Texte intégral
Le Monde du 5 décembre 1999
Trois questions à ... François HUWART
1 - Secrétaire d'Etat au Commerce Extérieur, vous avez assisté à la négociation pour la France de bout en bout. Pensez-vous que l'échec de la nuit de vendredi à samedi soit grave pour la mondialisation et l'OMC ?
Il avait fallu trois réunions ministérielles pour lancer l'Uruguay Round. Bien entendu, quand on a pour objectif le lancement d'un cycle et que l'on constate qu'il n'a pas démarré, c'est un objectif raté. Mais il faut essayer de voir plus loin. Ce qui paraît en cause, c'est l'OMC. Ce que nous venons de vivre est à la fois une confirmation et un espoir. Contrairement à ce que beaucoup ont pu croire, l'OMC est une organisation qui fonctionne de manière démocratique.
Les 135 pays membres, développés ou en voie de développement, ont clairement manifesté qu'il fallait les prendre en compte et qu'il ne s'agissait pas seulement d'une affaire entre puissances ou entre techniciens. Ce n'est pas un véritable échec mais une occasion de faire autrement et mieux, notamment sur le plan de l'organisation, pour que tous puissent s'exprimer. Ce qui serait un échec serait qu'avec ce non-lancement on assiste à un retour du bilatéralisme ou de l'unilatéralisme.
2 - L'agriculture, que les Américains avaient voulu placer au cur de la négociation, est-elle à l'origine de cet échec ?
Clairement non. L'Union européenne considérait l'agriculture comme un sujet important, mais elle a refusé que l'on enferme la négociation sur le cycle du Millénaire dans un débat préalable sur l'agriculture. Il y avait l'agriculture, mais aussi d'autres sujets : l'environnement, les normes sociales fondamentales... La démarche de l'UE était globale, dans le cadre d'un cycle large. Ce qui s'est passé montre le bien-fondé de cette démarche. On peut aisément imaginer que le choix des Etats-Unis était dicté par des raisons électorales.
3 - Quelles conséquences peut-on en tirer pour la France, et pour l'Europe ?
Il n'y aura pas d'impact négatif significatif pour la France. Nous n'avons jamais pensé que les Etats-Unis pourraient nous imposer leurs vues. Nous ne sommes donc pas dans une situation dans laquelle on aurait pu se dire que l'on avait échappé à quelque chose. Je trouve que cette irruption de la société civile a été une bonne chose. Nous souhaitons une "OMC citoyenne". Ce que j'ai entendu de la part de cette société civile confirme la position du gouvernement français, qui a organisé une concertation en amont avec les ONG et le Parlement. Leur démarche pour une mondialisation plus humaine correspond à ce que demandait l'UE.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 9 décembre 1999)
_________________________________________________________
Entretien du secrétaire d'Etat au commerce extérieur,
M. FRANCOIS HUWART, avec France 2 le 6 décembre 1999
Q - François Huwart a suivi l'ensemble de la Conférence de l'OMC à Seattle la semaine dernière pour le compte du gouvernement français. De retour à Seattle, comment vous remettez-vous de cette conférence qui était mouvementée ?
R - Je m'en remets bien. Elle a été mouvementée, mais je crois que même si le résultat aboutit au non-lancement du cycle, je ne crois pas que ce soit une catastrophe. Nous allons en reparler prochainement. Et finalement ce que je retire de cette affaire, c'est que nous avions dit : "Mieux ne valait pas d'accord qu'un mauvais accord", et je crois que la position qui était celle de la France et des Européens a finalement été comprise par une majorité de membres de l'OMC".
Q - Pourtant certains parlent d'un fiasco ce matin, parce qu'il n'y a pas eu justement cet accord. Vous, vous dites qu'il n'était pas forcément prévu parce qu'il y aura d'autres rencontres. Alors pourquoi avoir tant espéré de la part de certains ?
R - Je crois qu'il faut se souvenir que pour le lancement de l'Uruguay Round, il a fallu trois réunions. Nous voulions un cycle court avec des objectifs ambitieux. Manifestement, la plupart des pays n'étaient pas prêts à cela, à Seattle. Je crois donc qu'il faut comprendre que nous n'avons pas réussi à lancer le cycle, mais que nous avons à tirer les enseignements de cet échec et à repartir du bon pied. Je crois que ce sera l'occasion, sans doute, pour l'Europe et pour un certain nombre de pays de prendre conscience que la libéralisation du commerce est un objectif, mais que la maîtrise et l'humanisation de cette libéralisation en est un autre.
Q - Donc, il faut à la fois de la liberté dans les échanges commerciaux et aussi de la régulation pour qu'on ne fasse pas n'importe quoi ?
R - Je crois que c'est très clair : c'est le message que nous a transmis la société civile. C'est une exigence des peuples. Vous savez, cette transition entre des pratiques exclusivement commerciales et l'introduction d'une régulation et d'une humanisation, est quelque chose de difficile à faire.
Q - C'est un effet de l'économie mixte qui doit maintenant introduire du social, de l'environnement, de l'aide au développement et pas simplement du progrès économique financier et commercial ?
R - Je crois que c'est bien cela l'enjeu et je crois que l'OMC avait l'habitude de travailler sur des questions purement commerciales. L'introduction de ces nouveaux sujets - environnement, normes sociales, principe de précaution - est difficile à faire. Il faut un travail préalable qui n'avait pas été fait à Genève, dans les mois qui précédaient, d'où l'échec. Je pense que maintenant nous devons nous donner le temps pour réussir cela. C'est indispensable si nous voulons que la mondialisation ne soit pas perçue comme quelque chose de négatif. Et je voudrais dire, aujourd'hui, que ce n'est pas un échec pour l'OMC. Aujourd'hui, c'est la confirmation que l'OMC est une instance démocratique, que c'est la seule qui puisse réguler le commerce mondial. Les pays se sont exprimés, je crois que c'est un message d'espoir en même temps. Il faut la réformer, qu'elle fonctionne mieux. Mais nous pouvons repartir, si nous tirons les enseignements sur de meilleures bases.
Q - Donc l'Organisation mondiale du commerce, qui comprend 135 pays, qui ont chacun une voix, pour la faire vivre et la rendre efficace, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut lui donner un gouvernement, un exécutif, que faut-il faire ?
R - Je ne crois pas qu'il faille lui donner un gouvernement et ou un exécutif, je crois qu'il faut d'abord des procédures plus transparentes. Il faut ensuite qu'on perde l'habitude de considérer que ces affaires-là sont un débat entre pays industriels et puissants, un débat transatlantique. Il faut prendre en compte l'avis des pays en voie de développement...
Q - Ce que la France veut faire donc.
R - Ce que la France et l'Union européenne ont toujours souhaiter faire.
Q - Mais les Américains aussi, Clinton l'a dit dans son discours.
R - Oui j'ai écouté le discours du président Clinton, j'ai trouvé que c'était un excellent discours. Mais entre le discours de Bill Clinton et la pratique de Charlène Barshefsky qui était chargée de négocier j'ai vu quand même quelques différences, et par conséquent une sorte d'inflexibilité de la partie américaine qui est sans doute à l'origine de cette difficulté que nous avons connue.
Q - Est-ce qu'un jour il y aura une organisation mondiale de l'économie ? Certains disent un exécutif ou un législatif mondial, un parlement mondial. C'est Jacques Attali qui en parlait dans un article de Libération la semaine dernière, est-ce que c'est envisageable une telle organisation ?
R - Je crois que c'est à une échéance lointaine. Contentons-nous, pour l'instant, d'avoir un certain nombre de règles, applicables à tous, qui permettent de maîtriser l'évolution du commerce mondial, de le réguler, et faisons en sorte que ces règles fonctionnent. Et faisons en sorte surtout - c'est ce que nous avons retenu, nous, Français, de Seattle - que ce monde soit multipolaire.
Q - Le patron de la banque américaine, M. Greenspan, dans un journal français ce matin, parle de "nouvelle économie". On est entré dans une nouvelle ère ?
R - Je crois qu'on entre sans s'en rendre compte dans une nouvelle ère. Je crois que la mondialisation de l'économie exige maintenant des institutions internationales où les pays s'expriment. On ne peut pas continuer de juger et de discuter de ces choses-là seulement au niveau de chacun des pays, de la France ou même de l'Europe, je crois qu'il faut s'organiser en créant des entités régionales et discuter, mais au niveau mondial.
Q - Concrètement, quelle sera votre prochaine action dans ce dossier du commerce mondial, François Huwart ?
R - Je crois qu'il faut discuter avec les pays en voie de développement de façon à ce qu'un dialogue s'instaure et que nous ne connaissions pas les mêmes difficultés que nous avons connues à Seattle. Nous devons promouvoir un certain nombre de thèmes, qui corresponde d'ailleurs à ce que souhaitait l'Europe - l'environnement, les normes sociales fondamentales, le principe de précaution -, toutes choses qui sont effectivement au départ mal reçues par ces pays-là, mal comprises. Si nous voulons que la prochaine réunion ne soit pas à nouveau un échec, nous avons un travail important préparatoire à faire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 1999)
Trois questions à ... François HUWART
1 - Secrétaire d'Etat au Commerce Extérieur, vous avez assisté à la négociation pour la France de bout en bout. Pensez-vous que l'échec de la nuit de vendredi à samedi soit grave pour la mondialisation et l'OMC ?
Il avait fallu trois réunions ministérielles pour lancer l'Uruguay Round. Bien entendu, quand on a pour objectif le lancement d'un cycle et que l'on constate qu'il n'a pas démarré, c'est un objectif raté. Mais il faut essayer de voir plus loin. Ce qui paraît en cause, c'est l'OMC. Ce que nous venons de vivre est à la fois une confirmation et un espoir. Contrairement à ce que beaucoup ont pu croire, l'OMC est une organisation qui fonctionne de manière démocratique.
Les 135 pays membres, développés ou en voie de développement, ont clairement manifesté qu'il fallait les prendre en compte et qu'il ne s'agissait pas seulement d'une affaire entre puissances ou entre techniciens. Ce n'est pas un véritable échec mais une occasion de faire autrement et mieux, notamment sur le plan de l'organisation, pour que tous puissent s'exprimer. Ce qui serait un échec serait qu'avec ce non-lancement on assiste à un retour du bilatéralisme ou de l'unilatéralisme.
2 - L'agriculture, que les Américains avaient voulu placer au cur de la négociation, est-elle à l'origine de cet échec ?
Clairement non. L'Union européenne considérait l'agriculture comme un sujet important, mais elle a refusé que l'on enferme la négociation sur le cycle du Millénaire dans un débat préalable sur l'agriculture. Il y avait l'agriculture, mais aussi d'autres sujets : l'environnement, les normes sociales fondamentales... La démarche de l'UE était globale, dans le cadre d'un cycle large. Ce qui s'est passé montre le bien-fondé de cette démarche. On peut aisément imaginer que le choix des Etats-Unis était dicté par des raisons électorales.
3 - Quelles conséquences peut-on en tirer pour la France, et pour l'Europe ?
Il n'y aura pas d'impact négatif significatif pour la France. Nous n'avons jamais pensé que les Etats-Unis pourraient nous imposer leurs vues. Nous ne sommes donc pas dans une situation dans laquelle on aurait pu se dire que l'on avait échappé à quelque chose. Je trouve que cette irruption de la société civile a été une bonne chose. Nous souhaitons une "OMC citoyenne". Ce que j'ai entendu de la part de cette société civile confirme la position du gouvernement français, qui a organisé une concertation en amont avec les ONG et le Parlement. Leur démarche pour une mondialisation plus humaine correspond à ce que demandait l'UE.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 9 décembre 1999)
_________________________________________________________
Entretien du secrétaire d'Etat au commerce extérieur,
M. FRANCOIS HUWART, avec France 2 le 6 décembre 1999
Q - François Huwart a suivi l'ensemble de la Conférence de l'OMC à Seattle la semaine dernière pour le compte du gouvernement français. De retour à Seattle, comment vous remettez-vous de cette conférence qui était mouvementée ?
R - Je m'en remets bien. Elle a été mouvementée, mais je crois que même si le résultat aboutit au non-lancement du cycle, je ne crois pas que ce soit une catastrophe. Nous allons en reparler prochainement. Et finalement ce que je retire de cette affaire, c'est que nous avions dit : "Mieux ne valait pas d'accord qu'un mauvais accord", et je crois que la position qui était celle de la France et des Européens a finalement été comprise par une majorité de membres de l'OMC".
Q - Pourtant certains parlent d'un fiasco ce matin, parce qu'il n'y a pas eu justement cet accord. Vous, vous dites qu'il n'était pas forcément prévu parce qu'il y aura d'autres rencontres. Alors pourquoi avoir tant espéré de la part de certains ?
R - Je crois qu'il faut se souvenir que pour le lancement de l'Uruguay Round, il a fallu trois réunions. Nous voulions un cycle court avec des objectifs ambitieux. Manifestement, la plupart des pays n'étaient pas prêts à cela, à Seattle. Je crois donc qu'il faut comprendre que nous n'avons pas réussi à lancer le cycle, mais que nous avons à tirer les enseignements de cet échec et à repartir du bon pied. Je crois que ce sera l'occasion, sans doute, pour l'Europe et pour un certain nombre de pays de prendre conscience que la libéralisation du commerce est un objectif, mais que la maîtrise et l'humanisation de cette libéralisation en est un autre.
Q - Donc, il faut à la fois de la liberté dans les échanges commerciaux et aussi de la régulation pour qu'on ne fasse pas n'importe quoi ?
R - Je crois que c'est très clair : c'est le message que nous a transmis la société civile. C'est une exigence des peuples. Vous savez, cette transition entre des pratiques exclusivement commerciales et l'introduction d'une régulation et d'une humanisation, est quelque chose de difficile à faire.
Q - C'est un effet de l'économie mixte qui doit maintenant introduire du social, de l'environnement, de l'aide au développement et pas simplement du progrès économique financier et commercial ?
R - Je crois que c'est bien cela l'enjeu et je crois que l'OMC avait l'habitude de travailler sur des questions purement commerciales. L'introduction de ces nouveaux sujets - environnement, normes sociales, principe de précaution - est difficile à faire. Il faut un travail préalable qui n'avait pas été fait à Genève, dans les mois qui précédaient, d'où l'échec. Je pense que maintenant nous devons nous donner le temps pour réussir cela. C'est indispensable si nous voulons que la mondialisation ne soit pas perçue comme quelque chose de négatif. Et je voudrais dire, aujourd'hui, que ce n'est pas un échec pour l'OMC. Aujourd'hui, c'est la confirmation que l'OMC est une instance démocratique, que c'est la seule qui puisse réguler le commerce mondial. Les pays se sont exprimés, je crois que c'est un message d'espoir en même temps. Il faut la réformer, qu'elle fonctionne mieux. Mais nous pouvons repartir, si nous tirons les enseignements sur de meilleures bases.
Q - Donc l'Organisation mondiale du commerce, qui comprend 135 pays, qui ont chacun une voix, pour la faire vivre et la rendre efficace, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut lui donner un gouvernement, un exécutif, que faut-il faire ?
R - Je ne crois pas qu'il faille lui donner un gouvernement et ou un exécutif, je crois qu'il faut d'abord des procédures plus transparentes. Il faut ensuite qu'on perde l'habitude de considérer que ces affaires-là sont un débat entre pays industriels et puissants, un débat transatlantique. Il faut prendre en compte l'avis des pays en voie de développement...
Q - Ce que la France veut faire donc.
R - Ce que la France et l'Union européenne ont toujours souhaiter faire.
Q - Mais les Américains aussi, Clinton l'a dit dans son discours.
R - Oui j'ai écouté le discours du président Clinton, j'ai trouvé que c'était un excellent discours. Mais entre le discours de Bill Clinton et la pratique de Charlène Barshefsky qui était chargée de négocier j'ai vu quand même quelques différences, et par conséquent une sorte d'inflexibilité de la partie américaine qui est sans doute à l'origine de cette difficulté que nous avons connue.
Q - Est-ce qu'un jour il y aura une organisation mondiale de l'économie ? Certains disent un exécutif ou un législatif mondial, un parlement mondial. C'est Jacques Attali qui en parlait dans un article de Libération la semaine dernière, est-ce que c'est envisageable une telle organisation ?
R - Je crois que c'est à une échéance lointaine. Contentons-nous, pour l'instant, d'avoir un certain nombre de règles, applicables à tous, qui permettent de maîtriser l'évolution du commerce mondial, de le réguler, et faisons en sorte que ces règles fonctionnent. Et faisons en sorte surtout - c'est ce que nous avons retenu, nous, Français, de Seattle - que ce monde soit multipolaire.
Q - Le patron de la banque américaine, M. Greenspan, dans un journal français ce matin, parle de "nouvelle économie". On est entré dans une nouvelle ère ?
R - Je crois qu'on entre sans s'en rendre compte dans une nouvelle ère. Je crois que la mondialisation de l'économie exige maintenant des institutions internationales où les pays s'expriment. On ne peut pas continuer de juger et de discuter de ces choses-là seulement au niveau de chacun des pays, de la France ou même de l'Europe, je crois qu'il faut s'organiser en créant des entités régionales et discuter, mais au niveau mondial.
Q - Concrètement, quelle sera votre prochaine action dans ce dossier du commerce mondial, François Huwart ?
R - Je crois qu'il faut discuter avec les pays en voie de développement de façon à ce qu'un dialogue s'instaure et que nous ne connaissions pas les mêmes difficultés que nous avons connues à Seattle. Nous devons promouvoir un certain nombre de thèmes, qui corresponde d'ailleurs à ce que souhaitait l'Europe - l'environnement, les normes sociales fondamentales, le principe de précaution -, toutes choses qui sont effectivement au départ mal reçues par ces pays-là, mal comprises. Si nous voulons que la prochaine réunion ne soit pas à nouveau un échec, nous avons un travail important préparatoire à faire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 1999)