Texte intégral
Monsieur le Premier Ministre,
Voter la censure c'est vouloir renverser le gouvernement et se ranger dans l'opposition. Telle n'est pas notre intention.
C'est depuis les rangs de la majorité que nous avons des choses à dire au gouvernement. Ce que nous avons à vous dire, nous vous le disons non pas au nom de ceux qui sont contre le gouvernement et sa majorité, mais au nom de millions de Français qui ont voulu vous faire confiance, qui ont voté pour cette majorité et qui sont aujourd'hui inquiets et amers de l'attitude du gouvernement et de ses choix.
La contestation la plus lourde, ce n'est jamais celle de l'opposition, la contestation la plus significative, elle vient de ceux qui vous ont fait confiance et qui voient les promesses oubliées et le retour des attitudes que l'on croyait d'un autre temps.
Au nom de ces millions de Français qui vous ont fait crédit, qui vous ont fait confiance, comme à votre gouvernement et au Président de la République, au nom de ces millions de Français, je vous dis : vous n'avez pas été élu pour cela !
Si 82,5% de Français, venant de tous les bords, de droite, du centre et de gauche, ont voté pour Jacques Chirac le 5 mai, s'ils vous ont donné une si large majorité en juin, telle que votre parti a plus de pouvoirs qu'aucun autre parti n'en a jamais eu sous la République, ce n'était pas pour amoindrir la démocratie, c'était pour la renforcer.
Vous n'avez pas été élu pour mettre en place l'Etat UMP, vous avez été élu pour mettre en place l'Etat impartial. Vous n'avez pas été élu pour faire de la République l'instrument d'un parti, vous avez été élu pour mettre la République au-dessus des partis. Vous n'avez pas été élu pour bricoler les modes de scrutins, vous avez été élu pour que la démocratie soit honnête et le citoyen écouté. Vous n'avez pas été élu pour vous livrer à des manipulations dignes de la IVème République, vous avez été élu pour faire les réformes qui permettraient de restaurer la France. Et vous n'avez pas été élu pour nous imposer de nous occuper de ces manipulations d'arrière-boutique pendant qu'à la surface du monde se joue l'essentiel.
Voyez-vous Monsieur le Premier Ministre : il y a des millions de Français qui vous ont cru lorsque vous leur avez dit que vous alliez vous occuper de la France d'en bas. Et ils n'avaient pas imaginé que la France d'en bas, c'était les basses manoeuvres d'un état-major politique.
Au bout de tout cela, il y a dans l'esprit des Français un immense gâchis, un sentiment nauséeux de désarroi à voir se remettre en route la vieille machine politique, la vieille machine politicienne qui considère que le pouvoir, au lieu d'être un service, n'est rien d'autre qu'un bien à posséder pour soi-même et pour ses amis.
Et voyez-vous, Monsieur le Premier Ministre, cela je ne vous le dis pas d'un autre camp, je vous le dis du vôtre.
Ce sont les libéraux français, ce sont les démocrates-chrétiens français, ce sont les radicaux français, cette grande famille qui a fait du pluralisme le bien premier des démocraties. Et chacun d'entre eux l'a dit à sa manière dans vos rangs ces derniers jours : Edouard Balladur vous l'a dit. Alain Madelin vous l'a dit. Raymond Barre l'a dit. Si les libéraux en viennent à combattre le pluralisme, alors ils se renient eux-mêmes. C'est par fidélité à vous-même que vous auriez dû opposer un " non " aux pressions qui s'exerçaient sur vous.
Et le plus triste dans tout cela, c'est que jusqu'à mardi de la semaine précédente, jusqu'au mardi 28 janvier, grâce au travail que nous avions conduit ensemble, grâce aux consultations du Ministre de l'Intérieur, il y avait sur ce texte un accord général. Jusqu'à ce mardi, le Gouvernement avait écrit un texte qui, pour les élections régionales, recueillait l'accord de toutes les formations politiques sans exception.
Mais ce texte était trop équitable, trop équilibré pour plaire à ceux qui considèrent que désormais il n'y a plus de raisons de se gêner.
Alors ils ont prononcé un oukase, ils vous ont mis au pied du mur et vous avez plié. Renonçant ce qui est sans précédent au texte que le gouvernement avait lui-même écrit et lui même transmis au Conseil d'Etat, y renonçant d'une minute à l'autre, et au lieu d'en faire un texte d'expression de la démocratie, vous avez choisi, sous influence, d'en faire un texte de verrouillage de la démocratie.
Pour moi, ce choix est politiquement un aveu de faiblesse. Car on ne manipule pas les lois électorales si l'on est sûr de soi !
Et selon moi ce texte anti-démocratique est aussi inconstitutionnel, et je voudrais montrer pourquoi.
Il y a deux sortes de modes de scrutins. Les scrutins majoritaires, uninominaux pour la plupart et les scrutins de listes qui ont vocation à être proportionnels.
Le scrutin majoritaire a un avantage, il permet de gouverner ; il a un inconvénient, il ne représente pas la diversité des opinions.
Le scrutin proportionnel a un avantage, il est fidèle au citoyen, il représente sa conviction à proportion de son influence ; il a un inconvénient, il ne permet pas les majorités franches.
Voilà pourquoi, depuis des décennies, depuis 1982 exactement, on s'est évertué en France de conjuguer les avantages des deux systèmes en bâtissant des modes de scrutins qui garantissent une majorité claire à la liste arrivée en tête, fût-ce de peu, et en même temps permettent une représentation dans la minorité des listes devancées.
C'est à l'élection municipale que cet équilibre a été trouvé dans la loi de 1982 et cet équilibre n'est plus désormais remis en cause par personne.
C'est ce mécanisme qui avait été retenu pour la nouvelle loi sur les élections régionales.
Et nous l'avons chaudement approuvé. Nous avons approuvé, comme les autres représentants de formations politiques le texte présenté alors par le Gouvernement.
Et puis le Gouvernement a changé sous la pression. Et au lieu d'écrire 10% des votants, il a écrit 10% des inscrits et, bien entendu, cela change tout. Ce qui était défense du pluralisme devient atteinte au pluralisme.
Et cela n'est pas constitutionnel. Pour quatre raisons au moins.
D'abord parce que ce ne sont plus les électeurs qui décideront, ce sont les abstentionnistes. Plus le taux de participation sera bas et plus le mécanisme mis en place produira son effet, plus il y aura d'abstentionnistes, plus il y aura d'éliminés, même avec un score conséquent. Par exemple, la participation aux élections régionales étant de l'ordre de 50%, un score de 19,8% au premier tour, le score même atteint par Jacques Chirac au premier tour de l'élection présidentielle, ne permettra pas de qualifier pour le deuxième tour la liste qui aura réalisé cette performance si elle n'est pas dans les deux premières. Rendre les abstentionnistes arbitres du scrutin à la place des électeurs, c'est manquer à l'esprit de notre démocratie et d'ailleurs de toutes les démocraties.
Ensuite, ce scrutin est illogique. Il est illogique et contradictoire de proposer dans le même scrutin une prime majoritaire qui garantit une majorité claire et un seuil disproportionné de présence au deuxième tour. Si la prime garantit la majorité à la liste arrivée en tête, comment justifier que l'on écarte de la représentation par des seuils inaccessibles la représentation des autres sensibilités ?
Troisième moyen d'anti-constitutionnalité : la préservation du pluralisme. Le Conseil Constitutionnel a déjà jugé en 1990 qu'on n'avait pas le droit de fixer des seuils trop hauts pour le remboursement des dépenses électorales. Il a jugé que cela portait atteinte à la liberté de présentation des listes. Il a jugé, je cite le jugement du Conseil Constitutionnel " que des seuils trop hauts sont de nature à entraver l'expression de nouveaux courants d'idées et d'opinions ". À combien plus forte raison si ces seuils inaccessibles sont fixés pour la représentation dans la minorité d'une assemblée élue à la proportionnelle.
Et il y a un quatrième moyen d'anti-constitutionnalité le plus grave de tous car il révèle sur la démocratie française des arrière-pensées qui ne sont pas saines : votre texte porte atteinte à l'égalité des citoyens devant le suffrage. Car il se ferait si votre texte était appliqué qu'une liste ayant obtenu 19,5 % ne pourra pas se présenter au deuxième tour et avoir des représentants alors qu'une liste ayant obtenu 5,1% sera présente et obtiendra des élus. Et quel est le critère qui permettra d'avoir des élus ou de n'en avoir point, de représenter un courant ou de l'écarter ? Il n'y a qu'un seul critère, c'est le bon vouloir des listes arrivées en tête. À qui peut se fondre avec les courants dominants, sa part des sièges ! À qui ne le peut pas ou ne le veut pas, aucun siège. Et selon que vous appartenez à l'un des courants ou à l'autre, au courant compatible ou au courant incompatible, vous serez représenté ou vous ne le serez pas. Et ceci n'est pas la démocratie et n'est pas la République !
Car vous n'êtes pas citoyen, c'est-à-dire digne d'être représenté ou de ne l'être point, selon que vous êtes compatible ou incompatible avec l'idée que le gouvernement se fait des bons partis, et des autres ! Vous êtes citoyen et votre droit à être entendu et à être représenté doit être égal au droit de chacun des autres citoyens français. Il n'y a pas, Monsieur le Premier ministre, des citoyens d'en bas qui ne seraient pas dignes d'être représentés, simplement parce qu'il veulent demeurer indépendants, et des citoyens d'en haut, qui seraient représentés, même s'ils ont eu moins de voix, parce qu'ils sont compatibles avec les partis arrivés en tête !
Oh j'entends bien les ricanements satisfaits de ceux dans vos rangs qui, se frottant les mains, croient ainsi avoir fait une bonne affaire, obligeant, croient-ils, à rentrer dans le rang ceux qui défendraient trop jalousement leurs idées et leur identité ! Se frotter les mains en matière de loi électorale, c'est toujours mauvais signe.
Je prends date : c'est toujours l'arroseur qui se retrouve arrosé ! C'est toujours le trompeur qui se retrouve trompé. Le peuple, lui, est rétif ! Il ne se laisse pas manipuler !
Je prends date : le mécanisme pervers qui est ainsi mis en place et dont on sait bien contre qui il est conçu, ce mécanisme se retournera. Il se retournera contre ceux qui l'ont conçu, et au fond tant pis pour eux. Mais il se retournera contre les citoyens, par exemple les citoyens modérés, le jour prévisible où il profitera aux extrêmes.
Alors j'entends bien vos déclarations officielles expliquant, non pas la vérité de vos choix, mais le prétexte de votre choix. Vous faites dire " ce n'est pas contre l'UDF que nous avons décidé cette manoeuvre, c'est contre le Front national ".
Eh bien traitons cette question-là aussi. Je n'ai jamais manqué au combat contre l'extrémisme. J'y ai été plus souvent qu'à mon tour en première ligne, y compris lorsque des présidents de régions, qui aujourd'hui siègent dans vos rangs, ont voulu une alliance avec l'extrême droite pour conserver leur siège.
Et c'est fort de cet engagement que je dis : je n'aime pas que l'on s'attaque à l'extrémisme par des manoeuvres déloyales. L'arme, pour combattre l'extrémisme, c'est la démocratie. Ce n'est pas par un déni de démocratie qu'on le fera reculer, c'est au contraire par une démocratie exempte de toute manoeuvre. Ce n'est pas en éliminant le Front national de la représentation qu'on le fait disparaître du pays, au contraire.
Je plaide pour le combat à visage découvert, pour l'exemplarité qui doit être celle des démocrates. Le Front national est exclu de cette assemblée comme d'autres courants en sont exclus depuis bientôt quinze ans. Croyez-vous que pour autant il ait régressé dans le pays ? Sa représentation minoritaire aurait évité que le 21 avril apparaisse comme un coup de tonnerre en ciel serein.
Je suis favorable à la représentation de tous les courants qui forment l'opinion publique française dès l'instant qu'ils atteignent un seuil de 5%. Je défends l'idée qu'à l'Assemblée nationale aussi, la proportionnelle est plus juste, pourvu qu'on garantisse la sécurité d'une majorité.
Dans cette défense du pluralisme, il n'y a pas seulement les élections régionales. Il y a aussi les élections européennes. Cela n'en a pas l'air : mais en réalité, ce sont les mêmes causes, la peur du débat, la peur du pluralisme, qui vous font si profondément transformer et dénaturer le scrutin européen.
Dieu sait pourtant que l'on a besoin de débat européen. Mais certains dans vos rangs le redoutent. Ils l'appellent avec superbe et condescendance " la présidentielle du pauvre ". Ils le redoutent comme débat national, et veulent le confiner à un débat régional. J'affirme que le débat européen n'est pas un débat régional, c'est un débat national. J' affirme qu'il n'y a pas de question qui tienne autant à l'âme de la nation et à son devenir que la question européenne. Que la question de la défense de l'Europe, que la question de sa politique étrangère, celle de ses institutions, -par exemple pour écarter l'absurde et funeste idée de deux présidents pour l'Europe ! - , ce ne sont pas des questions régionales, ce sont des questions nationales. Et régionaliser le scrutin, le parcelliser, l'éclater, c'est empêcher que ces questions soient posées et que les Français s'engagent, disent leur sentiment et choisissent des élus qui ressemblent à leurs idées. L'Europe n'est pas une fédération de régions. Elle est une fédération de nations. Et c'est au nom de cette conviction, pour moi ancienne, que j'ai toujours refusé de soutenir ceux de mes amis, ils étaient quelques-uns, qui réclamaient une régionalisation du scrutin.
Votre texte est anticonstitutionnel, votre texte est injuste, votre texte est partisan, votre texte est à courte vue, votre texte est myope. Vous ne vous êtes pas comporté comme doit se comporter en ces jours inquiétants et sombres le Gouvernement de la France, soucieux de rassembler, comme il devrait le faire, au lieu de diviser, soucieux de comprendre au lieu de mépriser.
Monsieur le Premier Ministre, quelque chose a changé en ces jours de février, quelque chose est blessé dans la confiance que les Français vous avaient manifestée.
Voyez-vous : il n'y a pas que des censures politiques. Il y a aussi des censures morales. Elles ne sont pas affaire de députés. Elles sont affaire de citoyens. C'est celle-là, qu'en ayant choisi une attitude partisane, vous encourez aujourd'hui.
Vous auriez tort de croire, comme on vous l'a dit complaisamment, que cette affaire s'arrête aujourd'hui par l'artifice que vous avez utilisé. Le combat pour le pluralisme mobilisera de plus en plus de citoyens. Il connaîtra un nouvel épisode au Sénat, à moins que vous n'ayez la sagesse de retirer un texte si mal inspiré. Il sera ensuite soumis au Conseil Constitutionnel. Et enfin il ira, en dernière instance, en dernier ressort, devant les citoyens français. Et ce jour-là, il n'y aura pas de 49-3 pour arrêter le débat.
(Source http://www.udf.org, le 17 février 2003)
Voter la censure c'est vouloir renverser le gouvernement et se ranger dans l'opposition. Telle n'est pas notre intention.
C'est depuis les rangs de la majorité que nous avons des choses à dire au gouvernement. Ce que nous avons à vous dire, nous vous le disons non pas au nom de ceux qui sont contre le gouvernement et sa majorité, mais au nom de millions de Français qui ont voulu vous faire confiance, qui ont voté pour cette majorité et qui sont aujourd'hui inquiets et amers de l'attitude du gouvernement et de ses choix.
La contestation la plus lourde, ce n'est jamais celle de l'opposition, la contestation la plus significative, elle vient de ceux qui vous ont fait confiance et qui voient les promesses oubliées et le retour des attitudes que l'on croyait d'un autre temps.
Au nom de ces millions de Français qui vous ont fait crédit, qui vous ont fait confiance, comme à votre gouvernement et au Président de la République, au nom de ces millions de Français, je vous dis : vous n'avez pas été élu pour cela !
Si 82,5% de Français, venant de tous les bords, de droite, du centre et de gauche, ont voté pour Jacques Chirac le 5 mai, s'ils vous ont donné une si large majorité en juin, telle que votre parti a plus de pouvoirs qu'aucun autre parti n'en a jamais eu sous la République, ce n'était pas pour amoindrir la démocratie, c'était pour la renforcer.
Vous n'avez pas été élu pour mettre en place l'Etat UMP, vous avez été élu pour mettre en place l'Etat impartial. Vous n'avez pas été élu pour faire de la République l'instrument d'un parti, vous avez été élu pour mettre la République au-dessus des partis. Vous n'avez pas été élu pour bricoler les modes de scrutins, vous avez été élu pour que la démocratie soit honnête et le citoyen écouté. Vous n'avez pas été élu pour vous livrer à des manipulations dignes de la IVème République, vous avez été élu pour faire les réformes qui permettraient de restaurer la France. Et vous n'avez pas été élu pour nous imposer de nous occuper de ces manipulations d'arrière-boutique pendant qu'à la surface du monde se joue l'essentiel.
Voyez-vous Monsieur le Premier Ministre : il y a des millions de Français qui vous ont cru lorsque vous leur avez dit que vous alliez vous occuper de la France d'en bas. Et ils n'avaient pas imaginé que la France d'en bas, c'était les basses manoeuvres d'un état-major politique.
Au bout de tout cela, il y a dans l'esprit des Français un immense gâchis, un sentiment nauséeux de désarroi à voir se remettre en route la vieille machine politique, la vieille machine politicienne qui considère que le pouvoir, au lieu d'être un service, n'est rien d'autre qu'un bien à posséder pour soi-même et pour ses amis.
Et voyez-vous, Monsieur le Premier Ministre, cela je ne vous le dis pas d'un autre camp, je vous le dis du vôtre.
Ce sont les libéraux français, ce sont les démocrates-chrétiens français, ce sont les radicaux français, cette grande famille qui a fait du pluralisme le bien premier des démocraties. Et chacun d'entre eux l'a dit à sa manière dans vos rangs ces derniers jours : Edouard Balladur vous l'a dit. Alain Madelin vous l'a dit. Raymond Barre l'a dit. Si les libéraux en viennent à combattre le pluralisme, alors ils se renient eux-mêmes. C'est par fidélité à vous-même que vous auriez dû opposer un " non " aux pressions qui s'exerçaient sur vous.
Et le plus triste dans tout cela, c'est que jusqu'à mardi de la semaine précédente, jusqu'au mardi 28 janvier, grâce au travail que nous avions conduit ensemble, grâce aux consultations du Ministre de l'Intérieur, il y avait sur ce texte un accord général. Jusqu'à ce mardi, le Gouvernement avait écrit un texte qui, pour les élections régionales, recueillait l'accord de toutes les formations politiques sans exception.
Mais ce texte était trop équitable, trop équilibré pour plaire à ceux qui considèrent que désormais il n'y a plus de raisons de se gêner.
Alors ils ont prononcé un oukase, ils vous ont mis au pied du mur et vous avez plié. Renonçant ce qui est sans précédent au texte que le gouvernement avait lui-même écrit et lui même transmis au Conseil d'Etat, y renonçant d'une minute à l'autre, et au lieu d'en faire un texte d'expression de la démocratie, vous avez choisi, sous influence, d'en faire un texte de verrouillage de la démocratie.
Pour moi, ce choix est politiquement un aveu de faiblesse. Car on ne manipule pas les lois électorales si l'on est sûr de soi !
Et selon moi ce texte anti-démocratique est aussi inconstitutionnel, et je voudrais montrer pourquoi.
Il y a deux sortes de modes de scrutins. Les scrutins majoritaires, uninominaux pour la plupart et les scrutins de listes qui ont vocation à être proportionnels.
Le scrutin majoritaire a un avantage, il permet de gouverner ; il a un inconvénient, il ne représente pas la diversité des opinions.
Le scrutin proportionnel a un avantage, il est fidèle au citoyen, il représente sa conviction à proportion de son influence ; il a un inconvénient, il ne permet pas les majorités franches.
Voilà pourquoi, depuis des décennies, depuis 1982 exactement, on s'est évertué en France de conjuguer les avantages des deux systèmes en bâtissant des modes de scrutins qui garantissent une majorité claire à la liste arrivée en tête, fût-ce de peu, et en même temps permettent une représentation dans la minorité des listes devancées.
C'est à l'élection municipale que cet équilibre a été trouvé dans la loi de 1982 et cet équilibre n'est plus désormais remis en cause par personne.
C'est ce mécanisme qui avait été retenu pour la nouvelle loi sur les élections régionales.
Et nous l'avons chaudement approuvé. Nous avons approuvé, comme les autres représentants de formations politiques le texte présenté alors par le Gouvernement.
Et puis le Gouvernement a changé sous la pression. Et au lieu d'écrire 10% des votants, il a écrit 10% des inscrits et, bien entendu, cela change tout. Ce qui était défense du pluralisme devient atteinte au pluralisme.
Et cela n'est pas constitutionnel. Pour quatre raisons au moins.
D'abord parce que ce ne sont plus les électeurs qui décideront, ce sont les abstentionnistes. Plus le taux de participation sera bas et plus le mécanisme mis en place produira son effet, plus il y aura d'abstentionnistes, plus il y aura d'éliminés, même avec un score conséquent. Par exemple, la participation aux élections régionales étant de l'ordre de 50%, un score de 19,8% au premier tour, le score même atteint par Jacques Chirac au premier tour de l'élection présidentielle, ne permettra pas de qualifier pour le deuxième tour la liste qui aura réalisé cette performance si elle n'est pas dans les deux premières. Rendre les abstentionnistes arbitres du scrutin à la place des électeurs, c'est manquer à l'esprit de notre démocratie et d'ailleurs de toutes les démocraties.
Ensuite, ce scrutin est illogique. Il est illogique et contradictoire de proposer dans le même scrutin une prime majoritaire qui garantit une majorité claire et un seuil disproportionné de présence au deuxième tour. Si la prime garantit la majorité à la liste arrivée en tête, comment justifier que l'on écarte de la représentation par des seuils inaccessibles la représentation des autres sensibilités ?
Troisième moyen d'anti-constitutionnalité : la préservation du pluralisme. Le Conseil Constitutionnel a déjà jugé en 1990 qu'on n'avait pas le droit de fixer des seuils trop hauts pour le remboursement des dépenses électorales. Il a jugé que cela portait atteinte à la liberté de présentation des listes. Il a jugé, je cite le jugement du Conseil Constitutionnel " que des seuils trop hauts sont de nature à entraver l'expression de nouveaux courants d'idées et d'opinions ". À combien plus forte raison si ces seuils inaccessibles sont fixés pour la représentation dans la minorité d'une assemblée élue à la proportionnelle.
Et il y a un quatrième moyen d'anti-constitutionnalité le plus grave de tous car il révèle sur la démocratie française des arrière-pensées qui ne sont pas saines : votre texte porte atteinte à l'égalité des citoyens devant le suffrage. Car il se ferait si votre texte était appliqué qu'une liste ayant obtenu 19,5 % ne pourra pas se présenter au deuxième tour et avoir des représentants alors qu'une liste ayant obtenu 5,1% sera présente et obtiendra des élus. Et quel est le critère qui permettra d'avoir des élus ou de n'en avoir point, de représenter un courant ou de l'écarter ? Il n'y a qu'un seul critère, c'est le bon vouloir des listes arrivées en tête. À qui peut se fondre avec les courants dominants, sa part des sièges ! À qui ne le peut pas ou ne le veut pas, aucun siège. Et selon que vous appartenez à l'un des courants ou à l'autre, au courant compatible ou au courant incompatible, vous serez représenté ou vous ne le serez pas. Et ceci n'est pas la démocratie et n'est pas la République !
Car vous n'êtes pas citoyen, c'est-à-dire digne d'être représenté ou de ne l'être point, selon que vous êtes compatible ou incompatible avec l'idée que le gouvernement se fait des bons partis, et des autres ! Vous êtes citoyen et votre droit à être entendu et à être représenté doit être égal au droit de chacun des autres citoyens français. Il n'y a pas, Monsieur le Premier ministre, des citoyens d'en bas qui ne seraient pas dignes d'être représentés, simplement parce qu'il veulent demeurer indépendants, et des citoyens d'en haut, qui seraient représentés, même s'ils ont eu moins de voix, parce qu'ils sont compatibles avec les partis arrivés en tête !
Oh j'entends bien les ricanements satisfaits de ceux dans vos rangs qui, se frottant les mains, croient ainsi avoir fait une bonne affaire, obligeant, croient-ils, à rentrer dans le rang ceux qui défendraient trop jalousement leurs idées et leur identité ! Se frotter les mains en matière de loi électorale, c'est toujours mauvais signe.
Je prends date : c'est toujours l'arroseur qui se retrouve arrosé ! C'est toujours le trompeur qui se retrouve trompé. Le peuple, lui, est rétif ! Il ne se laisse pas manipuler !
Je prends date : le mécanisme pervers qui est ainsi mis en place et dont on sait bien contre qui il est conçu, ce mécanisme se retournera. Il se retournera contre ceux qui l'ont conçu, et au fond tant pis pour eux. Mais il se retournera contre les citoyens, par exemple les citoyens modérés, le jour prévisible où il profitera aux extrêmes.
Alors j'entends bien vos déclarations officielles expliquant, non pas la vérité de vos choix, mais le prétexte de votre choix. Vous faites dire " ce n'est pas contre l'UDF que nous avons décidé cette manoeuvre, c'est contre le Front national ".
Eh bien traitons cette question-là aussi. Je n'ai jamais manqué au combat contre l'extrémisme. J'y ai été plus souvent qu'à mon tour en première ligne, y compris lorsque des présidents de régions, qui aujourd'hui siègent dans vos rangs, ont voulu une alliance avec l'extrême droite pour conserver leur siège.
Et c'est fort de cet engagement que je dis : je n'aime pas que l'on s'attaque à l'extrémisme par des manoeuvres déloyales. L'arme, pour combattre l'extrémisme, c'est la démocratie. Ce n'est pas par un déni de démocratie qu'on le fera reculer, c'est au contraire par une démocratie exempte de toute manoeuvre. Ce n'est pas en éliminant le Front national de la représentation qu'on le fait disparaître du pays, au contraire.
Je plaide pour le combat à visage découvert, pour l'exemplarité qui doit être celle des démocrates. Le Front national est exclu de cette assemblée comme d'autres courants en sont exclus depuis bientôt quinze ans. Croyez-vous que pour autant il ait régressé dans le pays ? Sa représentation minoritaire aurait évité que le 21 avril apparaisse comme un coup de tonnerre en ciel serein.
Je suis favorable à la représentation de tous les courants qui forment l'opinion publique française dès l'instant qu'ils atteignent un seuil de 5%. Je défends l'idée qu'à l'Assemblée nationale aussi, la proportionnelle est plus juste, pourvu qu'on garantisse la sécurité d'une majorité.
Dans cette défense du pluralisme, il n'y a pas seulement les élections régionales. Il y a aussi les élections européennes. Cela n'en a pas l'air : mais en réalité, ce sont les mêmes causes, la peur du débat, la peur du pluralisme, qui vous font si profondément transformer et dénaturer le scrutin européen.
Dieu sait pourtant que l'on a besoin de débat européen. Mais certains dans vos rangs le redoutent. Ils l'appellent avec superbe et condescendance " la présidentielle du pauvre ". Ils le redoutent comme débat national, et veulent le confiner à un débat régional. J'affirme que le débat européen n'est pas un débat régional, c'est un débat national. J' affirme qu'il n'y a pas de question qui tienne autant à l'âme de la nation et à son devenir que la question européenne. Que la question de la défense de l'Europe, que la question de sa politique étrangère, celle de ses institutions, -par exemple pour écarter l'absurde et funeste idée de deux présidents pour l'Europe ! - , ce ne sont pas des questions régionales, ce sont des questions nationales. Et régionaliser le scrutin, le parcelliser, l'éclater, c'est empêcher que ces questions soient posées et que les Français s'engagent, disent leur sentiment et choisissent des élus qui ressemblent à leurs idées. L'Europe n'est pas une fédération de régions. Elle est une fédération de nations. Et c'est au nom de cette conviction, pour moi ancienne, que j'ai toujours refusé de soutenir ceux de mes amis, ils étaient quelques-uns, qui réclamaient une régionalisation du scrutin.
Votre texte est anticonstitutionnel, votre texte est injuste, votre texte est partisan, votre texte est à courte vue, votre texte est myope. Vous ne vous êtes pas comporté comme doit se comporter en ces jours inquiétants et sombres le Gouvernement de la France, soucieux de rassembler, comme il devrait le faire, au lieu de diviser, soucieux de comprendre au lieu de mépriser.
Monsieur le Premier Ministre, quelque chose a changé en ces jours de février, quelque chose est blessé dans la confiance que les Français vous avaient manifestée.
Voyez-vous : il n'y a pas que des censures politiques. Il y a aussi des censures morales. Elles ne sont pas affaire de députés. Elles sont affaire de citoyens. C'est celle-là, qu'en ayant choisi une attitude partisane, vous encourez aujourd'hui.
Vous auriez tort de croire, comme on vous l'a dit complaisamment, que cette affaire s'arrête aujourd'hui par l'artifice que vous avez utilisé. Le combat pour le pluralisme mobilisera de plus en plus de citoyens. Il connaîtra un nouvel épisode au Sénat, à moins que vous n'ayez la sagesse de retirer un texte si mal inspiré. Il sera ensuite soumis au Conseil Constitutionnel. Et enfin il ira, en dernière instance, en dernier ressort, devant les citoyens français. Et ce jour-là, il n'y aura pas de 49-3 pour arrêter le débat.
(Source http://www.udf.org, le 17 février 2003)