Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à LCI le 4 février 2003, sur la démarche du gouvernement dans la préparation de la réforme du régime des retraites et sur le projet de réforme du mode de scrutin des élections régionales et européennes.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. Vous avez pris connaissance du discours de J.-P. Raffarin devant le Conseil économique et social. Est-ce que vous croyez à la détermination du Premier ministre ou est ce que vous pensez qu'il avance à petits pas, comme certains croient le détecter ce matin ?
- "J'ai lu avec une grande attention le discours de J.-P. Raffarin - parce qu'il vaut mieux les lire. Les principes et les objectifs, tout le monde ne peut qu'y adhérer. A une exception près : c'est que dès maintenant, on a le sentiment qu'il a déjà exclu les régimes spéciaux..."
Ce ne sont pas les régimes spéciaux qui plombent complètement les retraites, quand même ?
- "En effet, mais quand on parle de justice et d'équité, on intègre dans l'opération les régimes spéciaux. Mais sortie de cette question, sur les principes, sur les objectifs tout va bien. Maintenant, il reste à savoir ce qu'on va faire de ces principes et de ces objectifs."
Mais quand l'UDF réclame un référendum, est ce que vous croyez que c'est la bonne solution ? On ne sait pas sur quoi, sur combien de questions...
- "Notre idée est la suivante, elle est extrêmement simple : c'est qu'on estime que sur un sujet comme celui ci, il faut prendre les Français pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des personnes responsables et que si on les exclue du débat, si on fait ce débat entre initiés, les Français ne se comporteront pas en hommes responsables, voulant sauver leur régime par répartition, mais au contraire risquent de se transformer soit en protecteurs d'acquis - qui sont de faux acquis, puisque nos régimes de retraite sont sur du sable -, soit en consommateurs - et dans ce cas le risque, c'est d'aller vers l'échec. Ce qui est certain, c'est que l'alignement des régimes de la fonction publique sur le privé ne suffit pas. La durée de cotisation est un des éléments de la fonction publique mais, en aucun cas cela suffira pour assurer l'équilibre des régimes de retraite. Il faudra faire beaucoup plus. Il faut savoir que les besoins de financement sont considérables. On estime qu'en 2020, globalement, il faut trouver, pour la fonction publique, 40 milliards d'euros ; et il faut, pour le secteur privé, en trouver 10. Donc, l'effort risque d'être très important. L'équité imposera non pas uniquement de s'arrêter sur la durée de cotisation, mais sur le montant des cotisations. Il faut savoir que quand vous êtes dans le privé, globalement, le taux de cotisation employeur est de 25 %, pour faire simple. L'équivalent de la cotisation que l'Etat verse pour la retraite de la fonction publique est entre 40 et 50 % - tout dépend si on y intègre ou pas les militaires. Ce qui montre donc que pour arriver à un peu d'équité, il va falloir faire beaucoup de réformes."
Que les employeurs et les salariés payent plus, c'est ça ?
- "Pas forcément, mais ce que je veux dire..."
C'est, un peu ce que vous suggérez ?.
- "Non, ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut pas considérer que la question de l'équité est réglée uniquement par la question de l'alignement de la durée de cotisations de la fonction publique sur le secteur privé."
Puisque vous considérez qu'il n'y a pas grand chose de précis dans ce propos...
- "Eh bien, je crois que c'est reconnu par tout le monde. Mais de toute façon, c'est normal !"
Qu'attendez-vous maintenant ? Un calendrier, un projet de loi tout de suite ou est-ce qu'il ne faut pas d'abord des négociations avec les syndicats ?
- "Au fond, très sincèrement, le gouvernement, plutôt que de faire ce qui était nécessaire - d'augmenter la dépense sur la police, la justice, la défense, de baisser des impôts - en début de mandature, il aurait mieux fallu s'occuper des retraites, des sujets difficiles, parce que le risque, aujourd'hui, au bout de neuf mois, c'est que l'état de grâce, forcément, a tendance à s'effilocher. A mon avis, le gouvernement aurait dû d'abord s 'attaquer"
Il ne l'a pas fait...
- "Il ne l'a pas fait et donc, maintenant, cela va être plus difficile, d'autant plus difficile quand en même temps, la conjoncture s'effondre."
Mais est ce que vous allez le soutenir ou est ce que vous allez un peu lui savonner la planche ?
- "Est-ce que vous croyez que c'est dans la nature de l'UDF de savonner la planche ?"
Vous êtes quand même très critiques ces temps ci à l'égard du gouvernement ?
- "Non, nous ne sommes pas critiques, nous disons quand c'est bien, c'est bien, quand c'est mal c'est mal, voilà c'est tout, c'est une démarche simple, c'est une démarche de vérité. C'est très simple : quand vous écoutez le PS c'est toujours mal, quand vous écoutez l'UMP c'est toujours bien ; eh bien, nous, nous disons ce que nous pensons. Nous sommes indépendants, libres, mais soutien du gouvernement."
Soutien ?
- "Oui, bien sûr."
Cela ne se voit pas toujours ! Il y a des gels de crédit qui vont être annoncés aujourd'hui, assez importants, lors de 5 milliards d'euros. Est ce que vous en connaissez la nature ?
- "Non, très franchement, le gouvernement ne nous a pas fait de confidences particulières. La réalité c'est que les 2,5% de croissance que le gouvernement avait annoncé pour l'élaboration de son budget, ils n'y seront pas. J'ai été fasciné, la semaine dernière : j'avais un petit déjeuner avec une douzaine de grands chefs d'entreprises ; tous, à part le secteur du bâtiment et de l'immobilier, annonçaient une année 2003 absolument catastrophique ! Leur hypothèse de croissance est plutôt autour de 1 % et donc, il va bien falloir faire des efforts, on ne peut pas constamment considérer que ce sont les générations futures qui vont payer les dépenses d'aujourd'hui."
Vous soutenez le gouvernement, mais vous vous apprêtez quand même à livrer une bataille sur la réforme des modes de scrutin pour les régionales et les européenne. La gauche n'a pas voulu se joindre au front du refus qu'a voulu constituer F. Bayrou. Où en êtes vous dans la constitution de ce front ? Est ce que vous allez vous réunir avec un certain nombre de partis, quand, aujourd'hui, demain ?
- "Alors il est prévu une réunion commune demain ; vient qui veut. Le débat, c'est la défense du pluralisme, c'est la liberté de choix des électeurs de pouvoir choisir qui bon leur semble, c'est assez simple. Donc vient qui veut, si le PS ne vient pas, il ne vient pas, peu importe..."
C'est toute la gauche qui ne va pas venir...
- "Peu importe, on verra bien. En revanche, le front du refus dont vous parlez, vous l'aurez à l'Assemblée Nationale puisque le groupe communiste, le groupe socialiste et le groupe UDF déposeront des motions de procédure, des amendements... Nous en déposons 1.000 chacun pour alerter l'opinion..."
1.000 amendements par groupe ?
- "Par groupe, oui."
Cela va durer quelques jours alors ?
- "Quelques jours et quelques nuits. Mais le sujet est d'importance, ce n'est pas simplement de sauver quelques sièges. La question est de savoir si on veut oui ou non donner aux Français la possibilité de choisir qui ils veulent. Ce n'est pas rien, parce que à travers la réforme des élections régionales et à travers les élections européennes - mais plutôt les régionales -, l'idée est d'aller vers le bipartisme, un parti unique à droite, un parti unique à gauche. Je ne suis pas convaincu que l'histoire, la sensibilité des Français va vers ce genre de situation politique."
Quand il y a une liste nationale, vous croyez que les Français choisissent leur député ?
- "A l'heure actuelle, le mode de scrutin qui est prévu pour les élections européennes, c'est digne de la roue de la fortune, c'est aléatoire c'est une grande loterie et puis, vous saurez si vous avez un député européen dans telle région ou dans telle autre. C'est strictement incompréhensible. D'ailleurs, je n'ai pas encore trouvé un journaliste capable d'expliquer le mode de scrutin."
Les hommes politiques sauront le faire !
- "Non plus !"
Il y a un sommet franco-britannique aujourd'hui qui se tient au Touque. Londres dit que Paris va évoluer sur l'Irak. Est ce que vous y croyez ?
- "Ce qui est certain, c'est que la position de la France est une position courageuse, mais une position difficile et que, dès lors qu'on a posé des conditions extrêmement précises pour l'engagement de forces, et notamment de la France, dans une opération miracle, il est clair qu'on n'a plus beaucoup de marge de manoeuvre, c'est évident. Ce qui est certain, c'est que la semaine dernière, la diplomatie française a pris une claque, il faut le reconnaître. Lorsque tout d'un coup huit pays européens font paraître par voie de presse une position qui est différente de celle de la France et de l'Allemagne, c'est évident qu'on n'est pas bien. Cela prouve deux choses. La première, c'est clairement qu'il faut construire une Europe politique, parce que tant qu'il n'y aura pas d'Europe politique, on n'aura pas de politique étrangère commune et donc on ne sera pas capable de parler d'égal à égal avec les Etats-Unis. Et cela prouve une deuxième chose : c'est qu'il faut être vigilant et prudent lorsque l'on fait des grandes déclarations d'amour, parce que c'est un peu la conséquence de la rencontre franco-allemande. Quand on n'arrête pas de dire "nous, c'est l'Europe, on est le moteur, etc. l'Europe ça n'est pas que nous", évidemment, cela finit par déplaire aux autres."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 février 2003)