Texte intégral
J.-P. Elkabbach-. Monsieur le président des groupes d'amitié France-Allemagne, "Herr Juppé, guten tag und viele danke"... Bonjour.
- "Bonjour, monsieur Elkabbach, excusez-moi de vous répondre en français, mais voyez, je suis l'exemple de ces Français qui ne pratiquent pas l'allemand, hélas !"
Et vous vous frappez la poitrine, "j'aurais dû" ?
- "Oui, parce que - on y viendra peut-être -, c'est une des lacunes actuelles de la coopération franco-allemande. Pour bien se comprendre, il faut échanger ses langues. Or l'apprentissage de l'allemand pour les jeunes français n'a cessé de baisser au cours des dernières années."
Pour la France et l'Allemagne, voici donc deux jours de gestes forts et impressionnants de symboles. Justement, entre Chirac et Schröder, c'est l'idylle ; pour les peuples aussi ou pas assez ?
- "C'est la réconciliation, bien entendu. Et pour les gens de ma génération, - je suis en 1945, donc après la guerre, et puis, bien sûr, pour tous ceux qui ont suivi -, cela semble aller de soi. Aux niveaux institutionnel et gouvernemental, les choses se passent bien entre les gouvernements, entre les Parlements, même entre les partis politiques. Par exemple, entre l'UMP et la CDU-CSU, nous avons des relations fréquentes. Madame Merkel était au Congrès fondateur de l'UMP, le 17 novembre dernier, elle a été ovationnée par la foule qui était là ; demain, je ferai avec elle une conférence de presse commune à Berlin. Entre les sociétés et les peuples, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Je l'évoquais dans le domaine linguistique mais dans tous les secteurs de la société, entre nos entreprises, entre nos syndicats. On ne peut pas dire que l'osmose soit vraiment encore réalisée. Et donc, cette commémoration est aussi une projection pour l'avenir. Il y a autant à construire qu'à célébrer."
Comment s'inscrivent, à votre avis, parmi les précédents couples qui étaient de Gaulle-Adenauer, Pompidou-Brandt - qui ne s'entendaient pas trop -, Giscard-Schmidt, Mitterrand et Kohl, le tandem ou le couple Schröder et Chirac ?
- "Peut-être n'ont-ils pas trouvé, pas trouvé encore, des gestes de la force symbolique de ce qu'on a vu par le passé. Je revoyais, hier, 1984, vous savez, Verdun, la main dans la main de Kohl et de Mitterrand, entre cette espèce de géant massif qui était Kohl et la silhouette fragile de Mitterrand. Cela aurait pu faire sourire de voir ces deux hommes se tenir par la main. Personne n'a souri ; c'était très émouvant."
Et cela reste dans l'Histoire...
- "Cela reste dans les esprits. Si on n'a pas retrouvé ces gestes, et je voudrais peut-être insister sur ce point, c'est que les choses ont beaucoup changé et que l'Allemagne d'aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était à ce moment-là. Il est intervenu d'ailleurs, un événement majeur, que J. Chirac a soutenu dès le départ, qui est la réunification. L'Allemagne n'est plus dans la situation où elle était au temps de Schmidt et du temps de Kohl. Donc, il faut inventer quelque chose de nouveau qui soit aussi profond et aussi solide."
Et justement, l'ex-chancelier Schmidt, disait, hier que le souvenir d'Auschwitz et de l'holocauste pèsera encore pendant des générations sur les Allemands - la jeune génération d'ailleurs s'en détache un peu - les Allemands, assène-t-il, ont besoin des Français, un peu plus que les Français ont besoin des Allemands.
- "Je crois que nous avons besoin les uns des autres. J'écoutais tout à l'heure S. Veil, parler de cela..."
Très émouvante...
- "...de réconciliation mais pas d'oubli. Il ne faut pas oublier. Mais quand je disais que l'Allemagne a changé, c'est vrai qu'avec la réunification, avec l'arrivée au pouvoir d'une génération qui n'a pas non plus connu la Guerre, le sentiment national allemand s'est renforcé. Je me souviens d'un de mes entretiens avec H. Kohl, ce qui me frappait chez cet homme, c'est que très souvent, parce qu'il y avait le souvenir de la Guerre, dans sa propre famille, il racontait souvent comment elle avait été elle-même impliquée dans les combats, dans les guerres mondiales successives, il y avait cette espèce de souci, parfois, de faire passer l'intérêt européen avant l'intérêt allemand. Je crois que cela changé aujourd'hui. Aujourd'hui, l'Allemagne se ressent comme une nation qui défend ses intérêts. Il faut en tenir compte. D'où la nécessité plus aiguë encore de renforcer les liens entre nos peuples. Parce que la paix - ce mot de "paix", pour nous, Européens, apparaît tout banal, tout acquis, - est une construction, ce n'est pas un acquis."
Il y a l'idée en projet, d'accorder à tous les Français et à tous les Allemands pour les prochaines générations, une double nationalité. Est-ce une bonne perspective ?
- "Je crois que c'est une idée intéressante et un peu dans la perspective qu'on évoquait tout à l'heure : comment passer de la coopération, de la réconciliation, du travail en commun institutionnel - Conseils des ministres, Parlements, etc. - à quelque chose qui unisse vraiment les peuples ? Il y a une télévision commune, Arte, on pourrait espérer que..."
Qui a fêté ses dix ans...
- "...[inaud.] sur nos opinions publiques, mais c'est un peu geste intéressant. Il y a les échanges de jeunes : 7 millions quand même, dans le cadre de l'Office franco-allemand de la jeunesse, l'OFAJ. Et donc l'idée d'une double nationalité ou d'une nationalité commune, est quelque chose qui mérite d'être creusé. Ce n'est pas pour demain mais c'est intéressant."
Ce serait bien que, demain ou après-demain, les jeunes des deux rives du Rhin deviennent des amis héréditaires ?
- "Belle formule."
L'idée franco-allemande d'une double présidence pour l'Union européenne, elle crée en ce moment chez les autres pays des tensions, de la suspicion, en France aussi - PS et l'UDF. Est-ce que c'est parce qu'on ne peut pas, et on ne peut pas et on ne sait pas élire un Président qu'on en propose deux ?
- "Non, tout simplement, parce que c'est l'esprit des institutions communautaires. D'abord, je voudrais insister sur le fait que depuis plusieurs mois, depuis qu'on est sorti du régime pervers de la cohabitation, qui n'avait pas été bon non plus pour la coopération franco-allemande..."
Oui, mais là vous acceptez la cohabitation à l'UMP entre deux Présidents pour l'Europe...
- "Non..."
C'est le seul moment où la cohabitation est acceptée.
- "Non, cela n'a strictement rien à voir justement, parce que là on confond un Etat national, centralisé, comme la France, et ce que nous voulons construire en Europe ; jusqu'à plus ample informé, ce n'est pas la même chose. Je reviens sur les progrès de la coopération franco-allemande : depuis quatre ou cinq mois, à plusieurs reprises, on a bien vu l'initiative franco-allemande débloquer les situations européennes. Exemple : le compromis sur la PAC, qui a permis, à Copenhague, de faire l'élargissement finalement. Le deuxième exemple c'est nos positions communes sur la Turquie, qui ont permis, là aussi, de reporter à plus tard ce dossier ; notre coopération très étroite sur l'Irak, où nos diplomaties travaillent en commun ; et puis la proposition que vous évoquez. Pourquoi cette proposition me paraît-elle exemplaire ? D'abord, parce que c'est un compromis. La France était plutôt favorable au renforcement de la présidence du Conseil européen, et l'Allemagne plutôt favorable au renforcement de la présidence de la Commission. Nous avons fait un pas, chacun l'un vers l'autre. Et j'insiste sur ce fait : c'est dans l'esprit des institutions. On nous parle souvent du "triangle communautaire", les institutions européennes c'est le Parlement, c'est la Commission, c'est le Conseil européen. Et on est tous bien d'accord pour dire qu'on ne va pas bouleverser tout ça ; il faut, au contraire, le renforcer. Et la proposition franco-allemande va exactement dans ce sens. C'est pourquoi je la trouve extrêmement intéressante."
C'est normal, là où vous êtes vous ne pouvez que la trouver bonne...
- "Non, pas toujours. J'ai l'esprit critique aussi."
Mais elle fait débat... Etes-vous favorable à un référendum sur la réforme des institutions ?
- "Forcément. Je ne vois pas comment on pourrait conclure un nouveau traité européen, qui va être une Constitution pour l'Europe..."
Oh ! lala ! Il faudra convaincre et s'engager !
- "Oui, mais on est là pour ça. Je pense que les forces politiques françaises devront s'investir ardemment dans ce grand combat."
Vous avez parlé de l'Irak. Selon BVA pour Paris-Match, une large majorité de Français est avec J. Chirac et contre la guerre. Vous, évidemment, vous êtes toujours avec J. Chirac, parce que vous êtes contre la guerre et pour une France neutre pour ce qui concerne l'Irak ?
- "Permettez-moi de vous faire remarquer, parce que c'est la deuxième fois que vous me dites cela, ce matin, c'est que si je suis avec J. Chirac, ce n'est pas parce que je le suis les yeux fermés, c'est parce que je pense qu'il a raison. Je voulais le préciser simplement."
Premièrement, peut-être ça, et deuxièmement, parce que vous êtes un fidèle. Mais ce n'est pas un reproche la fidélité ou la loyauté.
- "La fidélité c'est très bien, mais je soutiens J. Chirac parce que je trouve qu'il a raison et non pas parce que c'est J. Chirac."
Donc, vous êtes contre la guerre ?
- "Et donc, je pense que, dans cette affaire irakienne, il a magnifiquement conduit la diplomatie française. D'abord, en remettant le débat au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, et ensuite, aujourd'hui, en disant très clairement, que la France ne saurait s'engager dans une intervention militaire si le Conseil de sécurité ne se prononçait pas. Et je vois que cette position recueille un très large accord. D'abord, chez nos partenaires européens..."
Pas aux Etats-Unis, parce que le climat entre nous est glacial.
- "Il n'y a pas que les Etats-Unis à la surface de la terre."
Cela veut dire qu'on peut accepter d'avoir des relations très tendues avec l'Amérique, à propos de l'Irak ?
- "Il ne faut pas faire de suivisme, il faut défendre sa vision des choses, du monde. Et notre vision du monde, c'est qu'aucune puissance, fut-elle les Etats-Unis, n'a vocation à aller rétablir les choses par la force, si la légalité internationale n'est pas respectée. Je voudrais insister sur le fait que, à la lectures des rapports actuels ou des déclarations actuelles des inspecteurs, qui sont là-bas sur le terrain, il n'y a, comme l'a dit D. de Villepin, hier, à New York, je crois, aucune raison de déclencher une intervention militaire"."
Est-ce que cela veut dire que la France peut aller, parce qu'on a compris cela aussi des déclarations de D. de Villepin, jusqu'au droit de veto ?
- "La France a, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, ses prérogatives, et c'est à la diplomatie française de se déterminer sur ce point."
Mais là, vous devez le savoir, puisque vous parlez souvent avec de D. de Villepin, votre ancien collaborateur et avec le Président ?
- "Oui, mais c'est lui qui le ministre des Affaires étrangères. Je crois qu'il ne faut pas se substituer, ni au président de la République, ni au chef de la diplomatie française."
La vie aime les coïncidences : en pleines festivités franco-allemandes, la Commission de Bruxelles, les ministres des Finances des Quinze, sont fâchés contre l'Allemagne, à cause des déficits, et contre la France. Est-ce l'Europe qui doit dicter ses choix économiques, stratégiques à la France ?
- "Ce n'est pas l'Europe qui dicte ses choix, c'est nous qui nous sommes engagés à respecter un certain nombre de règles."
Mais là, on ne les respecte pas tout à fait ?
- "Oui, c'est vrai. Donc, il faut revenir au respect de ces règles. D'ailleurs, c'est très exactement ce que F. Mer a dit."
Mais il a dit 2007 pas 2006.
- "Compte tenu des perspectives de croissance qui sont devant nous, il a raison. Je crois, là aussi, qu'il faut cesser de dire : c'est l'Europe qui nous impose telle ou telle chose. C'est nous qui nous sommes obligés à respecter, je le répète, un certain nombre d'obligations. Et voilà un domaine dans lequel je souhaiterais que la France et l'Allemagne travaillent davantage, main dans la main, parce que l'Allemagne est aussi dans le collimateur. Et je pense que, nous serions bien inspirés de définir une politique de l'emploi franco-allemande pour porter remède à des difficultés qui nous sont communes finalement."
Je reviens en France : samedi, vous avez passé pratiquement toute la journée avec les pompiers sur les plages de l'Atlantique, dans les boulettes de fioul ; personne n'en a parlé. Et dès que vous avez haussé à peine le ton sur l'UDF, la terre a tremblé. A quoi cela tient ?
- "N'exagérons rien, la terre n'a pas vraiment tremblé". Je ne sais pas, je n'ai pas d'explication sur ce phénomène. Il m'arrive de faire des déclarations très prudentes, très modérées, comme celles que vous évoquez, sur les relations entre l'UDF et l'UMP. Elles prennent tout de suite une résonance extraordinaire, je ne sais pas pourquoi."
Mais rassurez un certain nombre de gens, dont F. Bayrou : voulez-vous créer avec l'UMP un parti qui mange tout, qui dévore tout, et qui devienne une sorte de parti unique ?
- "Il n'y a des partis uniques que dans les pays totalitaires. On n'est pas en Corée du Nord en France ! Ce que nous voulons créer, c'est un parti majoritaire parce que la désunion nous a coûté très cher par le passé. Depuis 20 ans..."
Mais laissez-les vivre !
- "Mais bien sûr, je n'ai aucune espèce d'objection mais qu'on nous laisse vivre, nous aussi, qu'on nous laisse aussi essayer de faire en sorte que la France, comme l'Allemagne, comme l'Espagne, comme la Grande-Bretagne ait une grande force politique de la droite et du centre, majoritaire. Comme nos électrices et nos électeurs le souhaitent. Je crois que l'union est porteuse de réussite et la division de l'échec."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 janvier 2003)
- "Bonjour, monsieur Elkabbach, excusez-moi de vous répondre en français, mais voyez, je suis l'exemple de ces Français qui ne pratiquent pas l'allemand, hélas !"
Et vous vous frappez la poitrine, "j'aurais dû" ?
- "Oui, parce que - on y viendra peut-être -, c'est une des lacunes actuelles de la coopération franco-allemande. Pour bien se comprendre, il faut échanger ses langues. Or l'apprentissage de l'allemand pour les jeunes français n'a cessé de baisser au cours des dernières années."
Pour la France et l'Allemagne, voici donc deux jours de gestes forts et impressionnants de symboles. Justement, entre Chirac et Schröder, c'est l'idylle ; pour les peuples aussi ou pas assez ?
- "C'est la réconciliation, bien entendu. Et pour les gens de ma génération, - je suis en 1945, donc après la guerre, et puis, bien sûr, pour tous ceux qui ont suivi -, cela semble aller de soi. Aux niveaux institutionnel et gouvernemental, les choses se passent bien entre les gouvernements, entre les Parlements, même entre les partis politiques. Par exemple, entre l'UMP et la CDU-CSU, nous avons des relations fréquentes. Madame Merkel était au Congrès fondateur de l'UMP, le 17 novembre dernier, elle a été ovationnée par la foule qui était là ; demain, je ferai avec elle une conférence de presse commune à Berlin. Entre les sociétés et les peuples, il y a encore beaucoup de progrès à faire. Je l'évoquais dans le domaine linguistique mais dans tous les secteurs de la société, entre nos entreprises, entre nos syndicats. On ne peut pas dire que l'osmose soit vraiment encore réalisée. Et donc, cette commémoration est aussi une projection pour l'avenir. Il y a autant à construire qu'à célébrer."
Comment s'inscrivent, à votre avis, parmi les précédents couples qui étaient de Gaulle-Adenauer, Pompidou-Brandt - qui ne s'entendaient pas trop -, Giscard-Schmidt, Mitterrand et Kohl, le tandem ou le couple Schröder et Chirac ?
- "Peut-être n'ont-ils pas trouvé, pas trouvé encore, des gestes de la force symbolique de ce qu'on a vu par le passé. Je revoyais, hier, 1984, vous savez, Verdun, la main dans la main de Kohl et de Mitterrand, entre cette espèce de géant massif qui était Kohl et la silhouette fragile de Mitterrand. Cela aurait pu faire sourire de voir ces deux hommes se tenir par la main. Personne n'a souri ; c'était très émouvant."
Et cela reste dans l'Histoire...
- "Cela reste dans les esprits. Si on n'a pas retrouvé ces gestes, et je voudrais peut-être insister sur ce point, c'est que les choses ont beaucoup changé et que l'Allemagne d'aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était à ce moment-là. Il est intervenu d'ailleurs, un événement majeur, que J. Chirac a soutenu dès le départ, qui est la réunification. L'Allemagne n'est plus dans la situation où elle était au temps de Schmidt et du temps de Kohl. Donc, il faut inventer quelque chose de nouveau qui soit aussi profond et aussi solide."
Et justement, l'ex-chancelier Schmidt, disait, hier que le souvenir d'Auschwitz et de l'holocauste pèsera encore pendant des générations sur les Allemands - la jeune génération d'ailleurs s'en détache un peu - les Allemands, assène-t-il, ont besoin des Français, un peu plus que les Français ont besoin des Allemands.
- "Je crois que nous avons besoin les uns des autres. J'écoutais tout à l'heure S. Veil, parler de cela..."
Très émouvante...
- "...de réconciliation mais pas d'oubli. Il ne faut pas oublier. Mais quand je disais que l'Allemagne a changé, c'est vrai qu'avec la réunification, avec l'arrivée au pouvoir d'une génération qui n'a pas non plus connu la Guerre, le sentiment national allemand s'est renforcé. Je me souviens d'un de mes entretiens avec H. Kohl, ce qui me frappait chez cet homme, c'est que très souvent, parce qu'il y avait le souvenir de la Guerre, dans sa propre famille, il racontait souvent comment elle avait été elle-même impliquée dans les combats, dans les guerres mondiales successives, il y avait cette espèce de souci, parfois, de faire passer l'intérêt européen avant l'intérêt allemand. Je crois que cela changé aujourd'hui. Aujourd'hui, l'Allemagne se ressent comme une nation qui défend ses intérêts. Il faut en tenir compte. D'où la nécessité plus aiguë encore de renforcer les liens entre nos peuples. Parce que la paix - ce mot de "paix", pour nous, Européens, apparaît tout banal, tout acquis, - est une construction, ce n'est pas un acquis."
Il y a l'idée en projet, d'accorder à tous les Français et à tous les Allemands pour les prochaines générations, une double nationalité. Est-ce une bonne perspective ?
- "Je crois que c'est une idée intéressante et un peu dans la perspective qu'on évoquait tout à l'heure : comment passer de la coopération, de la réconciliation, du travail en commun institutionnel - Conseils des ministres, Parlements, etc. - à quelque chose qui unisse vraiment les peuples ? Il y a une télévision commune, Arte, on pourrait espérer que..."
Qui a fêté ses dix ans...
- "...[inaud.] sur nos opinions publiques, mais c'est un peu geste intéressant. Il y a les échanges de jeunes : 7 millions quand même, dans le cadre de l'Office franco-allemand de la jeunesse, l'OFAJ. Et donc l'idée d'une double nationalité ou d'une nationalité commune, est quelque chose qui mérite d'être creusé. Ce n'est pas pour demain mais c'est intéressant."
Ce serait bien que, demain ou après-demain, les jeunes des deux rives du Rhin deviennent des amis héréditaires ?
- "Belle formule."
L'idée franco-allemande d'une double présidence pour l'Union européenne, elle crée en ce moment chez les autres pays des tensions, de la suspicion, en France aussi - PS et l'UDF. Est-ce que c'est parce qu'on ne peut pas, et on ne peut pas et on ne sait pas élire un Président qu'on en propose deux ?
- "Non, tout simplement, parce que c'est l'esprit des institutions communautaires. D'abord, je voudrais insister sur le fait que depuis plusieurs mois, depuis qu'on est sorti du régime pervers de la cohabitation, qui n'avait pas été bon non plus pour la coopération franco-allemande..."
Oui, mais là vous acceptez la cohabitation à l'UMP entre deux Présidents pour l'Europe...
- "Non..."
C'est le seul moment où la cohabitation est acceptée.
- "Non, cela n'a strictement rien à voir justement, parce que là on confond un Etat national, centralisé, comme la France, et ce que nous voulons construire en Europe ; jusqu'à plus ample informé, ce n'est pas la même chose. Je reviens sur les progrès de la coopération franco-allemande : depuis quatre ou cinq mois, à plusieurs reprises, on a bien vu l'initiative franco-allemande débloquer les situations européennes. Exemple : le compromis sur la PAC, qui a permis, à Copenhague, de faire l'élargissement finalement. Le deuxième exemple c'est nos positions communes sur la Turquie, qui ont permis, là aussi, de reporter à plus tard ce dossier ; notre coopération très étroite sur l'Irak, où nos diplomaties travaillent en commun ; et puis la proposition que vous évoquez. Pourquoi cette proposition me paraît-elle exemplaire ? D'abord, parce que c'est un compromis. La France était plutôt favorable au renforcement de la présidence du Conseil européen, et l'Allemagne plutôt favorable au renforcement de la présidence de la Commission. Nous avons fait un pas, chacun l'un vers l'autre. Et j'insiste sur ce fait : c'est dans l'esprit des institutions. On nous parle souvent du "triangle communautaire", les institutions européennes c'est le Parlement, c'est la Commission, c'est le Conseil européen. Et on est tous bien d'accord pour dire qu'on ne va pas bouleverser tout ça ; il faut, au contraire, le renforcer. Et la proposition franco-allemande va exactement dans ce sens. C'est pourquoi je la trouve extrêmement intéressante."
C'est normal, là où vous êtes vous ne pouvez que la trouver bonne...
- "Non, pas toujours. J'ai l'esprit critique aussi."
Mais elle fait débat... Etes-vous favorable à un référendum sur la réforme des institutions ?
- "Forcément. Je ne vois pas comment on pourrait conclure un nouveau traité européen, qui va être une Constitution pour l'Europe..."
Oh ! lala ! Il faudra convaincre et s'engager !
- "Oui, mais on est là pour ça. Je pense que les forces politiques françaises devront s'investir ardemment dans ce grand combat."
Vous avez parlé de l'Irak. Selon BVA pour Paris-Match, une large majorité de Français est avec J. Chirac et contre la guerre. Vous, évidemment, vous êtes toujours avec J. Chirac, parce que vous êtes contre la guerre et pour une France neutre pour ce qui concerne l'Irak ?
- "Permettez-moi de vous faire remarquer, parce que c'est la deuxième fois que vous me dites cela, ce matin, c'est que si je suis avec J. Chirac, ce n'est pas parce que je le suis les yeux fermés, c'est parce que je pense qu'il a raison. Je voulais le préciser simplement."
Premièrement, peut-être ça, et deuxièmement, parce que vous êtes un fidèle. Mais ce n'est pas un reproche la fidélité ou la loyauté.
- "La fidélité c'est très bien, mais je soutiens J. Chirac parce que je trouve qu'il a raison et non pas parce que c'est J. Chirac."
Donc, vous êtes contre la guerre ?
- "Et donc, je pense que, dans cette affaire irakienne, il a magnifiquement conduit la diplomatie française. D'abord, en remettant le débat au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, et ensuite, aujourd'hui, en disant très clairement, que la France ne saurait s'engager dans une intervention militaire si le Conseil de sécurité ne se prononçait pas. Et je vois que cette position recueille un très large accord. D'abord, chez nos partenaires européens..."
Pas aux Etats-Unis, parce que le climat entre nous est glacial.
- "Il n'y a pas que les Etats-Unis à la surface de la terre."
Cela veut dire qu'on peut accepter d'avoir des relations très tendues avec l'Amérique, à propos de l'Irak ?
- "Il ne faut pas faire de suivisme, il faut défendre sa vision des choses, du monde. Et notre vision du monde, c'est qu'aucune puissance, fut-elle les Etats-Unis, n'a vocation à aller rétablir les choses par la force, si la légalité internationale n'est pas respectée. Je voudrais insister sur le fait que, à la lectures des rapports actuels ou des déclarations actuelles des inspecteurs, qui sont là-bas sur le terrain, il n'y a, comme l'a dit D. de Villepin, hier, à New York, je crois, aucune raison de déclencher une intervention militaire"."
Est-ce que cela veut dire que la France peut aller, parce qu'on a compris cela aussi des déclarations de D. de Villepin, jusqu'au droit de veto ?
- "La France a, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, ses prérogatives, et c'est à la diplomatie française de se déterminer sur ce point."
Mais là, vous devez le savoir, puisque vous parlez souvent avec de D. de Villepin, votre ancien collaborateur et avec le Président ?
- "Oui, mais c'est lui qui le ministre des Affaires étrangères. Je crois qu'il ne faut pas se substituer, ni au président de la République, ni au chef de la diplomatie française."
La vie aime les coïncidences : en pleines festivités franco-allemandes, la Commission de Bruxelles, les ministres des Finances des Quinze, sont fâchés contre l'Allemagne, à cause des déficits, et contre la France. Est-ce l'Europe qui doit dicter ses choix économiques, stratégiques à la France ?
- "Ce n'est pas l'Europe qui dicte ses choix, c'est nous qui nous sommes engagés à respecter un certain nombre de règles."
Mais là, on ne les respecte pas tout à fait ?
- "Oui, c'est vrai. Donc, il faut revenir au respect de ces règles. D'ailleurs, c'est très exactement ce que F. Mer a dit."
Mais il a dit 2007 pas 2006.
- "Compte tenu des perspectives de croissance qui sont devant nous, il a raison. Je crois, là aussi, qu'il faut cesser de dire : c'est l'Europe qui nous impose telle ou telle chose. C'est nous qui nous sommes obligés à respecter, je le répète, un certain nombre d'obligations. Et voilà un domaine dans lequel je souhaiterais que la France et l'Allemagne travaillent davantage, main dans la main, parce que l'Allemagne est aussi dans le collimateur. Et je pense que, nous serions bien inspirés de définir une politique de l'emploi franco-allemande pour porter remède à des difficultés qui nous sont communes finalement."
Je reviens en France : samedi, vous avez passé pratiquement toute la journée avec les pompiers sur les plages de l'Atlantique, dans les boulettes de fioul ; personne n'en a parlé. Et dès que vous avez haussé à peine le ton sur l'UDF, la terre a tremblé. A quoi cela tient ?
- "N'exagérons rien, la terre n'a pas vraiment tremblé". Je ne sais pas, je n'ai pas d'explication sur ce phénomène. Il m'arrive de faire des déclarations très prudentes, très modérées, comme celles que vous évoquez, sur les relations entre l'UDF et l'UMP. Elles prennent tout de suite une résonance extraordinaire, je ne sais pas pourquoi."
Mais rassurez un certain nombre de gens, dont F. Bayrou : voulez-vous créer avec l'UMP un parti qui mange tout, qui dévore tout, et qui devienne une sorte de parti unique ?
- "Il n'y a des partis uniques que dans les pays totalitaires. On n'est pas en Corée du Nord en France ! Ce que nous voulons créer, c'est un parti majoritaire parce que la désunion nous a coûté très cher par le passé. Depuis 20 ans..."
Mais laissez-les vivre !
- "Mais bien sûr, je n'ai aucune espèce d'objection mais qu'on nous laisse vivre, nous aussi, qu'on nous laisse aussi essayer de faire en sorte que la France, comme l'Allemagne, comme l'Espagne, comme la Grande-Bretagne ait une grande force politique de la droite et du centre, majoritaire. Comme nos électrices et nos électeurs le souhaitent. Je crois que l'union est porteuse de réussite et la division de l'échec."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 janvier 2003)