Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les enseignements de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de Seattle et sur les perspectives pour les mois à venir, à l'Assemblée nationale le 9 décembre 1999.

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Circonstance : Intervention devant la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne à l'Assemblée nationale le 9 décembre 1999

Texte intégral

La suspension, sans Déclaration finale, de la Conférence ministérielle de Seattle a traduit l'échec du processus entamé il y a un an et demi à Genève et qui aurait dû aboutir, selon l'objectif fixé, au lancement d'un nouveau cycle de négociations.
Quelles leçons en tirer et quelles perspectives pour les mois à venir ?
1) L'Union Européenne, unie autour d'un mandat clair et substantiel, a su maintenir sa cohésion tout en apparaissant plus ouverte que les Etats-Unis aux demandes des pays en développement
A Seattle, les Etats-Unis, qui avaient pourtant la responsabilité de la Présidence de la Conférence, ont choisi de privilégier des objectifs à court terme de politique intérieure : la satisfaction de leurs intérêts agricoles et le soutien, capital pour le parti démocrate, de l'AFL-CIO sur la question des normes sociales (ils ont donc adopté sur ces deux sujets, ainsi que sur l'antidumping, une position très rigide).
Cette stratégie américaine a échoué faute d'alliances plus larges que celle du groupe de Cairns. En particulier, leur absence totale de flexibilité sur l'antidumping les a privés du soutien des pays en développement, comme de celui du Japon qui est en situation pré-contentieuse avec les Etats-Unis dans le domaine de l'acier.
A l'opposé, l'Europe n'est pas apparue isolée, grâce aux initiatives prises par Pascal LAMY. Elle a su ainsi consolider des alliances en proposant un texte commun avec le groupe des pays "amis" : Japon, Corée, Suisse, Hongrie et Turquie. Elle s'est montrée plus ouverte que les Etats-Unis à l'égard des PMA et plus décomplexée de façon plus générale vis-à-vis des pays en développement sur le thème de la mise en uvre des accords de Marrakech.
La Commission a certes pris quelques risques vis-à-vis du Conseil dans cet exercice mais elle a su se placer, en agissant ainsi, à l'abri de toute accusation en cas d'échec des négociations. Pour sa part, le Conseil a clairement rejeté le "chantage" agricole en refusant de se prononcer sur une partie isolée de la déclaration
- l'agriculture - avant de connaître le "paquet final".
La cohésion communautaire s'est donc vérifiée même si elle s'est nourrie de l'intransigeance du groupe de Cairns et de l'inflexibilité américaine.
2) Malgré l'absence de déclaration finale, la Conférence de Seattle comporte cependant des enseignements positifs
- bien sûr, l'échec du lancement du cycle large et global que nous appelions de nos vux n'est pas satisfaisant en soi : cela reporte à plus tard - pour une durée aujourd'hui difficile à apprécier - l'introduction à l'OMC des nouvelles régulations qui nous semblent nécessaires pour mieux maîtriser la mondialisation ;
- néanmoins, ce résultat révèle aussi les exigences de transparence émanant de la société civile. Au niveau national, la délégation française avait déjà tenu compte de cette nouvelle exigence : 17 parlementaires faisaient partie intégrante de la délégation française à Seattle. J'ai également sur place consulté et informé quotidiennement les représentants de la société civile présents à Seattle, en premier lieu des organisations professionnelles et des syndicats ;
- au niveau de l'OMC, l'échec de Seattle manifeste, même si cela peut paraître paradoxal, le caractère démocratique de l'organisation (basé sur le consensus) qui ne peut plus dorénavant apparaître comme l'instrument de quelques pays négociant en secret des règles qui s'imposent à tous les autres ;
- l'échec de Seattle n'enlève rien à la réalité du défi auquel doit faire face l'OMC : mieux intégrer les dimensions nouvelles de l'échange international : santé, environnement, sécurité des aliments, transparence, dimension sociale ...
3) Les perspectives pour les mois à venir
- La situation juridique découlant de la suspension de la Conférence ministérielle décidée à Seattle reste encore quelque peu confuse : il va falloir la clarifier ;
- conformément aux engagements de Marrakech, l'"agenda incorporé" devrait assurer au début de l'année prochaine la reprise des négociations, de façon séparée et sans calendrier contraignant, sur les services et sur l'agriculture. Nous veillerons à ce que ces négociations, si elles sont reprises, le soient sur la base des textes de Marrakech, et non pas sur la base des textes qui ont circulé à Seattle et que l'on doit considérer comme "morts", comme nous l'a dit vendredi dernier Pascal Lamy ;
- par ailleurs, on voit mal comment la dynamique brisée à Seattle pourrait être relancée dès le début de l'année à Genève. Compte tenu des échéances électorales américaines, il paraît peu vraisemblable que la prochaine réunion ministérielle se tienne avant 2001, malgré les souhaits exprimés par le directeur général Mike Moore ;
- nous ne devons pas renoncer aux objectifs de l'Union Européenne tels qu'ils figurent dans le mandat défini en octobre et nous continuerons à plaider pour une approche large et globale ;
- d'ici là, et en poursuivant la politique de transparence à l'égard des parlementaires et de la société civile, il est nécessaire de réfléchir à une amélioration du fonctionnement de l'OMC, en réponse notamment aux critiques des pays en développement qui ont demandé que soient conciliées transparence et égalité de traitement. Il ne s'agit pas de modifier radicalement les bases de l'OMC, mais plutôt d'analyser et d'essayer d'améliorer ses méthodes de travail et de négociation. Les Etats membres de l'Union européenne devront participer à cette réflexion : le gouvernement français a bien l'intention de jouer pour sa part un rôle actif dans cette réflexion ;
- tout aussi prioritaires m'apparaissent les décisions budgétaires sur l'assistance technique en faveur des pays pauvres qui auraient dû être prises à Seattle, ainsi que la relance de l'initiative PMA de l'Union européenne ;
- on peut enfin s'interroger sur la manière de commencer à répondre concrètement aux demandes des PVD sur la mise en uvre des accords de Marrakech. C'était leur demande prioritaire à Seattle qui n'a pas été satisfaite. Ce serait aussi la meilleure garantie de leur soutien dans l'hypothèse du lancement d'un futur cycle en 2001.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 13 décembre 1999)