Allocution de Mme Nicole Questiaux, ministre de la solidarité nationale, sur l'immigration, à l'assemblée générale du service social d'aide aux émigrants, le 17 juin 1981

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Circonstance : Assemblée générale du service social d'aide aux émigrants le 17 juin 1981

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Chers Amis,
Je fais peut-être partie d'un ministère du changement, mais en tout cas j'espère pour le S.S.A.E., auquel je suis associée depuis si longtemps, représenter, dans ce seul secteur, la continuité.
Il y a certainement pour moi une grande part d'amitié de me trouver dans ce poste et dans cette fonction, à vous parler de cette manière, alors, que dans cette salle tous les visages ou presque me sont connus. Je crois que ça c'est tout de même un changement que tous les visages dans cette salle soient connus de la personne qui parle ici au nom de l'Etat.
Donc, je ne veux pas résister à la tentation de vous parler des tâches de l'Etat en ce qui concerne la population émigrée, mais je le ferai devant vous, un peu en confiance et en confidence, parce que la réalité oblige à dire que dans les quatre semaines de travail du nouveau gouvernement il n'y a pas eu encore de ces délibérations absolument nécessaires qui permettent d'engager l'ensemble du gouvernement sur une politique entièrement structurée.
Ce que vous entendrez de moi, donc, est essentiellement un état d'esprit, quelques signes avant-coureurs de ce que nous pensons être l'autre politique à l'égard de la population immigrée.
Vous savez que je suis ici Ministre de la solidarité nationale et que c'est déjà un acte politique qu'ait été mis dans le champ de mes compétences la politique gouvernementale à l'égard de la population immigrée.
Si l'on veut résumer d'un mot la situation de l'immigré, c'est le terme de précarité qui vient à l'esprit. Précarité du droit au séjour. Précarité face au racisme et aux discriminations, précarité des conditions de vie et de travail. Et la politique menée ces dernières années, de circulaires souvent illégales, de projets de lois souvent hâtivement préparés, de déclarations parfois brutales et d'instructions non publiées, incitait à l'arbitraire. C'était donc une politique d'institutionnalisation de la précarité dans bien des cas. Et cette précarité est une pression toujours plus insistante sur la population qui est venue travailler chez nous. Politique qui fut d'ailleurs souvent inefficace et qui a aggravé dans bien des cas la situation des immigrés, sans apporter en réalité de véritables solutions aux problèmes.
Nous voulons donc prendre le contre-pied de cette orientation, et la politique que nous voulons mettre en oeuvre reposera d'abord sur le respect. Le respect de tous, le respect de tous les Français, de tous les immigrés, de leurs droits, de leur dignité. Un mot caractérisera notre démarche, mot que l'on retrouve dans l'intitulé même du Ministère dont j'ai la charge : c'est celui de SOLIDARITE.
N'était-ce pas d'ailleurs :"Français, Immigrés, Solidarité", le slogan de tant de manifestants ? N'était-ce pas le sens de plusieurs déplacements qu'à effectués ces dernières années, François MITTERRAND, qui n'était pas encore Président de la République, aux différents endroits où les immigrés luttaient pour la défense de leurs droits.
Je tiens tout de suite à souligner qu'en ce disant je ne pense pas "travailleurs immigrés" seulement mais "population immigrée". La responsabilité qui est la mienne n'est pas la politique du travail, qui appartient d'ailleurs à mon collègue AUROUX, ministre du Travail, mais vis-à-vis de la population. Ce qui veut dire que je sais bien, que le gouvernement sait bien, qu'il y a - une sédentarisation de fait de l'immigration, que se transforme sa structure sociale, que diminue le nombre des travailleurs isolés et qu'augmente les pourcentages des familles, donc de femmes et de jeunes, et nous avons l'intention de regarder cette réalité en face. Cette sédentarisation exige une politique résolue d'insertion sociale et repose sur une approche globale de l'ensemble des problèmes de cette population.
Les questions de l'accueil, du logement, de l'école, de la formation, de la vie culturelle, de la santé, et vous le savez ici, au S.S.A.E., mieux que quiconque, sont fondamentales.
L'action en direction des femmes et des jeunes doit passer à un stade plus avancé, plus fouillé, et la collaboration entre l'Etat, le secteur associatif, la vôtre, votre association, mais pas seulement celle-ci, et les collectivités locales, est tout à fait primordiale.
Mais rien ne pourra être fait à ce niveau sans une reconnaissance dans les textes et dans les faits, des droits et de la dignité des immigrés.
Contribuant par l'apport de leur force de travail et de leur culture à notre richesse nationale, leur place dans la société doit être reconnue. C'est une question élémentaire de justice, de respect de l'homme. C'est aussi l'intérêt de tous, de tous les travailleurs français, de tous les travailleurs immigrés.
Toute division se retournerait à la fois contre les uns et les autres, et il est clair, qu'il s'agit d'un même combat global pour le respect de chacun.
Par conséquent, respecter cette dignité, cela veut dire égalité des droits, et droit à la différence, à l'identité.
Ceci exclut la politique d'assistance. Il s'agit au contraire de permettre à chacun d'exercer sa responsabilité. Par conséquent respecter les droits des immigrés, c'est mettre fin à la précarité de leur situation c'est reconnaître que s'ils ont choisi de venir travailler ici, leur vocation à mener leur projet de vie personnel, et à rester, dans toute la mesure compatible avec la politique générale de l'emploi, doit être reconnu.
Nous n'ignorons pas la réalité et les difficultés. Le chômage les mauvaises conditions d'habitat, donc les difficultés de cohabitation, touchent particulièrement les milieux où les immigrés vivent, les couches les plus populaires, les plus pauvres. Il ne faut pas se tromper et reporter sur les victimes les problèmes dont il nous appartient d'analyser les vraies causes.
Notre combat est indivisible et nous devons refuser le rapprochement, incitateur au racisme, entre nombre d'immigrés et chômage.
La lutte contre le chômage ne passe pas par le renvoi des immigrés, mais par un effort solidaire pour le droit à l'emploi pour tous. Nous progresserons tous ensemble ou nous ne progresserons pas.
L'immigration, parce qu'elle n'a pas toujours, presque jamais même, résulté d'un libre choix des intéressés, qui souvent y ont été contraints, est souvent pour eux une déchirure. Il n'est pas question pour nous de tolérer que celui qui est venu résider en France, soit contraint à une deuxième déchirure, à une deuxième émigration. Le retour ne devrait être que l'exercice d'un choix, d'un droit, et non pas le résultat d'une insistance pression.
Je voudrais donc que soit absolument rassurée chaque communauté et, qu'avant même que nous ayions pas effectivement nous mettre au travail, avant même que nous ayion pu nous rencontrer, que chaque Portugais, chaque Algérien, chaque Italien, chaque Espagnol, chaque Marocain, chaque Tunisien chaque Turc, chaque Yougoslave, chaque ressortissant de tous les pays d'Afrique noire, chaque réfugié vietnamien, cambodgien, et de tout le sud-est Asiatique, sache et soit convaincu que sa situation en France sera respectée et qu'il a tout à gagner avec ce nouveau gouvernement et cette nouvelle majorité.
Et je voudrais redire aussi combien cette approche est pour nous essentielle et cohérente avec notre volonté d'édifier de nouvelles relations, un nouvel ordre international. Comment notre solidarité avec les peuples du Tiers-Monde pourrait-elle ne pas se traduire par la solidarité avec ceux qui nous ont fait l'honneur de vivre chez nous et dont la présence peut être, dans bien des cas, la conséquence de cette domination d'une partie du monde par l'autre ?
Voilà les principes, voilà un état d'esprit. Ici c'est la première déclaration que je fais sur ce thème des immigrés. Je crois que j'éviterai, nous éviterons dans ce gouvernement en général les grands mots. Mais cette déclaration là devait être faite.
J'en viendrai maintenant à la deuxième partie de ce bref exposé qui consiste simplement un peu en vrac, et à titre d'indication, à vous dire quelques signes de ce nouvel état d'esprit, signes déjà réalisés, intentions immédiates, attitudes qui ont pour but d'illustrer ce que nous entendons faire et de vous inviter vous-mêmes, qui êtes proches des immigrés, grandes associations comme le S.S.A.E. à savoir dans quel sens il faut travailler, pour justement tirer partie de ce nouvel état d'esprit.
Dans ces signes, il y a eu d'abord tout une série de choses qui concernaient, comme vous l'avez vu, l'ensemble de la situation de la communauté étrangère en France : décision prise par exemple par le ministre de l'intérieur, de suspendre provisoirement les expulsions du territoire "sauf nécessité impérieuse d'ordre public", et définitivement pour les jeunes nés en France ou arrivés avant l'âge de 10 ans. Quel soulagement pour quiconque a fait quelques uns de ces dossiers et qui a vu qu'il n'était pas possible sous la législation antérieure, d'éviter que des jeunes, qui, bien sûr, n'avaient peut être pas vécu très bien chez nous, soient renvoyés dans des pays qu'en réalité ils n'avaient jamais connus, quel soulagement de pouvoir dire ceci !
Décision qui a été complétée par des instructions du Ministre de la Justice pour suspendre les poursuites liées aux infractions à un arrêté d'expulsion.
Enfin, notons le message adressé le 10 juin par le Ministère de l'intérieur à tous les policiers, leur rappelant sa volonté de combattre les comportements racistes ou brutaux.
C'est aussi la déclaration du Ministre des Relations Extérieures à l'UNESCO, le 25 mai, sur la reconnaissance que la France entend manifester aux immigrés.
A tous ces signes, j'ajoute quelque chose qui nous sera commun à tous les membres du gouvernement, c'est que la lutte contre toutes les formes de discrimination et de racisme sera toujours pour nous une priorité morale, une lutte qui n'est pas seulement au niveau des idées, nécessitant un important effort d'explication et d'éducation.
J'arrive maintenant - chacun balayant devant sa porte - j'arrive à l'immédiat qui est possible simplement dans les services dont j'ai la charge comme Ministre de la Solidarité Nationale. J'ai simplement demandé déjà une petite chose, et souvent ce n'est pas nécessaire de le demander, mais dans certains cas cela l'est, que les services dont j'ai la responsabilité doivent recevoir les étrangers avec les égards qui leur sont dûs que l'accueil quotidien soit à l'image de la volonté politique.
Cette démarche nous a aussi conduit à l'intérieur des services de la Direction de la Population et des Migrations à décider que dorénavant seraient publiées les circulaires et instructions qui concernent la situation des immigrés. Je parle du concret et du pratique. Petite décision, mais importante : que les intéressés connaissent leurs droits et leurs devoirs, de manière à avoir des rapports plus faciles avec l'administration. Tout simplement nous allons utiliser un Bulletin, qui existe déjà d'ailleurs, le bulletin de la DPAI. Migrations, Informations. et quand une association nous le demandera, nous lui enverrons.
Deuxième série de signes : la concertation. Elle doit être la règle, dans ce domaine là comme dans 'autres. Nous entendons, en tout cas, pour notre part, dans ce ministère, l'entamer. Elle n'est pas facile. Elle n'a pas ses règles préétablies, comme la concertation avec les grandes organisations syndicales. ll faudra donc en trouver les chemins, chemins parfois officieux, parfois officiels. Je pense, par exemple, et j'ai l'intention de demander à mon collègue le Ministre au Travail pour que, pour un débat, la réunion du comité de la main-d'oeuvre étrangère puisse être un bon lieu de concertation.
Mais, déjà, déjà simplement sur le plan officieux, sur le plan de la rencontre des associations, nous avons fait les premiers pas et nous allons continuer à en faire.
Toujours dans le domaine de l'administration, j'arrive maintenant à des choses plus difficiles, plus coriaces, et qui concernent tout le problème des titres de travail. Je n'ai rien de spectaculaire à annoncer aujourd'hui, je suis réaliste, ce n'est pas vrai que nous avons mis au point encore tout ce qu'il fallait faire pour modifier et réexaminer complètement par exemple la circulaire du 10 juin 1980. C'est un travail important et complexe, qui ne peut se faire en quelques jours, mais il est commencé.
Sans attendre cet aboutissement, je pense que nous allons pouvoir, très vite, penser à élargir les catégories de la population auxquelles la situation de l'emploi n'est pas opposable pour la délivrance des titres de travail. C'est de cela que nous allons discuter. Je vous demande de ne pas considérer que c'est annoncé, mais c'est au travail. Qu'est ce que c'est ?
Les jeunes de 16 à 19 ans, entrés en France dans le cadre du groupement familial, les conjoints en situation régulière par rapport au séjour, bref toute la question du regroupement familial est remise en chantier pour la débarrasser des scories qui se sont accumulées dans les récentes années. Et avec réalisme, n'est ce pas ! Nous savons bien qu'il y a un certain nombre de contraintes, mais nous allons la prendre de façon humaine, en nous souvenant qu'il y a dans notre société un principe général de droit, et que quelques personnes ici ont peut être inventé, et qui est que les familles étrangères ont le droit de vivre ensemble.
Je quitte un peu le domaine étroit de l'administration pour passer à ceux de la vie quotidienne des immigrés, et là il y a plusieurs grandes questions. Travail qu'il faut lancer au plus vite, pour faire le point de la politique de l'insertion sociale, reposant sur l'approche globale de l'accueil, du logement, de l'école, de la formation, de l'animation, de la culture, de la santé. De nombreux moyens, des structures, des instruments existent. Ils sont souvent disparates. Certains sont très respectés par les immigrés, d'autres au contraire sont décriés. Il faut, je crois, paisiblement reprendre l'ensemble de cette question de façon concrète, en faisant le tour, et en voyant comment ce problème de l'insertion dans la vie de la population de ce pays, doit être repris.
J'ai le regret d'avoir manqué tout à l'heure le rapport de Madame LAROQUE, et je m'en excuse auprès d'elle, mais j'ai vu qu'elle avait parlé d'un sujet qui nous tient beaucoup à coeur, celui des jeunes.
Cette question, des enfants d'immigrés, de ces jeunes que l'on dit de la deuxième génération, et la troisième arrive, est cruciale. Ne sous-estimons pas, ne simplifions pas. Nous le regretterions vite. Nous ne devons pas confondre leurs difficultés et celles de leurs parents. Pour eux beaucoup de choses sont différentes. Ils sont nés en France, où ils sont arrivés même s'ils ne connaissent pas ou peu leur pays d'origine, et même souvent leur langue. Ils ont été scolarisés en France, ayant souvent connu l'échec. Leur premier contact avec la vie active est souvent mais c'est aussi vrai pour les jeunes français, le chômage, et ils n'entendent pas être là pour subir les conditions qu'ont dû accepter leurs parents, Ecartelés entre deux cultures, ils entendent souvent s'exprimer par eux-mêmes, prendre en charge leurs propres problèmes. On les a trouvés, donc, parmi les grévistes, les grévistes de la faim. Ils font partie souvent de cohortes dans leurs banlieues de jeunes, qui à la fois sont en grande difficulté, donc que les populations voisines considèrent presque comme une menace, et qui en même temps ne demanderaient pourtant qu'à prendre en charge leurs problèmes, si on leur en fournissait le moyen. Mais la tâche est immense et quiconque est près de ces problèmes, sait qu'ils ne se résolvent pas avec des mots et des bonnes intentions. Et, c'est dans ce domaine, peut-être plus qu'ailleurs, que nous allons avoir besoin des suggestions précises, des idées des formules d'expérimentation que nous proposent les grandes associations je vois que la SSAE, qui a l'habitude de ce sujet, en propose. Il n'est pas le seul. J'ai reçu il y a quelques jours, le Secours catholique, j'ai reçu d'autres associations, chacune à son créneau : les jeunes, la deuxième génération. Voici des idées. Nous sommes là. Nous allons les écouter. Nous allons essayer de les encourager. Comment ?
Vous avez vu que le nouveau gouvernement a créé un certain nombre d'emplois, et dans ces emplois, il y a des formules mystérieuses, qui sont les emplois d'initiatives locales. L'idée c'est que, dans une petite mesure, parce que c'est encore des petits contingents, dans certains cas des emplois puissent être justement créés, par-ci par-là, pour susciter et aider des initiatives d'associations. Je pense que le domaine de la population étrangère peut, dans certains cas, servir de point d'application à ces initiatives.
L'ensemble de ce programme est ambitieux. Il doit pour engager vraiment l'ensemble du gouvernement, être mis à l'étude avec tous les départements ministériels concernés, mais en tout cas il est une chose claire, nous n'entendons pas renouer avec le système décrié de gouvernement par circulaires.
Notre volonté sera à terme de garantir par la loi les droits des immigrés. Le groupe socialiste de l'Assemblé Nationale avait déposé une proposition de loi. Depuis 1978, depuis cette date, les questions se sont compliqués. La réflexion a aussi progressé. Beaucoup de choses doivent donc être reprises. La proposition doit être réétudiée, mais elle trace la voie, et nous arriverons dans un délai raisonnable à ce débat global au parlement, et au vote d'une loi qui offrirait le support légal à la politique que nous voulons mener.
Pour conclure, je voudrais dire que toutes ces questions rejoignent une question fondamentale : quelle société construisons-nous ? Quelle place chacun aura-t-il dans cette société ?
Insistons alors sur le fait que les immigrés ne sont pas cause des difficultés rencontrés, mais révélateurs de problèmes de la société française même, problèmes qui appellent des mesures globales. Pour ne citer que deux exemples : l'effort prioritaire à mener sur le logement social et sur l'école, une école qui soit réductrice des inégalités et dont les moyens soient d'autant plus élevés que les besoins des populations concernées sont plus importants, intéressent tout autant Français et immigrés, ils intéressent tous ceux qui sont défavorisés et exclus par le système antérieur.
Ces problèmes ne se résoudront pas du jour au lendemain. Nous avancerons pas à pas. Mais dès maintenant c'est une volonté politique nouvelle qui éclairera notre chemin.