Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la politique de lutte contre le cancer, la prise en charge psychologique et sociale des malades et la recherche sur le cancer, Paris le 16 janvier 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Remise du rapport de la Commission d'orientation de la lutte contre le cancer à Paris le 16 janvier 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs.
Je suis heureux de vous retrouver, avec Claudie Haigneré, et ceci pour la troisième fois, alors que vous nous remettez les conclusions des travaux de votre commission. Voici quatre mois que vous travaillez. Quatre mois au cours desquels vous avez pu analyser en profondeur la situation actuelle du cancer en France.
Auditionner de très nombreux experts et acteurs de la prise en charge du cancer. Auditionner les représentants des patients. Examiner l'état de l'art en France et à l'étranger.
Mesurer les forces et les faiblesses de notre dispositif de prévention et de prise en charge.
Et enfin produire ce volumineux rapport que vous nous remettez aujourd'hui.
Lorsque, le 9 septembre dernier, nous avons, Claudie Haigneré et moi-même, mis en route cette commission d'orientation, nous vous avons défini une commande précise : identifier les orientations et les mesures dont notre pays a besoin pour répondre à l'immense problème de santé publique posé par le cancer.
Le 4 décembre, je vous ai demandé d'être inventifs et de proposer des solutions innovantes car vous savez que notre système de santé, qui est certainement remarquable, est un système complexe : vous avez dû constater qu'il n'est pas très simple de faire évoluer un tel système. Les idées doivent quelquefois savoir transgresser les organisations établies. On dit parfois que les bonnes réponses sont dans les marges : dans le cas particulier du cancer, je suis convaincu que les bonnes propositions seront celles qui sauront oublier les intérêts particulier de tels ou tels acteurs professionnels, pour se retrouver sur le terrain commun de la maladie et des patients.
Celles qui sauront oublier les structures pour inventer des modes d'organisation collectifs et coordonnés. Ce sont, enfin, les propositions qui s'appuieront sur un fait dont il nous faut tous avoir une conscience aiguë : le cancer, c'est d'abord une personne malade, c'est sa famille et ce sont ses proches, c'est une détresse physique, psychologique et sociale autour de laquelle le système de santé doit organiser la meilleure réponse possible.
Comme l'a dit le Président de la République le 14 juillet dernier, ''le cancer, c'est un véritable drame national, qui exige un effort considérable''.
Si j'en juge à son poids, le rapport que Lucien ABENHAIM m'a remis au nom de la commission d'orientation accuse d'emblée une certaine importance ! Ce rapport, j'en ai eu des échos au fil de son élaboration, et je voudrais souligner la qualité des réflexions dont il résulte. Je veux ici très sincèrement et très chaleureusement remercier chacun des membres de la commission d'orientation, qui, je le sais, ont consacré de nombreuses heures à ce chantier.
J'adresse mon remerciement particulier à son Président et à son Vice-Président, dont la tâche n'était pas facile, et qui ont su conduire cette commission à son terme, dans des bonnes conditions de fonctionnement.
Je souhaite également remercier tous ceux qui ont été sollicités par vous, et qui ont accepté de répondre à vos questions ou à alimenter les propositions. Dans ce grand chantier Présidentiel de la lutte contre le cancer, il est important que toutes les idées soient examinées sans a priori, et c'est dans cet état d'esprit que j'analyserai en détail vos propositions.
Au-delà de son poids et de son volume - près de 300 pages ! - Ce rapport constitue un dossier de fond sur le cancer, une base de connaissance utile à tous ceux qui auront à travailler sur ce chantier. Il complète les travaux qui ont déjà été menés sur ce sujet, et en particulier les remarquables rapports de la cour des comptes de septembre 2001, et de la commission des affaires sociales du Sénat grâce à Claude Huriet et Lucien Neuwirth.
L'analyse de la situation actuelle de notre système de santé face au cancer, est, je crois très cohérente entre ces différents travaux, et je la synthétiserai en quatre points principaux :
- En tout premier lieu, nous avons beaucoup de mal en France à mettre en place des actions de prévention, et nous orientons préférentiellement notre réponse à la maladie en terme de soins. Si les patients ont droit aux meilleurs soins, il est tout aussi fondamental d'éviter le plus possible l'apparition des cancers par la promotion d'une hygiène de vie adaptée, et par la lutte contre le tabac et l'alcool, qui sont directement responsables de près de 50 000 décès chaque année. Il faut savoir que les cancers issus du tabac et de l'alcool, évitables, sont des cancers que l'on sait mal guérir. La prévention est ici la seule solution possible, et j'entends en faire une action prioritaire de ma politique de santé publique. Cette action constituera l'un des éléments essentiels de la loi quinquennale de santé publique que je souhaite voir examinée par le parlement avant cet été.
- En aval de la prévention, le dépistage des cancers du sein, de l'utérus ou encore des cancers colorectaux permet le diagnostic précoce de ces affections. Il permet parfois l'identification d'états précancéreux, qu'il est possible de traiter préventivement. Le dépistage favorise ainsi le traitement de la maladie à un stade où les chances de guérison sont maximales : ces programmes de dépistage doivent-être accessibles pour chaque Française et chaque Français sur l'ensemble du territoire, et j'entends remédier rapidement aux insuffisances actuelles.
- En second lieu, notre système de soins, et en particulier l'hôpital, doivent se préparer à accueillir un nombre croissant de patients atteints de cancer.
Ils doivent également se préparer à mettre en oeuvre des thérapeutiques nouvelles, qui évoluent rapidement, et dont le coût augmente d'année en année très sensiblement. A cet égard, l'augmentation, heureuse, de l'espérance de vie, constitue un enjeu important puisque nous aurons à prendre en charge un nombre croissant de patients âgés. Vous savez que le risque de cancer évolue avec l'âge.
Pour les autres formes de cancer, et en particulier les cancers de l'enfant et de l'adulte jeune, l'enjeu est d'abord d'augmenter les chances de rémission et la survie des patients. Ceci est possible grâce à la mise au point de traitements plus ciblés sur les cellules ou les mécanismes cancéreux, mais aussi au travers de stratégies thérapeutiques nouvelles, combinant différents traitements de façon coordonnée.
Je citerai à titre d'exemple les chimiothérapies adjuvantes et néo-adjuvantes dans le cancer du sein. Ces traitements innovants, chacun devrait y avoir accès : c'est ici de notre capacité à innover dans l'organisation de la prise en charge qu'il est question.
- Enfin, et chaque patient et famille de patient le sait bien, le cancer est une épreuve qui s'accompagne souvent d'une grande détresse psychologique, et parfois sociale. Notre système de soins sait encore trop mal répondre à ces besoins quand il n'en nie tout simplement pas la réalité. C'est de mesures pratiques que les patients ont besoin, pour qu'à la difficulté de la maladie, ne s'ajoute pas celle de l'exclusion sociale. Ce sont des attitudes concrètes d'écoute et de respect, ce sont des réponses individualisées à la douleur physique et psychique des malades, qui sont attendues de la part des personnels prenant en charge le cancer, au delà des soins.
- La recherche sur le cancer constitue le dernier point pour lequel je voudrais souligner l'importance des enjeux, et l'insuffisance des efforts. Autour du cancer, s'est développée une tradition d'innovation et de recherche active. Recherche cognitive en premier lieu, avec la compréhension progressive des mécanismes de différenciation cellulaire et de cancérogénèse. Recherche clinique, ensuite, conduite d'abord dans l'optique de recherche de nouveaux médicaments, mais aussi dans le cadre d'essais de stratégie thérapeutique, le plus souvent sous l'impulsion de groupes institutionnels ou académiques. Recherche sur les pratiques médicales, enfin, et identification des bonnes pratiques cliniques, dans une approche de médecine factuelle.
Ce tableau, qui paraît très complet, cache en fait, et vous le savez bien, de profondes insuffisances. Financements et moyens limités pour la recherche publique. Insuffisance de coordination des efforts. Insuffisance des champs couverts, notamment dans le domaine économique et social. Par ailleurs, vous savez également que la recherche biologique a changé d'échelle et s'intéresse aujourd'hui directement au génome et à son expression, au delà de l'approche cellulaire et organique. C'est un nouveau paradigme qui s'ouvre à nous, pour lequel l'effort de la France ne peut-être de second rang. Claudie Haigneré et moi-même serons vigilants pour que les enjeux de la génomique, qui repositionnent le patient et l'hôpital au coeur de la recherche, et la recherche au coeur de l'hôpital, ne soient pas oubliés dans le plan cancer.
Mesdames et Messieurs, je vous ai présenté brièvement ma vision du diagnostic. A ce stade, j'imagine que vous vous demandez quelle est mon analyse des mesures proposées dans le rapport de la commission d'orientation ? Je n'exposerai pas ici mes réflexions concernant les mesures nécessaires à un grand chantier Présidentiel de lutte contre le cancer, car je souhaite prendre le temps de lire complètement et de façon approfondie le rapport qui m'est remis aujourd'hui. Ce rapport constitue indiscutablement une contribution remarquable à partir de laquelle le plan cancer va pouvoir être élaboré. Il contient des propositions très originales, et l'ensemble des constats trouve, -sinon une réponse- tout au moins une mesure appropriée, ou un ensemble de mesures complémentaires. C'est en particulier le cas de la coordination des soins autour du patient, de l'organisation d'un pilotage national identifié par la proposition de création d'un Institut National du Cancer, et de très nombreuses autres mesures. Ce qui me semble le plus intéressant dans ce rapport, c'est que, au-delà d'une réponse aux enjeux du cancer, les propositions préfigurent ce que pourraient-être les évolutions de notre système de santé tout entier. En particulier, la mise en place d'instruments de coordination des structures de soins et de recherche, l'organisation du système autour du patient, et la prise en charge globale de la maladie me semblent constituer des propositions intéressant tout le système et toutes les pathologies.
Ce rapport, je souhaite le rendre accessible à l'ensemble de nos concitoyens, et j'ai demandé en conséquence qu'il soit disponible sur le site internet du Ministère dès aujourd'hui. Chacun pourra, s'il le souhaite, apporter un commentaire ou une proposition complémentaire, que nous essayerons de prendre en compte, dans la mesure du possible. Une adresse de courrier électronique sera disponible à cet effet.
Je souhaite également que nous soumettions ce rapport, Claudie Haigneré et moi-même, à des avis complémentaires, afin que l'éclairage de nos ministères soit le plus large possible. Nous demanderons cet avis à des instances comme le Conseil National du Cancer, l'Académie de Médecine, l'Académie des Sciences et le Haut Comité de Santé Publique.
Bien entendu, à ce stade, chacune des propositions de la commission d'orientation présentée dans le rapport que vous m'avez remis doit faire l'objet d'une analyse en terme de faisabilité technique et financière, et d'un plan de mise en place échéancé dans le temps.
Sur ces bases, nous présenterons d'ici 6 à 8 semaines, au Président de la République, des propositions d'organisation de la lutte contre le cancer en France, et un plan de mise en place des mesures et de leur financement.
Je voudrais encore une fois remercier la commission d'orientation de la lutte contre le cancer pour le très important travail qui vient de m'être remis, et m'adresser à tous ceux qui contribuent à ce combat contre la maladie d'une façon ou d'une autre, en leur disant :
" Le programme est vaste, mais la cause est d'importance, et c'est ensemble, oui, tous ensemble, que nous avancerons pour vaincre le cancer ".
Je vous remercie de votre attention.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 20 janvier 2003)