Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à RTL le 7 octobre 2002, sur l'explosion d'un pétrolier français en Mer Rouge et les menaces d'attentat, la pression internationale exercée sur l'Irak pour la reprise des inspections, la situation en Côte d'Ivoire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief.- L'explosion d'un pétrolier au large du Yémen, attentat pour l'armateur, pour le commandant de bord, et même pour plusieurs diplomates français sur place. A Paris, que dit le ministre des Affaires étrangères ?
- "Nous en restons au fait : une explosion qui a eu lieu sur un super tanker français, en mer Rouge. Le président de la République, J. Chirac, a appelé son homologue yéménite, qui a accepté que des enquêteurs français soient associés à l'enquête. Des enquêteurs vont donc se diriger vers la région pour voir ce qu'il en est exactement. Si vous voulez me faire dire s'il y a une menace..."
S'il y a eu attentat...
- "Non. S'il y a une menace particulière dans le monde d'aujourd'hui, je crois que, dans le monde de l'après 11 septembre, effectivement, tout le monde, tous les Etats, doivent être déterminés, parce que les menaces existent. C'est ce qui explique notre détermination face au terrorisme, notre détermination face au risque de prolifération."
Je comprends bien que vous me dites qu'un attentat n'est pas exclu ?
- "Rien n'est exclu. Les enquêteurs préciseront exactement ce qui s'est passé."
Cela pourrait-il être une menace contre l'Etat français ou contre les intérêts pétroliers ?
- "Il est aujourd'hui trop tôt pour le dire."
On sait que le Yémen est une région très instable, qu'il reste des membres d'Al Qaïda. Est-ce vers cette piste-là que s'orienterait l'enquête ?
- "Une fois de plus, les enquêteurs détermineront exactement ce qui s'est passé."
Vous craignez qu'il y ait une sorte d'inquiétude en France, en Europe, sur un renouveau d'Al Qaïda et du terrorisme ?
- "Nous pensons qu'il y a une menace qui pèse actuellement sur l'ensemble des Etats au monde, nous l'avons vu avec le 11 septembre. Nous pensons qu'il faut être très mobilisés, et cela a été la première consigne du gouvernement Raffarin : assurer la sécurité des Français, assurer la sécurité de l'ensemble de nos compatriotes à l'étranger. Nos réseaux diplomatiques et consulaires sont mobilisés, et nous faisons en sorte d'être prêts à faire face à toute éventualité."
Dernière question là-dessus : peut-il y avoir un renforcement des mesures de protection en France ? Un plan Vigipirate "renforcé renforcé renforcé" ?!
- "Il faut toujours s'adapter face à une menace, qui peut bouger et qui peut changer. Nous devons donc faire preuve d'imagination, pour faire en sorte d'être en mesure justement de répondre à de nouvelles éventualités."
On parle de l'Irak. Ce soir, G. Bush prononce un discours important, demain il y a un débat parlementaire en France, à l'Assemblée nationale. Il y a une sorte de bataille des résolutions autour de l'ONU. Les Américains voudraient que l'on vote une nouvelle résolution pour que les inspecteurs retournent en Irak et que si leur mission était entravée, automatiquement une opération militaire se déclenche. Les Français souhaitent que cela se fasse en deux temps : les inspecteurs retournent et puis on retourne vers l'ONU, est-ce qu'il y a une réaction militaire. Quelle chance a-t-on que la résolution française passe ?
- "Je crois qu'il y a une priorité pour la France - et j'allais dire pour presque tous les Etats au monde -, c'est le retour rapide des inspecteurs des Nations unies. Il faut commencer à éliminer les armes de destructions massives qui peuvent se trouver en Irak. Le dialogue se poursuit actuellement à New York, des progrès ont été faits dans la négociation directe avec la partie irakienne, à Vienne, par les représentants des inspecteurs. Nous devons maintenant formaliser. J'ai eu, hier, mon homologue, C. Powell ; je rencontre, ce matin, J. Straw, le ministre des Affaires étrangères britannique. Nous sommes tous convaincus qu'il faut maintenant aller vite. Il est important de donner ce signal de l'unité de la communauté internationale. Et nous sommes, nous, attachés particulièrement à cette unanimité, parce que nous sommes convaincus que pour exercer une forte pression sur S. Hussein, il est important que le Conseil de sécurité, que la communauté internationale soient unis. Cela donne de surcroît une très forte légitimité évidemment à l'action des Nations unies."
Il faut une nouvelle résolution avant que les inspecteurs y retournent ?
- "La résolution n'est pas absolument indispensable. Elle peut être utile, dès lors qu'elle précise les arrangements pratiques qui vont permettre aux inspecteurs des Nations unies de travailler efficacement sur place. C'est, bien sûr, notre objectif. Nous voulons éviter tout risque de malentendu, nous voulons qu'ils puissent efficacement faire leur travail, de façon à véritablement pouvoir conduire à l'élimination des armes qui peuvent se trouver en Irak."
Demain, les socialistes, la gauche pourraient demander que la France dépose son veto au sein du Conseil de sécurité, comme membre permanent. Si elle déposait son veto sur une résolution américaine, cette résolution serait stoppée. C'est envisageable ?
- "Ce n'est pas d'actualité aujourd'hui. Nous sommes dans un dialogue avec les Américains, nous pensons pouvoir aboutir rapidement. Nous sommes sur la même ligne de détermination face à la prolifération. Il y a donc une convergence d'objectifs. Nous pensons qu'une démarche en deux temps permet d'avoir la légitimité et l'efficacité indispensables, car nous pensons que toute décision doit être prise évidemment en liaison avec ceux qui sont les plus concernés, c'est-à-dire la partie arabe. Cette unité, nous avons été capables de la maintenir sur la question du terrorisme. Nous devons être capables - et cela a été le cas au cours des dernières semaines - de le faire aussi en matière de prolifération. Il faut préserver cela, parce que c'est la garantie de l'efficacité. Quel que soit le scénario, rien n'est simple face à l'Irak. Et évidemment, l'unité, l'unanimité du Conseil de sécurité est un gage supplémentaire d'efficacité."
Donc, pas de position française "à l'allemande", isolationniste, pacifiste ?
- "Non, parce que nous pensons qu'il faut faire pression sur l'Irak, que le statu quo n'est pas acceptable, qu'il faut que les inspecteurs puissent revenir, qu'ils puissent faire efficacement leur travail. Evidemment, si tout cela n'est pas possible, il faudra alors que le Conseil de sécurité puisse réexaminer les choses, réexaminer l'ensemble des options. Et à partir de là, chacun prendra sa responsabilité. Mais gardons notre détermination."
Vous savez ce que dira la gauche justement : que la France s'aligne sur l'Amérique de G. Bush ?
- "La France a une position qui est aujourd'hui celle où se retrouvent la plupart des Etats du monde, qui est une position de synthèse qui, à la fois, est déterminée, et en même temps, est soucieuse de la légitimité et de l'efficacité de l'action internationale. Nous voulons rassembler, nous voulons être efficaces, nous voulons que l'action soit collective et pas unilatérale, et préventive. Il n'y a aucun alignement là, il y a une vision claire de l'ordre international, l'idée que l'ordre international doit être marqué, à la fois, par les déterminations et en même temps, par l'exercice d'une action collective."
On vous écoutera demain à l'Assemblée nationale. L'actualité internationale est très riche, on poursuit. En Côte d'Ivoire, le climat est très tendu. Le président Gbagbo n'a pas voulu de ce cessez-le-feu qui était demandé, alors que les mutins se plaignent de l'attitude de la France. On a l'impression aujourd'hui que le président de la Côte d'Ivoire voudrait récupérer le terrain perdu sans cessez-le-feu, sans discuter.
- "Nous sommes inquiets de la situation sur le terrain, en Côte d'Ivoire. Comme vous le savez, nous sommes présents là-bas, nous avons une force importante de 900 soldats pour assurer la sécurité de nos ressortissants. Mais nous pensons qu'il n'y a pas de solution militaire aux difficultés que connaît actuellement la Côte d'Ivoire. Les difficultés au fil des années se sont accumulées : politiques, économiques, sociales. Elles exigent le dialogue pour la réconciliation politique, pour faire face aux difficultés économiques, le dialogue avec l'ensemble des Etats de la région."
Vous le dites au Président de la Côte d'Ivoire aujourd'hui ?
- "Nous le disons, il faut le dire évidemment à L. Gbagbo. Et c'est très important, parce qu'aujourd'hui, la médiation africaine est efficace. La Cedeao, l'ensemble des Etats de la région, se sont entendus pour essayer de proposer un cessez-le-feu. Ils sont arrivés, semble-t-il, à un accord avec les mutins. Il est important aujourd'hui que L. Gbagbo signe cet accord, car nous devons sortir de crise par le dialogue, par la réconciliation."
Là aussi, on a un peu de mal parfois à comprendre la position de la France. Elle a un peu de mal, après toutes les déclarations, à se désengager vraiment de ce continent.
- "Il n'est pas question de se désengager vis-à-vis de l'Afrique. Nous avons une responsabilité particulière vis-à-vis de ce continent, nous avons une amitié particulière, nous avons des liens..."
On nous a accusés d'ingérence...
- "Ne tombons pas dans les lieux communs. Nous avons des liens très forts avec l'Afrique, nous voulons l'assumer justement en prenant en compte les exigences nouvelles, qui sont celles du Continent et en particulier, le fait que l'Afrique est capable aujourd'hui de prendre en main son destin. Nous le voyons par rapport aux crises africaines et nous le voyons aujourd'hui entre la RDC et le Rwanda ; nous le voyons actuellement en Côte d'Ivoire, où la Cedeao s'est mobilisée pour effectivement, dans la réunion d'Accra de la semaine dernière, proposer la création d'une force de paix et d'un groupe de médiation, d'un groupe de contact. Nous soutenons cet effort, et c'est en cela que la France aujourd'hui a une politique nouvelle, une politique moderne et, en même temps, nous assurons la sécurité de nos ressortissants. Il y a là rien que de très naturel."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 oct 2002)