Déclaration de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi visant à réformer la réglementation sur l'archéologie préventive, notamment les dysfonctionnements du service public de la recherche archéologique, Paris le 4 juillet 2003.

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Texte intégral


Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs, Michel Herbillon et Laurent Hénart
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui vise à réformer la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.
La loi du 17 janvier 2001 donnait un cadre juridique à cette discipline, cadre dont elle était jusqu'alors dépourvue, et créait l'Institut national de recherche et d'archéologie préventive, l'INRAP, établissement public administratif à qui elle confiait le monopole des opérations. Elle a paradoxalement entraîné de nombreux conflits entre l'INRAP et les aménageurs, au premier rang desquels les collectivités locales. Je le déplore. Elle a par ailleurs conduit, en très peu de temps, l'INRAP au bord de la faillite financière.
Pourquoi ce naufrage, que je regrette profondément, s'est-il produit si vite ?
Si la loi du 17 janvier 2001 a eu le mérite de consolider le service public de la recherche archéologique, elle portait néanmoins en elle les germes de nombreux dysfonctionnements.
Le contrôle systématique des aménagements est nécessaire, chacun en convient, pour éviter que soient détruits, sans étude préalable, des vestiges enfouis. L'absence totale de régulation, conjuguée au monopole de l'INRAP, a cependant introduit un premier dysfonctionnement dans la prescription des opérations archéologiques. Leur nombre est, en effet, passé de 2000 en 2001 à 4000 en 2002. Ce doublement, vous vous en doutez, n'a pas été sans conséquence sur les effectifs de l'INRAP et surtout les délais d'exécution.
Le second dysfonctionnement tient aux mécanismes de financement de l'INRAP qui se sont très vite révélés inadaptés. Complexes, obscurs, inéquitables, ils ont exposé les aménageurs, et notamment les petites communes rurales, à des coûts importants, sans permettre pour autant à l'INRAP de bénéficier des ressources nécessaires. Le déficit de l'INRAP s'est donc rapidement creusé et a atteint 45 millions d'euros pour les années 2002 et 2003. Il est vrai que l'amendement adopté à la fin de l'année dernière par le Parlement visant à réduire de 25% la redevance pour les opérations prescrites en 2003, n'a pas amélioré une situation qui était, je tiens cependant à le signaler, considérablement dégradée.
J'observe enfin que l'absence de dialogue entre le prescripteur, c'est-à-dire l'Etat, l'opérateur qu'est l'INRAP et l'aménageur a donné à de nombreux élus le sentiment d'un arbitraire insupportable et a abouti à un blocage, de fait, de l'archéologie préventive.
L'enjeu est donc bien de sauver cette archéologie préventive nationale et de lui donner l'organisation publique et l'ambition scientifique qu'elle mérite.
Conscient de l'état d'urgence, le Gouvernement a décidé de présenter dans les plus brefs délais ce projet de loi au Parlement. Il vise à donner un cadre juridique et financier durable à l'archéologie préventive nationale, à renforcer sa dimension scientifique, et à mieux l'intégrer aux réalités du développement économique de notre pays et de nos régions. Il repose sur un juste équilibre entre le rôle de l'Etat, rôle éminent, rôle fondamental, et celui des collectivités locales, rôle dont chacun sait ici la légitimité.
Quelles en sont les principales dispositions ?
1. Premier objectif : garantir un financement suffisant et pérenne à l'archéologie préventive
Dans la loi du 17 janvier 2001, l'ensemble des opérations archéologiques est financé par une ressource fiscale, la redevance, que l'Etat lève en fonction de son intention de réaliser des diagnostics ou des fouilles.
Le système actuel est peu équitable. Il fait, en effet, porter le coût de l'archéologie préventive sur les seuls aménageurs directement concernés par les opérations archéologiques.
Quelles sont les modifications que vous propose le projet de loi ?
Tout d'abord, à l'avenir, les opérations de fouilles ne seront plus financées par une redevance, mais sur la base d'un prix, celui convenu entre l'aménageur et l'opérateur. Ces opérations pourront être réalisées, selon le choix de l'aménageur et sous réserve de l'accord de l'Etat, soit par l'INRAP, soit par les services archéologiques des collectivités locales ou par des opérateurs scientifiques publics ou privés qui auront été agréés par l'Etat.
En revanche, les opérations de diagnostic en amont, l'exploitation et la diffusion des recherches en aval seront financées, elles, par une redevance générale d'archéologie perçue sur tous les dossiers d'aménagement au-delà d'un certain seuil. Je précise que les diagnostics seront pour leur part réalisés soit par l'INRAP, soit par les services archéologiques des collectivités. Le monopole du service public sur ces opérations est donc maintenu afin d'en garantir la parfaite objectivité.
Cette redevance, dont l'assiette sera élargie, permettra de mieux répartir la charge de l'archéologie préventive entre les différents aménageurs, qu'ils soient ou non concernés par les opérations archéologiques.
Elle viendra, en effet, abonder un fonds de péréquation qui permettra aux aménageurs les plus impécunieux de bénéficier de subventions pour les aider, le cas échéant, à supporter le coût des fouilles. Ces subventions assureront ainsi, dans tous les cas, les moyens nécessaires aux objectifs scientifiques des opérations. Elles seront accordées par l'Etat aux aménageurs en fonction de critères objectifs qui seront déterminés par une commission composée d'élus, d'agents de l'Etat et de personnalités compétentes. Je tiens à souligner qu'une telle subvention était impossible dans le système précédent, puisque l'intégralité des opérations était financée par une ressource fiscale. Comme vous le savez, aucun contribuable ne peut bénéficier d'une subvention pour alléger le coût de son propre impôt
Le texte initial du gouvernement proposait qu'une nouvelle redevance, la redevance générale d'archéologie, soit perçue sur tous les dossiers d'aménagements au-delà d'un seuil de 5.000m². Il prévoyait également que cette redevance soit perçue par l'INRAP.
Le Sénat, estimant que ce seuil ne permettrait pas de rétablir un équilibre satisfaisant entre les zones rurales et les zones urbaines, l'a abaissé à 1.000 m². Il a également adopté une disposition qui prévoit que la liquidation de la redevance soit assurée par les Directions départementales de l'équipement et sa perception par les services du Trésor.
Les rapporteurs des deux commissions compétentes de votre Assemblée proposent cependant de revenir au seuil initial de 5000m². Ils souhaitent également clarifier le rôle des services de l'Etat tant dans la liquidation que dans la perception de la redevance. Ils proposent, par ailleurs, d'amender le texte en faveur d'une plus grande efficacité du fonctionnement du fonds de péréquation. Nous en débattrons au cours de la discussion des articles, mais je souhaite dès à présent rendre hommage au travail de MM Herbillon et Hénart, remarquable illustration de la mission d'élaboration de la loi par le Parlement.
2) Le deuxième objectif de la réforme vise à faire des collectivités territoriales des acteurs à part entière du service public de l'archéologie préventive.
Le système actuel ne permet l'intervention des organismes scientifiques existant sur le terrain qu'en tant que sous-traitants de l'INRAP. Il n'a, en outre, pas permis une véritable adéquation entre les pratiques opérationnelles et le contexte archéologique spécifique à chaque région. Le développement de l'archéologie préventive doit aujourd'hui mieux prendre en compte les réalités régionales et la capacité des collectivités locales à s'y engager.
Les services archéologiques agréés des collectivités territoriales ont trop souvent été considérés comme de simples supplétifs des services du ministère de la Culture. Ce n'est pas justifié. C'est la raison pour laquelle ils se verront désormais confier, s'ils le souhaitent, la pleine responsabilité de l'exécution des diagnostics et des fouilles. Leur développement est, de ce fait, l'une des clés de la réforme.
Ces services partageront, je vous l'ai dit, le monopole de la réalisation des diagnostics avec l'INRAP. Les collectivités territoriales pourront décider soit de réaliser ponctuellement un diagnostic, soit d'assurer l'ensemble des opérations de diagnostic prescrites sur leur territoire pendant une durée d'au moins trois ans. D'un point de vue opérationnel, la collectivité qui aura fait ce choix recevra l'ensemble des redevances dues sur son territoire en application de la présente loi.
Le projet de loi préserve cependant le principe de libre administration des collectivités territoriales et les prérogatives de maîtrise d'ouvrage de l'aménageur public. Si, en effet, plusieurs collectivités sont intéressées par la même opération de diagnostic, le projet privilégie la collectivité de première proximité. De même, l'aménageur public peut, pour la réalisation du diagnostic, préférer l'établissement public au service archéologique territorial.
Une disposition du projet de loi vise par ailleurs à donner la possibilité, de façon dérogatoire, aux collectivités territoriales de recruter des agents de l'INRAP bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée, afin qu'elles puissent s'appuyer pleinement sur des compétences déjà formées au sein de cet établissement.
3) Mon troisième objectif consiste à confirmer le rôle éminent de l'Etat.
A ceux qui critiquent ce projet en arguant qu'il marquerait un effacement des missions régaliennes de l'Etat, je répondrai nettement. L'Etat conserve dans l'ensemble du processus un rôle essentiel. Nulle " privatisation ", comme j'ai pu l'entendre ou le lire, n'est à entrevoir dans ce dispositif. La réforme que nous proposons vise avant tout à créer une ouverture vers un ensemble d'intervenants qui seront tous agréés par l'Etat et satisferont, en conséquence, à toutes les exigences scientifiques requises.
C'est l'Etat qui accordera son agrément aux différents opérateurs de diagnostic et de fouille. L'agrément sera délivré au niveau national, afin que les critères soient identiques sur l'ensemble du territoire. Il s'assurera notamment du caractère permanent de ces structures et garantira la présence en leur sein d'archéologues qualifiés. En cas de manquement, cet agrément pourra être retiré par l'Etat. Le Sénat a souhaité assouplir ce dispositif, notamment à l'égard des collectivités locales. Je remercie Michel Herbillon et la commission des affaires culturelles d'avoir proposé de rétablir dans son ensemble le dispositif prévu car il me paraît essentiel.
Ce sont, par ailleurs, les services de l'Etat qui autoriseront les fouilles après contrôle de l'adéquation entre le projet d'opération et le cahier des charges de la prescription. Ce sont eux qui veilleront aux règles de déontologie qui s'imposent. Ce sont eux qui désigneront le responsable de l'opération et contrôleront le déroulement des actions de terrain. Ce sont eux, enfin, qui veilleront à la remise des rapports de fouilles, évalueront les résultats, et favoriseront leur exploitation et leur publication.
Je compte, par ailleurs, mobiliser plus fermement encore les services déconcentrés du Ministère de la Culture, au premier rang desquels nos DRAC et en leur sein les Services régionaux d'archéologie, sur la nécessité de maîtriser, à partir de critères scientifiques incontestables, la prescription des opérations de diagnostic et de fouille. Je tiens dès à présent à rendre hommage aux services de l'Etat pour leur action efficace dans ce domaine.
4. Le quatrième objectif de ce projet de loi est bien de stabiliser la situation de l'INRAP.
L'établissement public créé par la loi du 17 janvier 2001 conservera son caractère administratif et le statut de son personnel ne sera pas modifié. Il m'a, en effet, paru légitime que la situation de crise que nous connaissons aujourd'hui ne fasse oublier à personne la grande qualité professionnelle des agents de cet établissement, notamment ses archéologues. Ils contribuent de façon décisive à la meilleure connaissance de notre histoire, à laquelle, je le sais, nous sommes tous très attachés. L'INRAP restera donc un acteur essentiel de la recherche archéologique nationale, et cela pour l'ensemble de la chaîne scientifique : diagnostic, fouille, exploitation et valorisation des données. Il assurera bien à ce titre des missions de service public national et garantira au nom de l'Etat la continuité du service public de l'archéologie préventive.
Tel est le contenu de la réforme qui vous est présentée. Vous le savez, elle a suscité des réactions contrastées. Notre responsabilité politique nous commande aujourd'hui d'instaurer par cette nouvelle loi les conditions d'un fonctionnement solide, stable, apaisé et durable de l'archéologie préventive nationale.
C'est de cette manière que nous garantirons la pérennité de cette discipline précieuse pour notre pays, dans le respect conjugué de la recherche scientifique et des réalités économiques.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 07 juillet 2003)