Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la sécurité sanitaire environnementale, Paris le 27 novembre 2002.

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Circonstance : Installation de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) à Paris le 27 novembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Maire,
Monsieur le Président,
Messieurs les Directeurs,
Madame la présidente du conseil scientifique,
Madame la directrice générale.
Nous voici rassemblés pour donner l'impulsion qui doit permettre à la dernière née des agences de sécurité sanitaire de se mettre au travail.
Cela fait longtemps que je suis personnellement convaincu de la nécessité de renforcer l'expertise scientifique et sanitaire dans le domaine de l'environnement. Cela pourra vous paraître un peu curieux venant d'un généticien qui a consacré plus de 30 ans de sa vie professionnelle à lutter contre les causes endogènes des maladies. Mais un des grands apports de la pensée scientifique depuis ces trente dernières années est la compréhension des interactions entre les mécanismes biologiques et les caractéristiques écologiques des milieux de vie.
Du point de vue de la santé publique, l'homme est un tout. Il n'y a pas d'un côté les milieux intérieurs chers à Claude Bernard et de l'autre les milieux extérieurs. Il n'y a pas des individus isolés les uns des autres, coupés de leur environnement social et naturel. Il y a une compréhension globale de l'homme à développer et à prendre en compte dans les politiques publiques.
Face aux agressions de l'environnement, les hommes sont inégaux. Pourquoi le sont-ils ? Parce que les niveaux d'exposition sont variables, certes. Depuis Paracelse, nous savons que le poison est dans la dose. Mais il y a aussi le fait que chacun dispose d'une manière particulière de filtrer les polluants toxiques, de les métaboliser, de les inactiver ou de les éliminer.
Bien sûr, la recherche toxicologique et biologique nous donne désormais accès à la connaissance des mécanismes moléculaires, enzymatiques ou immunologiques de ces phénomènes.
Mais pour cela, nous n'avions pas besoin d'une agence de plus. C'est la nécessité de traduire ces connaissances en mesures de protection et de prévention qui justifie que nous soyons ici réunis.
Avant les crises sanitaires des années 80 comme tout semblait simple. Les chercheurs cherchaient et parfois ils trouvaient. L'administration administrait et parfois elle inspirait de bonnes lois. Les médecins soignaient et ils ont même pensé un court moment qu'ils allaient vaincre les maladies infectieuses. Avec le sida tout a basculé. Non seulement parce que le rétrovirus inverse le sens unique que l'on pensait être celui qui va de l'ADN à l'ARN. Non seulement parce que ce virus qui n'est pas né d'hier avait besoin de conditions bien spécifiques pour créer une épidémie, ce qu'une modification des comportements sexuels alliée au développement des échanges internationaux lui ont permis de faire.
Mais surtout parce que le VIH a été bientôt suivi d'une série de crises dont les noms nous ont tous frappé : Tchernobyl, dioxine, hormone de croissance, amiante, champs électromagnétiques, vache folle, Erika. Ces crises nous ont montré que notre système de décision n'était pas apte à utiliser de façon pertinente les connaissances scientifiques disponibles.
Avec la rationalité qui nous caractérise, nous avons réagi. L'évaluation des risques d'un côté, ça c'est les agences et la gestion des risques de l'autre, c'est l'administration et le politique. Et quand je dis nous, c'est dans un mouvement qui a transcendé tous les clivages politiques, tous les clivages culturels. Ce fut la première époque de la sécurité sanitaire, l'âge de l'apprentissage.
Que nous avaient appris ces dramatiques crises ? D'une part, que les décisions de santé publique suivaient une logique trop exclusivement juridico-normative et pas suffisamment scientifique, révélant un besoin de conjuguer les cultures. D'autre part, et surtout, que nous ne savions pas intégrer l'incertitude scientifique dans une démarche décisionnelle. Et aussi que nous ne distinguions pas suffisamment le temps de l'expertise et celui de la décision.
Nous avons paré au plus pressé avec le médicament, le sang et les greffes. Très vite, il s'avéra que ce n'était pas suffisant. Il fallait passer à l'âge de raison. Hervé Gaymard, Jacques Barrot, les sénateurs Huriet et Descours ainsi que Bernard Kouchner ont tous compris et oeuvré de concert pour élargir le concept de sécurité sanitaire aux produits de santé, à l'alimentation, à la veille sanitaire dans son ensemble.
Un certain nombre ont bien signalé en 1998 - n'est-ce pas André Aschieri - que le puzzle ne serait pas complet et que la maturité ne serait pas acquise si les champs couverts n'incluaient pas l'environnement, les milieux de vie. Comment pouvait on ignorer les facteurs de risque liés à l'environnement alors qu'ils constituent des déterminants importants de l'état de santé et qu'ils sont une source de préoccupation quotidienne de la population ? Mais que n'a-t-on entendu à cette époque. Que c'était prématuré, que c'était inutile, que c'était trop compliqué. Qu'on faisait déjà ce qu'il fallait et qu'une agence de plus serait sans valeur ajoutée.
La vérité, c'est que tout au long du 20e siècle, l'environnement et la santé qui étaient si liés au moment du mouvement hygiéniste ont progressivement divergé au point d'en arriver à s'ignorer totalement. Certains me disent même qu'entre le 8 et le 20 de l'avenue de Ségur, il y avait une profonde tranchée. Mais je n'en crois rien et en tout cas tant que Roselyne Bachelot sera là, cela sera faux.
Monsieur le Président, Madame la Directrice Générale, la tâche qui vous attend avec l'aide de votre conseil scientifique est d'abord celle de créer du lien, des flux de connaissances et d'intelligence. Entre nos deux ministères dont les intérêts fondamentaux sont communs. Entre les différentes agences car l'alimentation et la radioprotection, entre autres, font pleinement partie d'une dimension environnementale de la santé dans laquelle les facteurs chimiques, physiques et biologiques jouent un rôle important. Entre les différents milieux de vie : le travail, l'école, la maison, la ville, entre l'air l'eau et les sols. Entre les multiples établissements publics spécialisés qui renferment des trésors de compétence qu'un certain cloisonnement sectoriel empêche de valoriser pleinement en termes décisionnels. Entre les différentes disciplines dont nous avons besoin pour évaluer les risques et les impacts sanitaires des pollutions environnementales.
La tâche qui vous attend est immense. Nous attendons de vous de mieux pouvoir discerner ce qui est important, ce qui mérite que les moyens nécessairement limités dont nous disposons soient utilisés à bon escient.
Cela veut dire que la priorité d'affecter les moyens va là où ils peuvent véritablement améliorer la santé de l'homme y compris et surtout la santé de ceux qui vivent dans des conditions difficiles.
Nous attendons de vous de contribuer à créer un climat de confiance sans lequel nous ne pouvons pas gérer les situations dans lesquelles la science nous dit suffisamment pour être préoccupés mais pas suffisamment pour être rassurant.
Ne nous y trompons pas. L'appel parfois désespéré et incantatoire au principe de précaution, brandi à tout bout de champ, n'est autre que le signe d'une grave crise de confiance. Cela dit bien la complexité qui vous attend.
C'est pourquoi nous devons vous accompagner car à ce stade, vos ressources sont limitées et la situation économique globale exige que l'argent des contribuables soit utilisé avec la plus grande rigueur. A vous de relever le défi de la crédibilité et celui de la cohérence. Le décret qui vous régit mentionne plus d'une quinzaine d'organismes scientifiques qui ne verront pas nécessairement l'utilité d'un établissement supplémentaire. Votre meilleur atout sera celui de la compétence.
Nous veillerons, vous pouvez en être convaincus, à ce que l'AFSSE soit une réussite. Nous n'avons pas le droit à l'erreur car l'attente de la population est trop forte. Quand la population a le sentiment qu'elle vit dans des milieux dangereux pour les travailleurs, les enfants, les personnes fragiles, elle s'indigne et elle a raison. Les pouvoirs publics doivent être capables d'offrir des réponses efficaces. Ils doivent pouvoir créer les conditions d'un débat loyal d'autant plus important que l'incertitude est grande.
Il n'y a pas de monde sans risque. Il n'y en a jamais eu. Jamais dans l'histoire de l'homme nous n'avons accordé autant d'attention à la santé et à la sécurité qu'actuellement. Mais en même temps, il faut réaliser que jamais l'homme n'a eu à une telle échelle la capacité de créer des risques nouveaux, la capacité de les propager à grande vitesse, la capacité d'y exposer de larges populations. L'AFSSE n'est pas un luxe, un gadget ou un placebo. Elle doit créer une fonction de vigilance, de veille scientifique et technique et d'expertise sans laquelle les progrès technologiques y compris ceux qui sont porteurs d'un mieux être ne seront pas acceptés.

Je suis convaincu que le risque est la grande affaire du troisième millénaire. Santé et environnement sont à la confluence de profondes aspirations sociales. Passer d'une logique déterministe à une logique probabiliste est véritablement ce que j'attends de l'AFSSE. C'est une grande affaire.
Ulrich Beck dans son livre " La société du risque " nous dit le renversement historique qu'induit le concept de risque. Avec lui, l'avenir de l'homme devient un déterminant de son présent alors que jusqu'à maintenant c'était le passé qui forgeait seul le présent.
Ce renversement est porteur d'espérance. Vous êtes riches de ce besoin fondamental de l'humanité qui est de croire que demain sera meilleur qu'aujourd'hui. C'est une lourde responsabilité. Ne doutez pas que nous serons à vos côtés attentifs à créer les conditions nécessaires à l'accomplissement de votre mission mais très exigeants sur la valeur scientifique de vos travaux et de vos avis.
D'avance merci de votre enthousiasme, de votre engagement et de vos conseils.




(source http://www.sante.gouv.fr, le 29 novembre 2002)