Interview de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur " TV5- RFI- Le Monde" et déclaration à l'Assemblée nationale le 4 février 1998, sur la réforme de la politique de coopération, l'aide au développement et le regroupement des services du ministère des affaires étrangères et de ceux du secrétariat d'état à la coopération, .

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Circonstance : Décision lors du Conseil des ministres du 4 février 1998 de regrouper sous l'autorité du ministère des affaires étrangères les services du secrétariat d'Etat à la coopération

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - Radio France Internationale - TV5

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre, merci d'avoir accepté d'être le premier invité du " Monde en Français ", une interview mensuelle TVS-RFI-Le Monde. Notre thème, c'est l'actualité d'aujourd'hui, c'est-à-dire le nouveau dispositif français de coopération que vous avez présenté au Conseil des ministres. Depuis 30 ans, cette réforme a été bien souvent tentée sans réussite ; aujourd'hui elle existe, alors est-ce que l'on peut dire qu'avec cette réforme, dans les esprits, dans les comportements, le colonialisme et le néocolonialisme sont morts ?
- " Le colonialisme est une vieille histoire, il est à la fois la matrice des relations qui se sont nouées notamment entre la France et l'Afrique, et c'est en même temps une histoire révolue, une histoire que nous avons combattue, un certain nombre d'entre nous, notamment l'homme que je suis, quand j'étais un jeune citoyen, un jeune militant. Le néocolonialisme est toujours une tentation qui peut effleurer les politiques mais qui peut effleurer aussi parfois le monde des entreprises. Et donc c'est des relations égales, des relations de partenariat que nous voulons fonder. En l'occurrence, si cette réforme s'amorce enfin avec l'accord de l'ensemble des autorités publiques, le Gouvernement qui l'a pensée, mûrie depuis le mois de juillet environ - puisque c'est sept mois après la déclaration de politique générale que j'ai faite en juin et dans laquelle j'annonçai parmi les projets une réforme de la coopération - que celle-ci est présentée au Conseil des ministres ce matin, avec l'accord du Président de la République et donc l'accord de l'ensemble des autorités publiques françaises. C'est cela qui est important. Je crois que c'est parce que le monde a bougé, parce que l'Afrique elle-même a bougé et a évolué, parce qu'il y avait une volonté politique que le Gouvernement a essayé d'incarner, parce que le Président de la République a compris la nécessité de cette évolution, que cette réforme effectivement se présente, même s'il faudra effectivement la concrétiser. Et là encore par le dialogue avec nos partenaires. "
Monsieur le Premier ministre, on a le sentiment que, au fond, rares sont ceux qui vont pleurer sur ce ministère tel qu'il était. Tout d'abord sur une question d'image : déficit de transparence, un certain nombre d'affaires, un certain nombre de petits ou de grands secrets... est-ce que l'on peut avoir la certitude que maintenant cette nouvelle structure va permettre d'y voir clair sur la façon dont la France gère sa coopération ?
- " Nous voulons travailler dans un esprit de transparence et en associant aux côtés de l'Etat, toute une série d'acteurs de la société civile. Nous savons qu'il y a de nouveaux acteurs dans la coopération, des organisations intergouvernementales, des associations, des collectivités locales ; qu'il y a des mouvements divers qui mènent des expériences novatrices de coopération en Afrique ou ailleurs. Et dans ce Haut conseil de la coopération, nous allons réunir ces acteurs autour des acteurs d'Etat - qui ont une mission naturellement, notamment d'organiser l'aide publique au développement ou de contribuer au financement de projets de développement.
Il y a un comité interministériel qui est mis en place, aux compétences élargies et qui aura pour objet, se réunissant régulièrement de définir les grandes orientations de la coopération. Ce qui va permettre de coordonner l'action des différents ministères, et notamment celle de ce pôle diplomatique Affaires étrangères - Coopération, et du pôle Economie et finances qui est présent.
Il y a un opérateur pivot qui est cette agence de développement qui succède à la caisse centrale de développement, qui va là aussi permettre de coordonner. Et il y a cette volonté de partenariat notamment avec les pays de la zone de solidarité prioritaire, puisque nous dégageons une zone dans laquelle l'aide au développement sera l'instrument principal et dans cette zone, avec chacun des pays - et notamment avec les pays africains, mais aussi avec les pays que l'on appelle ACP ou avec les pays membres de la francophonie -, c'est sur la base d'accords de partenariat entre deux pays égaux en droit et en amitié - les pays africains, la France - que seront définies les orientations qui guideront nos politiques bilatérales.
Donc, on a là un effort de cohérence, de clarté et de transparence qui nous permettra, je crois, d'avancer. Alors, moi, je ne veux pas m'arrêter à des caricatures, je ne veux pas m'arrêter à des critiques - même si certaines d'entre elles étaient fondées, si d'autres sont un peu injustes - mais je crois que là, il y a un dépassement réaliste et novateur que j'espère un certain nombre d'observateurs vont saluer, que vous commencez de faire indirectement, disons. "
On le voit, vous bousculez les structures - cela, c'est pour la forme. Qu'est- ce que cela va changer au fond ? Est-ce que c'est une réforme de fond également ? Parce que vous avez annoncé des modifications au niveau ministériel ; comment vont suivre les multiples services, les multiples missions, comment cela va s'intégrer, comment le Quai d'Orsay va pouvoir coopérer plus activement plus efficacement puisque c'est l'un des objectifs que vous poursuivez par cette réforme ?
- "Vous savez que le secrétariat d'Etat à la Coopération et à la Francophonie dont le titulaire est C. Josselin va devenir un ministère, ce qui prouve qu'au moment où nous intégrons la coopération aux Affaires étrangères, nous ne diminuons pas non plus son poids, il va devenir donc un ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangère, H. Védrine."
C'est un symbole ?
- " Oui, c'est un symbole d'intégration, d'abord des personnels qui seront intégrés progressivement dans les Affaires étrangères ou dans l'agence, selon leur statut, la fonction qui est la leur aujourd'hui rue Monsieur, comme l'on dit. Cela veut dire aussi que l'on rapprochera les structures administratives et notamment la direction du développement au secrétariat d'Etat à la Coopération, et la direction générale des affaires scientifiques, culturelles et techniques au ministère des Affaires étrangères, et que ce travail se fera sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères qui donnera donc à cette réflexion sa vision d'ensemble, son caractère global ; de la même manière que le ministre délégué à la Coopération aura des responsabilités hors de l'Afrique au sens strict, sur tous les problèmes qui sont des problèmes de coopération. je pense donc que l'on arrive à une conception de la coopération véritablement adulte. Et par ailleurs, j'ajoute que sur le terrain, dans les pays concernés, ce que l'on appelait les missions de coopération, les missions d'aide et de coopération ou les missions culturelles, vont être intégrées dans les ambassades, devenir des services des ambassades. vous voyez que cet effort de coordination, il s'opère y compris au niveau du terrain."
Pour en finir avec le ministère de la Coopération, ce ne sera pas un simple porte-parole de la Coopération ? On peut avoir tendance à penser cela quand un ministère n'a plus d'administration, tout juste un cabinet.
- "Non, parce que les services nécessaires à l'action de coopération seront délégués au ministre de la Coopération qui aura en tant que de besoin, autorité sur ces services. Donc l'intégration n'est pas la disparition, elle est la coordination, l'addition des efforts. Et c'est ce que nous voulons faire. je trouve qu'il est formidable finalement pour les pays africains qu'ils soient à la fois traités comme tous les autres pays sur la planète partenaires ou interlocuteurs de la France, dans le même temps où, dans la zone de solidarité prioritaire, il reste des pays qui, non seulement en raison de leur niveau de développement, du revenu par tête de leurs habitants, de leur impossibilité d'accéder aujourd'hui par exemple au marché des capitaux pour financer leurs projets mais aussi en raison des liens historiques que nous avons noués avez avec eux, en particulier bien sûr dans l'Afrique francophone mais éventuellement au-delà, ils vont être en même temps des partenaires choyés."
Demain, un chef d'Etat africain a qui pour interlocuteur ? il n'y a plus le ministre de la Coopération en tant que tel, c'est le ministre des Affaires étrangères, c'est vous-même ou c'est en fonction du dossier qu'il a à traiter? N'ont-ils pas été inquiets quand ils ont appris que la France changeait la règle du jeu de la coopération ?
- " D'abord nous avons discuté avec eux. Le ministre des Affaires étrangères, le secrétaire d'Etat C. Josselin dans ses voyages nombreux en Afrique, moi-même lors du voyage récent que j'ai fait par exemple au Sénégal et au Mali. Nous avons posé ces problèmes devant le président Abdou Diouf, devant le Premier ministre H. Thiam que je connais depuis très longtemps ou devant le président Konaré que j'ai appris à connaître en la circonstance ou devant mon collègue Premier ministre au Mali. Donc, nous avons parlé avec eux, nous avons entendu leur point de vue. je pense qu'il y a de nouvelles équipes, de nouvelles élites en Afrique qui aspirent à un autre type de rapport, qui veulent porter chez eux la démocratie, qui ne veulent pas être enfermés dans une relation exclusive avec la France mais qui comptent sur elle et qui, je crois, voient de façon favorable cette évolution. En tout état de cause, quand un chef d'Etat africain vient à Paris, il est reçu par le Président de la République, il rencontre généralement le Premier ministre. Lorsque nous allons dans ces pays, nous les rencontrons, donc ces formes de dialogue vont continuer."
Vous n'avez envisagé à aucun moment la création d'un grand ministère du développement qui aurait hérité des missions de secrétariat d'Etat à la coopération et de certaines missions des Affaires étrangères. La Grande- Bretagne vient d'annoncer un tel mouvement : c'est-à-dire la création d'un grand ministère de la Coopération.
- "Tout est toujours possible. je vous parle de la démarche que nous avons initiée. Nous ne partions peut-être pas de la même histoire que la Grande- Bretagne et je pense que ce qui était nécessaire chez nous, c'était de faire évoluer ce ministère de la Coopération pour lui permettre, sans perdre de son originalité, de son expertise, de la qualité des hommes et des femmes qui y travaillent, de s'intégrer dans un ensemble plus vaste, dans ce pole diplomatique dont je parlais. Lequel dit pôle diplomatique va lui-même être coordonné avec ce que j'appelais le pôle économique, c'est-à-dire le ministère de l'Economie et des Finances dont on sait bien le rôle très important qu'il joue dans ces affaires."
Nous sommes en régime de cohabitation ; est-ce que cette réforme a été acceptée sans la moindre nuance par le chef de l'Etat et est-ce qu'à l'Elysée, il y aura toujours cette cellule Afrique ou y a-t-il un vent de réforme qui, du côté de l'autre partenaire institutionnel, tient compte de l'évolution ?
- "D'abord, je ne suis pas le porte-parole du Président de la République. Naturellement, nous en avons parlé. D'abord, les collaborateurs du Président de la République ont été associés à ce travail de réflexion au niveau des grandes orientations d'abord et puis quand on a commencé à cerner de plus près les réformes que nous proposions, le dispositif que nous voulions mettre en place. Ces collaborateurs ont été associés directement à ce travail. Quand nous sommes arrivés plus près du moment où nous avions achevé en quelque sorte notre projet de réforme, je lui en ai parlé directement dans le cadre des entretiens réguliers que nous avons notamment avant les réunions du Conseil des ministres. Il a souhaité, ce qui était tout à fait légitime, poser toute une série de questions, questions parfois importantes, d'autres plus précises parce qu'il connaît bien ces questions et qu'elles l'intéressent. Et nous avons répondu à chacune de ces questions de façon, je crois, qu'ils l'ont satisfait ou éclairé lorsqu'il pouvait y avoir doute sur les intentions. Il a marqué l'importance qu'il attachait à la richesse, à la profondeur du lien avec l'Afrique, ce qui rencontrait tout à fait mes préoccupations. Il a naturellement insisté sur la francophonie, c'est pour lui important. Et je crois que là aussi nous avons répondu à ses préoccupations. Donc, je ne veux pas m'exprimer en son nom, il s'est d'ailleurs exprimé lui-même aujourd'hui pour dire qu'il se reconnaissait tout à fait dans cette réforme. En ce qui concerne l'organisation même de l'Elysée, je ne suis absolument pas compétent."
Vous voulez dire que cohabitation ou pas, ça aurait été la même réforme ?
- "je ne veux pas avoir l'air d'être insolent à votre égard, mais je ne suis pas sûr de comprendre l'intérêt de la question en l'occurrence puisque nous sommes en cohabitation. Ce que je trouve formidable..."
Mais s'il n'y avait pas eu cohabitation, seriez-vous allé un peu plus loin ?
- "Ma fonction n'est pas franchement académique. Elle est quand même plutôt pratique. je ne sais pas ce qui aurait été fait dans d'autres circonstances. En gros, vraiment, ce que nous faisons là qui est novateur, et qui reste réaliste, qui rationalise aussi notre aide pour qu'elle soit plus efficace, pour que nous économisions tout en disant que si nous économisons ça sera recyclé dans l'aide, c'est-à-dire que nous ne diminuerons pas le montant de notre aide, correspond vraiment à ce que j'avais envie de faire. Ce sont des choses auxquelles j'ai réfléchi il y a longtemps même. je suis heureux de voir que cette conception a été approuvée. Et le fait que ce soit dans la situation d'aujourd'hui, de cohabitation, l'ensemble des autorités françaises et en tout cas de l'exécutif qui sont derrière cette réforme, donne encore plus de poids et plus de chance de réussite."
vous avez donc évoqué un certain nombre de règles de jeu nouvelles en matière de coopération, est-ce qu'il y aura des règles du jeu. Il y a eu ce qu'on appelait l'esprit de La Baule. Est-ce qu'en d'autres termes, les droits de l'homme, la démocratie, les paramètres éthiques de ce genre seront pris en compte sur les choix de la France en matière de solidarité, de partenariat et de développement ?
- "C'est pour nous un objectif et je crois aussi qu'il y a de nouvelles élites africaines, de nouveaux responsables d'Etat ou de gouvernement qui veulent porter ces évolutions. Je pense que le vent de la liberté a soufflé à l'Est mais il s'est mis à souffler aussi au Sud. On l'a vu. Ca n'est pas facile parce que parfois, ça peut aussi contribuer à des déstabilisations ; parfois, retrouver des équilibres nouveaux ou trouver des équilibres nouveaux quand on abandonne des équilibres anciens peut être une occasion de trouble. Donc, nous devons examiner ces choses là avec pragmatisme, dans le respect aussi des choix de pays qui sont indépendants, que nous respectons. Si nous disons qu'ils sont des partenaires, si nous abandonnons cet esprit du néocolonialisme, ce n'est pas pour le réintroduire au nom de nos propres valeurs. Mais ces valeurs, nous ne croyons pas qu'elles soient celles de l'homme blanc, nous ne croyons pas qu'elles soient celles de l'Occident, nous croyons que ce sont des valeurs universelles. Alors les pays évolueront progressivement. Ca reste pour nous des finalités et donc elles seront présentes dans le dialogue, dans ce partenariat que nous nouerons avec ces pays pour guider notre politique de coopération."
Pour l'aide aux pays qui seront les opérateurs en dehors du fait que la Caisse française de développement devient l'Agence française de développement ?
- "Beaucoup de gens réfléchissaient à cette idée d'agence depuis longtemps et il est bien de le faire ainsi, vers cette agence, se concentreront les efforts des équipes à la fois du pôle diplomatique et de la coopération et celles du ministère de l'Economie et des Finances. De même que le secrétariat du comité interministériel sur la coopération et le développement sera assuré en commun par le ministère des Affaires étrangères et par le ministère de l'Economie et des Finances. De la même manière, nous allons intégrer dans les services des ambassades, des pays dans lesquels il y a une coopération de la France, ces structures qui avant étaient autonomes. vous voyez qu'il y a un effort de coordination et de cohérence. Mais là, nous avons fixé les grandes orientations. je ne voudrais pas vous donner l'impression que j'ai déjà réponse à tout. En plus, ce n'est pas forcément de ma responsabilité. vous savez la façon par laquelle j'essaie de gouverner et de laisser les ministres remplir véritablement leur fonction. je crois que cette réforme était suffisamment importante pour que je la porte un peu moi-même, même si c'est le ministre des Affaires étrangères et le secrétaire d'Etat à la coopération, bientôt ministre délégué, qui l'ont présentée au conseil des ministres, que le ministre de l'Economie et des Finance, D. Strauss-Kahn est intervenu, d'autres ministres encore. Il y a à travailler maintenant sur l'agence, sur le comité interministériel, sur le Haut conseil. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour concrétiser tout cela. Donc aujourd'hui, je suis seulement en mesure de vous donner les grandes orientations mais elles sont clairement marquées."
S'agissant de l'Agence de développement justement on voit que son champ d'intervention va être élargi, ses moyens renforcés, on sait que la France est un des pays les plus généreux en matière d'aide au développement - ça représente à peu près 0,4 % du PIB.
- "41%.0,41%
Mais cet effort décroît, cette aide décroît régulièrement chaque année. Est-ce que la réforme que vous envisagez peut inverser la tendance ?
- "En tout cas, elle assurera certainement que pour un même montant d'aide, celle-ci sera plus efficace. je pense aussi que cette aide devrait être mieux adaptée aux besoins des populations car là aussi, il y a un effort à faire pour justifier de la qualité des projets de développement. Notre volonté n'est pas de faire décroître l'aide au développement. C'est vrai que la tendance est celle que vous avez dite. Mais il faut que vous ayez à l'esprit qu'il y a eu des évolutions profondes dans le monde en développement. Un certain nombre de pays que l'on considérait il y a quelques années, comme des pays sous-développés, sont des pays qui émergent économiquement. Il n'y en pas forcément aujourd'hui beaucoup en Afrique et il y a d'autres facteurs d'instabilité politique, des problèmes militaires, parfois des problèmes ethniques malheureusement qui freinent l'Afrique dans son développement. Encore que le taux de croissance moyen des pays de l'Afrique francophone est de 5 % ces dernières années. C'est-à-dire qu'il y a un taux de croissance plus élevé que le nôtre avec évidemment une base de départ qui ne peut pas être comparée. Mais ça signifie qu'il y a des éléments d'optimisme dans la situation. Et donc, quand des pays voient augmenter leur niveau de développement, leur capacité industrielle, leur capacité d'exportation, ils peuvent recourir au marché des capitaux par exemple, à des capitaux privés et ils ont peut-être moins besoin d'une aide au développement au sens classique du terme fondée essentiellement sur des dons ou sur des prêts à très bas taux d'intérêt. voilà ce dont il faut tenir compte. Nous travaillons sous contrainte budgétaire, vous le savez bien et cela concerne l'aide au développement comme d'autres secteurs de l'activité de la France."
Parmi les quelques critiques qui ont accompagné votre réforme, il y a celle d'une forme de désengagement de la France en Afrique au moment où, disent les observateurs, les Etats-Unis sont en challenge diplomatique. Ne redoutez-vous pas que ce soit interprété dans le monde entier et notamment en Afrique, quelle que soit la réforme que vous venez d'évoquer, comme une banalisation des rapports avec l'Afrique et une sorte de désengagement ?
- "Cette idée de la concurrence, ça a été dit mais c'est une idée qui ne me préoccupe pas beaucoup, je crois que ça relève un peu du fantasme que cette présence, cette compétition américaine à l'étranger, je ne suis pas sûr, quand je vois le poids que pèse le Congrès américain, la détermination de ses choix aujourd'hui dans le dispositif politique américain, que les Etats-Unis soient véritablement à l'offensive dans une politique planétaire. En tout cas, je crois que la qualité de notre présence en Afrique, les liens d'amitié que nous avons noués, tout ce qui nous réunit dans la francophonie nous prémunit réellement contre ces risques surtout si nos partenaires ont l'impression qu'ils sont aimés toujours mais peut-être un peu plus encore respectés. Donc, non, je ne crains pas cela. Il n'y a aucun désengagement. Je crois au contraire que c'est un progrès du point de vue psychologique, même d'un certain point de vue éthique que nos partenaires africains soient absolument l'égaux des autres dans la façon de les traiter, mais en même temps, comme il est normal, un peu privilégiés."
Revenons à la zone de priorités parce que je crois qu'il faut être très clair et que ça intéresse particulièrement nos auditeurs. Ces zones prioritaires de coopération et de développement signifient quoi exactement ? Pour l'Afrique, s'agit-il des pays du champ ou bien que demain notre aide peut aller au Mali et à égalité au Zimbabwe pour simplifier. Est-ce que ça concerne également les anglophones, les lusophones ? Comment va-t-on faire ?
- "Cette zone de solidarité prioritaire va, lorsqu'elle sera mise en oeuvre, concerner l'ensemble des pays qui relèvent actuellement des crédits du fonds d'aide et de coopération, ce qu'on appelle le FAC, donc des pays du champ. Nous partons avec cette définition. Personne, aucun pays de ceux qui bénéficient de cette forme d'aide de la France, plus généreuse sans doute, n'en sera privé dans la définition de départ de cette zone de solidarité prioritaire. Ensuite, ce sera au Comité interministériel, dont je parlais, de coopération et de développement de définir au fur et à mesure des évolutions, les frontières de cette zone. Naturellement, ce sera fait par dialogue avec les pays aujourd'hui bénéficiaires et par ailleurs, les critères sont quand même des pays dont le niveau de revenu par tête est bas et des pays qui n'ont pas les moyens d'accéder au marché des capitaux pour le financement d'un certain nombre de ces projets. Donc ces critères objectifs continueront à exister mais comme c'est aussi une définition politique, je crois que ces critères de caractère politique continueront à jouer un rôle dans les décisions que nous prendrons en accord avec nos partenaires."
Et vous pensez que cette réforme va encourager le secteur privé français à aller investir en Afrique, à se porter sur les marchés africains ?
- "D'abord, nous avons dit qu'il y avait des formes d'aide qui iraient davantage avec la zone de solidarité prioritaire et d'autres qui, hors champ en quelque sorte, pourraient prendre d'autres formes, davantage de financement de projets sur des crédits privés notamment des crédits commerciaux mais nous n'avons pas non plus interdit que des formes différentes puissent être présentes notamment dans la zone de solidarité prioritaire. Donc je pense qu'il est de la responsabilité des entreprises françaises d'investir partout où elles peuvent, exporter, vendre, exercer une influence au bon sens du terme bien sûr."
Comment avez-vous réagi au fait que cette réforme est presque consensuelle ? Il y a eu très peu de réactions d'hostilité. Finalement, êtes-vous allé assez loin dans cette réforme ?
- "Je me disais bien qu'il me manquerait quelque chose. A ce stade et sur ces orientations, le consensus me convient."
Et en Afrique, il y a eu des critiques ? Est-ce que des capitales se sont inquiétées de la disparition de ces structures qu'ils connaissaient depuis des décennies ?
- "Le ministre des Affaires étrangères, le secrétaire d'Etat à la Coopération vous en parleraient de façon peut-être plus précise. Ils ont été au contact. je crois qu'il y a sûrement des messages qui ont été passés, des interrogations qui ont été formulées. je n'ai pas senti, au niveau d'information qui est le mien, de véritable inquiétude. De toute façon j'adresserai certainement dans les jours qui viennent, une lettre à l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement des pays qui nous sont les plus proches, notamment des pays d'Afrique, pour leur redonner le sens de cette réforme. Et puis par ailleurs, comme le souhaitait d'ailleurs le Président de la République, nous en avons parlé ce matin, nous enverrons certainement un messager du Gouvernement pour discuter directement avec les chefs d'Etat ou de gouvernement en Afrique."
A votre sortie de l'ENA en 1965, vous êtes entré au Quai d'Orsay à la direction économique, dans le service de la Coopération et de l'aide au développement. C'est donc une idée qui vous tient à coeur depuis plus de 35 ans. Et aujourd'hui, vous la réalisez.
- "Il arrive qu'on puisse rester en continuité avec soi-même, en cohérence avec soi-même. Et c'est pourquoi je suis heureux de pouvoir porter cette réforme. C'est vrai que j'ai commencé ma vie professionnelle comme jeune diplomate, et dans ce domaine multilatéral. La coopération économique, en réalité, c'était le FMI, la BIRD, mais aussi ces problèmes de coopération et d'aide au développement. J'ai continué à m'intéresser à ces questions quand j'était un jeune responsable du Parti socialiste, secrétaire au Tiers-monde du Parti socialiste. J'ai écrit, j'ai contribué à un livre collectif sur ces problèmes, dans lesquels ont retrouverait beaucoup d'idées qui sont peut-être mises en oeuvre autrement aujourd'hui. Et là, Premier ministre, j'ai la chance d'avoir des ministres, un Gouvernement qui a travaillé à une réforme qui a l'aval du Président de la République - dont vous dites qu'elle fait relativement consensus, qui vous amène à vous interroger pour savoir si elle n'est pas trop timide. Moi, je crois que ce sont de bonnes étapes. Maintenant, essayons de le concrétiser en étroit dialogue avec nos partenaires. On aura bien avancé, et fait une réforme utile, non seulement pour nous, mais pour tous ceux qui coopèrent avec nous."
Quand sera-t-elle achevée ?
- "Déjà ce matin, au Conseil des ministres, j'ai présenté un projet de décret - qui a été approuvé par le Conseil des ministres, qui est donc devenu un décret - qui crée ce Comité interministériel sur la Coopération. Et donc, déjà un premier acte a été immédiatement posé dans le même Conseil des ministres. Les mises en oeuvre vont se faire maintenant très rapidement. Et les premières traductions financières se retrouveront dans le budget 1999."
(Source http://www,premier-ministre,gouv,fr, le 22 mai 2001)