Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur les objectifs et les méthodes de mise en oeuvre de sa politique culturelle, Paris le 17 juillet 1998.

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Circonstance : 18ème rencontres de la fédération des élus socialistes et républicains, à Paris, le 17 juillet 1998

Texte intégral

Chers amis,
Sachez tout d'abord que je suis particulièrement heureuse de me retrouver avec vous, un an après mon entrée en fonction.
Le thème de ces 18ème rencontres me fournit l'opportunité, s'il en est encore besoin, d'expliciter les objectifs que je poursuis, les principes qui guident mon action, et les méthodes que j'emploie, obstinément.
Je ne changerai pas de cap. Et je ne crois pas, tout d'abord, qu'il soit bien réaliste de fixer un cap sans s'assurer de la fiabilité du navire et du moral de l'équipage.
Oui, j'ai souhaité dans un premier temps reconstruire le ministère dont j'ai la charge et redéfinir les principes de son action.
On peut disserter à l'infini sur la politique culturelle de l'état, encore faut-il que l'état soit crédible, fiable et convaincant auprès de ses partenaires.
Encore faut-il que la fonction de l'état soit perceptible, et ne se résume pas à l'addition d'interventions sectorielles, ou ne se borne pas à satisfaire des clientèles.
Je suis exactement à l'endroit où l'on pouvait m'attendre. Je reconstruis un ministère en ordre de marche, je veux réaffirmer la légitimité des interventions de l'état, son rôle d'impulsion et de régulation dans la dynamique de développement culturel.
Les collectivités territoriales et l'état poursuivent-ils toujours les mêmes objectifs en matière culturelle ? Cette question centrale était à l'ordre du jour de vos travaux.
Au delà des intérêts divers qui peuvent motiver l'engagement des collectivités publiques dans le développement et l'action culturelles, nous avons bien une cause commune qui nous anime : c'est le service public.
Je ne définis pas le service public de la Culture sans méconnaître les spécificités qui le distinguent d'une simple réponse aux besoins ou aux demandes de nos concitoyens.
Autrement dit, je ne sacrifie pas la création aux exigences du service public.
Le procès est mal instruit si l'on veut bien prêter attention à mes actes.
Je n'ai pas réuni le théâtre, la musique et la danse dans une même direction pour le simple plaisir d'un jeu de mécano.
Je l'ai fait au service de la création, au service de sa pluridisciplinarité croissante, au service des formes émergentes de la création artistique.
Je l'ai fait aussi pour forger un nouvel outil performant, au service des professionnels dont les préoccupations convergent dans le domaine des règles économiques, juridiques, sociales ou fiscales.
Je mets en adéquation une réalité qui a bougé et une administration qui ne savait plus répondre que par une segmentation de cette réalité.
Je n'ai pas proposé une charte des missions de service public pour le plaisir de contraindre ou de réglementer.
Cette charte est un texte fondamental qui légitime la politique culturelle de l'état parce qu'il définit les responsabilités de ceux qui bénéficient d'un financement public.
Si l'on veut bien observer dans quel ordre s'organisent ces responsabilités, la responsabilité artistique est première.
Il ne vous a pas échappé que cette charte contient des prescriptions très claires en faveur de la création : l'implication des institutions dans la production artistique, la fonction de recherche de ces institutions, la nécessité de soutenir les compagnies indépendantes, les auteurs contemporains et les jeunes créateurs.
Il n'y a donc pas d'affaiblissement de la volonté de l'état dans ce domaine, il y a simplement le désir que les créations soient vues et entendues par le plus grand nombre, il y a simplement l'objectif d'offrir la plus grande qualité artistique à tous nos concitoyens.
Les positions que je défends au niveau international sont parfaitement reliées à mon action nationale.
Si la France défend l'idée d'une intervention résolue de l'état au service de la création artistique et de sa diffusion, si elle a toujours été en première ligne du combat pour " l'exception culturelle ", si la France a toujours refusé de livrer à la seule loi des marchés les productions artistiques, quels que soient leurs modes de diffusion, y compris dans un environnement technologique en profonde révolution, ce n'est pas pour défendre frileusement son propre modèle de politique culturelle.
En réalité, cette attitude constante qui consiste à défendre la légitimité d'une politique culturelle dans laquelle l'état doit toujours tenir un rôle puissant de régulateur, est fondée sur une conviction : sans intervention de la puissance publique, la démocratisation de la culture est un voeu pieu. Et quand je parle de démocratisation, il s'agit précisément de diffuser la plus grande qualité artistique pour tous.
Quel est pourtant le constat en matière de démocratisation et plus particulièrement pour ce qui concerne le spectacle vivant ?
L'étude décennale sur les pratiques culturelles que le ministère vient de publier est particulièrement éloquente à ce sujet.
En effet, si l'on note des résultats encourageants dans le domaine des musées et des médiathèques, les chiffres montrent que la fréquentation des lieux de spectacle n'a progressé que très légèrement en 10 ans.
Mais l'élément le plus inquiétant, et qui signe pour partie l'échec des politiques de démocratisation culturelle, c'est que cette hausse renvoie plus au gonflement des catégories sociales familières des équipements culturels - les cadres supérieurs, les enseignants, les étudiants ... - qu'à un véritable élargissement des publics.
Il n'y a, depuis 1989, aucune réduction des écarts entre les milieux sociaux dans la fréquentation des lieux de spectacle vivant.
La démocratisation comme objectif prioritaire, le service public comme exigence permanente, structurent donc mon action.
Cependant, je dois agir en fonction d'une réalité qui a évidemment évolué depuis la création de ce ministère. Les pratiques culturelles des français se sont profondément modifiées et l'état n'accomplit plus seul sa mission d'action culturelle.
Lorsque j'observe la place croissante de l'audiovisuel dans l'emploi du temps libre, désormais supérieur au temps de travail (45 heures en moyenne par personne et par semaine),
Lorsque je constate que les musiques actuelles ont pris une place prépondérante dans ces consommations audiovisuelles,
J'ai la prétention de croire que le travail de restauration que j'entreprends pour un service public audiovisuel de qualité, et que la reconnaissance que j'engage en faveur des musiques actuelles ne m'éloignent pas des missions fondamentales de l'Etat.
Lorsque je souhaite prendre en considération les pratiques artistiques en amateur, je réponds aussi par l'implication du service public à ce qui constitue désormais un phénomène de masse : 25 % de notre population est investie de manière durable dans ces pratiques.
Mais il faut, en même temps, une rupture politique en ce qui concerne les méthodes d'approche des publics : la rencontre sans médiation, ou sans éducation, avec l'uvre d'art et le patrimoine culturel n'est qu'une illusion dont témoignent les limites du seul développement des structures de diffusion.
Cette ambition implique la mobilisation de tous les acteurs de la culture : les artistes, les diffuseurs, le pédagogues et bien entendu les élus locaux.
Je sais que la plupart des élus, parce qu'ils vivent les difficultés et les limites de l'action culturelle au plus près du terrain, sont disponibles pour cette politique.
Mais encore faut-il que l'état et les collectivités trouvent ensemble des modes d'intervention et de financement plus pertinents, plus cohérents, plus efficaces.
Il ne s'agit nullement de remettre en cause la responsabilité première de l'état dans certains domaines : la garantie de la liberté d'expression, de création et de diffusion, l'équilibre de l'offre culturelle au niveau national, le contenu des enseignements par exemple.
Mais les nombreux déséquilibres inter et intra-régionaux qui persistent en matière d'offre culturelle appellent une réponse publique forte, associant l'état et les collectivités territoriales.
L'Atlas des activités culturelles, publié par le département des études et de la prospective du Ministère, dresse une cartographie très riche d'enseignements pour l'action de l'état et des élus locaux.
Il y a d'abord les enseignements " bruts " que révèle cette photographie :
la densification du maillage du territoire en équipements culturels,
le poids dominant de Paris,
les déséquilibres entre les métropoles et leur périphérie, et entre les secteurs urbanisés et les secteurs à dominante rurale.
Mais au delà, il y a les enseignements politiques qui se lisent en creux, et qui interpellent l'état et les collectivités territoriales.
J'en citerai trois :
Tout d'abord, les vertus de l'intervention publique.
L'engagement financier de l'état depuis le début des années 80, relayé par les collectivités territoriales a porté ses fruits. Le maillage du territoire en équipements culturels est en partie réalisé, même s'il reste des zones trop peu pourvues.
2ème enseignement politique, ce sont les limites de la politique d'équipements.
Le croisement des conclusions de l'Atlas et de l'étude sur les pratiques culturelles montre que la corrélation entre l'augmentation de l'offre et l'augmentation de la fréquentation est très variable.
J'y vois une raison supplémentaire pour donner la priorité au travail sur les publics et pour réaffirmer les responsabilités sociale et territoriale des équipements.
Enfin, 3ème enseignement, c'est la nécessité absolue d'établir de nouvelles règles du jeu entre les collectivités car de nombreux déséquilibres dans l'offre culturelle trouvent leur origine dans la grande disparité d'implication des collectivités territoriales.
Cette disparité, le législateur en est un peu responsable puisque les lois de décentralisation, à l'exception des archives et de la lecture publique, n'ont reconnu aux collectivités territoriales que " la faculté de concourir au développement culturel ".
Il y a donc, d'une ville ou d'une région à l'autre, en fonction des volontés politiques plus ou moins affirmées des élus, une offre et un maillage culturels plus ou moins denses.
Il ne s'agit pas pour moi de minimiser ce que peut être la responsabilité de l'état dans la persistance des déséquilibres territoriaux. Il s'agit au contraire d'affirmer que la politique ambitieuse d'aménagement culturel du territoire que le gouvernement entend mener ne trouvera sa pleine efficacité que s'il y a clarification, rationalisation et mise en cohérence des interventions de l'état et des collectivités territoriales.
Il nous faut en effet sortir d'une situation où les villes moyennes et grandes assurent l'essentiel de la dépense publique et supportent des charges de centralité aujourd'hui intenables, où certains conseils généraux restent cantonnés dans le strict domaine de compétences que leur a dévolu la loi tandis que d'autres, essentiellement dans les régions à dominante rurale, s'attachent progressivement à une intervention plus large, une situation où l'écart dans la part que les régions consacrent aux dépenses culturelles va de 1 à 25, où certains conseils régionaux continuent à intervenir essentiellement sur le patrimoine, tandis que d'autres s'impliquent davantage dans les domaines des arts de la scène et de l'action culturelle.
On le voit clairement, de nouvelles règles du jeu s'imposent, elles sont de l'intérêt des collectivités elles-mêmes, de l'état et de tous les acteurs culturels.
La proposition que je fais, à travers vous, à l'ensemble des associations d'élus et aux exécutifs territoriaux, c'est de saisir l'opportunité des échéances contractuelles du XIIème Plan pour redéfinir les modes d'intervention des uns et des autres.
J'ai souhaité également que la compétence culturelle soit prise en compte dans la loi sur l'intercommunalité actuellement en préparation, de manière à ce que les villes-centre aient un point d'appui pour partager la construction et la gestion d'équipements culturels à vocation intercommunale.
Et je réfléchis à un mécanisme de " prime " à la coopération intercommunale, avec une modulation positive des aides de l'état lorsque le maître d'ouvrage sera un établissement de coopération intercommunale.
Ces propositions pourraient donner davantage de clarté à la préparation des échéances à venir et une meilleure lisibilité aux politiques menées par les collectivités.
L'élaboration du schéma de services culturels, dans le cadre de la loi Voynet, l'implication forte du Ministère dans les prochains contrats de ville,
d'agglomération ou de pays,
et dans les futurs contrats Etat/Région,
nous offrent l'occasion de construire une nouvelle étape de la décentralisation culturelle, basée sur le contrat.
Mais pour être efficace, l'état doit être plus proche, et plus fiable dans ses engagements financiers.
Vous connaissez la situation dans laquelle j'ai trouvé ce Ministère :
- un budget réduit de 20 %, de 1994 à 1997.
- des marges d'intervention réduites à néant.
- des services déconcentrés qui avaient perdu une bonne part de leur crédibilité.
Cette année, le budget du Ministère de la Culture et de la Communication est à nouveau un budget prioritaire du gouvernement et je m'en félicite, même si l'on peut toujours souhaiter davantage de moyens.
Une augmentation de 3,6 % me permettra notamment de financer mes priorités dans le domaine du spectacle vivant et des enseignements artistiques.
Je poursuivrai le mouvement de déconcentration des crédits du ministère et de renforcement des directions régionales, car un état plus fort est aujourd'hui un état plus proche des réalités et plus présent sur l'ensemble de notre territoire.
Chers amis,
J'engage un travail en profondeur, loin des coups médiatiques.
Ma détermination et mon enthousiasme restent entiers, tant je mesure les responsabilités qui sont les miennes aujourd'hui.
Le Front national s'acharne à détruire notre pacte républicain en faveur de la culture.
Dans la continuité du premier ministère d'André Malraux, ce pacte s'est fondé sur trois principes :
- la culture est un bien national qui transcende les clivages politiques.
- la vigueur et la profusion de la création, de la recherche artistique, sont nécessaires à la vitalité d'une société. Elle doit être soutenue pour cette fonction vitale : elle interroge le sens commun, elle critique la réalité convenue, elle déplace nos convictions et nos certitudes.
- mais la création doit être largement partagée par nos concitoyens. Si cette condition n'est pas remplie, les démagogues et les censeurs trouvent un plus large écho dans une société en quête de sens et d'identité collective.
C'est ce pacte républicain pour la culture que je veux consolider et réactualiser.
J'ai besoin de votre soutien, de votre réflexion et de votre engagement.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 14 septembre 2001)