Déclaration de Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme, sur la nécessité d'améliorer la qualité et de moderniser les produits touristiques français et à cette fin de multiplier les partenariats entre l'Etat, les collectivités locales et les acteurs privés, Paris, le 3 novembre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 3èmes rencontres nationales de l'Agence Française d'Ingénierie Touristique, à Paris, le 3 novembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président BONREPAUX,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Élus,
Mesdames, Messieurs,

Tout d'abord permettez-moi de saluer, à mon tour, nos amis étrangers et de les remercier, en notre nom à tous, pour leur présence aujourd'hui, parmi nous, et pour la contribution qu'ils viennent d'apporter à notre réflexion sur la manière de mieux répondre aux attentes de nos visiteurs étrangers.

Avant de dire un mot pour compléter, peut-être, les éléments apportés au cours de cette table-ronde (I) et vous dire, surtout, combien le tourisme est, à mes yeux, dans notre pays, un secteur où le partenariat entre public et privé prend tout son sens (II), permettez-moi également de vous faire part du plaisir, qui est le mien, d'ouvrir, avec vous, ce matin, ces 3èmes rencontres nationales de l'Agence Française d'Ingénierie Touristique.

Le succès qu'elles rencontrent, cette année encore, me conforte dans le sentiment que ce rendez-vous répond à une vraie demande de ceux qui portent, aujourd'hui, le tourisme de demain... Ceux qui réfléchissent et travaillent pour produire l'offre du 21ème siècle... Ceux qui prennent les risques de concevoir et de porter des projets, en essayant, justement, de rassembler les moyens et le savoir-faire des différents acteurs concernés, qu'ils soient publics ou privés.

Oui, ces rencontres sont une excellente idée puisqu'elles offrent, puisqu'elles VOUS offrent l'occasion d'échanger et de partager vos expériences, vos besoins et vos attentes, et qu'elles nous amènent à réfléchir, ensemble, aux dynamiques nouvelles que nous pouvons créer pour développer, en France, un tourisme à visage humain, un tourisme durable, équilibré et harmonieux.

I - Compléter les éléments apportés au cours de cette table-ronde.

Ainsi, nous venons d'assister, à l'instant, à un rapide débat sur l'évolution souhaitable de l'offre française en regard des aspirations des touristes étrangers.

Ce débat est essentiel : nous avons ensemble à le poursuivre et à approfondir les conséquences que nous pouvons en tirer pour l'exercice de nos responsabilités respectives.

Mais déjà, à travers ce qui vient d'être dit, se dessine la problématique à laquelle notre secteur risque d'être de plus en plus confrontée.

On assiste en Europe à un mouvement d'industrialisation et d'intégration de l'offre touristique, avec une forte domination des grands distributeurs des pays émetteurs, allemands notamment.

Ce phénomène de domination de l'offre par le secteur de la distribution, s'il n'est pas spécifique au secteur du tourisme, a des conséquences prévisibles.

Il suscite le développement d'une offre touristique banalisée et normalisée, avec un fort taux de fréquentation étrangère, parfois exclusive ;

Il entraîne la modification des retombées sur l'économie et sur l'emploi, avec bien souvent de moindres retombées locales.

Dans un contexte de concurrence internationale de plus en plus vive, le tourisme français, encore peu concerné par ce phénomène, risque toutefois de ne pas rester longtemps à l'écart de cette évolution.

Devons-nous, dès aujourd'hui, agir pour augmenter la part de l'offre française susceptible d'être mise en marché par ces distributeurs industriels ?

Nous faut-il ainsi pousser davantage les feux sur la concentration de l'offre touristique autour de quelques grandes marques facilement identifiables par les clientèles et fragiliser de fait tous les petits producteurs individuels et artisanaux ainsi que les intermédiaires que cela nécessite ?

Ce n'est évidemment pas à moi de décider à la place des opérateurs, mais, si vous me le permettez, je voudrai dire combien je pense qu'il n'est pas souhaitable de s'inscrire exclusivement dans un développement de ce type.

Ce qui fait la richesse du tourisme français, c'est, justement, sa diversité et son caractère très atomisé et diffus.

Si cela peut apparaître comme un handicap parfois, cela n'est pas toujours le cas. Ainsi, notre pays est-il le paradis des consommateurs désireux de composer eux-mêmes leur propre produit touristique.

Au moment où l'on assiste à un essor considérable des technologies nouvelles, et en particulier au développement du commerce en ligne, on peut légitimement penser que cela constitue une chance pour ce type d'offre.

D'autant que la situation géographique de la France, au cur de l'Europe, nous donne des atouts incontestables pour envisager d'autres formes de consommation.

Je crois que cela passe par la professionnalisation des acteurs, par un effort de qualité et de lisibilité de notre offre, et par une commercialisation plus dynamique et plus moderne de nos produits qui, pour être très divers, doivent aussi être mis en cohérence afin de renforcer leur attractivité, notamment auprès de nos amis étrangers.

C'est à cela que le secrétariat d'Etat au tourisme est attaché : à la fédération de toutes celles et de tous ceux qui font la richesse du tourisme français aujourd'hui, autant qu'au développement d'un tourisme équilibré et harmonieux qui profite véritablement aux populations.

En présentant, il y a à peine quelques jours le budget de mon ministère à l'Assemblée nationale, j'ai eu l'occasion de le réaffirmer : La volonté du Gouvernement est bien d'intervenir de façon plus dynamique encore, pour conforter, moderniser, et développer un secteur essentiel à l'activité économique de la France et de nos régions.

Vous le savez, mon ambition est de contribuer au développement touristique à travers l'ensemble de notre territoire, parce que le tourisme est un secteur créateur de richesses et d'emplois... Un secteur qui répond à une aspiration légitime de nos concitoyens de partir en vacances et de découvrir d'autres horizons que celui du quotidien... Un secteur porteur de valeurs de solidarité, de tolérance et d'échange qui favorisent l'enrichissement mutuel.

C'est pourquoi, je rappelle chaque fois que je le peux, que ce secteur ne peut fonctionner seul. Il nécessite pour son développement et pour exprimer pleinement ses potentialités en termes de croissance et d'emploi, un soutien régulier dans les domaines de l'ingénierie, de la recherche, de l'investissement, de la promotion et de la mise en marché.

C'est animée de cette même conviction que je tiens à rappeler ici mon attachement à l'intervention publique de l'Etat et des collectivités locales en la matière, aux côtés du secteur privé et associatif.

Mais pour moi l'investissement touristique n'est pas une fin en soi, et je sais que, pour un responsable politique, tous les investissements n'ont pas la même valeur.

Pour être efficaces, ils doivent, à mon sens, être mis au service d'objectifs correspondant à une politique nationale. Objectifs que l'on peut décliner en termes d'adaptation de l'offre aux exigences nouvelles, ou encore d'efforts d'accessibilité pour tous les publics.

Lorsqu'on examine les problèmes actuels du tourisme, il est clair que l'exigence de conserver notre rang de grande nation touristique, c'est d'être capables d'investir à la fois sur le renouvellement et la modernisation régulière de ce qui constitue nos équipements et notre patrimoine touristique mais aussi d'investir sur de nouvelles destinations, de nouveaux sites, de nouveaux produits, dans des régions, des "Pays", qui n'ont pas jusqu'à présent pu, ou su, valoriser leurs richesses potentielles.

Et c'est là, que l'Etat à un rôle à jouer. Nous disposons ainsi d'un certain nombre d'outils pour accompagner les entreprises, les collectivités locales et les porteurs de projets, en leur apportant :

Un soutien financier : au travers du Plan patrimoine, des fonds d'aide et de garantie pour les petites entreprises de tourisme mais aussi des mesures d'allégement fiscal, tel que celui que j'ai souhaité moi-même mettre en place avec les Villages-Résidentiels-de-Tourisme...

Un soutien au développement local, à travers les Contrats de Plan qui lient l'Etat et les Régions et qui ont un effet de levier important pour mobiliser des moyens d'investissement.

Ils sont à mon sens la voie contractuelle la mieux adaptée pour soutenir les projets de développement, d'organisation et de valorisation d'une offre touristique qui répondent au plus près à la réalité des territoires, et aux attentes de leurs habitants et de leurs visiteurs.

Un soutien technique avec l'Agence Française d'Ingénierie Touristique qui est un outil très apprécié des investisseurs publics et privés.

Un soutien à la promotion et à la mise en marché, au travers de la politique mise en uvre par maison de la France en Europe et dans le monde.

Depuis sa création, l'A.F.I.T. a travaillé avec vous sur ces enjeux de développement, en constituant un atelier spécialisé pour identifier des opérateurs et leurs savoir-faire, échanger des expériences et des références. Cet atelier est un outil de recherche de développement permanent qui alimente les réflexions de tous et permet de préparer les rencontres annuelles d'automne.

Aussi ai-je prévu pour le prochain budget une augmentation de ses crédits
(+ 12,5 %) pour lui permettre d'assurer de développer ses missions de services publics en faveur de la valorisation et de l'adaptation de l'offre touristique française.

Ces rencontres sont, elles aussi, une opportunité et une aide que je cherche à vous apporter.

Je sais que cette façon originale de faire progresser vos opérations, suscite un grand intérêt de la part nos interlocuteurs étrangers.

II - Le tourisme: un secteur où le partenariat entre public et privé prend tout son sens.

En constatant, à travers ces rencontres de l'A.F.I.T., la richesse de ces échanges et la maturité qu'ils impliquent très souvent, j'ai la conviction que le tourisme est un lieu privilégié de la recherche et de l'expérimentation sur les rapports entre les opérateurs du secteur public et du secteur privé.

C'est un sujet essentiel, à un moment ou nos sociétés connaissent des débats permanents et aigus sur les conséquences du mouvement de mondialisation des économies, alors que les rôles du marché et de l'État sont commentés et confrontés, avec vivacité, dans la plupart de des pays occidentaux.

Vous qui êtes des opérateurs et des professionnels, vous avez été les témoins au cours de ces quarante dernières années de cette confrontation permanente des ambitions et des intérêts des opérateurs publics et privés, qui a donné lieu parfois à des malentendus, des conflits ou même des crises, mais aussi et surtout à des percées, des innovations, des projets gérés en commun, et à de véritables réussites.

Mais vous avez également, durant la même période, pu constater à quel point l'investissement public avait été essentiel à l'aménagement et à l'équipement de territoires moins attractifs où le secteur privé faisait cruellement défaut.

C'est à cet apprentissage progressif mais continu du partenariat que nous devons le succès actuel de notre tourisme.

Il est vrai que les apparences laissent parfois penser que le tourisme est un domaine ou secteurs publics et privés peuvent feindre de s'ignorer, mais en réalité ne peuvent pas se passer l'un de l'autre.

Cela, pour plusieurs raisons :
1 Parce que le développement du tourisme est très souvent un élément essentiel du développement général, par l'effet sur l'image et les services qu'il développe, les acteurs publics ont évidemment à rechercher des investisseurs susceptibles de participer à ce développement, et des gestionnaires capables d'apporter leur savoir-faire au développement des projets.
2.Pour des raisons liées à la nature transversale et complexe de l'activité touristique : au cours de son séjour, un touriste "passe de mains en mains", il aborde le pays par un aéroport, ou une gare, ou une autoroute, un contrôle, une douane -secteur public-, il va résider dans un hôtel, un meublé - secteur privé -, dont la fiabilité, l'hygiène générale et alimentaire découlent de l'activité du secteur public, il visitera des musées, qui sont généralement publics, il consommera de multiples prestations privées, sa sécurité sera assurée par le secteur public
Au moment où il est essentiel de mettre au centre des réflexions les attentes du touriste, sa satisfaction globale étant l'objectif à atteindre pour le fidéliser, on voit bien que secteur public et secteur privé ont un intérêt réel à agir ensemble.
3 Pour des raisons de rentabilité propres aux entreprises: dans notre pays, l'industrie touristique, sauf dans quelques situations très privilégiées, ne peut atteindre le niveau de rentabilité exigé par le marché libre des capitaux.
Penser que l'économie touristique pourrait se financer seule sur ce marché, dans une vision totalement libérale du secteur, ce serait admettre qu'elle ne se développera que dans quelques créneaux très particuliers comme l'hôtellerie industrielle en ville ou dans les sites de forte lucrativité déjà très développés, ou pire encore en ignorant complètement certaines clientèles peu solvables.

Tels ne sont pas mes objectifs, vous le savez.

C'est pourquoi, je crois qu'il y a "partie liée" entre le secteur public et le secteur privé pour créer les conditions de la croissance sur des destinations ou vers des cibles pour lesquelles la rentabilité ne peut être obtenue par une exploitation classique dans les conditions du marché.

Votre présence ici montre que ce point de passage obligé du partenariat public privé, vous en ressentez la nécessité, et vous en expérimentez les pratiques.

Pratiques qui sont aujourd'hui réelles et j'en donnerai un exemple pour en montrer l'importance à travers une étude conduite en ce moment par mes services sur la structure et l'origine des financements touristiques. En 1998 sur un montant de 34 milliards de Francs d'investissements, 2,6 milliards étaient des fonds publics, le reste provenant de fonds privés.

Si hier, il revenait bien souvent aux collectivités publiques les vues à long terme, la recherche et le choix des voies de développement, l'anticipation , la capacité de financer suivant des logiques différentes du marché financier et le contrôle des enjeux d'intérêt général, correspondant à cette logique de développement durable qui s'impose de plus en plus comme le cadre de travail des développements futurs...

Et s'il revenait au secteur privé les dynamiques d'investissement dans les secteurs concurrentiels rentabilisables, le savoir-faire et le dynamisme en matière de recherche et de traitement des clientèles, d'action commerciale, de démarches qualité, de créativité, de gestion, aujourd'hui, la frontière entre les différentes compétences et responsabilités de ces deux secteurs tend à s'estomper et à s'assouplir.

L'A.F.I.T a depuis sa création en 1993 cherché systématiquement à développer ces partenariats entre entreprises et collectivités publiques.

En effet, la réussite d'un projet nécessite de rassembler, autour de contrats clairs et réalistes, précisant les responsabilités de chacun :
*Un maître d'ouvrage portant les objectifs publics et capable de rassembler les financements publics nécessaires,
*Des financeurs partenaires, bancaires ou privés,
*Un opérateur gestionnaire.
Pour favoriser ce partenariat, il existe des solutions juridiques adaptées. J'en citerai quelques-unes unes parmi les plus utilisées :
*La gestion publique en forme de régie, qui n'est pas a écarter systématiquement.
*La constitution d'un outil associant secteur public et secteur privé dans une "société d'économie mixte locale".
*La concession : qui depuis la loi de 93 impose des procédures de transparence dans le choix des concessionnaires (appel public à propositions, commissions d'examen des offres).
*L'affermage, ou le contrat de gestion simple.
Je souhaite qu'avec l'aide de l'A.F.I.T., vous continuiez, ensemble, à progresser dans ce sens pour que les collectivités publiques abordent les négociations de partenariat, avec le secteur privé, avec des idées claires, des attentes précises, une clarification des charges et responsabilités incombant à chaque partenaire.

Ainsi, des études effectuées ces dernières années sur de nombreux projets comme les parcs à thème, ou encore les villages de vacances, privés et associatifs peuvent vous permettre d'approcher de façon plus efficace la prévision de l'impact de vos projets.

Ces études sont, en effet, autant d'éléments sur lesquels vous pouvez vous appuyer pour apprécier les efforts financiers des collectivités publiques.

Leurs effets se font sentir soit directement sur la fiscalité, l'emploi ou sur l'image de la destination, soit, plus indirectement, sur l'attractivité des territoires par rapports aux investisseurs qui sont chacun le sait ici, de plus en plus sensibles à la mise en tourisme et en désir des territoires. Tous éléments dont la connaissance est indispensable pour évaluer la viabilité et la faisabilité de vos propres projets et garantir ainsi l'efficacité des investissements envisagés.

Il reste beaucoup de progrès à faire en la matière. Un arrière fond de scepticisme et de frilosité existe, encore pourquoi se le cacher, chez les banquiers et les investisseurs comme chez de trop nombreux élus lorsqu'on parle de projets touristiques.

Mais il me semble qu'une telle attitude est de moins en moins justifiée, car des rencontres comme celles qui se déroulent aujourd'hui contribuent à faire avancer toutes ces idées nouvelles d'un partenariat et d'une complémentarité de tous les acteurs et opérateurs du tourisme dans des projets équilibrés porteurs d'un développement local harmonieux, soucieux de l'environnement des cultures et des hommes.

Je suis convaincu que ces troisièmes rencontres peuvent fortement y contribuer.

Je vous remercie.
(source http://www.tourisme.gouv.fr, le 23 novembre 1999)