Interview de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à RTL le 28 novembre 2002, sur le développement durable et la politique de santé publique et la lutte contre le sida.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. Ce matin vous participez au séminaire organisé par le Gouvernement sur le développement durable. Comment allez-vous traduire ce concept dans une action de la santé ? Ce n'est pas toujours évident le développement durable...
- "Si, le concept est facile à comprendre : le développement durable, c'est trouver un bon équilibre entre l'homme et son environnement. Il y a le premier volet qui paraît évident, ne pas trop consommer, attention à l'énergie, recyclage des déchets. Et puis, il y a le deuxième volet qui est celui de l'homme proprement dit."
Et de sa santé donc.
- "L'homme qui doit se protéger de son environnement. C'est tout le problème de la santé publique, on sait combien ce problème est difficile et, d'ailleurs, nous avons inauguré hier, avec R. Bachelot, la troisième agence de sécurité sanitaire : l'Agence de sécurité sanitaire environnementale pour tenter de dépister tous les éléments qui, dans notre environnement, peuvent menacer notre santé."
Et alors, concrètement ?
- "J'ajoute encore un point important, c'est qu'il y a tout l'aspect démographique, car naturellement dans cet équilibre harmonieux, il faut que l'homme soit en nombre suffisant, mais pas trop. Ce qui veut dire, qu'au regard de la natalité, au regard des personnes âgées, il y a une politique effectivement à mener."
Je vous demandais concrètement ce que vous alliez annoncer, parce qu'il y a une mauvaise langue, dans le quotidien Libération, ce matin, qui dit : " le ministère de la Santé ne percute pas vraiment sur le développement durable. "
- "Il ne percute tellement pas qu'hier on a inauguré cette agence santé environnement, que j'avais moi-même plaidé pour un ministère santé/environnement. En fait, les problèmes sont intimement liés. Ceux qui disent ça, probablement, ne voient pas, à l'évidence, la place de la santé. Je veux dire qu'elle est aussi importante que l'aspect strictement environnemental, puisque l'autre plan de l'équilibre, c'est l'homme. Et que l'homme, naturellement, tout tourne autour de sa santé."
On peut, j'imagine aussi, intégrer dans l'idée du développement durable, l'aide aux pays à revenus faibles et notre manière de les aider pour garder l'équilibre dans le monde. Je pense, par exemple, parce que dimanche c'est la 15ème journée mondiale de lutte contre le sida, à l'aide que nous pourrions apporter, nous, aux pays émergents dans la lutte contre le sida. Et, précisément, je voudrais vous poser une question : il y a un fonds mondial qui a été créé, en juin dernier, sous l'égide de l'ONU, car évidemment il y a des millions de nouveaux malades dans le monde, notamment en Afrique. La France s'est engagée à verser 150 millions d'euros et 50 millions d'euros tout de suite ; vous avez fait le chèque ?
- "Le chèque a été fait, il a été provisionné dans une banque, avant d'être versé directement au fonds mondial parce qu'il y a des problèmes de transfert de fonds qui doivent être officialisés. Mais l'argent a été versé et le reste sera naturellement versé. J'ajoute que ce qui est important, c'est que dans le fonds mondial, il y a le sida, mais il y a aussi la tuberculose et le paludisme, ce qui différencie cette organisation de l'ONUSIDA, qui est une autre organisation de l'ONU, spécifiquement dévolue au sida."
Parce que beaucoup d'associations disent que la France est un peu pingre dans le domaine, parce qu'on donne moins que l'Italie, que le Portugal, alors qu'on fait de grandes déclarations. Pour les grandes déclarations, on est toujours là !
- "Non, je ne pense pas que ce soit exact. Nous en faisons beaucoup et en plus de cela, nous avons notre savoir-faire. Par exemple, dans ONUSIDA, nous mettons à disposition des spécialistes, qui vont sur le terrain et qui travaillent énormément. Je crois qu'au contraire nous faisons beaucoup parce que nous avons également décidé de poursuivre le programme, initié par mon prédécesseur, B. Kouchner, le programme ESTER (phon.), c'est-à-dire des jumelages entre des hôpitaux, qui permettent dans des pays confrontés à la difficulté, d'être aidés directement."
Il est financé ce programme ?
- "Oui, il est financé. J'ai déjà signé cinq conventions avec le Cambodge, avec le Bénin, avec le Burkina-Faso, avec le Mali et avec le Vietnam. En janvier, je vais au Cambodge pour voir comment ce programme ESTER se développe. Donc, je crois que nous en faisons pas mal, évidemment toujours insuffisamment. J'ajoute, aussi, que la France a un rôle capital, dans les négociations permettant que les médicaments soient accessibles pour ces populations, à des prix qui sont quand même accessibles."
Et en France alors ? Parce que souvent, la lutte contre le sida a été aussi placée comme une des priorités. On sait bien depuis 1999 l'épidémie ne diminue pas, le nombre de séropositifs augmente même un petit peu. La Ville de Paris, par exemple, prépare une grande campagne ; est-ce que le Gouvernement fait de même ? Est-ce que c'est une priorité ?
- "C'est une priorité. La difficulté de la lutte contre le sida, je le dis comme je le pense, parce que j'ai été pendant six ans l'adjoint de J.-C. Gaudin à Marseille, pour la lutte contre le sida et la toxicomanie, donc c'est un problème que je connais bien. Donc, la difficulté que l'on a, aujourd'hui, c'est d'une part que cela s'est installé dans la durée et que ça s'est presque banalisé, et que deuxièmement, on a eu le sentiment, avec l'arrivée des trithérapies, que finalement c'était gagné. Ca, c'est très dur à enlever de l'esprit des gens. Les gens pensent que maintenant, le sida se soigne. Je veux dire que ce n'est pas le cas, mais on est obligé de revenir aux principaux, aux fondamentaux, de rappeler qu'il vaut mieux quand même mettre des préservatifs pour les hommes, qu'il y a des conduites à risques de plus en plus pour les femmes également, que l'on est amené à mieux savoir son statut - est-ce qu'on est positif, est-ce qu'on est négatif ? Il faut relancer les centres de dépistages anonymes et gratuits."
Il y a des préjugés sur un gouvernement de droite, qui pourrait peut-être avoir quelques timidités, quelques conservatismes dans ce domaine.
- "Il n'y en a absolument pas dans ce domaine, je veux dire que depuis que je suis dans ce gouvernement on a même, non seulement poursuivi ce qui se faisait précédemment, mais récemment, la Caisse nationale d'assurance maladie vient de signer un texte, un engagement, par lequel elle va participer au financement des appartements thérapeutiques pour les personnes atteintes de sida. Nous venons de mettre vraiment en action le dernier rapport du professeur Delfraissy, sur les recommandations thérapeutiques, avec de nouveaux chapitres en milieu carcéral."
Et vous allez faire une campagne, non ? Il n'y a pas de campagne nationale qui est prévue ?
- "Sont prévus 850 spots télé en décembre. Je pourrais parler de bien d'autres choses encore, sur la déclaration obligatoire, qui arrive au terme de son processus de mise en place. La CNIL, la Commission nationale informatique et liberté a été consultée, nous sommes en train de tester le logiciel et, à partir de janvier, le dépistage sera obligatoire, avec naturellement, toutes les précautions d'anonymisation prévues. Donc, je veux dire que nous faisons des progrès. Simplement, ce n'est pas toujours spectaculaire."
Donc voilà un engagement formel qu'on retiendra de J.-F. Mattei et du gouvernement Raffarin, sur ce domaine. Trois petites questions d'actualité, auxquelles je vais vous demander de répondre brièvement : le Viagra, quatre ans après, 700 000 Français l'ont utilisé. Cela marche apparemment ; est-ce que vous allez le rembourser ?
- "C'est assez intéressant cette question, parce qu'elle pourrait symboliser le problème de ce qui relève de remboursements de la Sécurité sociale ou pas. Le Viagra, lorsqu'il s'agit de le prescrire à des gens qui ont des anomalies cardio-vasculaires, diabète ou autres, ou paraplégiques, il est clair que ça doit être remboursé. S'il s'agit simplement de pallier une panne momentanée ou une baisse de forme, on peut s'interroger."
Mais ça peut sauver de la dépression disent certains.
- "Oui, mais on peut s'interroger, encore une fois je ne tranche pas, je veux dire, on peut s'interroger."
Et alors, quel est votre sentiment ?
- "Mon sentiment c'est que la solidarité doit vraiment pallier les maladies et les anomalies qui gênent, mais je ne suis pas sûr qu'elles doivent accompagner chaque moment difficile de la journée que chacun peut trouver en soi Vous savez, boire le matin un jus de citron, c'est de la vitamine C et ce n'est pas remboursé par la Sécurité Sociale, et pour dormir"
C'est un peu plus compliqué pour le Viagra, docteur Mattei !
- "Un tilleul ou une verveine, ça peut être utile, quelques fois mieux d'ailleurs qu'un sirop psychotrope et je trouve qu'il n'y a pas besoin d'être remboursé par la Sécu."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 novembre 2002)