Déclaration de M. Edmond Hervé, secrétaire d'Etat chargé de la santé, sur l'insertion des personnes handicapées mentales", Clermont-Ferrand le 19 mai 1984.

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Circonstance : Assemblée générale de l'union nationale des associations de parents d'élèves inadaptés (UNAPEI) le 19 mai 1984

Texte intégral

En répondant à votre invitation, le Premier ministre que je représente aujourd'hui a voulu manifester l'importance que le Gouvernement attache à la cause que vous défendez avec dévouement et passion depuis tant d'années.
J'ai pu vous dire, il n'y a pas si longtemps, Monsieur le président, l'intérêt que, comme élu local et comme ministre de la santé, je porte personnellement aux questions concernant les personnes handicapées.
Le congrès d'une association et plus particulièrement d'une grande association comme la vôtre, est le moment du bilan, de l'interrogation des projets. C'est aussi, et j'ai pu le constater, le moment de l'interpellation et vous avez, dans ce domaine joué, Monsieur le président, très précisément le rôle qui doit être le vôtre. Je sais que vous parlez au nom de plus de 100 000 adhérents, de près de 700 associations, de centaines d'établissements. La vigueur de votre interpellation au service d'une telle cause, me questionne bien évidemment. Vous avez exprimé de vives inquiétudes : je les ai entendues.
Du bilan de l'action gouvernementale vous avez fait une analyse certes positive, mais un peu brève. Je voudrais quelque peu la développer.
Pour cette assemblée générale, vous avez choisi le thème " pour une politique réaliste d'insertion des personnes handicapées mentales ".
"L'insertion" constitue, vous le savez, l'axe principal de la politique du gouvernement dans ce secteur. Le réalisme est une exigence quotidienne de celui qui doit décider.
Le gouvernement, depuis 1981, a poursuivi une politique d'insertion des personnes handicapées dans tous les lieux de la vie familiale, professionnelle, sociale. Cette politique est conduite par l'ensemble du gouvernement ; non seulement par le ministère de la santé et des affaires sociales, mais aussi celui de l'emploi, de l'éducation nationale, des transports, de l'urbanisme et du logement, du temps libre, de la culture, de la fonction publique, soit tous ceux qui, dans leur champ de compétences, doivent veiller à l'accès aux droits et aux structures de tous les citoyens.
Cet objectif doit être mené avec réalisme. Il s'agit de favoriser, autant que possible, tout ce qui pourra rapprocher la personne handicapée du tissu social. Il faut donner à la personne handicapée des moyens pour s'adapter mais il faut également agir sur le tissu social notamment par l'approche culturelle des problèmes du handicap pour permettre son adaptation à l'accueil de la personne handicapée.
À l'école, c'est le sens et l'objet des circulaires sur l'intégration scolaire. Au plan quantitatif, les chiffres dont nous disposons aujourd'hui n'ont pas encore été tous validés mais ils témoignent d'une augmentation très sensible du nombre d'enfants handicapés accueillis dans les écoles ordinaires. L'intégration scolaire, malgré les oppositions de certains professionnels, entre aujourd'hui dans les faits.
Dans le domaine de l'accès à l'emploi, je citerai quelques mesures :
- 1 000 places seront offertes cette année par l'ouverture des centres A.F.P.A. aux personnes handicapées.
- Le contrat emploi-formation a été ouvert sans limite d'âge aux travailleurs handicapés.
- Un contrat individuel d'adaptation professionnelle a été créé pour lequel l'Etat reverse à l'entreprise une partie du salaire jusqu'à hauteur de 80 % du SMIC pendant six mois.
- Un contrat établi, cette fois, entre l'Etat et l'entreprise permettra à celle-ci de bénéficier d'une aide financière selon le nombre de travailleurs handicapés embauchés.
- Vous avez, vous-même, Monsieur le président, rappelé les mesures favorisant l'accès des travailleurs handicapés à la fonction publique, j'ajouterai que les subventions d'installation, permettant aux travailleurs handicapés de choisir une profession indépendante, vont être augmentées de 50 % cette année.
Je donnerai un dernier exemple concernant le travail : pour aider les entreprises à faire face à un éventuel surcoût lié à l'aménagement d'un poste de travail ou à un encadrement plus important, les commissaires de la République pourront désormais verser aux entreprises une subvention jusqu'à hauteur de 40 000 francs, selon une procédure allégée et donc dans des délais plus brefs.
J'ai parle de l'école, de l'emploi, mais je sais combien est importante la liberté du déplacement.
Depuis 1983, des avantages tarifaires sont accordés à l'accompagnateur d'un adulte ou d'un enfant handicapé titulaire de la carte d'invalidité ou à l'accompagnateur d'une personne nécessitant l'aide d'une tierce personne.
Mais il ne suffit pas d'instruire, d'embaucher, de financer Tous ces efforts peuvent rester vains ou sans suite si la personne ne trouve pas temporairement ou de manière permanente l'aide dont elle a besoin, que ce soit pour vivre chez elle, de manière indépendante, pour se déplacer ou pour trouver et occuper un emploi.
Dans la vie quotidienne, la personne qui ne peut faire les gestes essentiels pour vivre doit être aidée. La facilité de recours à cette "tierce personne" et sa stabilité ont été assurées par la création de services d'auxiliaires de vie financés en partie par l'Etat qui a créé depuis 1981, 1 650 emplois. Je vous rappelle que les auxiliaires de vie peuvent intervenir si cela apparaît souhaitable en raison de leur état de dépendance, auprès des personnes atteintes d'un handicap mental.
Pour ce qui concerne l'allocation compensatrice, je vous rappelle que, par la loi du 22 juillet 1983, la charge de celle-ci a été transférée aux départements. Comme vous le savez, cette prestation n'avait pas pu être étendue aux DOM antérieurement à ce transfert.
Cette situation ne présage bien entendu pas de l'avenir et, pour le présent, les conseils généraux concernés peuvent créer au titre de l'aide sociale facultative une prestation semblable dont ils assureraient alors la charge.
Par ailleurs, la personne qui ne peut réaliser seule certains actes de la vie courante doit de même pouvoir être secondée et protégée. C'est pour elle que les tutelles aux majeurs protégés ont été créées et souvent assurées par des services tutélaires que vous connaissez d'autant mieux que vos associations en sont souvent les promoteurs.
Vous attendiez jusqu'à l'année dernière la participation de l'État. Une circulaire qui en prévoit les modalités sera diffusée dans les tous prochains jours.
Pour répondre aux difficultés des associations, le Premier ministre a décidé de porter le plafond de la rémunération à 555 F par mois.
D'autre part, le rôle et le fonctionnement des services tutélaires seront examinés prochainement au cours d'une rencontre entre les administrations et les représentants des associations. C'est là, aussi, je le sais, un de vos souhaits.
Je n'ai pas voulu, Monsieur le président, être exhaustif dans le recensement de ce qui a été fait. J'ai voulu montrer par quelques exemples, l'effort consenti par tous pour assumer une meilleure insertion.
Mais le réalisme, c'est aussi le constat que l'insertion en milieu ordinaire n'est pas possible pour tout le monde. C'est dire la nécessité de maintenir et développer les établissements spécialisés qui offrent aux personnes handicapées mentales l'accueil dont elles ont besoin pendant le temps nécessaire.
Les équipements médico-sociaux destinés aux adultes, ont vu leur capacité globale augmenter régulièrement. À la fin de l'année 1983, la capacité des foyers atteignait 28 300 places, celle des centres d'aide par le travail plus de 50 000. Pour les maisons d'accueil spécialisées, créées plus récemment, près de 3 600 places ont été autorisées. C'est votre rôle que de demander plus : c'est de ma responsabilité que de vous rappeler que j'ai à gérer vos exigences dans le cadre des contraintes économiques actuelles.
Les chiffres que j'ai cités témoignent suffisamment que les personnes handicapées ne sont pas les "laissées pour compte" de la rigueur, mais de l'effort national. Chacune et chacun d'entre nous doit prendre sa part et il y aurait quelque paradoxe à concentrer exclusivement nos efforts sur le développement de structures spécialisées alors même que l'essentiel de nos objectifs communs vise à favoriser l'insertion en milieu ordinaire, toutes les fois que cela est possible.
Il nous faut saisir l'occasion de la rigueur pour utiliser au mieux ce qui est, en tenant compte des possibilités de reconversion des établissements existants et de redéploiement des personnels en direction des secteurs les plus démunis. C'est ainsi, vous le savez, que grâce aux efforts conjoints des associations de gestionnaires et des pouvoirs publics, une grande partie des demandes de création de postes a pu être satisfaite en 1983.
Mais je sais que le redéploiement ne libère pas toujours des moyens suffisants. Et en 1994, 600 postes nouveaux seront crées dans le secteur qui nous concerne.
Dynamiser, ouvrir, décloisonner le secteur protégé et donner à ses usagers les moyens d'en sortir partiellement, temporairement ou définitivement, cet objectif doit pouvoir être poursuivi concrètement à partir de cette année et aboutir à des solutions diversifiées comme le Président de la République vous l'a personnellement précisé. Vous avez vous-même évoqué à cet égard les "formules mixtes et nouvelles à inventer ou à expérimenter".
C'est dans ce sens, et parce que la formation professionnelle est l'un des moyens clefs de l'insertion professionnelle, qu'une expérience de formation destinée à des travailleurs de CAT est mise en uvre cette année.
Je souhaite, à ce propos, répondre à l'une de vos questions concernant la circulaire diffusée en janvier 1983 par Monsieur Le GARREC, alors ministre chargé de l'emploi. J'ai bien entendu les critiques que soulève de votre part la circulaire de Monsieur LE GARREC. Ce problème a fait l'objet d'une étude attentive des groupes de travail auxquels vous avez participé. Le gouvernement souhaite comme vous, pour les travailleurs handicapés, un statut le plus proche possible de celui des travailleurs ordinaires.
Les conclusions de ces groupes de travail montrent que les textes relatifs à ces questions sont ambigus. Une analyse juridique est donc demandée.
En ce qui concerne les régimes complémentaires une enquête a, d'ores et déjà, été lancée auprès des établissements pour connaître les pratiques dans ce domaine.
L'analyse juridique permettra de déterminer les conditions dans lesquelles celles-ci devront éventuellement être modifiées. Elle permettra également au Gouvernement de se prononcer sur les modalités de prise en compte des charges liées au complément de rémunération.
Pour ce qui concerne la formation professionnelle, si importante pour l'ensemble des travailleurs, qu'ils soient ou non handicapés, le ministre de la formation professionnelle organisera, avant l'été, une réunion destinée à examiner les actions qui pourraient être menées ou adaptées dans ce domaine.
Sur différents sujets, vous rappelez, Monsieur le président, la mise en place de groupes de travail auxquels les associations représentatives des P.H. ont été étroitement associées. Des rapports ont été élaborés et le plus récent, sur le travail protégé, a été remis il y a peu de temps aux ministres concernés.
Certains ont déjà été pris en compte (je pense au rapport sur les COTOREP), et fait l'objet de mesures dont les modalités seront précisées par circulaire dans les prochains jours. D'autres sont encore à l'étude.
Entre la remise d'un rapport et les suites qui peuvent lui être données, le temps du silence n'est pas le temps de l'indifférence ou de la négligence : c'est le temps de la réflexion indispensable pour dégager de ces propositions des actions pesées, réalistes, concertées.
C'est avec ce même souci que le Conseil national consultatif des P.H. a été réorganisé et sera mis en place le 21 juin, en présence du ministre des affaires sociales.
Dans le secteur de la santé qui est plus particulièrement le mien, des avancées sensibles sont source d'espoir, tant dans le domaine de la recherche que dans celui du dépistage du handicap mental de l'enfant et de sa prévention.
Je sais qu'une des préoccupations majeures de votre mouvement est de prévenir l'apparition du handicap en général et tout particulièrement du handicap mental. C'était le thème du colloque de Strasbourg en octobre 1982.
Afin de définir des priorités en matière de recherche et de prévention des handicaps, à la demande de mes services, l'INSERM a mis en place 18 groupes de travail réunissant, des cliniciens, des chercheurs, des psychologues, des sociologues et des économistes de la santé. Ainsi, un groupe de travail présidé par le professeur TOMKIEWICZ et un autre présidé par le professeur BOURGUIGNON, ont étudié respectivement les handicaps mentaux de l'enfant et de l'adulte.
Ces rapports seront bientôt disponibles et utilisés. Au-delà de leur aspect technique, une action de sensibilisation doit être menée en permanence pour établir et resserrer les liens entre les spécialistes, les parents, la fratrie.
C'est cette dimension que je souhaite développer au sein des C.A.M.S.P. : il convient d'atténuer les effets de la déficience par une action médico-sociale précoce. La collaboration entre les médecins, les services de la P.M.I., les associations devra être étroite au sein de ces C.A.M.S.P, pour en faire des structures légères, polyvalentes adaptées à la prise en charge de toutes sortes de handicaps.
En matière de prévention, le diagnostic anténatal permet le dépistage de certaines maladies comportant des arriérations mentales. Son champ d'application ne cesse de s'élargir.
La prise en charge de ces examens est complète. Les indications d'ordre chromosomique sont les plus fréquentes et concernent essentiellement les futures mères âgées de 38 ans. De plus le taux de couverture de cette population reste encore faible et surtout inégalitairement réparti. L'amélioration de l'information apportée aux femmes est nécessaire afin que ce taux de couverture s'élève.
Les possibilités qu'offrent actuellement les centres de diagnostic prénatal sont encore insuffisantes. Mais la formation des équipes responsables implique du temps, des efforts et une réflexion sur les problèmes éthiques, psychologiques que pose l'extension du diagnostic anténatal.
Un effort important a été fait récemment dans le domaine du conseil génétique : il existe aujourd'hui des consultations de conseil génétique réparties sur l'ensemble du territoire, généralement implantées dans des services de pédiatrie ou de gynécologie-obstétrique d'établissements hospitaliers publics.
Les couples de familles à risque sont adressés au généticien par les consultations de P.M.I., par les médecins libéraux. L'évolution rapide des connaissances dans ce domaine exige de la part des praticiens une actualisation permanente de leurs connaissances.
Il s'agit d'un thème que nous devons promouvoir dans le cadre de la formation continue.
À l'ensemble des mesures que je viens de développer, il faut encore ajouter :
- L'amélioration du suivi des femmes enceintes (prise en charge de deux visites prénatales supplémentaires, mobilité du congé supplémentaire de deux semaines pour les femmes enceintes dont l'état de santé le nécessite).
- L'amélioration de la qualité des maternités par mise aux normes de l'ensemble des maternités publiques ou privées et fermeture progressive des petites maternités, jugées dangereuses.
- L'amélioration des conditions de travail des femmes enceintes.
- Programme de vaccination contre la rubéole devant aboutir à court terme à une réduction sensible de l'incidence des rubéoles congénitales, à long terme à une éradication de la maladie.
Ainsi les efforts dans le domaine de la prévention, les bénéfices que l'on peut escompter de l'amélioration du savoir scientifique, permettent d'espérer une diminution patente des handicaps mentaux de l'enfant.