Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur le projet de loi sur l'immigration et notamment l'immigration clandestine et le certificat d'hébergement, à l'Assemblée nationale le 18 février 1997.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 18 février 1997

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Mardi prochain notre assemblée examine en deuxième lecture le projet de loi concernant l'immigration. Nous pensons que ce texte, dans sa version qui est amendée maintenant par le Sénat, il règle des lacunes de droit qui ont été révélées lors de l'affaire Saint Bernard, il permet aussi de lutter avec plus d'efficacité contre l'immigration clandestine. Si l'article 1 de ce texte, les certificats d'hébergement posent question, avec le groupe RPR, le groupe UDF souhaite condamner avec fermeté les appels à la désobéissance civile même avec les meilleures intentions du monde, l'appel à incivisme non seulement n'est pas acceptable dans un état de droit, mais de plus il constitue un encouragement à toutes les dérives extrémistes. Sur le fond, le groupe UDF, auquel s'associe le groupe RPR souhaite pour réussir la politique d'intégration rester ferme sur l'objectif de lutte contre l'immigration clandestine.
Nous souhaitons donc améliorer le texte et son efficacité au cours de son examen par l'assemblée. Il faut vérifier la sortie des visiteurs provisoires. Nous suggérons d'instaurer un dispositif qui permettrait de contrôler l'entrée et la sortie du territoire national par une déclaration officielle du visiteur et de lui seul.
Monsieur le Premier Ministre, êtes-vous favorable à cette proposition qui renforce notre politique de lutte de l'immigration clandestine et qui préserve, sans l'ombre d'un doute, la plénitude de nos libertés politiques ?
RÉPONSE
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Merci Monsieur le Président de me permettre de répondre un peu plus longuement que d'habitude à une question importante et cette question mérite, je crois, Mesdames et Messieurs les députés, un peu de réflexion et de sérénité.
Je voudrais commencer par rappeler devant vous les principes sur lesquels repose notre politique de l'immigration.
D'abord combattre l'immigration illégale parce que la France, comme l'a justement dit un de mes prédécesseurs, " ne peut accueillir toute la misère du monde ".
Ensuite, favoriser l'intégration des étrangers en situation régulière qui respectent nos lois, veulent partager nos valeurs et notamment la laïcité de la république.
En troisième lieu, aider au développement des pays d'émigration pour qu'ils puissent garder au pays leur principale richesse, c'est-à-dire leurs hommes et leurs femmes et la France est, à ce point de vue vous le savez, sur la scène internationale, exemplaire.
Aujourd'hui, ce qui est en débat c'est la lutte contre l'immigration illégale qui conditionne tout le reste. Nous savons les uns et les autres que les filières de fraudes sont nombreuses. L'une des plus massives c'est l'utilisation du visa de court séjour pour rentrer en France et, souvent, pour n'en point repartir. C'est la raison pour laquelle en 1982, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Monsieur Defferre, et le ministre de la Justice de l'époque, Monsieur Badinter, ont institué, à juste titre, le certificat d'hébergement. C'était une bonne mesure et cela demeure aujourd'hui une bonne mesure et cela pour deux raisons : d'abord parce que c'est en quelque sorte une aide ou une garantie donnée à l'étranger qui a peu de ressources pour qu'il puisse être héberger en France provisoirement et c'est également une garantie donnée aux pouvoirs publics de pouvoir contrôler les flux migratoires.
Malheureusement, et nous le savons bien les uns et les autres, le dispositif donne lieu à de nombreuses fraudes. D'abord à l'entrée, il existe des professionnels des certificats d'hébergement et les adresses fantaisistes sont souvent légion. Il faut donc accentuer les contrôles, c'est ce que votre assemblée a fait récemment en votant un texte excellent pour réprimer le travail clandestin très précisément, ce qui n'avait pas été fait précédemment, et c'est ce que demande aussi et beaucoup sont présents sur ces bancs, les maires de France qui ont souhaité voir accentuer leurs moyens d'effectuer des contrôles. Si aujourd'hui, et il semble que les dernières déclarations de l'association des maires de France vont en ce sens, les maires considèrent que la tâche est trop lourde, l'état pourrait, le cas échéant, prendre le relais. A votre assemblée d'en décider la semaine prochaine.
Il y a aussi les fraudes à la sortie. Le titulaire du certificat ne repart pas toujours à l'expiration de son visa de 3 mois. Alors que se passe-t-il ? Il entre dans l'illégalité, il devient un sans papier avec tous les drames que cette situation comporte trop souvent. C'est pour arrêter cette filière de fraudes et d'exploitation de la misère humaine que le gouvernement vous a proposé un dispositif de contrôles qui a fait l'objet de longs débats en première lecture à l'Assemblée Nationale et au Sénat.
Je le dis, là encore, en réponse à votre question Monsieur le Président, si l'Assemblée nationale trouve une meilleure formule, le gouvernement est ouvert à la discussion, dès lors que l'objectif est maintenu, c'est-à-dire un contrôle efficace à l'entrée comme à la sortie.
Je sais que le président de votre commission des lois et d'autres parlementaires y ont réfléchi, je connais la rigueur et leur sagesse et je leur fais confiance.
Deux réflexions pour terminer : la première sera pour dire que la distinction entre l'immigration régulière et l'immigration illégale est à mes yeux le meilleur rempart contre le racisme et la xénophobie. Certains, aux extrêmes ne font pas cette différence et pour eux tout étranger est indésirable, nous sommes nombreux - et c'est notre honneur - à combattre avec ardeur cette idéologie. Mais, je mets en garde ceux qui, avec des motivations inverses et avec souvent des intentions généreuses mélangent eux aussi, de fait, l'immigration régulière qui a toute sa place en France et l'immigration illégale qui n'y a pas sa place et qui refusent d'appliquer les lois qui répriment cette dernière. Ne font-ils pas, contre leur gré, le jeu de ce qu'ils veulent combattre ? Je leur demande de réfléchir et de ne pas se tromper d'objectif.
J'en viens ainsi à la désobéissance civile qui est un acte d'une grande gravité contre l'intégration. Comment iront nous expliquer, dans les quartiers difficiles, notamment qu'il faut respecter la loi, alors que les personnalités connues, qui sont parfois choisies pour modèles, appellent à la transgresser ?
C'est aussi un acte grave contre la démocratie. C'est ici au Parlement que se font les lois parce que vous êtes investis de la légitimité que vous a donnée le peuple. Le Conseil constitutionnel s'assure de la conformité des lois votées avec notre constitution et les principes fondateurs de la république, c'est-à-dire les droits de l'homme et du citoyen. La France est un état de droit, qui peut le contester ici ?
Je n'évoquerais pas ici, certains parallèles historiques qu'on entend développer depuis quelques jours et qui sont à la fois une insulte aux victimes du passé et une insulte aux citoyens d'aujourd'hui.
Je veux simplement dire que l'appel à la désobéissance civile me trouble et m'inquiète. Je souhaite que chacune et chacun d'entre vous sur quelque banc qu'il siège et sans faire la distinction fallacieuse entre sa responsabilité d'élu et son comportement de citoyen contribue à arrêter cette dérive qui pourrait miner la démocratie et briser le pacte républicain.
Dans la confusion qui s'installe aujourd'hui, c'est aux institutions de la République et notamment au Parlement et au Gouvernement de se montrer exemplaires et d'inviter les Français à rester fidèles aux valeurs de la république.