Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite, tout d'abord, remercier vivement le président Laurent Fabius, ainsi qu'Alain Barrau, d'avoir pris l'initiative d'organiser cette journée de débats, entièrement consacrée aux prochaines négociations commerciales multilatérales qui s'ouvriront à Seattle dans trois semaines exactement.
Entre temps, le 26 octobre dernier, nous avons pu avoir un débat à l'Assemblée nationale, conformément au voeu de très nombreux parlementaires. Ce débat, auquel j'ai représenté le gouvernement au côté de François Huwart, a été d'une très grande qualité et a permis de manifester que la représentation nationale partageait très largement les préoccupations exprimées par le gouvernement sur les perspectives du prochain cycle de négociations à l'OMC.
Pour autant, je suis heureux de revenir à nouveau devant vous sur ces très importantes questions.
D'abord, parce que le gouvernement souhaite encourager le débat public sur ces questions, avant Seattle, pendant Seattle et, bien sûr, au-delà de la Conférence de Seattle.
D'autre part, parce que nous voyons mieux aujourd'hui qu'il y a une quinzaine de jours, tout le bénéfice que nous pouvons tirer de l'adoption d'un mandat politique par le Conseil, le 22 octobre dernier, notamment afin que l'Europe se pose réellement comme puissance politique dans les travaux du nouveau cycle.
Enfin, parce que les travaux préparatoires à Genève semblent être entrés dans une phase de décantation, certes encore largement tactique, et qui ne trouvera éventuellement son aboutissement qu'à Seattle même.
*
* *
I - L'Union européenne aborde donc le cycle du Millénaire de manière plus unie que ce n'était le cas pour le précédent cycle :
Nous avons souhaité que le Conseil adopte un mandat politique avant de se rendre à la Conférence de Seattle. Ce n'était pas une obligation juridique au sens du traité, mais nous avons estimé qu'un texte politique des Quinze sur notre approche du cycle renforcerait la position de l'Union dans la préparation de la Conférence de Seattle.
C'est une innovation par rapport au passé, dont il faut se féliciter. Un texte politique suffisamment dense doit permettre à l'Union de s'exprimer à Seattle d'une seule voix.
Le projet de mandat politique discuté au Conseil "Affaires générales" du 11 octobre est très satisfaisant pour l'essentiel:
- Tout d'abord, le texte consacre notre vision du prochain cycle de négociations, qui doit être :
* un cycle global, ce qui veut dire que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des thèmes de négociation. C'est l'idée, fondamentale pour nous, d'un engagement unique.
* un cycle large, qui aille bien au-delà de "l'agenda intégré" de Marrakech, qui prévoit la réouverture obligatoire à partir de 2000 des discussions sur l'agriculture et les services. L'Union européenne souhaite y ajouter de "nouveaux sujets", emblématiques des nouvelles régulations indispensables à la maîtrise de la mondialisation : règles en matière d'investissements internationaux, protection internationale de la propriété industrielle, droit de la concurrence, marchés publics, normes environnementales, normes sociales.
- S'agissant de nos intérêts les plus importants, une grande convergence s'est manifestée spontanément, entre partenaires européens, sur la plupart des sujets:
Dans le domaine agricole, le texte du Conseil comporte de multiples références au "modèle européen d'agriculture" fondé sur la "multifonctionnalité". Il comporte également une référence au principe de précaution. Par ailleurs, il précise la stratégie de négociation de l'Union, qui s'appuiera sur les décisions de réforme de la PAC prises lors du Conseil européen de Berlin en mars dernier.
Dans le domaine des services, le texte appelle à une ouverture croissante des échanges. Nous souhaitons naturellement promouvoir les avantages comparatifs de l'Europe dans le domaine des télécommunications, des services financiers, ou des services environnementaux, dans le domaine du traitement des eaux et des déchets, par exemple.
- Un consensus a pu être atteint, après un intense travail de conviction mené auprès de nos partenaires européens, sur la question essentielle des identités culturelles et sur celle des normes sociales fondamentales.
Je ne reviens pas sur le premier sujet, puisque vous avez pu entendre Catherine Trautmann ce matin.
Quant aux normes sociales fondamentales, reconnaissons que le débat au sein des Quinze était d'ordre sémantique bien plus que de substance. Nous avons contribué à ce qu'un consensus se forme au sein du Conseil pour demander la mise en place d'un forum permanent de travail conjoint OIT/OMC, avec le souci d'assurer une certaine permanence à cette structure nouvelle et sa connexion directe avec les travaux du cycle.
II - Je souhaite maintenant vous apporter quelques éléments d'appréciation sur la préparation, à Genève, de la Conférence ministérielle de Seattle.
- Je veux, tout d'abord, rappeler que l'objet de la Conférence ministérielle de Seattle est bien circonscrit :
Il s'agit d'adopter une déclaration ministérielle qui précise l'agenda du prochain cycle, les règles de négociation, les objectifs et les bénéfices attendus pour l'économie mondiale d'un nouvel approfondissement du libre-échange.
Il s'agit, en quelque sorte, de délimiter le "terrain de jeu" sur lequel vont se déployer ces négociations multilatérales, qui dureront trois ans. C'est de cela et que de cela seulement qu'il s'agit à Seattle même.
En même temps, il est clair que le "terrain de jeu" est en soi un objet de négociation important, car son périmètre conditionne en partie la suite des opérations. On se souvient, par exemple, que la Conférence de Punta del Este, qui a ouvert le cycle d'Uruguay en 1986, avait fortement contribué à orienter le cycle vers les questions agricoles et que l'Union européenne avait ensuite été contrainte d'adopter une posture nettement défensive.
Vigilance donc, mais pas d'appréhension particulière et, moins encore, de tétanie. Ne faisons pas comme si l'Union européenne jouait son devenir économique et social pendant les quatre jours de la Conférence de Seattle. Evitons de dramatiser à outrance une Conférence qui ne fera qu'ouvrir un processus de négociation, qui connaîtra certainement bien des vicissitudes avant de trouver sa conclusion dans quelques années.
- A Genève, les travaux préparatoires ont commencé en vue d'établir un cadre de travail pour l'examen, à Seattle, du projet de déclaration ministérielle.
Un premier projet de déclaration a été mis en circulation, début octobre, largement à l'initiative des Etats-Unis et du groupe de Cairns. Ce projet était très mauvais. Il visait, en effet, à lancer un cycle de libéralisation à tout crin, concentré sur l'agriculture et sur les services, en laissant de côté le besoin de nouvelles régulations. Par la voie de son représentant à Genève, la Commission européenne a immédiatement récusé ce projet en bloc.
Depuis la fin octobre, l'adoption formelle d'un mandat politique de l'Union nous permet d'abandonner cette posture purement défensive de rejet, pour affirmer plus positivement notre conception du prochain cycle de négociations commerciales multilatérales. Nous avons donc élaboré un contre-projet de déclaration, fidèle à nos vues et capable d'entraîner un mouvement d'adhésion chez certains de nos partenaires, dont plusieurs apparaissent d'ores et déjà comme des alliés potentiels de l'Union européenne à Seattle.
Je pense au Japon - pays avec lequel nous avons une quasi-totale identité de vues ainsi que l'a confirmé la récente visite de Dominique Strauss-Kahn -, à la Corée, à la Norvège, à la Suisse, à l'ensemble des PECOS entraînés par la Hongrie, et aussi à plusieurs pays qui apparaissent d'ores et déjà comme des leaders importants du Sud pour ces prochaines négociations: le Mexique, le Chili et, surtout, le Maroc, qui préside le Groupe des 77 et qui a réaffirmé récemment, lors de la visite de Lionel Jospin à Rabat, sa volonté d'ouvrir l'espace de discussion aux nouvelles régulations.
Que dire de la situation à Genève à l'heure où je vous parle, à trois semaines exactement de l'ouverture de la Conférence de Seattle ?
La mise en circulation d'un contre-texte inspiré largement par l'Union européenne, mais accueilli favorablement par de nombreux autres pays - et non des moindres -, ne doit pas être vue comme une volonté de formaliser nos lignes de confrontation avec les positions américaines. Au demeurant, celles-ci sont parfaitement connues.
Nous avons simplement souhaité rééquilibrer l'exercice engagé à Genève, et qui évoluait sur une mauvaise pente, consistant schématiquement à présenter la position américaine comme la seule base de discussion possible. A cet égard, l'adoption définitive d'un mandat politique de l'Union, le 22 octobre, a constitué un tournant, puisqu'elle aura permis de créer deux courants différents à Genève. Nous sommes ainsi dans une posture plus favorable, puisque l'Union apparaît désormais pleinement comme porteuse d'une vision du prochain cycle.
Pouvons-nous, pour autant, esquisser les contours d'un compromis pour la déclaration de Seattle ?
Très sincèrement, je crois que la période désormais très courte qui nous sépare de l'ouverture de la Conférence de Seattle ne le permet pas. Ce sera donc l'objet de la Conférence ministérielle elle-même, qui devra effectivement travailler à l'émergence d'un consensus, et non pas se contenter d'entériner un projet de texte préalablement élaboré à Genève.
C'est la raison pour laquelle, une partie importante de nos énergies doit être consacrée au dialogue avec les Etats-Unis, de manière à mieux identifier les principaux paramètres de la discussion à Seattle.
De ce point de vue, les récents entretiens Prodi/Clinton et Lamy/Barschefsky ont montré que, au-delà du style parfois un peu maladroit, voire brutal, de l'administration américaine dans ces matières, il y a place pour une vraie discussion constructive à Seattle.
Les Etats-Unis souhaitent, comme nous, la création d'un groupe de travail OMC/OIT sur les normes sociales fondamentales. Les Etats-Unis semblent ouverts à amorcer des discussions sur le thème du droit de la concurrence, en tout cas au moins sur la question de la transparence internationale dans l'attribution des marchés publics, ce qui est déjà un premier pas vers nous. Enfin, les Etats-Unis, en matière de tarifs industriels, semblent aujourd'hui plus ouverts à une discussion sur des bandes tarifaires, conforme à l'approche européenne, sans renoncer pour autant à leur initiative portant sur huit secteurs industriels spécifiques.
Il reste évidemment la question centrale de l'intéressement des pays en développement aux discussions de Seattle.
Nous connaissons les revendications essentielles de ces pays, qui visent à l'application des précédents accords, ceux de l'Uruguay round. La plupart des PED souhaitent avoir une discussion de fond à Seattle sur la mise en oeuvre de ces accords, estimant qu'elle pénalise à outrance leur développement. Toutefois, une ligne de fracture, de plus en plus visible, semble traverser le bloc des PED.
Nous avons d'un côté les PED que je qualifierai de "maximalistes", parce qu'ils souhaitent faire de cette discussion un véritable préalable et qu'ils envisagent, sous couvert d'une discussion sur la mise en oeuvre des précédents accords, de rouvrir en fait la négociation de l'Uruguay round. On trouve dans ce groupe les pays asiatiques exportateurs de textiles notamment.
Et nous avons, de l'autre côté, un groupe de PED nombreux, plus modérés, qui ne souhaitent pas prendre en otage l'ensemble du prochain cycle par une réouverture de la négociation précédente.
Les Etats-Unis, comme l'Union européenne, sont hostiles à une réouverture de la négociation de l'Uruguay.
En revanche, il est clair que l'Union européenne doit s'efforcer de marquer plus nettement vis-à-vis des PED sa disponibilité à une discussion de fond sur la mise en oeuvre des précédents accords, car il s'agit probablement d'un élément essentiel pour rallier un nombre plus grand de pays à notre conception d'ensemble du cycle.
*
* *
Peut-on se hasarder à conclure sur un sujet tel que celui-ci ? Sans doute pas. Aussi me contenterai-je de vous suggérer d'élargir votre réflexion au-delà de la préparation immédiate de la Conférence de Seattle.
Par rapport au précédent cycle de l'Uruguay, il me semble que trois éléments de contexte sont de nature à transformer en profondeur la nature du prochain cycle:
- Le premier élément, c'est l'affirmation de l'Europe-puissance, pesant de tout son poids politique, et pas seulement économique, dans des discussions internationales qui ne sont évidement pas seulement commerciales, mais comportent une dimension stratégique majeure. Cette affirmation de l'Europe-puissance vient à point nommé pour porter notre vision d'un nouvel ordre économique mondial, plus juste et plus stable.
- Le deuxième élément, c'est la sensibilité nouvelle de la société civile à l'égard de la mondialisation. Cette sensibilité est relayée fortement par les ONG, le monde associatif, les organisations syndicales. Fait remarquable, cette tendance se dessine dans l'ensemble des pays développés, y compris ceux réputés pour leur libéralisme. Les attentes du consommateur américain, européen ou japonais sont aujourd'hui sans doute plus proches que ne le sont les positions des gouvernements des Etats-Unis, de l'Union européenne et du Japon. Nous devrons en tenir compte car, à l'évidence, les Etats ne seront pas seuls à écrire les nouvelles règles du commerce international.
- Enfin, le troisième élément essentiel, c'est le constat d'un monde en développement à la fois fragmenté et fragilisé. Le prochain cycle doit se donner explicitement pour objectif de réduire les écarts de richesse dans le monde. Dans le passé, l'ouverture des échanges a trop souvent conduit à une forme de marginalisation commerciale du Sud. Il faut rompre avec cette tendance détestable. L'ouverture des échanges doit devenir un facteur facilitant le décollage économique, notamment en autorisant un meilleur partage mondial du progrès technique. Il y a là, à l'évidence, un impératif moral, mais aussi une nécessité pour la stabilité mondiale qui dépend, en maints endroits du globe, d'une meilleure insertion des pays en développement dans l'échange international.
Je vous remercie de votre attention./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 1999)
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite, tout d'abord, remercier vivement le président Laurent Fabius, ainsi qu'Alain Barrau, d'avoir pris l'initiative d'organiser cette journée de débats, entièrement consacrée aux prochaines négociations commerciales multilatérales qui s'ouvriront à Seattle dans trois semaines exactement.
Entre temps, le 26 octobre dernier, nous avons pu avoir un débat à l'Assemblée nationale, conformément au voeu de très nombreux parlementaires. Ce débat, auquel j'ai représenté le gouvernement au côté de François Huwart, a été d'une très grande qualité et a permis de manifester que la représentation nationale partageait très largement les préoccupations exprimées par le gouvernement sur les perspectives du prochain cycle de négociations à l'OMC.
Pour autant, je suis heureux de revenir à nouveau devant vous sur ces très importantes questions.
D'abord, parce que le gouvernement souhaite encourager le débat public sur ces questions, avant Seattle, pendant Seattle et, bien sûr, au-delà de la Conférence de Seattle.
D'autre part, parce que nous voyons mieux aujourd'hui qu'il y a une quinzaine de jours, tout le bénéfice que nous pouvons tirer de l'adoption d'un mandat politique par le Conseil, le 22 octobre dernier, notamment afin que l'Europe se pose réellement comme puissance politique dans les travaux du nouveau cycle.
Enfin, parce que les travaux préparatoires à Genève semblent être entrés dans une phase de décantation, certes encore largement tactique, et qui ne trouvera éventuellement son aboutissement qu'à Seattle même.
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I - L'Union européenne aborde donc le cycle du Millénaire de manière plus unie que ce n'était le cas pour le précédent cycle :
Nous avons souhaité que le Conseil adopte un mandat politique avant de se rendre à la Conférence de Seattle. Ce n'était pas une obligation juridique au sens du traité, mais nous avons estimé qu'un texte politique des Quinze sur notre approche du cycle renforcerait la position de l'Union dans la préparation de la Conférence de Seattle.
C'est une innovation par rapport au passé, dont il faut se féliciter. Un texte politique suffisamment dense doit permettre à l'Union de s'exprimer à Seattle d'une seule voix.
Le projet de mandat politique discuté au Conseil "Affaires générales" du 11 octobre est très satisfaisant pour l'essentiel:
- Tout d'abord, le texte consacre notre vision du prochain cycle de négociations, qui doit être :
* un cycle global, ce qui veut dire que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des thèmes de négociation. C'est l'idée, fondamentale pour nous, d'un engagement unique.
* un cycle large, qui aille bien au-delà de "l'agenda intégré" de Marrakech, qui prévoit la réouverture obligatoire à partir de 2000 des discussions sur l'agriculture et les services. L'Union européenne souhaite y ajouter de "nouveaux sujets", emblématiques des nouvelles régulations indispensables à la maîtrise de la mondialisation : règles en matière d'investissements internationaux, protection internationale de la propriété industrielle, droit de la concurrence, marchés publics, normes environnementales, normes sociales.
- S'agissant de nos intérêts les plus importants, une grande convergence s'est manifestée spontanément, entre partenaires européens, sur la plupart des sujets:
Dans le domaine agricole, le texte du Conseil comporte de multiples références au "modèle européen d'agriculture" fondé sur la "multifonctionnalité". Il comporte également une référence au principe de précaution. Par ailleurs, il précise la stratégie de négociation de l'Union, qui s'appuiera sur les décisions de réforme de la PAC prises lors du Conseil européen de Berlin en mars dernier.
Dans le domaine des services, le texte appelle à une ouverture croissante des échanges. Nous souhaitons naturellement promouvoir les avantages comparatifs de l'Europe dans le domaine des télécommunications, des services financiers, ou des services environnementaux, dans le domaine du traitement des eaux et des déchets, par exemple.
- Un consensus a pu être atteint, après un intense travail de conviction mené auprès de nos partenaires européens, sur la question essentielle des identités culturelles et sur celle des normes sociales fondamentales.
Je ne reviens pas sur le premier sujet, puisque vous avez pu entendre Catherine Trautmann ce matin.
Quant aux normes sociales fondamentales, reconnaissons que le débat au sein des Quinze était d'ordre sémantique bien plus que de substance. Nous avons contribué à ce qu'un consensus se forme au sein du Conseil pour demander la mise en place d'un forum permanent de travail conjoint OIT/OMC, avec le souci d'assurer une certaine permanence à cette structure nouvelle et sa connexion directe avec les travaux du cycle.
II - Je souhaite maintenant vous apporter quelques éléments d'appréciation sur la préparation, à Genève, de la Conférence ministérielle de Seattle.
- Je veux, tout d'abord, rappeler que l'objet de la Conférence ministérielle de Seattle est bien circonscrit :
Il s'agit d'adopter une déclaration ministérielle qui précise l'agenda du prochain cycle, les règles de négociation, les objectifs et les bénéfices attendus pour l'économie mondiale d'un nouvel approfondissement du libre-échange.
Il s'agit, en quelque sorte, de délimiter le "terrain de jeu" sur lequel vont se déployer ces négociations multilatérales, qui dureront trois ans. C'est de cela et que de cela seulement qu'il s'agit à Seattle même.
En même temps, il est clair que le "terrain de jeu" est en soi un objet de négociation important, car son périmètre conditionne en partie la suite des opérations. On se souvient, par exemple, que la Conférence de Punta del Este, qui a ouvert le cycle d'Uruguay en 1986, avait fortement contribué à orienter le cycle vers les questions agricoles et que l'Union européenne avait ensuite été contrainte d'adopter une posture nettement défensive.
Vigilance donc, mais pas d'appréhension particulière et, moins encore, de tétanie. Ne faisons pas comme si l'Union européenne jouait son devenir économique et social pendant les quatre jours de la Conférence de Seattle. Evitons de dramatiser à outrance une Conférence qui ne fera qu'ouvrir un processus de négociation, qui connaîtra certainement bien des vicissitudes avant de trouver sa conclusion dans quelques années.
- A Genève, les travaux préparatoires ont commencé en vue d'établir un cadre de travail pour l'examen, à Seattle, du projet de déclaration ministérielle.
Un premier projet de déclaration a été mis en circulation, début octobre, largement à l'initiative des Etats-Unis et du groupe de Cairns. Ce projet était très mauvais. Il visait, en effet, à lancer un cycle de libéralisation à tout crin, concentré sur l'agriculture et sur les services, en laissant de côté le besoin de nouvelles régulations. Par la voie de son représentant à Genève, la Commission européenne a immédiatement récusé ce projet en bloc.
Depuis la fin octobre, l'adoption formelle d'un mandat politique de l'Union nous permet d'abandonner cette posture purement défensive de rejet, pour affirmer plus positivement notre conception du prochain cycle de négociations commerciales multilatérales. Nous avons donc élaboré un contre-projet de déclaration, fidèle à nos vues et capable d'entraîner un mouvement d'adhésion chez certains de nos partenaires, dont plusieurs apparaissent d'ores et déjà comme des alliés potentiels de l'Union européenne à Seattle.
Je pense au Japon - pays avec lequel nous avons une quasi-totale identité de vues ainsi que l'a confirmé la récente visite de Dominique Strauss-Kahn -, à la Corée, à la Norvège, à la Suisse, à l'ensemble des PECOS entraînés par la Hongrie, et aussi à plusieurs pays qui apparaissent d'ores et déjà comme des leaders importants du Sud pour ces prochaines négociations: le Mexique, le Chili et, surtout, le Maroc, qui préside le Groupe des 77 et qui a réaffirmé récemment, lors de la visite de Lionel Jospin à Rabat, sa volonté d'ouvrir l'espace de discussion aux nouvelles régulations.
Que dire de la situation à Genève à l'heure où je vous parle, à trois semaines exactement de l'ouverture de la Conférence de Seattle ?
La mise en circulation d'un contre-texte inspiré largement par l'Union européenne, mais accueilli favorablement par de nombreux autres pays - et non des moindres -, ne doit pas être vue comme une volonté de formaliser nos lignes de confrontation avec les positions américaines. Au demeurant, celles-ci sont parfaitement connues.
Nous avons simplement souhaité rééquilibrer l'exercice engagé à Genève, et qui évoluait sur une mauvaise pente, consistant schématiquement à présenter la position américaine comme la seule base de discussion possible. A cet égard, l'adoption définitive d'un mandat politique de l'Union, le 22 octobre, a constitué un tournant, puisqu'elle aura permis de créer deux courants différents à Genève. Nous sommes ainsi dans une posture plus favorable, puisque l'Union apparaît désormais pleinement comme porteuse d'une vision du prochain cycle.
Pouvons-nous, pour autant, esquisser les contours d'un compromis pour la déclaration de Seattle ?
Très sincèrement, je crois que la période désormais très courte qui nous sépare de l'ouverture de la Conférence de Seattle ne le permet pas. Ce sera donc l'objet de la Conférence ministérielle elle-même, qui devra effectivement travailler à l'émergence d'un consensus, et non pas se contenter d'entériner un projet de texte préalablement élaboré à Genève.
C'est la raison pour laquelle, une partie importante de nos énergies doit être consacrée au dialogue avec les Etats-Unis, de manière à mieux identifier les principaux paramètres de la discussion à Seattle.
De ce point de vue, les récents entretiens Prodi/Clinton et Lamy/Barschefsky ont montré que, au-delà du style parfois un peu maladroit, voire brutal, de l'administration américaine dans ces matières, il y a place pour une vraie discussion constructive à Seattle.
Les Etats-Unis souhaitent, comme nous, la création d'un groupe de travail OMC/OIT sur les normes sociales fondamentales. Les Etats-Unis semblent ouverts à amorcer des discussions sur le thème du droit de la concurrence, en tout cas au moins sur la question de la transparence internationale dans l'attribution des marchés publics, ce qui est déjà un premier pas vers nous. Enfin, les Etats-Unis, en matière de tarifs industriels, semblent aujourd'hui plus ouverts à une discussion sur des bandes tarifaires, conforme à l'approche européenne, sans renoncer pour autant à leur initiative portant sur huit secteurs industriels spécifiques.
Il reste évidemment la question centrale de l'intéressement des pays en développement aux discussions de Seattle.
Nous connaissons les revendications essentielles de ces pays, qui visent à l'application des précédents accords, ceux de l'Uruguay round. La plupart des PED souhaitent avoir une discussion de fond à Seattle sur la mise en oeuvre de ces accords, estimant qu'elle pénalise à outrance leur développement. Toutefois, une ligne de fracture, de plus en plus visible, semble traverser le bloc des PED.
Nous avons d'un côté les PED que je qualifierai de "maximalistes", parce qu'ils souhaitent faire de cette discussion un véritable préalable et qu'ils envisagent, sous couvert d'une discussion sur la mise en oeuvre des précédents accords, de rouvrir en fait la négociation de l'Uruguay round. On trouve dans ce groupe les pays asiatiques exportateurs de textiles notamment.
Et nous avons, de l'autre côté, un groupe de PED nombreux, plus modérés, qui ne souhaitent pas prendre en otage l'ensemble du prochain cycle par une réouverture de la négociation précédente.
Les Etats-Unis, comme l'Union européenne, sont hostiles à une réouverture de la négociation de l'Uruguay.
En revanche, il est clair que l'Union européenne doit s'efforcer de marquer plus nettement vis-à-vis des PED sa disponibilité à une discussion de fond sur la mise en oeuvre des précédents accords, car il s'agit probablement d'un élément essentiel pour rallier un nombre plus grand de pays à notre conception d'ensemble du cycle.
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Peut-on se hasarder à conclure sur un sujet tel que celui-ci ? Sans doute pas. Aussi me contenterai-je de vous suggérer d'élargir votre réflexion au-delà de la préparation immédiate de la Conférence de Seattle.
Par rapport au précédent cycle de l'Uruguay, il me semble que trois éléments de contexte sont de nature à transformer en profondeur la nature du prochain cycle:
- Le premier élément, c'est l'affirmation de l'Europe-puissance, pesant de tout son poids politique, et pas seulement économique, dans des discussions internationales qui ne sont évidement pas seulement commerciales, mais comportent une dimension stratégique majeure. Cette affirmation de l'Europe-puissance vient à point nommé pour porter notre vision d'un nouvel ordre économique mondial, plus juste et plus stable.
- Le deuxième élément, c'est la sensibilité nouvelle de la société civile à l'égard de la mondialisation. Cette sensibilité est relayée fortement par les ONG, le monde associatif, les organisations syndicales. Fait remarquable, cette tendance se dessine dans l'ensemble des pays développés, y compris ceux réputés pour leur libéralisme. Les attentes du consommateur américain, européen ou japonais sont aujourd'hui sans doute plus proches que ne le sont les positions des gouvernements des Etats-Unis, de l'Union européenne et du Japon. Nous devrons en tenir compte car, à l'évidence, les Etats ne seront pas seuls à écrire les nouvelles règles du commerce international.
- Enfin, le troisième élément essentiel, c'est le constat d'un monde en développement à la fois fragmenté et fragilisé. Le prochain cycle doit se donner explicitement pour objectif de réduire les écarts de richesse dans le monde. Dans le passé, l'ouverture des échanges a trop souvent conduit à une forme de marginalisation commerciale du Sud. Il faut rompre avec cette tendance détestable. L'ouverture des échanges doit devenir un facteur facilitant le décollage économique, notamment en autorisant un meilleur partage mondial du progrès technique. Il y a là, à l'évidence, un impératif moral, mais aussi une nécessité pour la stabilité mondiale qui dépend, en maints endroits du globe, d'une meilleure insertion des pays en développement dans l'échange international.
Je vous remercie de votre attention./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 1999)