Texte intégral
Q - Bonjour, merci d'être notre invité ce matin. Les deux valises noires contenant le rapport de l'Iraq sur ses armements sont arrivées hier à l'ONU. Washington n'a pas vraiment attendu ces valises. On a l'impression qu'il continue à être très sceptique et que les préparatifs de guerre ne s'arrêtent pas. Washington joue-t-il vraiment le jeu de l'ONU ?
R - Il y a plusieurs mois que les Américains ont marqué clairement leur détermination dans cette affaire, à la fois, le désir de maintenir la pression sur l'Iraq, sur le terrain mais aussi, clairement, choisir l'engagement, dans le cadre des Nations unies. Le président Bush l'a dit au début du mois de septembre. Nous restons dans la même situation, après le vote de la résolution 1441.
Q - N'êtes-vous pas inquiet ?
R - Les inspections, et c'est cela qui est important, se déroulent maintenant depuis plusieurs semaines, sur le terrain, dans de bonnes conditions. Il faut examiner attentivement les milliers de pages, plus de 10 000, remises aux inspecteurs et reçues à New York dimanche soir.
Il va falloir regarder attentivement le contenu de ces documents. Pendant ce temps, les inspections se poursuivent sur le terrain. Vous connaissez la détermination de la communauté internationale, obtenir que l'Iraq puisse véritablement désarmer. C'est une position de grande fermeté, il n'est pas question de revenir là-dessus, mais, aussi, un esprit de responsabilité. Nous le faisons dans le cadre de cette résolution qui prévoit qu'il n'y a pas de recours automatique à la force et que, à chaque étape, le Conseil de sécurité est chargé d'observer, d'analyser, de proposer.
Q - Et les préparatifs américains qui s'accélèrent au Qatar, cela ne veut-il pas dire qu'il y aura la guerre néanmoins ?
R - Il n'y a pas de fatalité à la guerre aujourd'hui. Il nous appartient, aux uns et aux autres, de prendre véritablement nos responsabilités et c'est ce que nous faisons. Nous sommes en contacts quotidiens. J'ai longuement évoqué la situation avec le secrétaire d'Etat Colin Powell samedi pour préparer les jours à venir justement, pour faire en sorte que l'examen de ces documents puisse se passer dans les meilleures conditions au Conseil de sécurité. Vous le voyez, l'esprit de concertation, l'esprit de responsabilité est là et c'est ainsi que nous voulons travailler.
Q - Et quel esprit d'optimisme ?
R - L'esprit volontaire ! Vous savez, nous avons conscience qu'il y a là un enjeu très fort, pour la prolifération, pour la stabilité du monde. Nous ne pouvons pas accepter de tels risques de prolifération. Un enjeu très fort pour la stabilité de la région, le président de la République a eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, cette région n'a pas besoin d'une nouvelle guerre, nous voyons la tension se perpétuer au Proche-Orient, nous sommes toujours aussi déterminés à multiplier les efforts, dans cette direction, du côté du Proche-Orient, du conflit israélo-palestinien. Il y a là une attente très profonde des pays de la région, de l'ensemble des pays arabes et de la communauté internationale. Je crois qu'il faut porter son effort sur l'ensemble de ces zones de crise.
Q - On parle de l'Europe, bien sûr il y a ce Sommet de Copenhague qui va être crucial car il entérinera l'élargissement à 10 pays. Mais on parle surtout de l'adhésion de la Turquie qui est devenu le grand débat et qui soulève les passions. La France et l'Allemagne ont proposé des dates, des rendez-vous précis, 2004, pour examiner les conditions qui ont été imposées à la Turquie pour son adhésion et juillet 2005 pour le début des négociations. L'opinion publique n'est pas tout à fait convaincue. En Allemagne, un sondage indique que 50 % des Allemands sont contre, en France, 60 % des Français seraient contre ! L'Europe ne va-t-elle pas se déconnecter de ses peuples ?
R - Les grands débats sont faits pour faire avancer et faire évoluer les esprits. On le voit bien de part et d'autre et c'est pour cela que la position, la proposition franco-allemande est aussi importante et qu'elle prend en compte l'ensemble de ces considérations. Je lisais l'interview du président Giscard d'Estaing dans Le Figaro ce matin, je vois bien aujourd'hui qu'il partage pour l'essentiel ce point de vue. Nous sommes sur la même ligne, il est important que l'Europe puisse faire sa part de travail. Nous allons relever, vous le dites très bien, à Copenhague, le défi de ce grand élargissement à dix nouveaux pays demain, puis la Roumanie et la Bulgarie à partir de 2007. Il est donc important que cette Europe - M. Giscard d'Estaing l'appelle "l'Europe européenne" - puisse relever ce défi.
Q - C'est la première étape, une "Europe européenne".
R - Je ne la qualifierais pas ainsi, ce n'est pas une image que je reprendrais à mon compte, mais je crois que, dans une première étape, il faut réussir cet élargissement et parallèlement, il faut réussir l'approfondissement. C'est le grand enjeu de la Convention sur l'avenir de l'Europe.
Q - C'est la Constitution qui se prépare ?
R - En même temps que l'Europe s'élargit, elle doit s'approfondir, c'est très important. S'approfondir, c'est-à-dire devenir plus démocratique, plus transparente, plus proche des citoyens et en même temps plus efficace. Il faut repenser l'équilibre institutionnel de l'Europe pour que chaque institution, la Commission, le Parlement, le Conseil, puisse travailler mieux.
Q - Mais l'adhésion de la Turquie ou même l'élargissement par exemple, n'est-ce pas une occasion de demander de faire un débat comme M. Bayrou par exemple qui demande que ce soit débattu au parlement, ou un référendum à terme ?
R - Ce débat, je vous le rappelle, il a lieu et il a lieu tous les jours, et nous nous en félicitons. Ce que proposent aujourd'hui la France et l'Allemagne, c'est justement de prendre en compte ce calendrier et ces exigences. Il faut marquer clairement et confirmer le message à la Turquie, ce pays a une vocation européenne, c'est un message que l'Europe adresse à la Turquie depuis 1963, date à laquelle la perspective de l'adhésion a été ouverte. En 1999, la candidature de la Turquie a été acceptée. 1963, c'était sous le général de Gaulle. En 1999 à Helsinki, cette candidature a été acceptée. Et aujourd'hui, de quoi s'agit-il à Copenhague ? Il s'agit d'abord d'adresser un message très fort à la Turquie dans le sens des réformes. Ce pays a fait des réformes très importantes sur le plan de son organisation politique, sur le plan de sa société depuis plusieurs mois.
Q - "Continuez vos réformes, nous pensons toujours à vous" ?
R - La Turquie continue dans ce sens et devrait annoncer d'autres réformes dans les prochains jours. Nous disons donc à ce pays que c'est le bon chemin, nous l'encourageons dans cette voie-là. Parallèlement, nous marquons dans le calendrier clairement le chemin. C'est-à-dire qu'à la fin 2004, un rendez-vous est prévu où le Conseil de la fin de l'année 2004 aura en charge d'examiner les progrès qui sont réalisés sur la base d'un rapport de la Commission. Si ces critères sont satisfaits, alors une décision positive serait prise, à compter de la fin du premier semestre 2005, à un moment où l'Europe aura réussi ce premier objectif qui est celui de l'élargissement. Elle aura passé le cap de l'approfondissement institutionnel et elle aura pu faire la preuve qu'elle est capable, à 25 ou 27, d'être plus efficace qu'aujourd'hui à 15. Car c'est cela le grand défi. Je pars d'une réalité simple, le monde a besoin de plus d'Europe, le monde a besoin d'une Europe plus efficace. Je le vois partout à travers le monde : on me dit mais, pourquoi n'êtes-vous pas plus actifs sur le Proche-Orient, en Amérique latine ?
Q - Je vois que vous avez démarré votre travail à la Convention que vous avez rejoint il y a quelques temps à peine. On sent la passion de celui qui est impliqué maintenant dans les travaux.
R - Vous avez raison, j'y étais en fin de semaine et j'ai été frappé par quelque chose de très intéressant parce que - c'est là où l'on se rend compte que le vent de l'Histoire souffle - les positions habituelles de ceux qui étaient dans cette salle de la Convention, n'étaient pas les positions traditionnellement acquises ou admises. Le clivage entre le grands et les petits commencent de s'estomper, entre les fédéralistes et les intergouvernementaux.
Q - Ca bouge, ça change ?
R - Oui, ça bouge parce que chacun veut relever ce défi d'une Europe plus forte et plus efficace.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2002)