Déclarations de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur la rénovation de l'OTAN et l'extension du partenariat transatlantique à l'ensemble de l'Europe, y compris la Russie, et sur la fermeté de la position française sur l'attribution du commandement sud de l'OTAN à un Européen, Bruxelles le 18 février 1997.

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Circonstance : Session ministérielle extraordinaire du Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles (Belgique) le 18 février 1997

Texte intégral

Cette réunion du Conseil atlantique nous a été proposée par le nouveau secrétaire d'Etat américain. Cette initiative témoigne de la priorité que les Etats-Unis attachent à la relation transatlantique, priorité que symbolisent l'histoire personnelle, les convictions et la personnalité de Madame Albright, à qui je tiens à redire qu'elle aura dans la France, et en moi-même, un partenaire amical dans l'accomplissement de sa mission. Cette réunion est aussi, pour nous, l'occasion de mesurer les défis qui se présentent, pour notre alliance, et pour la relation transatlantique, au cours des mois à venir. Elle est ainsi une étape importante dans la préparation du sommet de Madrid.

Ces défis, quels sont-ils ?
I - Créer, pour le XXlème, un partenariat transatlantique rénové L'Alliance atlantique a été créée il y a près de cinquante ans pour apporter à une Europe détruite et divisée la protection des Etats-Unis. Il s'agissait de la protéger contre la menace soviétique, mais aussi contre elle-même, contre la résurgence possible des nationalismes et des idéologies de conquête. Cette double fonction originelle de l'Alliance appartient aujourd'hui à l'Histoire. A l'Union soviétique a succèdé une Russie qui n'est plus une menace, et dont la faiblesse, bien plus que l'excès de puissance, pourrait, à échéance prévisible, faire courir un risque à la sécurité de l'Europe.

L'Europe est aujourd'hui prospère et réconciliée avec elle-même. Les pays qui appartiennent à l'Union Européenne exercent en commun des compétences politiques majeures. Ils se sont engagés dans la définition d'une politique extérieure et de sécurité commune, ils auront, demain, une monnaie commune. Leur unité est désormais irréversible.

L'Alliance du XXlème siècle sera donc une alliance nouvelle, poursuivant des objectifs nouveaux. La définition de ce nouveau partenariat transatlantique nous oblige à regarder, au-delà de ce qui nous a historiquement rassemblés, ce qui nous réunit aujourd'hui, et ce que l'Amérique et l'Europe peuvent apporter l'une à l'autre pour faire face aux défis du prochain siècle.

L'Europe, si elle veut devenir au siècle prochain un acteur majeur de la vie internationale, doit assumer les responsabilités, et avec elles, accepter les fardeaux de la puissance. L'Amérique, si elle veut rester engagée en Europe, doit se rappeler les exigences de l'action collective, et les disciplines de Ia coopération multilatérale.

L'Europe et l'Amérique auront besoin l'une de l'autre pour faire face aux défis globaux qui seront ceux du prochain siècle : d'abord parce que ces défis, aucun de nous, fût-il le plus grand, ne sera en mesure de les régler seul ; ensuite parce qu'Européens et Américains s'apportent mutuellement des qualités omplémentaires.

Des Américains, l'Europe doit apprendre cet esprit positif, cette résolution dans l'action qu'ils appellent le "leadership". De leur côté, les Européens offrent aux EtatsUnis l'exemple d'une coopération entre égaux et d'une communauté de vision à long terrne qui n'ont pas d'équivalent dans l'Histoire. Ce que notre Alliance peut retenir de cette double expérience, c'est qu'il peut y avoir partenariat sans dilution des responsabilités ; que le "leadership" peut se partager ; qu'enfin, pour reprendre les termes mêmes employés par Mme Albright, le temps est venu qu'Européens et Américains organisent ensemble notre Alliance sur la base de la co-responsabilité.

Ce nouveau partenariat transatlantique, cette co-responsabilité, la France les souhaite. Le président de la République en a exposé la vision en février 1996 lors de sa visite aux Etats-Unis La France, plus que toute autre, a contribué à ce grand chantier qu'est la rénovation de l'OTAN. Comment doit se traduire, dans l'organisation de l'Alliance, ce nouveau partenariat que nous appelons de nos voeux ? C'est simple : les Européens doivent exister en tant que tels dans l'OTAN, et y occuper leur juste place. Ils doivent, sur le plan militaire, y exercer des responsabilités prédéfinies, visibles et équilibrées, qui correspondent aux capacités qu'ils apportent à cette Alliance.

La mise en oeuvre des principes de Berlin, aujourd'hui bien avancée, est le signe que nous sommes résolus à aboutir.

La définition, au profit des Européens, de responsabilités de commandement équitables est indispensable au succès de la réforme. Le Sud pose à cet égard un problème particulier, dont chacun ici est conscient, en raison de l'importance et de l'imbrication des intérêts vitaux pour l'Europe et pour les EtatsUnis dans cette région-clé.

D'où peut venir la solution ? A nos yeux, de l'application, au Sud, des principes de parité et d'équilibre qui sont la clé de la rénovation de l'Alliance, sur le plan politique, comme sur le plan militaire. Cela signifie un partage équilibré des responsabilités entre un commandement européen et un commandement américain de même niveau en Méditerranée.

Si ce principe politique est accepté, je suis confiant dans le fait que l'issue sera positive. Mais le temps presse, et il est essentiel que les travaux progressent désormais rapidement sur cet élément essentiel de la rénovation de l'OTAN.

La France s'est engagée, en cas de rénovation réelle et couronnée de succés, à participer pleinement aux nouvelles structures politiques et militaires de l'OTAN. Ce faisant, elle a marqué au plus haut niveau l'importance qu'elle attache à la pérennité du lien transatlantique, et sa disposition à faire sa part du chemin. En cas de désaccord persistant, nous serions néanmoins contraints d'en rester là. Nous le ferions avec la conviction que le développement de la construction européenne, y compris dans le domaine de la défense, est inéluctable et sera nécessairement, tôt ou tard, reflété dans l'organisation et le mode de fonctionnement de l'OTAN. Mais une occasion historique aurait été perdue, pour l'Europe, comme pour la relation
transatlantique.

Et ce, d'autant plus que la conclusion réussie de la rénovation de l'OTAN est le moyen de faciliter notre deuxieme objectif pour le sommet de Madrid.

II - Etendre le partonariat transatlantique à l'ensemble de l'Europe, y compris à la Russie.

L'Alliance atlantique, née de la division de l'Europe, doit désormais contribuer à l'unité du continent. C'est pour elle un devoir moral, qui lui est prescrit par l'Article X du Traité de Washington. Les démocraties d'Europe centrale et orientale font de leur adhésion à l'OTAN le symbole de leur appartenance à la famille démocratique européenne. Nous ne pouvons pas ignorer cette aspiration. Nous devons y répondre positivement, et avec chaleur.

Pour autant, nos obligations historiques ne s'arrêtent pas aux quelques pays avec lesquels l'OTAN décidera, en juillet prochain, d'ouvrir des négociations d'élargissement. D'autres partenaires majeurs attendent de nous une réponse à leurs préoccupations.

- Il s'agit d'abord de la Russie, vis-à-vis de laquelle nous avons des obligations. La première est de reconnaître en elle un partenaire qui n'est pas la continuation de l'URSS, mais un Etat nouveau en transition vers la
démocratie et l'économie de marché, et qui a, vis-à-vis de l'Europe des aspirations légitimes. Ces aspirations sont d'être partie intégrante de l'architecture de sécurité européenne, d'étre traité en partenaire et non en adversaire réel ou potentiel, de voir changer l'OTAN, et de pouvoir délibérer avec elle de celles de ses décisions qui la concernent.

La France estime qu'il faut répondre positivement à ces demandes russes. La charte OTAN-Russie, la négociation sur les forces conventionnelles en Europe, l'OSCE sont les trois principaux cadres où doivent étre apportées, rapidement, clairement et solennellement, à la Russie, les assurances qu'elle nous demande. C'est avant le Sommet de Madrid qu'il faut le faire.

Nous sommes conscients des difficultés. La Russie souhaite que la charte qu'elle pourrait souscrire avec l'OTAN ait valeur d'engagement juridique. Elle demande à être associée à nos décisions, au moins à certaines d'entre elles. Elle veut être convaincue que l'élargissement de l'Alliance s'accompagnera d'engagements précis concernant les capacités militaires des alliés.

Aucune de ces questions n'est simple. Mais toutes sont solubles. Il nous appartient d'y appliquer notre volonté politique d'aboutir.

Permettez-moi enfin d'évoquer la situation de l'Ukraine et des Pays Baltes. - L'Ukraine doit, quant à elle, être rassurée sur le fait que les pays de l'Alliance soutiennent l'indépendance que le peuple ukrainien a massivement approuvée. L'élargissement de l'OTAN ne remet en cause d'aucune façon cette indépendance. Nous devons réaffirmer, à cette occasion, le droit, pour l'Ukraine, de déterminer librement les arrangements qui lui paraissent propres à assurer son destin de pays européen souverain et indépendant.

- Quant aux Pays baltes, les inquiétudes que suscitent chez eux l'élargissement de l'Alliance doivent être comprises. Victimes, dans le passé, d'un partage décidé par d'autres, ils craignent naturellement de voir à nouveau leur destin décidé sans eux. Ces inquiétudes, suscitées par l'élargissement de l'OTAN, correspondent à un problème de sécurité, auquel il nous faut apporter une réponse; celle-ci passe par une relation spéciale entre l'Alliance et les trois Etats baltes. En effet, l'adhésion à l'Union européenne, qui leur est promise, ne réglera pas à court terme leur problème de sécurite et répond à des critères économiques et politiques qui sont ndépendants des décisions que l'OTAN prend pour ce qui la concerne.
En énumérant les défis qui se présentent à nous d'ici au Sommet de Madrid, je mesure la tâche qu'il nous reste à accomplir. Je sais la part personnelle que vous y prenez et l'engagement qui est le vôtre pour que l'objectif soit atteint. Je salue, en particulier, le rôle qui vous incombe, de définir, en notre nom à tous, les nouvelles relations de l'Alliance et de la Russie.

Au bout du chemin, il y a le projet d'un partenariat transatlantique rénové, consolidé et élargi, projet auquel mon pays est prêt à prendre toute sa part. Il ne vous ménagera pas son aide pour y parvenir.

Enfin, je me réjouis que la présence de Madeleine Albright en Europe et l'initiative qu'elle a prise de nous proposer cette réunion nous permettent de lui souhaiter bonne chance et plein succès dans l'exercice de sa nouvelle mission. Elle pourra compter sur l'engagement personnel et l'amitié de chacun d'entre-nous pour atteindre nos objectifs.
Q - Que pensez-vous de l'intervention de Mme Albright ?
R - Mme Albright a exposé les positions américaines avec talent et profession. Sur beaucoup de points, nous sommes extrêmement proches.

Q - Lesquels par exemple ?
R - Comme vous le savez, l'effort que nous avons à faire aujourd'hui concernant l'architecture européenne de sécurité est un effort global. Il y a, d'un côté, la réforme et l'élargissement de l'Alliance, de l'autre, les mécanismes à mettre au point avec la Russie, de telle sorte que nous soyons en état de répondre aux légitimes aspirations de sécurité qu'ell exprime avec force. Enfin, de faire en sorte que, pour l'ensemble des pays qui ne feraient pas partie de l'Alliance, dans la phase initiale, des dispositifs permettent de leur apporter les garanties auxquelles ils aspirent. Pour cela, il y a, en particulier, le rôle qu'il ne faut pas oublier de mentionner, qui revient à l'OSCE, qu'il s'agisse des négociations FCE, qui sont en bonne voie, ou de la Charte européenne de sécurité. J'ai observé que Mme Albright les avait évoqués. Voilà le programme de travail. Il est vaste.
Il y a eu des discussions sur beaucoup de points. Sur la rénovation de l'Alliance le travail n'est pas achevé. Sur la question de l'élargissement, les discussions se poursuivent. Le dialogue avec la Russie s'intensifie. Beaucoup de questions restent en suspens. Sur la Charte européenne de sécurité au sein de l'OSCE, nous commençons, en vérité, un travail qui lui-même sera important. Bref, c'est un chantier très important, qui a de nombreux volets et qui va occuper, de façon très intensive les chancelleries européennes et américaines dans les semaines et les mois qui viennent.

Q - Sur les relations entre la France et l'OTAN, je vois que si vous n'obtenez pas satisfaction sur le pilier européen de l'OTAN, la France en reste là. Concrètement, est-ce que cela veut dire que, au Sommet de Madrid, les Quinze vont adopter tout ce qui a été fait pour développer le pilier européen et que la France fera de l'abstention constructive. Comment cela se passera-t-il ?

R - D'abord, je voudrais, si vous le voulez bien, répondre en un mot à votre question. Comme nous sommes des gens optimistes, nous travaillons pour obtenir un résultat. Nous ne nous sommes pas penchés aujourd'hui sur la question de savoir ce qui se passerait si on ne l'obtenait pas. De sorte que, à votre question, question pleine de sagesse...

Q - Dans votre discours, vous dites : si on ne l'obtient pas, on arrête là. R - Oui, ce n'est pas la première fois que je le dis. Mais je l'ai peut-être dit pour la première fois au sein de l'Alliance elle-même. Mon discours avait pour objet, comme vous avez pu le voir, d'exprimer avec simplicité, avec chaleur, amitié, mais aussi clarté, quelle était la position de la France sur le sujet. C'est très important. J'ai voulu donner à cette intervention, non pas un aspect technique sur les modalités - détails non négligeables, naturellement - de l'objectif à atteindre, mais plutôt sa signification politique.

Ceci dit, je voudrais quand même ajouter quelque chose pour compléter la réponse à votre question. C'est nous qui avons pris l'initiative, en décembre 1995, de relancer la réforme de l'OTAN pour permettre à l'Europe d'exister dans l'Alliance. Cette idée avait déjà été lancée entre les Seize, mais elle avait pris eau et on n'en parlait plus guère. Le 5 décembre 1995, j'ai adressé deux messages: aux Européens, j'ai dit : "Nous sommes d'accord pour construire ensemble l'identité européenne de défense dans l'Alliance" - c'est ça la grande nouveauté - et aux Américains, j'ai posé la question : ''Etes-vous prêts à réformer, avec nous, les structures de l'OTAN pour y donner sa place à l'Europe ?". C'est nous qui avons pris l'initiative, c'est encore nous qui avons défini les deux conditions nécessaires pour que l'Europe existe dans l'Alliance. Première condition, que les Européens, à travers une institution européenne, l'UEO, puissent diriger des opérations avec des moyens de l'OTAN. C'est ce qu'on a obtenu, à Berlin, le 3 juin 1996. Et comme vous le savez, nous avons obtenu en plus - ce qui est un élément tout à fait important - que le SACEUR adjoint soit un Européen qui ait la responsabilité éventuelle d'opérations européennes dans le cadre de ce mécanisme. Enfin, deuxième condition, il faut un nouveau partage des responsabilités entre Européens et Américains dans la structure de commandement, sur la base du principe de co-responsabilité auquel Mme Albright s'est elle-même référée dans une interview à un grand journal du soir. Et, enfin, c'est évidemment nous qui déciderons si, à nos yeux, ces conditions sont remplies.

Nous avons dit, dès le premier jour, que, si la réforme de l'Alliance faisait une juste place à l'Europe, sur la base de ces objectifs et de ces conditions, nous participerions pleinement à l'OTAN nouvelle manière. Nous avons dit aussi, de la façon la plus claire - je l'ai confirmé aujourd'hui - que si la réforme ne faisait pas cette juste place, nous resterions en dehors de la structure militaire. Nous resterions en attente d'un jour meilleur où les choses pourraient évoluer de façon positive. Si je vous dis tout ça, c'est pour vous dire que nous sommes dans une période très importante dans laquelle la France a pris une initiative . Elle a l'intention, bien entendu, de garder la maîtrise de sa propre conduite dans le cadre de cette initiative.

Q - Est-ce que cela gèlerait tous les progrès qui ont été accomplis sur la voie de l'européanisation ?

R - Votre question, je crois y avoir répondu. Ayant une détermination forte et un optimisme naturel, nous regardons, pour l'instant, comment nous pouvons parvenir à ce résultat. Nous nous pencherons, le moment venu, s'il le fallait, sur les conséquences pratiques d'un blocage.

Q - Est-ce que vous avez l'impression que Mme Albright partage votre point de vue sur la co-responsabilité en Méditerranée, je pense en particulier à Chypre et au Liban ?

R - On ne va pas mélanger les choses, faire un amalgame ...
Q - Par exemple, il y a Chypre qui est une crise actuelle. Il y a une crise depuis plusieurs années qui est la présence, dans la zone de sécurité de forces israéliennes.

R - A propos du Liban, je répète, que la position française n'a pas changé. Il ne peut y avoir de solution, dans cette partie du monde, que par un accord qui traite à la fois la situation en Syrie et au Liban. Quant à la question du commandement Sud, puisque c'est la question, elle fait actuellement l'objet de discussions techniques et politiques approfondies entre les Etats-Unis et les Européens et notamment, bien entendu, avec la France.

Q - On a eu l'impression, à écouter Mme Albright à la Commission, qu'elle avait un discours extrêmement ferme. Elle doit effectivement marquer son territoire puisqu'elle arrive, mais elle a donné l'impression qu'il ne restait pas beaucoup de place pour les Européens, en particulier pour la France, d'occuper une certaine coresponsabilité en Méditerranée.

R - Cela prouve la difficulté du sujet que nous avons à traiter.
Q - Lorsque vous parlez d'un partage équilibré des responsabilités entre un commandement européen et un commandement américain de même niveau en Méditerranée, c'est un partage du commandement ?

R - Les modalités pratiques font partie de la discussion qui a lieu actuellement. Si, encore une fois, j'avais des réponses précises à apporter à votre question, c'est que l'affaire serait résolue. Si j'ai insisté sur ce point, c'est pour évoquer un commandement de même niveau. La parité, ce n'est pas la hiérarchie.

Q - Cela veut dire deux commandements à Naples ? Mme Albright a réagi à cette notion de parité ?

R - Aujourd'hui, Mme Albright n'a pas réagi. Ce sujet est sur la table des discussions au sein de l'Alliance, depuis déjà un certain temps.

Q - Certes, mais c'est la première fois qu'on l'évoque publiquement et de surcroît dans une instance comme celle de l'OTAN. Est-ce que cela veut dire, le fait que vous 1e disiez publiquement, que cela a progressé et progresse dans cette direction là ?

R - Ecoutez, c'est, à coup sûr, une discussion extrêmement difficile. Elle l'est pour une raison extrêmement simple. En Méditerranée et au Proche-Orient, il y a des intérêts vitaux pour les Américains - ils l'ont dit et j'en conviens volontiers - et aussi pour les Européens. Il me semble que tout cela a été étudié dans le passé. Et donc forcément, cette discussion est complexe et difficile. Je ne peux pas dire aujourd'hui que nous allons aboutir à coup sûr. Je le souhaite. J'ai dit, ce matin, que j'étais un peu plus optimiste que je ne l'avais été dans le passé. Mais les difficultés, n'en doutez pas, restent considérables.

Q - Vous dites qu'il y a discussion sur le compromis que vous avancez, parce que si l'on discute de l'application du principe, c'est que le principe est accepté.

R - Il y a discussion sur ce sujet.
Q - Il y a discussion sur cette proposition, et sur d'autres propositions éventuellement ?

R - Je le répète, il y a discussion sur ce dossier délicat et complexe.
Q - Vous évoquez, pour la première fois, la possibilité d'une issue négative à la discussion ? C'est la première fois qu'au sein de l'OTAN, la France s'exprime en évoquant un possible échec ?

R - C'est une assemblée de gouvernements amis avec lesquels il faut avoir sincérité d'expression et il faut voir les choses comme elles sont. Mais j'ai déjà tenu ces propos dans d'autres circonstances depuis plusieurs semaines. Je dois dire que le président de la République, lui-même, l'a dit. Je ne crois pas avoir surpris mes collègues.

Q - Et vis-à-vis de vos collègues, ceux qui pourraient soutenir la France de manière un peu plus résolue. Est-ce qu'ils vous suivent ou est-ce qu'ils ne sont pas tentés finalement de prendre une position, s'alignant sur la détermination américaine ?

R - Comme vous le savez, c'est un sujet sur lequel nous avons, après une période, réussi à convaincre qu'il s'agissait d'une question européenne. J'ai observé dans la presse américaine, que, dans les premiers temps de cette discussion ? Celle-ci était présentée comme une demande de la France pour la France, que nous réclamions le commandement Sud. J'ai dit et répété, et je crois que maintenant c'est à peu près reconnu, je l'espère, que nous ne demandons rien que pour les Européens. Ce dont il s'agit, c'est du partage des responsabilités au sein de l'Alliance entre Européens et Américains.

Q - Est-ce que je peux revenir à l'OTAN et à l'élargissement ? Dans le discours de Mme Albright, il me semble qu'il y a un calendrier qui est très précis sur l'élargissement. Si j'ai bien compris, donc, au mois de juillet la liste des candidats sera établie. Les négociations doivent être terminées pour le mois de décembre, pour le Conseil Atlantique de décembre, afin que le processus de ratification puisse être achevé avant 1999. Est-ce que ce calendrier vous paraît réaliste ?

R - En tout cas, j'ai déjà entendu le Président Clinton dire qu'il souhaitait que l'élargissement de l'Alliance se fixe l'échéance 1999.

Q - Et que les négociations soient finies avant la fin de cette année ?
R - Il faut examiner cet aspect. Mais pour ce qui concerne l'objectif de 1999, nous n'avons pas d'objection de principe.

Q - Une autre question sur le calendrier. A propos du Conseil du Partenariat atlantique, comme Mme Albright en parle dans son discours, elle dit que ce Conseil devrait être créé avant ou au moment du Sommet de Madrid. Est-ce que là aussi vous partagez cette position ?

R - Comme vous le savez, à Bruxelles, en décembre, nous sommes convenus de mettre cette question à l'étude. Cette étude se poursuit.

Q - Ce sera terminé en juillet ?
R - Personnellement. je ne peux pas le garantir.
Q - En ce qui concerne les relations de l'OTAN avec la Russie. Est-ce que vous avez l'impression de progrès dans la définition de cette Charte OTAN/Russie, de manière précise, sous quelle forme, à quel niveau de parité ?

R - Je ne peux pas aujourd'hui vous donner de détails puisqu'on n'en est pas là. Ce qu'on peut dire, c'est qu'à la fin de 1996, nous avons eu, les uns et les autres, l'impression que la Russie hésitait à entrer dans ces discussions. Sans doute en raison de leur opposition de principe à l'élargissement.

Je dois reconnaître que, depuis quelques semaines, la discussion est ouverte, engagée, et difficile. Elle est complexe. Elle a des aspects à la fois techniques et politiques de première grandeur. Elle est engagée. La visite de Javier Solana, le voyage du Chancelier Kohl à Moscou, du président Chirac sont autant de signes que cette question est désormais traitée au plus haut niveau par les chefs d'Etat, ainsi qu'au niveau du Secrétaire général, qui en a été chargé par l'Alliance. D'autres étapes sont prévues : M. Solana rencontrera prochainement M. Primakov. Le président Clinton et M. Eltsine se voient bientôt Bref, c'est parti. La discussion reste complexe. Comme vous le savez, la France attache une grande importance à ce volet de l'architecture européenne de sécurité. Nous estimons qu'il y a une priorité à répondre aux légitimes aspirations de la Russie. Il n'y a pas d'architecture européenne de sécurité qui puisse se concevoir dans laquelle la Russie aurait le sentiment d'avoir été laissée pour compte ou dans laquelle elle serait gravement insatisfaite du résultat obtenu. Dans le travail que nous conduisons, ce projet d'une architecture européenne de sécurité, il faut que chacun, chaque pays, chaque peuple, chaque Etat trouve des réponses en termes de garanties, de règles, de fonctionnement, d'institutions, aux questions légitimes qui se posent concernant sa sécurité. Ceci vaut pour chacun des peuples d'Europe, et naturellement cela vaut tout particulièrement pour la Russie. D'où l'importance de l'enjeu, des difficultés qui sont devant nous et l'urgence du travail que nous réalisons.

Q - Urgence, c'est-à-dire que, si un accord n'est pas trouvé avec la Russie d'ici Madrid, il ne faut pas procéder à l'élargissement ?

R - L'urgence, c'est qu'en effet il faut aboutir avant.
Q - Mme Albright dit que si les leaders russes ne changent pas d'avis, elle non plus ne changera pas d'avis sur l'élargissement.

R - Pour connaître le point de vue de Mme Albright, elle est mieux à même que moi de vous le donner.

Q - Est-ce que je peux vous demander votre point de vue sur une proposition qui me semble nouvelle des Etats-Unis, mais peut-être je me trompe, celle d'une brigade commune OTAN/Russie. Est-ce que c'est une idée nouvelle, est-ce que c'est une idée discutée parmi les Seize ou bien c'est une proposition américaine ?

R - Je crois qu'il faudra avoir le point de vue des experts.
Q - Dans votre discours, il n'y a pas de rappel de la proposition de M. Chirac d'élargir le Sommet de Madrid à l'ensemble des Européens. En revanche, Mme Albright dit que les Etats-Unis sont en faveur de cette idée. Est-ce que cette idée a fait son chemin et que désormais c'est acquis que le Sommet serait élargi ?

R - Oui, la proposition du Président Chirac était un Sommet en trois parties : une première partie avec l'Alliance Atlantique, une deuxième partie de dialogue avec la Russie et la troisième partie avec l'ensemble des pays européens. La France n'a pas changé d'idée. Naturellement la réalisation de ce projet, qui est plein de sagesse, puisqu'il correspond précisément au concept de l'architecture européenne de sécurité, que j'ai évoqué tout-à-l'heure, est aussi un heureux aboutissement.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2001)