Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rayonnement culturel de la France, le rôle des attachés culturels pour son développement dans le monde, l'enseignement du français, l'importance de la création artistique et celle de la diversité culturelle, Avignon, le 17 juillet 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement lors du festival d'Avignon-rendez-vous avec l'Association française d'action artistique (AFAA) le 17 juillet 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais remercier Robert LION et Olivier POIVRE d'ARVOR de leur invitation et les féliciter de l'initiative prise par l'Association Française d'Action Artistique. Je me réjouis que celle-ci consacre cette réunion annuelle des conseillers et attachés culturels de nos ambassades aux perspectives d'une dimension essentielle de la présence de notre pays dans le monde : son action culturelle. Cette réflexion vient fort à propos, au lendemain de la fusion entre le ministère des Affaires étrangères et celui de la Coopération, peu après la réorganisation de l'AFAA, et dans un cadre -le Festival d'Avignon- qui témoigne de la vitalité artistique de la France. L'importance, le sens et les moyens de cette action culturelle à l'étranger appellent notre réflexion, à laquelle je veux maintenant apporter devant vous ma contribution.
En France, diplomatie et culture ont historiquement partie liée.
Du Cardinal de BERNIS à SAINT-JOHN PERSE, sans oublier Jean-Jacques ROUSSEAU s'engageant comme secrétaire d'ambassade à Venise, la tradition du "diplomate lettré" accompagne l'histoire du Quai d'Orsay. Elle a sans doute contribué au glissement progressif d'une diplomatie cultivée à une véritable " diplomatie culturelle ", qui entendait prolonger l'action extérieure de la France à travers le rayonnement culturel de notre pays.
Ce rayonnement culturel s'est construit sur le génie particulier des créateurs -peintres et graveurs, musiciens et compositeurs, architectes, écrivains et philosophes- qui, dès les XVIIème et XVIIIème siècles, cherchèrent reconnaissance et fortune à travers l'Europe des Lumières. Le XIXème siècle fut d'une certaine façon celui du roman français, au point que BALZAC, HUGO ou ZOLA appartiennent autant au patrimoine mondial qu'à notre propre héritage.
Cette fécondité artistique a été marquée par les liens étroits qui unissent, en France, la culture et l'Etat. C'est là un des legs de notre histoire, François Ier fondant le Collège de France, Louis XIV édifiant Versailles -même si c'était à sa propre gloire-, la Révolution créant le musée du Louvre et consacrant le droit d'auteur, jusqu'aux Grands Travaux de la République. Né de ce mécénat public volontariste, le très riche ensemble architectural, pictural et artistique qui attire chaque année dans notre pays des millions de visiteurs constitue un précieux patrimoine commun.
Cette même volonté politique fut à l'origine du réseau qui vous rassemble. Depuis la création du Service des oeuvres, au ministère des Affaires étrangères, et en 1922 de ce qui devait devenir l'Association Française d'Action Artistique, c'est un réseau de premier ordre que la France a développé afin d'assurer son rayonnement culturel. Après Jean GIRAUDOUX, Paul CLAUDEL et Paul MORAND, des femmes et des hommes d'exception se sont succédé en son sein. Ils ont inlassablement porté au-delà de nos frontières toute la richesse des créations françaises.
Ce réseau est aujourd'hui le premier au monde. Nos 267 établissements d'enseignement scolarisent plus de 100.000 élèves sur les cinq continents. Plus de cinq cent centres et instituts culturels, Alliances françaises, centres de recherche et missions archéologiques sont établis dans quatre-vingt quatre pays. Près de cinq cents diplomates, conseillers et attachés culturels conjuguent leurs efforts avec ceux de l'AFAA afin de proposer dans les pays qui les accueillent la découverte de notre culture. Ce réseau sans équivalent, il nous faut inventer de nouvelles manières de le faire vivre. C'est ce à quoi s'emploie avec talent et détermination Hubert VÉDRINE, le ministre des Affaires étrangères.
Les conditions dans lesquelles vous remplissez vos missions ont en effet changé.
Notre pays n'occupe plus aujourd'hui la même place dans le monde. La culture française ne joue plus le rôle qui était le sien aux heures où notre pays et sa diplomatie avaient imposé dans les chancelleries du monde sa langue, ses codes et son style. Le recul de l'influence culturelle française est couramment opposé à l'expansion d'une culture américaine souvent accusée de prétendre à l'hégémonie. De fait, l'anglais est devenu la langue véhiculaire mondiale, parfois dégradée par sa propre banalisation. La consommation de masse orientée vers les loisirs fait une large place à des programmes audiovisuels et musicaux -à des modes de vie- auxquels une industrie puissante a depuis longtemps su conférer la séduction du mythe.
Mais il ne faut pas noircir ce tableau. A travers le monde, notre culture, notre vie artistique, notre message intellectuel suscitent encore de fortes attentes, souvent sous-estimées en France. Nos grands auteurs classiques et les " écoles françaises " -le " nouveau roman ", la " Nouvelle vague ", le structuralisme- restent des objets vivants, partout admirés, partout étudiés. Dans beaucoup de pays, le cinéma français coudoie le cinéma national -souvent loin derrière les productions américaines, mais devant tous les autres cinémas. En philosophie, en histoire, en sciences sociales, nos auteurs sont accueillis par les plus grandes universités étrangères.
Surtout, la création française est forte, animée, vivante. Les succès remportés par nos artistes sur la scène mondiale en témoignent, qu'il s'agisse de la danse contemporaine avec Maguy MARIN, des arts du cirque avec ROYAL DE LUXE ou ARTS SAUTS, de la musique contemporaine -de Pascal DUSAPIN à Pierre BOULEZ-, du théâtre avec la troupe d'Ariane MNOUCHKINE, des arts plastiques avec BUREN, BOLTANSKI, MESSAGER, auxquels s'adjoint une jeune génération très prometteuse.
Il n'y a aucune raison pour nous de nous réfugier dans la nostalgie -ce regret de ce qui est passé et ne reviendra pas. Nous avons les moyens de réagir. Et nous avons la volonté de le faire.
Cette volonté nourrit une politique culturelle au service de la création française. En France, depuis trois ans, nous avons renoué avec une conception ambitieuse de l'appui des pouvoirs publics aux créateurs, une conception que nous avions voulu, à partir de 1981, déployer en faveur de toutes les formes d'expression, et que fait vivre aujourd'hui, avec intelligence et dynamisme, Catherine TASCA, la ministre de la Culture et de la Communication. De leur côté, l'AFAA et nos réseaux culturels aident les artistes de notre pays à partir à la rencontre de publics étrangers. Cette action volontariste au service des nouvelles expressions permet d'amplifier et de porter en tous points de la planète le génie artistique de nos créateurs. Au travers des oeuvres que nous diffusons, ce sont les idées des artistes français, leurs conceptions des rapports de l'art et de la vie, que nous faisons connaître. Nous savons aussi que la culture est la source, dans l'économie de réseaux qui se met aujourd'hui en place, des " contenus " dont l'importance va croissant.
Mais si nous nous battons pour une création vivante, ce n'est pas pour la seule création française. Nous menons notre combat au nom de toutes les créations, de toutes les identités, de toutes les cultures. Nous nous battons pour la diversité culturelle. Car la mondialisation, si elle est riche de promesses, menace les identités culturelles nationales. L'homogénéité qui gagne progressivement les habitudes de consommation, les modes de vie, les pratiques culturelles, fait craindre à nos concitoyens -et souvent à juste titre- l'uniformisation des oeuvres, des créations, des cultures elles-mêmes. Nous refusons cette uniformisation.
Aujourd'hui, pour la France, être le moteur de la diversité culturelle dans le monde est sa façon, moderne, d'être fidèle à l'universalisme qui est le sien depuis 1789.
Si notre pays peut porter un message culturel, c'est celui-là, qui prolonge une histoire faite de rencontres et de dialogues artistiques. Les PICASSO et DE CHIRICO, que l'AFAA présentait autrefois dans ses expositions itinérantes comme des " peintres français d'aujourd'hui ", les pièces de BECKETT et ARRABAL qu'elle faisait tourner à l'étranger, les oeuvres de MODIGLIANI, ARP, BALTHUS, BRANCUSI et MIRO qui représentaient alors une " école de Paris " l'attestent : l'échange avec les autres cultures a profondément influencé notre propre culture. Le Festival d'Avignon en donne l'exemple en accueillant cette année, dans le cadre du programme THEOREM -Théâtre de l'Est et de l'Ouest-Rencontres européennes du Millénaire-, des créateurs et des metteurs en scène d'Europe centrale. En favorisant ainsi l'échange entre créateurs de France et d'ailleurs, le Festival contribue à faire d'Avignon, capitale européenne de la culture, un lieu où vit la création artistique de tout un continent, de la Baltique aux Balkans.
Pour la France, s'il s'agit encore de " rayonner ", il s'agit de le faire de façon nouvelle, en assumant une vocation de passeurs de rêves, de créateurs de liens, de médiateurs entre les cultures. A nous, donc, de proposer une vision humaniste des rapports entre l'économie et la création -les uvres de l'esprit ne sont pas des marchandises-, des rapports entre la société et la création -le souci de démocratiser l'accès à la culture-, des rapports entre le pouvoir et la création -la volonté de garantir la liberté de l'auteur. Et, par dessus tout, une vision des relations entre les cultures, de la richesse de l'imagination humaine, c'est-à-dire la volonté, je le répète, de promouvoir la diversité culturelle.
Au sein du réseau de l'AFAA, vous devez être des éclaireurs de la diversité culturelle, des défenseurs de toutes les créations artistiques. Nombreux sont les exemples, dans votre action, de ce travail pour la reconnaissance des jeunes créateurs d'autres pays : festivals internationaux, résidences d'artistes, ateliers, organisation réciproque de saisons, accueil en France de compagnies étrangères. Ces échanges culturels sont une des priorités de l'AFAA, qui se tourne aujourd'hui en même temps vers l'Europe centrale et l'Afrique. Ainsi se tiendra à Lille, cet automne, à l'initiative de Charles JOSSELIN, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, " Afrique en créations ", la plus grande manifestation jamais organisée dans notre pays pour faire connaître la création contemporaine africaine.
Ce combat pour la diversité culturelle prolonge votre responsabilité première, qui reste la promotion de la culture française.
Au moment où la fusion du ministère des Affaires étrangères avec la Coopération et la Francophonie est venu renforcer la capacité d'action de notre réseau international, il nous faut rénover les outils de notre action culturelle.
Notre langue, son enseignement et sa diffusion en demeurent le socle. Nos postes doivent veiller à la place du français dans les établissements scolaires à l'étranger. En matière d'enseignement des langues, en effet, la réciprocité doit être la règle. Or la France accomplit un vaste effort : je veux saluer, en particulier, l'important plan d'apprentissage obligatoire des langues étrangères à l'école, dès le plus jeune âge, qui sera mis en place dès la rentrée prochaine à l'initiative de Jack LANG, le ministre de l'Education nationale. Mais le français ne peut être le seul moyen de transmettre les idées et les créations de nos auteurs : il est donc aussi important d'encourager la traduction de leurs oeuvres.
Il nous faut mieux exploiter les nouveaux vecteurs de la diffusion des oeuvres. Une place plus large doit être faite aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. L'exportation de programmes audiovisuels français reste trop restreinte à l'heure où la demande de programmes s'accroît partout. Nos postes doivent aider les exportateurs français à entrer en contact avec les télévisions étrangères. Il faut penser plus souvent à l'Internet pour diffuser les contenus essentiels, à l'instar du portail du ministère de la Culture, des ouvrages mis en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale de France, des visites virtuelles de musées.
Votre métier a aujourd'hui fondamentalement changé. Vous devez jongler avec les tâches de production, de promotion, de diffusion, passer de l'examen des budgets au lancement des campagnes de presse, de la préparation d'un catalogue à l'alimentation d'un site Internet. Il vous faut aussi rechercher des ressources de mécénat, impliquant des contacts tant avec le secteur privé local qu'avec les filiales d'entreprises françaises. Je sais que vous remplissez cette mission dans des conditions de plus en plus exigeantes, à mesure que la compétition linguistique, culturelle, artistique s'intensifie.
Depuis sa prise de fonction, Olivier POIVRE d'ARVOR, avec le soutien d'Hubert VÉDRINE et de Catherine TASCA, défend cette démarche qui a permis de belles réalisations, comme le " Lieu Unique " de Jean BLAISE qui, transplanté à Hué, au Viêtnam, avec entre autres Philippe DÉCOUFLÉ et Régine CHOPINOT, vient d'accueillir 500.000 spectateurs.
Tels sont les pistes qu'il faut aujourd'hui explorer. Vous y êtes d'ailleurs largement préparés, car la mission de nombre d'entre vous s'étend bien au-delà des seuls échanges culturels : elle concerne également les échanges scientifiques et technologiques, l'enseignement et la formation comme les échanges audiovisuels.
Mesdames, Messieurs,
En juin 1949, alors qu'il était bibliothécaire de l'Institut français de Bucarest, Roland BARTHES recevait des lettres le remerciant avec émotion de l'envoi de " livres français, venus de France ! Du pays qui a donné la Liberté au monde... ". Je ne sais si vous recevez, aujourd'hui, dans les pays où vous travaillez, de telles lettres. Ce que je sais, ce que nous savons tous ici, c'est que notre pays a su tisser puis conserver des liens forts, souvent privilégiés, avec de nombreuses nations. Fille des Lumières, ouverte sur ce monde nouveau, la France garde l'ambition de rapprocher les peuples et de contribuer concrètement à un nouvel universalisme.
Il vous revient de faire comprendre, partout dans le monde, que la culture française a beaucoup à dire dans le concert de la diversité des cultures. Votre tâche suppose le respect de l'autre, une vraie capacité d'écoute, mais aussi une grande force de conviction. C'est là un métier exigeant, mais que vous exercez avec talent et passion. Par la diffusion la plus large des connaissances et des expressions artistiques qu'elle favorise, par la découverte et la compréhension mutuelles qu'elle encourage, par les liens entre les peuples qu'elle aide à nouer, votre action est un ferment de dialogue et de paix entre les nations. Soyez assurés que nous vous soutiendrons dans cette mission essentielle.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 juillet 2000)