Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les relations entre la France et la Russie, notamment la signature de quatre accords et le remboursement des emprunts russes, Paris le 26 novembre 1996.

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Circonstance : Réunion de la 2ème commission franco-russe, Paris le 26 novembre 1996 : conférence de presse et toast lors du dîner offert en l'honneur du Premier ministre de la Fédération de Russie, M. Viktor Tchernomyrdine.

Texte intégral


Conférence de Presse du Premier Ministre, M. ALain Juppé, à l'issue de la Réunion de la Commission Franco - Russe, Paris, 26 novembre 1996
Mesdames et Messieurs,
Comme vous venez de le constater, la deuxième réunion de la Commission franco-russe des Premiers ministres vient de se conclure par la signature de quatre accords importants et je me réjouis de la densité et de la qualité des travaux que nous avons eus tout au long de l'après-midi. Depuis le Sommet de Rambouillet, à la fin de l'année dernière, les relations entre la France et la Fédération de Russie ont été marquées par un très grand dynamisme. Lors de leur rencontre, en janvier dernier, les présidents Chirac et Eltsine avaient souhaité que le socle économique de ce partenariat privilégié entre la France et la Russie soit renforcé. C'est dans cet esprit qu'ils avaient décidé la création d'une commission franco-russe qui se tiendrait deux fois par an au niveau des chefs de gouvernement. M. Tchernomyrdine avait bien voulu m'accueillir au début de cette année, le 15 février, à Moscou, et nous nous sommes réunis donc, aujourd'hui, pour la seconde session de cette Commission en présence d'un grand nombre de ministres russes et français. Je voudrais tout particulièrement saluer M. Davydov, vice-Premier ministre, chargé des Relations économiques extérieures, M. Khlystoun, ministre de l'Agriculture et de l'Industrie agro-alimentaire, M. Rodionov, ministre des Combustibles et de l'Energie, M. Boulgak, ministre des Communications, M. Koptev, directeur de l'Agence spatiale russe, et pour la partie française, leurs homologues, MM. Arthuis, Vasseur, Borotra, Pons et Fillon, qui ont participé à nos travaux. Comme vous le savez, de nombreux hommes d'affaires russes et français ont également participé à la deuxième partie de notre réunion. Nos travaux ont été précédés, hier, par la réunion du Conseil économique, financier, industriel et commercial franco-russe, ce que l'on appelle le CEFIC, qui est organisé en groupes de travail et ces groupes se sont penchés sur les secteurs clés de notre coopération bilatérale : schémas de financement, énergie, conversion des industries de défense, informatisation, investissements, formation des cadres. Cet après-midi, en formation restreinte, puis en formation élargie, avec la participation des représentants des milieux d'affaires, notre Commission a examiné un certain nombre de projets prioritaires. J'ai d'ailleurs observé qu'ils étaient très nombreux, très concrets, et je pense que tout ceci débouchera rapidement sur la mise en oeuvre de contrats importants. Les signes encourageants de l'amélioration et du renforcement de nos relations se sont multipliés depuis un an. Je voudrais, en particulier, souligner la croissance de nos échanges commerciaux, 22 % au cours des huit premiers mois de l'année, ce qui confirme la progression qui s'était déjà manifestée en 1995. Le montant de nos investissements est également en progrès et nous sommes, aujourd'hui, le quatrième investisseur en Russie. Les entrepreneurs français ont donc commencé à tirer les conséquences de la formidable transformation de l'économie russe qui a été conduite par M. Tchernomyrdine depuis quatre ans. Les efforts entrepris, qui ont été évidemment difficiles, portent leurs fruits et permettront bientôt une pleine valorisation du très grand potentiel économique russe. Moi même et M. Tchernomyrdine sommes évidemment très attachés à les encourager. Je ne reviens pas sur les trois accords qui viennent d'être signés. Je voudrais simplement dire un mot sur la signature par M. Arthuis et par M. Davydov d'un accord qui permet de mettre un terme définitif au contentieux de ce qu'on appelait les emprunts russes émis en France avant 1917. Cet accord est, sans galvauder le mot, d'une certaine manière historique car il met fin à une question qui était douloureuse et récurrente entre nos deux pays depuis maintenant 80 ans. Il couvre, je le signale, également le cas des Français qui ont subi des spoliations en Russie durant les deux guerres mondiales. Il se traduira par le versement d'une somme de 400 millions de dollars étalé sur une période pluriannuelle. C'est un résultat tout à fait remarquable qui est à mettre à l'actif de ceux qui ont négocié avec persévérance sur la base de l'accord politique intervenu entre le président de la République française et le président Boris Eltsine en avril dernier, en marge du Sommet de Moscou. Je signale que la procédure d'indemnisation franco-française sera sans nul doute complexe. J'ai demandé à M. Jean Claude Paye, conseiller d'Etat, de constituer une commission qui sera chargée de remettre au gouvernement des propositions sur les méthodes de recensement et d'indemnisation. Voilà le commentaire supplémentaire que je voulais apporter sur cet accord. Je voudrais également signaler que nous avons pu rapprocher nos points de vues sur toute une série de dossiers qui étaient un petit peu difficiles. C'est ainsi notamment que les modalités techniques d'un accord ont pu être trouvées pour la mise en uvre de la ligne de crédit d'un milliard cinq cents millions qui est destinée à financer les exportations françaises de biens d'équipement. C'est important évidement pour tous les chefs d'entreprises qui participaient à notre rencontre cet après-midi. De la même manière, les principaux paramètres de l'accord bilatéral franco-russe mettant en oeuvre l'accord multilatéral du Club de Paris du 29 avril 1996 sur le rééchelonnement de la dette russe ont été agréés entre nos deux gouvernements et cet accord peut donc désormais être signé très rapidement. Vous voyez que nous avons beaucoup et bien travaillé et je voudrais féliciter nos deux délégations de nous avoir permis d'aboutir à des résultats aussi constructifs et nourris.
Q - C'est une question sur la dette russe. S'agit-il bien d'un accord, comme vous dites, M. Juppé, ou est-ce un mémorandum ?
Et si c'est un mémorandum, quand peut-on s'attendre à un accord ?
Peut-on comprendre que, quand cette question sur la dette russe sera réglée, la Russie entrera dans le Club de Paris comme un membre de plein droit ?
R - Pour avoir fréquenté pendant de longs mois le Quai d'Orsay, je connais toutes les subtilités entre accord, mémorandum, ainsi de suite... C'est un accord entre nous, qui engage la Fédération de Russie et la France, et qui met un point final, je l'ai dit, à ce contentieux qui dure depuis le début du siècle. Je suis bien conscient que l'indemnité à laquelle nous sommes arrivés est peut-être en deçà des espoirs de ceux qui, en France, auraient voulu voir honorer leur dette au niveau de sa valeur actualisée, mais cela a trop duré. Nous connaissons, par ailleurs, la situation financière de la Russie et les efforts qu'elle fait. J'ai donc pensé, en mon âme et conscience, que c'était le meilleur accord auquel nous pouvions parvenir. Je voudrais remercier Viktor Tchernomyrdine d'avoir contribué personnellement à sa conclusion, de même que je remercie les négociateurs qui l'ont préparé, Jean Arthuis, ici présent, ainsi qu'Hervé de Charette, qui n'ont pas ménagé leurs efforts. Vous m'aviez posé une deuxième question. Comme l'a dit M. Tchernomyrdine, nous nous réjouissons de voir que les discussions menées, entre la Russie et les pays créanciers du Club de Paris, pour déterminer les conditions dans lesquelles la Russie pourra participer à cette enceinte, en tant que créancier, avancent et la France souhaite que ces discussions puissent aboutir dans les meilleurs délais possibles.
Q - Est-ce que l'accord sur le remboursement des emprunts russes contient des dispositions fiscales de la part de l'Etat français au profit des porteurs d'emprunts russes. ?
R - Je vous ai indiqué que les conditions franco-françaises de mise en place de cette indemnisation seraient déterminées par une Commission dont j'ai demandé à M. Jean-Claude Paye d'être l'animateur. Donc, nous aurons l'occasion d'en reparler. Je voudrais faire une proposition, Monsieur le Premier ministre. Si vous êtes trop vivement critiqué par ceux qui vous reprocheront de trop payer, je pourrais vous téléphoner pour vous faire part des critiques de ceux qui me reprocheront que vous ne payez pas assez. Tout cela fera un équilibre.
Q - Vous avez évoqué le remboursement des emprunts russes sur une base pluriannuelle. Pouvez-vous être plus précis sur la longueur de la période de remboursement ?
R - Pluriannuelle, c'est plusieurs années.
Toast prononcé par le Premier ministre, M. Alain Juppe, lors du dîner offert en l'honneur du Premier ministre de la fédération de Russie, M. Viktor Tchernomyrdine, Paris, 26 novembre 1996

Monsieur le Premier ministre,
Madame,
C'est un grand plaisir, pour mon épouse et pour moi-même, que de vous accueillir ce soir au Palais des Affaires étrangères à l'occasion de votre visite officielle en France. Je suis heureux également de saluer la délégation nombreuse et de très haut niveau qui vous accompagne à Paris.

Nous savons la lourde charge qui a reposé sur vos épaules au cours des derniers mois et qui demeure jusqu'à la fin de la convalescence du président Eltsine, à qui je vous serais reconnaissant de transmettre les voeux de complet rétablissement du gouvernement et du peuple francais.
Je vous remercie d'avoir tenu, dans ces circonstances, à honorer l'échéance de cette deuxième réunion de la Commission franco-russe, qui devient ainsi un rendez-vous régulier pour le plus grand bénéfice de nos relations économiques.

Les amis de la Russie, beaucoup sont ici réunis ce soir, ont à cur de fonder leur démarche à l'égard de votre pays sur une analyse objective des réalités.
La transformation de la Russie est une uvre immense qui suscite notre admiration pour ses dirigeants comme pour l'ensemble de son peuple.

Vous étiez confrontés à un défi d'une ampleur considérable : instaurer la démocratie représentative, établir les fondements d'une société ouverte et pluraliste, introduire l'économie de marché et susciter l'esprit d'entreprise.

La tâche n'est certes pas achevée. Mais les résultats sont déjà impressionnants. La réélection du président Eltsine l'été dernier apparaît comme un véritable acte de confiance du peuple russe dans son avenir et dans les choix courageux effectués il y a cinq ans. En dépit des difficultés, vos concitoyens ont manifesté leur volonté de poursuivre dans la voie des réformes.

Une telle détermination ne peut que conduire au redressement et à la prospérité, dans le cadre d'une démocratie désormais solidement implantée en terre russe.

En matière économique aussi, vous pouvez faire état de progrès indéniables. Le commerce extérieur dégage un solide excédent, alors même que l'endettement de la Russie, extérieur et interne, est à un niveau raisonnable. La lutte contre l'inflation a connu des succès étonnants de rapidité. Les entreprises peuvent désormais tirer partie de cette stabilisation. Vous vous employez, avec beaucoup d'énergie, à réduire le déficit budgétaire et le taux de change tend à se stabiliser à une parité plus normale. Je mesure certes l'étendue des difficultés qui subsistent, en particulier sur le plan des finances publiques.
Mais, grâce à la fermeté de votre action à la tête du gouvernement, la transition économique est bien engagée comme en témoignent les appréciations de plus en plus favorables portées sur votre pays par les institutions financières internationales.

Chacun sait que le grand peuple russe a subi de terribles épreuves au cours de ce siècle ; De nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices lui sont demandés aujourd'hui. Mais il a l'espoir d'en recueillir les fruits, et c'est bien entendu le vu que nous formons.

Monsieur le Premier ministre, toutes ces transformations que je viens d'évoquer, font que nous voyons aujourd'hui la Russie comme un très grand pays, avec d'immenses potentialités économiques, et comme un voisin européen dont le destin n'est pas dissociable de celui du continent tout entier. C'est donc une coopération à long terme que nous souhaitons développer entre nos deux pays grâce aux travaux de la commission que nous présidons ensemble.

Des résultats appréciables sont déjà intervenus depuis notre précédente rencontre. Les groupes de travail que nous avons mis en place sont à l'uvre. Nous avons décidé tout à l'heure d'en créer un nouveau dans le secteur agro-alimentaire. Nous venons aussi de signer des accords pour le développement de la coopération spatiale et en matière fiscale. Nous avons réglé définitivement le lancinant problème des emprunts russes, qui pesait sur notre coopération dans le domaine financier.

Avec nos chefs d'entreprises, nous avons examiné de nombreux projets dans les secteurs de l'énergie, des télécommunications, de l'aéronautique, de l'espace, de l'agro-alimentaire et de la santé publique.

Bref, notre coopération économique est aujourd'hui bien relancée et je m'en réjouis. Nos échanges commerciaux croissent à un rythme de plus de 20% l'an. De grands investissements vont aboutir prochainement. Il nous revient de maintenir l'impulsion et de lever les difficultés qui subsistent encore. Nous sommes, Russes et Français, bien décidés à agir dans ce sens. J'ai pu constater, Monsieur le Premier ministre, que vous suivez de près l'évolution de la coopération avec la France. Vous savez combien j'y suis moi-même attentif. C'est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons, étape après étape, faire avancer les choses et honorer l'engagement mutuel que nos deux présidents, M. Boris Eltsine et M. Jacques Chirac, ont pris à l'automne 1995 lors de leur rencontre de Rambouillet.

Mais le renforcement des relations entre nos deux pays doit s'inscrire dans une vision plus large. Je crois pouvoir dire, après nos entretiens, que nous en sommes l'un et l'autre profondément convaincus.

La France et la Russie ont aujourd'hui encore beaucoup à faire ensemble pour la stabilité et la sécurité de notre continent. Nous connaissons les enjeux. Il s'agit de tirer un trait définitif sur la guerre froide et de créer les fondements d'un ordre européen qui assure, pour le siècle prochain, la paix et la sécurité sans lesquelles il ne peut y avoir ni coopération, ni prospérité.

Comme vous le savez, nous avons le souci d'une nouvelle architecture européenne qui ne recrée pas des lignes de fracture en Europe. Tous les pays européens doivent se sentir pleinement concernés par la sécurité commune de l'Europe et associés aux discussions en cours pour parvenir à cet objectif.

Par ailleurs la France, s'est beaucoup engagée en faveur d'un développement très ambitieux des liens entre l'Union européenne et la Russie. Nous participons activement à des programmes de grande ampleur comme le programme Tacis. L'accord intérimaire entre votre pays et l'Union européenne est en vigueur. L'accord de partenariat et de coopération qui le remplacera bientôt est actuellement soumis à la ratification du Parlement français.

C'est ainsi que nous devons, Français et Russes, avec nos autres partenaires, construire ensemble l'avenir de l'Europe. Toutes les propositions de la France, qu'il s'agisse de coopération ou de sécurité, se placent dans cette perspective. Je suis persuadé que le partenariat privilégié entre la France et la Russie, dont votre visite illustre l'importance, contribuera grandement à l'avènement d'une Europe sûre, stable et prospère.

Je lève mon verre à la santé du Premier ministre de la Fédération de Russie, au succès de son action et à son bonheur personnel, à la santé de Madame Tchernomyrdine à qui je présente mes respectueux hommages, à la santé du Président Eltsine, à l'amitié et à la coopération franco-russe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 août 2002)