la corruption, l'éducation et la formation des hommes pendant que les pays donateurs apportent les moyens, la technologie, les finances.
Q - Et il y a toujours cette question de l'émigration, Nicolas Sarkozy ira à la fin du mois au Mali pour signer un accord sensiblement équivalent à ce qui a été fait avec la Roumanie pour le retour d'émigrés clandestins, ça aussi c'est bon, vous souhaitez la collaboration des pays pour endiguer les flots d'immigration ?
R - Il est vrai que c'est une question très difficile à laquelle nous ne pourrons pas, seuls, apporter de réponse. Pour prendre l'exemple du Mali - il se trouve que le président Touré était à Paris il y a deux semaines - c'est un sujet dont nous avons beaucoup discuté. Pour un pays comme le Mali, c'est une perte de voir partir une partie de sa population, souvent très motivée, très audacieuse et pour nous, il est difficile de les accueillir convenablement. Nous avons donc là aussi je crois, un intérêt commun à gérer ensemble ce problème de la migration. C'est le but en effet des conversations que nous avons en ce moment et également du déplacement que fera Nicolas Sarkozy sur place.
Q - Permettre aux populations de rester, de vivre au pays, cela veut dire un véritable développement, cette aide devrait être portée à 0,5 % du PIB sur les cinq années, c'était un engagement du président Chirac, malgré la baisse de la croissance en France, vous allez maintenir cet engagement ?
R - C'est un engagement sur les cinq années, vous venez de le dire. Nous pouvons quand même espérer que, même s'il y a, et c'est le cas en ce moment, des moments où la croissance est moins bonne, il y en aura d'autres où elle sera de nouveau plus forte, il y a toutes les raisons de le penser. Je suis donc convaincu que cet engagement sur cinq ans sera tenu et que nous pourrons ainsi augmenter de 50 % l'aide actuelle et continuer ensuite. Le volume de l'aide est important et les méthodes à utiliser pour la rendre efficace sont importantes aussi.
Q - Et l'effacement de la dette africaine ?
R - La France est pionnière en la matière. Nous avons, plus que d'autres pays développés, pris des décisions en matière d'annulation de dette ou des transformations des dettes en investissements par les pays eux-mêmes sur place.
Au lieu de nous rembourser, ils ont investi en accord avec nous, c'est une très bonne démarche et nous allons continuer ainsi.
Q - Depuis le 11 septembre, rien n'est plus tout à fait comme avant, le dialogue et les cultures, c'est le thème du prochain Sommet de la Francophonie à Beyrouth, comment se présente-t-il ?
R - Ce Sommet se présente bien je crois. La Francophonie est passée à la vitesse supérieure depuis le sommet précédent à Hanoi où elle s'est organisée véritablement. Maintenant, elle est en train de donner un contenu très important à sa démarche commune dans le domaine de la coopération et aussi dans le domaine politique.
C'est un sommet qui porte sur la diversité culturelle et le dialogue des cultures. Je crois aujourd'hui que c'est sur ce terrain-là que le combat de la francophonie doit se situer. Nous ne devons être simplement enfermés dans cette espèce de caricature du Français qui lutte contre l'Anglo-américain pour occuper la première place dans les discussions internationales. Bien sûr, c'est important, mais dans ce cas-là, nous sommes un peu seuls, les autres s'y intéressent moins et nous donnons l'impression de mener un combat d'arrière-garde.
Il s'agit d'autre chose ici. La mondialisation, sur le plan économique et marchand, est une réalité ; la question est de savoir si les cultures et les langues doivent, elles aussi, devenir des biens marchands, auquel cas la culture sera celle de l'économie dominante et les autres disparaîtront ou s'affaibliront. Ou bien, au contraire, et c'est ce que nous croyons vraiment, les cultures, les langues sont un élément du patrimoine de l'humanité. Et le français, comme l'espagnol, l'arabe, le portugais ou toute autre langue ont le droit d'être considérés comme des biens spécifiques qui échappent à la mondialisation. Il convient donc de garantir la diversité des cultures et des langues.
Q - Et vous souhaitez, comme les Québécois le veulent apparemment, qu'il y ait un engagement concret, la création d'un observatoire ?
R - Je pense que ce sommet affirmera clairement une volonté politique commune. La Francophonie, c'est 55 pays, près de 500 millions d'habitants, qui, s'ils travaillent ensemble, auront un poids sur le plan international.
Je pense aussi qu'il y aura des mesures précises.
Q - Et le président Diouf est donné comme favori pour être secrétaire général de la Francophonie ?
R - On ne peut pas anticiper, ce sont les chefs d'Etat et de gouvernements qui auront à se prononcer sur le choix du futur secrétaire général de l'Organisation de la Francophonie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 2002)