Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe parlementaire PCF à l'Assemblée nationale, à LCI le 2 octobre 2002, sur la politique du gouvernement Raffarin présentée comme étant celle du Medef, "ultralibérale" et "antinomique avec les intérêts des salariés", sur l'assouplissement des 35 heures, la situation et les perspectives du PCF.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.- Vous présidez, comme avant les élections, le groupe communiste qui est devenu le groupe des communistes et des républicains. C'est un groupe qui a maigri - vous êtes 22, avant vous étiez 35. Comment est-ce ? Cela change ?
- "Evidemment, nous sommes moins nombreux et c'est bien regrettable. Cela étant dit, nous sommes déterminés aujourd'hui dans l'opposition..."
C'est plus confortable que la majorité ?
- "Je ne cherche pas le confort. Nous sommes un groupe indépendant, autonome, libre. Nous ne l'avons peut-être pas été assez dans la précédente législature, c'est clair. Je pense qu'il faut l'être fortement à partir des intérêts de la France et de son peuple ; c'est ce qui nous détermine. Mais la force des 22 députés communistes sera décuplée par le mouvement populaire ou le mouvement social. Quand dans une semaine de rentrée parlementaire, il y a, comme demain, une grande manifestation, je m'en satisfais, cela donne plus de force dans notre action à l'Assemblée nationale."
Avant que l'on ne parle de la manifestation, hier, le Premier ministre a parlé de "l'esprit de mai". J'ai noté que le député communiste qui a posé la question a remercié le Gouvernement d'avoir organisé le débat sur l'Irak. Vous participez à cet "esprit de mai" ?
- "Nous avons demandé un débat sur la situation en Irak et le danger qui pèse en matière de guerre. Nous l'avons obtenu et nous sommes des gens respectueux et courtois, nous nous sommes félicités de cet acquis, c'est tout. Il y a esprit de mai et esprit de mai ! Hier, le Premier ministre parlait de la spécificité française, de la dynamique de la consommation, or les hausses de prix, cet été, ont été un peu meurtrières, sauf pour les ministres qui ont été augmentés de 70 %. On n'a pas donné de coup de pouce au Smic. Et aujourd'hui en cette rentrée, les Françaises et les Français voient leur pouvoir d'achat curieusement et sensiblement diminuer. L'esprit de mai, c'est que les gens, les électeurs ont dit "nous voulons vivre mieux, nous voulons avoir les moyens de vivre". Or, la politique du Gouvernement, c'est de favoriser les plus favorisés, en diminuant de 5 % les impôts, ce qui bénéficie aux plus riches, et d'écraser la masse de ceux qui sont en difficulté."
Mais c'est aussi de maintenir la Prime pour l'emploi ?
- "Oui, mais cela étant dit, aujourd'hui, le pouvoir d'achat des familles du monde du travail, des retraités, des salariés est en baisse, nettement en baisse. Je crois que cela pèse fortement sur le problème de la relance. Il n'y aura pas de relance dans le pays si ce facteur, qui est l'un des facteurs importants qui est la relance de la consommation, ne se réalise pas."
Hier, J.-P. Raffarin a évoqué ce sujet, en disant qu'il fallait soutenir l'offre. Vous ne lui faites pas confiance dans ce domaine ?
- "J.-P. Raffarin mène la politique déterminée par le Medef..."
Ce n'est pas un peu simpliste ?
- "Ce n'est pas complètement simpliste. Je ne vous dis que c'est un automatisme. Encore que quand on voit les décisions qui sont prises sur l'abaissement des charges pour les entreprises, la diminution de l'impôt sur les sociétés, on parle ici ou là de supprimer l'impôt sur la fortune, les impôts ont diminué pour les plus riches, la remise en cause des 35 heures... Tout ça, c'est le programme du Medef. On voudrait faire de la France un "Medefland" qu'on ne s'y prendrait pas autrement. J.-P. Raffarin le fait benoîtement, mais il mène la politique du Medef, sous une forme ou sous une autre, c'est ça la réalité. C'est donc antinomique avec les intérêts des salariés du monde du travail. C'est une politique ultralibérale, il ne s'en cache pas, il cherche le bon rythme, comme il dit, mais c'est cette politique ultralibérale qu'il entend mettre en oeuvre dans le pays. Cela a des conséquences graves et ça aura des conséquences graves pour notre peuple, c'est clair."
Pour vous, assouplir les 35 heures, cela relève de l'abandon ? Cela permet quand même aux gens de travailler plus s'il le souhaite et de gagner plus d'argent...
- "Oui, mais en gagnant moins, puisque auparavant, les heures supplémentaires étaient rémunérées à hauteur de 25 % puis de 50 %. Aujourd'hui, on veut les rémunérer à 10 % environ. Donc, c'est pour gagner moins que ce qui a été obtenu avant même l'application de la loi Aubry, qui était insuffisante. On s'est battus pour qu'elle soit plus intéressante pour le monde du travail, les salariés mais aussi pour les PME-PMI. On ne nous a pas écouté et d'ailleurs, on redépose les mêmes amendements ce soir, dans le cadre du débat. Nos amis socialistes les ont votés en commission mais quand nous étions dans la majorité, ils ne les avaient pas votés !"
C'est ça le changement de la majorité ! La nomination de T. Breton à la tête de France Télécom, comment l'accueillez-vous ?
- "En aucune situation, je n'ai pensé qu'il pouvait exister des sauveurs suprêmes. Pour ce qui me concerne, ce qui est en cause, ce sont les orientations, les choix stratégiques de France Télécom. Or, on a vidé France Télécom de son sens d'intérêt de service public. Et cette nomination est aménagée avec l'idée de "serrer les boulons", de redresser la barre et de supprimer des emplois. On parle déjà de la suppression des postes d'intérimaires, des CDD. C'est donc inquiétant. Ce qui me préoccupe surtout avec l'arrivée de ce manager, c'est ce que vont devenir les salariés de France Télécom, que va devenir France Télécom en tant qu'entreprise à vocation publique."
Je voudrais que nous parlions un peu du Parti communiste, qui a essuyé une grave défaite à la présidentielle et qui a sauvé les meubles à l'Assemblée. La préparation du congrès se fait dans un certain débat ; M.-G. Buffet a dit qu'elle souhaitait que la direction démissionne avant le congrès ; ce n'est pas une démission factice ?
- "C'est une des propositions qui a été entérinée par le conseil national. Elle me parait tout à fait légitime. Après avoir vécu ce que l'on a vécu, un échec lourd, à l'occasion des dernières élections présidentielles et législatives, il convient que toute direction, et en l'occurrence la nôtre, se remette en cause."
C'est le propre de tout congrès...
- "Oui, mais auparavant, on le faisait le jour même, là, on le fait par anticipation, de telle manière que deux commissions - une commission de transparence pour les débats et une commission de transparence pour construire la future direction - puissent agir en toute autonomie, indépendamment de la direction passée. C'est une sorte de dépouille de la direction et cela me parait être une bonne idée et je crois que cela devrait aider à avancer dans la résolution de nos problèmes."
La future direction doit continuer à être bicéphale ?
- "Je l'ai dit devant vous, ici même, dans la préparation de notre futur congrès, que j'avais un grand scepticisme sur la direction à deux têtes. Je n'ai pas changé d'avis ; la vie me conforte quant à cette inquiétude."
Il faut juste un - ou une - secrétaire national ?
- "Il n'y a pas deux pilotes dans une voiture. Il y a éventuellement un copilote pour les rallyes. Il y a un pilote dans une voiture, ensuite, il faut une direction collective, une vraie direction collective. Là non plus, il n'y a pas de sauveur suprême, c'est un vrai travail collectif, et plus que jamais face aux préoccupations et aux problèmes qui sont les nôtres."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 oct 2002)