Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Le Journal du Dimanche" le 12 décembre 1999, sur l'éventualité d'un retrait du Medef dans la gestion de l'assurance-maladie, l'Unedic et ses conséquences, et le projet du patronat de créer une "nouvelle constitution sociale" entre les différents partenaires sociaux.

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Etienne Lefebvre. Quelle était l'ambiance de votre rencontre avec le Medef, vendredi ? Y voyez-vous plus clair sur ses intentions ?
Nicole Notat. Nous avons eu une discussion sérieuse et approfondie. Notre objectif était de faire clarifier au Medef son projet de "nouvelle constitution sociale". Nous voulions savoir si on pouvait prendre au sérieux sa proposition de reconstruire les relations sociales sur de nouvelles bases. Une chose est sûre : le statu quo dans la gestion de la Sécurité sociale est jugé impossible par le Medef. S'il y a une orientation qui se dégage, c'est bien celle-là.
Quels scénarios sont envisageables ?
Nous en avons perçu deux. La première : le Medef se désengage des négociations sociales et se retire de la gestion des organismes paritaires (Cnam, Unedic, etc.). C'était l'issue considérée comme acquise ces dernières semaines. Une autre option se dessine aujourd'hui, celle d'une modernisation des relations professionnelles et du paritarisme. C'est cette option que le Medef nous a invités à prendre au sérieux.
Vous paraissez optimiste.
Je crois qu'il y a une fenêtre ouverte pour que la responsabilité prime sur le désengagement. Et même si ce chemin est étroit, il est indispensable de tout tenter pour l'emprunter. Si le Medef se retirait du jeu social, nous entrerions dans un système à l'anglo-saxonne avec des négociations cantonnées à l'entreprise. Ce serait une régression par rapport à la conception française de la démocratie sociale. Si la régulation contractuelle était réduite à sa plus simple expression, alors le marché serait roi. L'enjeu est considérable.
Peut-on réfléchir à une "nouvelle constitution sociale" tout en "désertant" la Sécu, comme menace de le faire le Medef ?
Il y aurait un paradoxe et une contradiction à vouloir jouer sur les deux tableaux à la fois. Il faut choisir. Réfléchir à de nouvelles règles du jeu impose de ne pas commencer par un acte symbolique de rupture.
Le Medef va-t-il répondre à votre demande de renouvellement de la convention Unedic (assurance chômage) ?
Nous touchons là à un point clé. Le Medef doit accepter de prolonger les dispositions des accords Unedic (qui arrivent à échéance le 31 décembre) le temps que les négociations soit menées à leur terme. Les chômeurs ne doivent pas faire les frais du report de la négociation. Le Medef nous a laissé entendre qu'une réunion de l'Unedic devrait se tenir le 23 décembre prochain.
Qu'entend le Medef par "nouvelle constitution sociale" ?
Ce vocabulaire n'est pas le plus adapté, mais au-delà, l'idée même d'entrer dans une discussion visant à mieux définir les champs d'actions respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux, de la loi et de la négociation, est utile. Cela prouve que le Medef se sent toujours concerné par ces questions. L'objectif est de donner à l'ensemble une efficacité nouvelle.
Quels pourraient être les contours de cette nouvelle répartition des rôles entre Etat et partenaires sociaux ?
Le protocole social européen constitue une référence sérieuse : quand la Commission européenne intervient sur un sujet social, elle est obligée de consulter d'abord les partenaires sociaux. Ceux-ci peuvent alors décider de s'en saisir et négocier. S'ils débouchent sur un accord, il devient la règle. S'ils échouent, la puissance publique européenne reprend l'initiative par la voie législative.
Etatisation de la Sécu, loir sur les 35 h... Le Medef accuse l'Etat de "tuer" le social. Ne risquez-vous pas d'apparaître comme son allié contre le gouvernement ?
Nous ne nous positionnons pas en allié ou en ennemi. En tant qu'acteur syndical, nous sommes attachés à notre indépendance comme à la prunelle de nos yeux. Notre action ne saurait en aucun cas être perçue comme un acte de défiance vis-à-vis de l'Etat. Sinon, elle serait vouée à l'échec. Il n'est pas question de mettre l'Etat devant le fait accompli mais d'engager un débat utile. C'est une opportunité à saisir pour instaurer des relations moins conflictuelles. Cela ne conduira pas à un rétrécissement du rôle de l'Etat, mais à une action plus efficace.
Faut-il modifier les règles de la représentativité syndicale ?
Oui, car il s'agit aujourd'hui de travailler avec des acteurs dont la légitimité ne puisse pas être contestée tous les quatre matins. L'idée qu'un accord doit être signé par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés va dans le bon sens.
"Opportuniste, corporatiste, pas crédible", Marc Blondel (FO) s'était montré très virulent, la semaine dernière, sur les intentions du Medef...
Nous n'avons, d'évidence, pas entendu les mêmes propos au Medef. Peut-être que la réunion avec Force Ouvrière a fait son oeuvre et entraîné un ajustement dans les positions du patronat.
Que pensez-vous du projet de loi sur la parité voté mercredi par l'Assemblée ?
C'est une décision qui fera date. L'histoire retiendra la fin de l'année 1999 comme un moment décisif pour l'accès des femmes à la vie politique.
(source http://www.cfdt.fr, le 13 décembre 1999)