Interview de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, à France-Inter le 20 septembre 2002, sur les journées européennes du patrimoine, notamment le patrimoine et les territoires, la décentarlisation culturelle et le partage entre le public et le privé.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - A la veille des Journées européennes du patrimoine, une question : "Patrimoine", qu'est-ce que cela veut dire ? Quelle idée vous en faites-vous ? Patrimoine et territoire : tel est l'intitulé de ces journées européennes. Mais pour vous, le patrimoine, où commence-t-il ? Le choix du mot n'est jamais indifférent. On dit "patrimoine", alors que l'on disait, il n'y a pas si longtemps, "journée des monuments historiques".
- "En Angleterre, on parle "d'héritage national". Par "patrimoine", je crois que l'on peut dire que cette réalité est une réalité très diverse, très large. Le patrimoine, ce ne sont pas seulement les grands monuments que nous avons reçus du passé - nos grandes cathédrales, les châteaux -, mais c'est un ensemble beaucoup plus divers, beaucoup plus varié, beaucoup plus large, où se retrouvent également des choses très modestes - une maison, une usine, un immeuble de bureaux - qui, parce qu'ils sont les témoins de l'histoire et de la créativité, de l'engagement également des sociétés en faveur de la création, sont des éléments de notre patrimoine."
Vous voulez dire au fond que cette journée, c'est un moyen de prendre un peu plus conscience de notre identité ?
- "C'est une façon de prendre conscience de notre identité, mais pas de façon naturellement restrictive et fermée. C'est justement une façon de prendre conscience de la richesse et de la variété de notre identité. C'est une occasion, aussi, pour nous inviter nous-mêmes à regarder notre environnement avec plus d'intelligence, avec plus de générosité. Je suis notamment frappé par la nécessité de faire en sorte que nous apprenions à regarder le patrimoine du XXème siècle. Ce patrimoine a longtemps été considéré comme ne relevant pas du même niveau de qualité que les grandes oeuvres du passé monumentales. Or, aujourd'hui, on se rend compte qu'un certain nombre de grands bâtiments, même un grand nombre de bâtiments que nous ont donné les architectes du XXème siècle, font partie de notre patrimoine."
Est-ce que c'est un bon outil pour la décentralisation ? Les Français sont très sensibles à la proximité du patrimoine, que l'on a à côté de chez soi quelque chose qui donne une identité au territoire. Est-ce que cela peut être un accélérateur de la décentralisation ?
- "Le patrimoine appartient, par nature, à l'ensemble du territoire, donc il est d'emblée décentralisé. D'ailleurs, j'observe que son entretien, sa restauration, sa transmission, son enrichissement et sa valorisation sont pris en charge très largement par les collectivités locales et parfois également par des associations. Le patrimoine nous invite justement à réfléchir aux modalités de la décentralisation culturelle que nous allons mettre en oeuvre demain. Dans quelques jours, je me rendrai à Toulouse pour un grand exercice de décentralisation dans le cadre de la région Midi-Pyrénées. Le dossier patrimoine y occupera une place importante : savoir comment on gérera, à l'avenir, la question de la propriété des monuments qui, aujourd'hui, appartiennent à l'Etat ; comment on gérera les questions de la maîtrise d'oeuvre, la question de maîtrise d'ouvrage ; comment on arrivera à mieux déléguer aux collectivités locales ou aux associations le soin de prendre en charge ce patrimoine ? Le domaine du patrimoine est vraiment un domaine test pour la décentralisation"
Mais cette question patrimoniale est un espace de partage entre le public et le privé ? Comment la gestion peut-elle s'en faire aujourd'hui ?
- "C'est en effet un élément de partage, parce que je crois tout d'abord qu'il est indispensable d'affirmer que le patrimoine à vocation à appartenir à tous ceux qui composent la société française. Je suis très attaché à faire en sorte que, demain, tous ceux qui sont nos concitoyens, qui vivent dans ce pays, se reconnaissent dans le patrimoine que nous avons reçu des temps qui nous ont précédés ou que le XXème nous a donnés. Dans une société, c'est une marque de fracture que certains se reconnaissent dans le patrimoine et que d'autres ne s'y reconnaissent pas. Il faut faire en sorte que le château de Versailles, la cathédrale de Reims, tel monument antique de Provence-Alpes-Côte-d'Azur soient reconnus par tous nos concitoyens comme quelque chose leur appartenant, comme quelque chose constituant une part de leur histoire partagée. Il y a également, dans une politique du patrimoine, l'expression d'une politique de démocratisation de la culture et, tout simplement, une politique du partage civique."
On y inclus l'architecture ? Regardez comme, par exemple à Bilbao, le musée de F. Guéry a complètement changé la vision - même politique - que l'on peut avoir de cette région et même de son économie. Un seul bâtiment change un système quelquefois ?
- "Le bâtiment de Guéry a donné une nouvelle identité à une ville qui n'en avait plus, à une ville qui avait été blessée par l'industrialisation, par une crise économique et sociale très grave. Le bâtiment redevient l'emblème de la ville. Il n'est pas inintéressant de constater que beaucoup de ville ont pour emblème un bâtiment. La Tour Eiffel est un des emblèmes de la ville de Paris."
On en revient comme toujours au nerf de la guerre, qui est le financement. Vous allez faire appel, par exemple, dans certaines opérations, au mécénat ?
- "Je crois que c'est indispensable. La faiblesse du mécénat et des fondations est vraiment l'une des marques d'un certain archaïsme culturel et politique de notre pays. Pour ma part, je suis très attaché, naturellement, à ce que la puissance publique, l'Etat, les collectivités locales continuent d'assumer leurs responsabilités, mais je crois qu'il faut s'ouvrir très largement à l'initiative et au concours des particuliers et des entreprises. J'observe que la Fondation du patrimoine qui a été créée, il y a quelques années, pour prendre en charge le patrimoine modeste - celui qui n'est pas protégé, inscrit ou classé - ne cesse de développer son action. Elle fait très largement appel à des fonds privés. Demain, il faudra aussi faire en sorte que les particuliers qui prennent en charge un élément de notre patrimoine partagé, pour autant qu'il soit mis à la disposition de tous, soit soutenu fiscalement par exemple."
Par les temps qui courent, l'élan financier porte plus sur les porte-avions que sur les monuments historiques. Vous êtes inquiets pour le budget de la Culture ? J. Chirac en campagne avait dit qu'il ne fallait plus que "la culture soit la variable d'ajustement". Serez-vous une "variable d'ajustement" ?
- "Dans quelques jours, la semaine prochaine, après que le Premier ministre ait présenté le projet de loi de finances, je présenterai moi-même le budget de la Culture et de la Communication pour 2003. S'agissant de la culture, j'ai fait le choix d'un budget de vérité. J'observe que dans le budget de mon ministère, tous les ans, il y a une large part de crédits qui ne sont pas engagés. L'année dernière, par exemple, le taux d'engagement du budget du ministère de la culture était de 85 %."
Pourquoi n'ont-ils pas été engagés ?
- "Pour des raisons techniques. Et puis, vous savez que le budget de l'Etat est organisé en titres, et on a parfois gonflé excessivement les titres qui ne sont pas dépensables au détriment des titres qui sont totalement dépensés. J'ai pris le parti de dégonfler les titres non dépensables, et en revanche, d'obtenir un renforcement de la dotation des titres d'intervention : le titre III qui sert notamment aux subventionnements des grands établissements de l'Etat et le titre IV qui permet de subventionner les théâtres, les festivals, les compagnies chorégraphiques, les compagnies théâtrales, donc toute la vie culturelle dans notre pays. C'est un budget original que je présenterai mais, croyez-le, aucun des bénéficiaires des soutiens, des subventions ou du concours du ministère de la Culture ne se trouvera dégarni l'année prochaine. Ce sera un budget vérité qui marquera un refus de l'affichage et du cosmétique et qui fera le choix finalement du réalisme et de la réalité des moyens."
On voit bien, en vous écoutant, qu'on est quand même dans la complexité financière. Vous êtes obligé - vous faites bonne figure - de vous arranger avec ce qu'on vous donne. Mais pour la redevance vous aviez dit qu'il fallait l'augmenter. Le Premier ministre dit "non" mais, néanmoins, il y aura quand même ces 2 % d'augmentation. Vous les trouvez comment ? On a un peu de mal à suivre...
- "Là aussi, je ne souhaitais pas l'augmentation de la redevance en elle-même. Je souhaitais l'augmentation des moyens mis à disposition des sociétés qui relèvent du service public. Vous savez mon attachement à l'égard de ces sociétés. Le Premier ministre, pour des raisons qui tiennent à son souci de cohérence générale, de sa politique et notamment de sa politique fiscale, n'a pas souhaité que la redevance augmente. Il l'a dit en prenant notamment en compte la situation des foyers les plus modestes. Mais, néanmoins, j'ai noté, avec beaucoup de satisfaction, qu'il avait consenti à tout l'éventail des propositions que lui avait présenté mon ministère, de façon à assurer, malgré la non-augmentation de la redevance, une augmentation significative des moyens mis à disposition des sociétés de radios et de télévisions qui relèvent du service public. Nous avons tout simplement mieux valorisé ou mieux évalué ce que sera le rendement de la redevance, mieux évalué le coût de l'exonération, puisque l'Etat compense de façon budgétaire par une subvention les exonérations. Nous avons également pris en compte l'existence d'un certain nombre de meilleures réalisations de la redevance en 2001 et en 2002 par rapport aux prévisions et nous les avons affectées au budget 2002. Donc, pour l'essentiel, les moyens du service public sont préservés."
Un dernier mot, qui concerne tous les ministres de la Culture, car le sujet est complexe : les intermittents du spectacle. Comment leur répondre ?
- "C'est un sujet très sensible parce que, tout d'abord, on se tourne vers le Gouvernement - et il est légitime qu'on se tourne vers lui - mais l'affaire concerne essentiellement les partenaires sociaux. L'accord du 19 juin dernier, qui a ému les intermittents du spectacle, a été signé par le Medef, la CFDT, par la CFTC et par la CGC. La CGT et FO n'ont pas signé mais, néanmoins, les autres partenaires sociaux l'ont signé. Aujourd'hui, ma préoccupation est la suivante : faire en sorte de laisser aux partenaires sociaux leur part de responsabilités, mais bien affirmer les principes auxquels l'Etat est attachés. Ces principes sont tout d'abord le maintien au sein de l'Unedic d'un régime social pour les techniciens et les artistes du spectacle vivant et de l'audiovisuel et, deuxièmement, d'affirmer la pérennité du principe de solidarité interprofessionnelle, qui fait que les cotisants globalement, finalement, se soutiennent. Hier, j'ai, avec le ministre en charge des Affaires sociales, F. Fillon, confié une mission conjointe à un inspecteur des affaires culturelles et à un inspecteur des affaires sociales de façon à ce qu'ils, d'une part, fassent le point sur la situation, se mettent à disposition des partenaires de façon à tenter d'élaborer pour l'avenir une solution qui assure la pérennité de l'intermittence. Et ce, après qu'on ait éradiqué les innombrables abus qui ont lesté ce régime. J'ai tenu mes engagements à l'égard des intermittents et je continue à travailler avec les organisations responsables. J'ai d'ailleurs noté, avec beaucoup de satisfaction, que la CGT a aussitôt levé l'occupation d'un certain nombre de bâtiments publics."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2002)