Texte intégral
M. Charles Josselin
Cette conférence de presse se situe au lendemain de l'annonce par Lionel Jospin de la réforme présentée et acceptée en Conseil des ministres. J'ai souhaité qu'Hubert Védrine soit à mes côtés puisque nous sommes totalement complices dans la réussite nécessaire de cette réforme et que la décision de regrouper le Quai d'Orsay et la Rue Monsieur est l'un des points importants de la réforme.
Désormais, nous appartenons au même ensemble diplomatique et nous sommes sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine.
J'imagine que la conférence de presse organisée à Matignon aura permis déjà de dévoiler très largement le sens de la réforme et le dispositif qu'elle prévoit. Pour autant, nous sommes évidemment à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudriez nous poser. J'aimerais bien que le ministre des Affaires étrangères nous tienne un petit propos introductif.
M. Hubert Védrine
Je remercie Charles, non seulement de son invitation mais de ses propos. Je crois que nous sommes très heureux tous deux du bon aboutissement de cette première partie du processus : c'est-à-dire la décision.
Nous avons beaucoup travaillé ensemble ces derniers mois sur cette réforme qui était, à la fois nécessaire et en même temps délicate. On l'a vu dans le passé, il faut tenir compte des différentes aspirations, des différentes ambitions, des préoccupations légitimes des uns et des autres car nous voulions tous que cette réforme soit bien acceptée pour qu'elle réussisse.
Nous avons beaucoup travaillé depuis l'été dernier, sous l'égide du Premier ministre, non seulement tous les deux, mais aussi avec Dominique Strauss-Kahn et Alain Richard sur d'autres aspects. Nous sommes arrivés à ce dispositif qui a été présenté par le Premier ministre au Président de la République qui l'a accepté, après en avoir discuté entre eux. Cela a été réussi parce que nous nous sommes inscrits, je crois, dans une dynamique. Nous avons bien analysé les raisons pour lesquelles, dans le passé, certaines tentatives d'adaptation n'avaient pas abouti et nous sommes animés par la conviction que cette réforme n'est pas un jeu à somme nulle. Personne ne va perdre ou y perdre. Nous avons, je crois, ainsi que le Premier ministre, créé les conditions d'une réussite dynamique de cette mise en oeuvre. La décision qui a été présentée et longuement expliquée hier par le Premier ministre est la première étape et nous entrons maintenant dans la mise en oeuvre que nous avons bien l'intention, ensemble et en très bonne entente et avec toutes les concertations nécessaires et à tous les niveaux, de faire aboutir dans les semaines qui viennent.
Voilà mon état d'esprit, je me réjouis profondément de ce rapprochement car je crois qu'il y a, tant au Quai d'Orsay qu'ici Rue Monsieur et à partir de toutes les organisations administratives qui partent des deux Maisons, de formidables potentiels en réserve. Notre tâche, c'est que, dans ce rapprochement et dans la bonne combinaison à trouver - sur laquelle nous travaillons à partir de maintenant - nous arrivions à exercer la meilleure influence possible et à mettre en oeuvre la meilleure politique étrangère possible, la meilleure politique de Coopération possible, la meilleure politique d'aide au développement possible.
Q - Le Premier ministre a parlé hier d'une zone prioritaire de solidarité correspondant aux pays qui bénéficient aujourd'hui du FAC. Prenons deux pays comme la Côte d'Ivoire et le Cameroun pour être concret. Compte tenu de leur évolution économique, ils pourraient sortir de cette zone de solidarité un jour. Que se passerait-il ? Ils ne seraient plus aidés par l'Agence française de Développement. Dans ce cas, seraient-ils éligibles aux protocoles financiers ? Mais alors, qui gèrerait les protocoles financiers ? Serait-ce la Direction des relations économiques extérieures ?
R - M. Josselin - C'est une question technique qui vient de nous être posée. Je ne suis pas sûr que cette question ait grand chose à voir avec la réforme. Sur les aspects techniques que vous soulevez, ce n'est pas la réforme qui change quoique ce soit. La question politique intéressante derrière votre question, c'est de savoir si ces pays-là qui sont aujourd'hui dans la zone de solidarité prioritaire pourraient en sortir. Oui, ils le pourraient, mais la réponse mérite d'être aussi nuancée car on peut imaginer que des pays, à l'intérieur de cette zone de solidarité prioritaire, ne soient pas forcément tous amenés à bénéficier du même taux et du même niveau d'aide. C'est cette flexibilité qui me paraît importante et qui donne tout son sens au rôle du CICID qui, non seulement a possibilité de définir les contours de la zone, mais aussi d'afficher des priorités géographiques et sectorielles qui pourraient nous amener, en fonction du degré de la situation de pauvreté ou de richesse relative d'un pays, ou de sa manière de se gouverner, à intervenir plus ou moins, mais pas forcément à ne plus intervenir du tout. Mais il est vrai que l'on pourrait imaginer aussi des sorties, des évictions-sanctions. Ce n'est pas impossible puisque nous voudrions que, dans le cadre de ces accords de partenariat et de développement, nous prenions compte, à la fois des données objectives caractérisant la situation d'un pays par rapport aux autres, mais aussi, de la manière dont il se gouverne.
Q - Je voulais avoir une précision à propos de ce qu'a dit M. Védrine. Vous parliez tout à l'heure de quelques semaines pour achever la seconde partie. Pourriez-vous être un peu plus précis et d'autre part, demander à M. Josselin quand nous pourrons l'appeler ministre délégué ? Cela interviendra-t-il avant les régionales ou les cantonales ou après.
R - M. Josselin - Vous pensez que cela a un rapport ? R - M. Védrine - Vous pourrez l'appeler comme cela dès que le décret sera sorti. C'est très bientôt, c'est beaucoup plus court que l'autre délai sur lequel vous m'avez interrogé. Quand j'ai parlé de quelques semaines, cela ne veut pas dire que c'est moins d'un mois bien sûr. C'est pour faire passer l'idée qui nous est commune que nous voulons aller vite, mais nous voulons bien faire les choses, c'est-à-dire après avoir écouté tout ce qu'il faut écouter et avoir permis à toutes les procédures de concertations de se développer. Nous voulons que les choses se passent bien. Il y a des préoccupations légitimes dans cette Maison comme au Quai d'Orsay. Nous allons mettre en place une instance à la fois de pilotage de surveillance de la mise en oeuvre de la réforme. Il y a un certain nombre de sujets précis, que vous avez tous à l'esprit, sur lesquels il faut travailler maintenant et qui touchent au budget, au personnel, à l'organisation exacte, au contours des différentes directions. Cela prendra le temps qu'il faut. Je ne vais pas le fixer à l'avance, ce serait artificiel. Par avance, nous ne savons pas combien de temps dure une concertation. En tout cas, nous voulons aller aussi vite que possible et le mieux possible.
R - M. Josselin - Sans, en effet, donner un calendrier exact, l'objectif que nous nous donnons, serait qu'avant l'été, nous ayons une idée assez exacte de la nouvelle organisation des services concernés. La question du statut des personnels risque d'être plus longue surtout si cette question s'accompagne d'une certaine mobilité de ceux-ci qui devrait résulter de la nouvelle organisation des services, y compris de l'appel d'air que l'Agence française de Développement, va, du fait de l'élargissement de ses compétences, provoquer. Cela pourrait bien durer plus d'un an, la gestion complète de ces problèmes individuels devant être prise en considération.
Sur les questions touchant à l'organisation des services, nous pensons qu'il faudrait se donner un peu moins de six mois, de façon à ce que la traduction budgétaire de cette réorganisation puisse apparaître, et il faudra bien que cela soit fait pour le budget 1999, donc avant que les discussions de la loi de finances ne s'engagent. Quant à la méthode, comme le disait Hubert Védrine, c'est un groupe qui réunira toutes les compétences aussi bien en matière d'organisation que de gestion du personnel, qui va se mettre en place de manière régulière et qui aura aussi des rencontres très régulières avec les représentants du personnel, c'est-à-dire les syndicats, lesquels doivent être associés évidemment à cette réflexion qui les intéresse au premier chef.
Q - Que devient le FAC, est-il intégré à l'Agence ?
R - M. Josselin - Pour l'instant, le FAC perdure, tant qu'il n'est pas remplacé par autre chose. Mais, il y aura peut-être des modifications. La procédure FAC, au niveau du montage et de l'instruction des dossiers, va continuer telle quelle, au moins pendant toute cette année. Et c'est dans la perspective de l'année 1999 que nous allons réfléchir à la nécessité ou non d'en modifier le dispositif. Je ne peux rien vous dire de plus pour l'instant. Normalement, l'instruction des dossiers FAC continue.
Q - Ensuite, ce serait donc l'Agence qui devrait prendre la suite ? R - M. Josselin - Cela va dépendre de quel dossier ! Il y a des dossiers FAC qui concernent par exemple le pouvoir régalien des Etats, des appuis en matière de police ou de justice. Or il a été convenu que ces questions-là resteraient du ressort de l'administration. On ne peut donc pas considérer que le FAC nouveau serait basculé en totalité du côté de l'Agence. C'est pour cela que la situation, par rapport à ce qu'elle est aujourd'hui, ne va pas être profondément modifiée. Il reste à ouvrir la réflexion sur la modification éventuelle du FAC en tant que tel. Cela rentre dans le paquet des questions en discussion.
Q - Pouvez-vous nous donner un exemple de pays qui font partie de la zone prioritaire et qui ne figurent pas parmi ceux qui reçoivent à l'heure actuelle l'aide française ?
R - M. Josselin - La zone prioritaire de départ, appelons-la ainsi, ce sont les pays ACP, plus les PMA francophones, comprenez en clair, les pays de l'ancienne Indochine. Vous observerez en effet que les pays de l'Afrique francophone sont tous dans cette zone de solidarité prioritaire.
Q - Qui y aura-t-il ?
R - M. Josselin - Attendez qu'on les désigne. Ce sera le travail du CICID et en effet le rôle du comité interministériel que de faire le choix, à la fois sur des critères objectifs, tenant à la situation économique ou au degré de pauvreté ou aux besoins d'un pays, mais aussi sur des critères tenant à notre volonté politique de nous intéresser plus à tel ou tel morceau.
R - M. Védrine - Charles vous explique quel est le coeur de cette politique. Il a répondu, à une question antérieure, que c'était une politique qui, naturellement pouvait s'adapter. Le gouvernement peut adapter sa politique comme dans n'importe quel domaine, comme n'importe quel autre gouvernement, cela peut varier, en moins ou en plus. Cela peut s'ouvrir à d'autres qui rempliraient telle ou telle condition dont nous penserons au sein du CICID qu'ils remplissent les conditions et tel ou tel autre pourrait en être écarté pour des raisons politiques exceptionnelles. Ce serait tout à fait contradictoire, avec cette approche de souplesse et de pragmatisme, que l'on désigne par avance, avec une liste annexe complémentaire. Ce serait le contraire même de cette approche. Nous verrons, nous nous adapterons aux situations.
Q - Quelles sont les premières réactions des pays de l'ancien pré-carré concernant ce projet ?
R - M. Josselin - Ils ont exprimé, avant la réforme, l'espoir que serait préservée la relation privilégiée entre la France et leur pays. Certains ont été un peu plus précis en souhaitant par exemple qu'il y ait un ministère des Affaires africaines, je pense à M. Bongo qui s'était exprimé dans ce sens.
Ceux que j'ai vu plus récemment, je pense à M. Bédié que j'ai vu la semaine dernière et à M. Kerekou que j'ai vu lundi, en disant que les explications que nous leur avions données sur l'organisation d'une zone de solidarité prioritaire, étaient de nature à les satisfaire. Qu'au demeurant, il s'agissait d'un choix de la France, ce qu'ils ont quand même bien voulu reconnaître, ce qui me paraît le moindre. Mais, que le fait d'avoir un ministre identifié en charge de la Coopération était pour eux en effet un élément important. Je pourrais insister sur ce point en disant que ce qui les rassure complètement, c'est que ce soit moi qui continue à être leur interlocuteur, mais.... ce serait sans doute un peu excessif.
R - M. Védrine - J'ai entendu ce matin à la radio que le président Bongo avait dit que c'était très bien, que c'était l'affaire de la France et que cela ressemblait beaucoup aux structures qui existaient chez lui. Je suis convaincu que les réactions vont être bonnes et qu'il y a en Afrique, beaucoup de gens qui, comme nous, pensent qu'il fallait faire cette réforme et cette adaptation. L'Afrique elle-même bouge énormément. Il ne faut pas prêter sans arrêt aux dirigeants africains des positions qui ne sont plus forcément les leurs et qu'ils pensent, c'est ce qu'il ressort des contacts récents, que nous avons réussi cette fois-ci à combiner les différents éléments. C'est l'impression que j'ai à ce stade.
R - M. Josselin - J'observe aussi que ce qu'il est coutume d'appeler les nouvelles élites africaines, même s'il est quelquefois difficile de les définir avec précision, étaient globalement très favorables à cette réforme car elles considéraient que c'était une sorte de désenclavement de l'Afrique, en particulier du pré-carré par rapport à l'organisation internationale. Nous avons aussi pensé à cela en faisant cette proposition.
Q - Le Premier ministre a annoncé hier soir qu'il allait écrire à tous les chefs d'Etat africains pour leur faire part de façon formelle de cette réforme. S'agit-il de ménager quelques susceptibilités si vous voyez lesquelles ?
R - M. Josselin - Il a dit qu'il allait informer les chefs d'Etat, tous. Il n'est pas question de ménager je ne sais quelle susceptibilité. Il est normal que nous informions nos partenaires des modifications qui interviennent dans le dispositif de Coopération au développement.
Q - Ils ont été consultés...
R - M. Josselin - Faudrait-il que nous évitions de les informer de façon à éviter de donner l'impression de ménager des susceptibilités ? Non mais vous voyez où l'on arrive avec de tels raisonnements...
Q - Le fait que cela ait été annoncé de cette façon, il faudrait savoir un peu plus ce qu'il y a derrière.
R - M. Josselin - Rien d'autre, rien d'autre que la volonté d'informer. Q - La seconde question est simple : vous avez eu des mots très durs à l'endroit du Premier ministre béninois il y a quelques jours. Que déplorez-vous chez lui, son attitude au congrès du RPR ou son analyse de la politique africaine de la France ?
R - M. Josselin - Non, je lui reproche une erreur d'agenda. Q - C'est-à-dire ? R - M. Josselin - J'aurais préféré qu'il m'attende, prévenu qu'il était de mon voyage, c'est tout. Mais, je peux comprendre, il avait été président de l'Assemblée nationale du Bénin, au moment où le président du RPR était lui-même président de l'Assemblée nationale. Je peux comprendre que ce soit une relation de présidents d'Assemblée qui lui ait fait obligation d'être au congrès du RPR.
Q - J'aimerais savoir, très concrètement, et notamment durant la période intermédiaire de mise en oeuvre, sur le terrain, si le chef de mission de Coopération dépendra immédiatement de l'ambassadeur. Quel va être le statut du directeur de l'Agence de la Caisse française de développement ? Comment cela s'organisera-t-il sur le terrain dès aujourd'hui ?
R - M. Josselin - D'abord, ce ne sera pas à partir d'aujourd'hui. Dès à présent, et ce n'est pas d'aujourd'hui, le secrétariat d'Etat à la Coopération est en quelque sorte dépendant du ministère des Affaires étrangères ce que l'on a tendance à oublier. L'ambassadeur a dès à présent autorité sur la mission.
R - M. Védrine - Comme sur tous les services de l'Etat d'ailleurs. R - M. Josselin - Il est exact que la réforme va intégrer les missions dans les ambassades. Pas physiquement, c'est évident. Je connais des missions qui sont plus importantes que les services dont dispose, aujourd'hui, l'ambassadeur, c'est clair. L'ambassadeur va donc avoir autorité sur l'ensemble. Les missions participeront à l'action extérieure de la France aussi sur le terrain. Allons-nous garder le nom de mission de Coopération, la question est ouverte. Nos interlocuteurs sont très habitués à cette réalité-là, y compris concernant le nom, mais la question qui reste ouverte aussi c'est celle du statut des chefs de missions qui vont se trouver intégrés dans le personnel diplomatique. Là aussi, c'est au cours des semaines qui viennent, en liaison avec les représentants des personnels concernés et avec les spécialistes de ces questions, que le problème trouvera une solution plus complète. En tout cas, pour répondre à votre question, physiquement, rien ne changera. Mais il est vrai que la relation va se trouver consolidée entre l'ambassadeur et la mission.
R - M. Védrine - Je voudrais ajouter un mot pour rappeler simplement que l'ambassadeur à une autorité globale depuis longtemps. Je le dis pour ceux d'entre vous qui sont des spécialistes pointus de ces questions. Ce n'est pas vrai uniquement des missions de Coopération qui dépendaient du secrétariat d'Etat à la Coopération ou d'autres structures avant parce que les noms changent. C'est vrai par rapport à toutes les structures, au conseiller commercial, culturel. C'est la réalité juridique et administrative. Il y a des textes de tous les Premiers ministres qui l'ont constamment rappelé depuis très longtemps, mais la mise en oeuvre est très variable selon les administrations et selon les situations. L'autonomie réelle est plus ou moins grande selon les cas. Ce que l'on peut observer, c'est que, chaque fois que les représentants des différentes administrations françaises jouent le jeu sur ce plan et qu'il y a une vraie synergie, c'est l'influence française globalement qui en profite et qui en bénéficie, qui est plus grande et plus forte. Chaque fois qu'il y a des rivalités administratives traditionnelles qui perdurent, cela handicape tout le monde. Là aussi, il faut voir les choses en dynamique et pas uniquement à propos du cas particulier des missions.
R - M. Josselin - C'est d'ailleurs aussi à l'ambassadeur qu'il reviendra de s'assurer de la bonne coordination entre missions et représentants de la future Agence française de développement. C'est sous l'autorité de l'ambassadeur que la coordination doit se faire.
On essaie aussi de faire en sorte que le préfet, dans les départements, soit le patron de l'ensemble des services de l'Etat. C'est un peu la même démarche poursuivie sur les théâtres extérieurs que sont les ambassades.
Q - L'une des spécificités, des originalités, des richesses mêmes, disent certains, de cette Maison, était l'approche développement. J'aurais voulu savoir quel est le point de vue du chef de notre diplomatie sur cette approche. La juge-t-il pertinente, bien fondée et de manière plus technique, qu'est-ce qui garantit demain que les crédits qui allaient soutenir les projets de développement ne pourraient pas dériver pour la Coopération culturelle scientifique et technique, pour l'Europe ou les Etats-Unis puisque l'on parle de rapprochement et l'on sait parfois qu'il y a des alchimies administratives étonnantes ?
R - M. Védrine - Je suis extrêmement conscient de la formidable richesse que représente l'expérience accumulée par tous les personnels administratifs et dans d'autres cas d'ailleurs, par des gens qui ne sont pas dans les structures administratives mais qui concourent d'une façon ou d'une autre à l'action de développement de la France. On en trouve dans de nombreuses associations, ONG, organisation variées, entreprises. Sur tous les plans, il y a des gens qui ont orienté leur vie autour de cette tâche du développement, très prioritairement sur le continent africain, mais parfois dans d'autres régions. J'en connais énormément. Encore une fois, non seulement je ne sous-estime pas cela, mais je pense que c'est un des grands atouts de la France. En dehors du très grand engagement des pays scandinaves à travers les procédures multilatérales, la France est parmi les pays développés celui qui se consacre le plus à l'aide au développement. C'est un véritable atout. Il faudrait être vraiment absurde pour avoir l'idée de se priver de cela. C'est un apport considérable et j'ai bien l'intention, dans le travail que nous allons faire dans les semaines et les mois qui viennent pour réussir la seconde partie qui est la mise en oeuvre, de tenir compte de cet élément à tous les instants. Il faut que le regroupement se fasse dans le respect des métiers, des expériences, des savoir-faire des uns et des autres.
C'est vrai sur d'autres plans, il y a toujours une crainte de voir des budgets qui passent d'une activité à une autre. Mais il faut avoir le même respect et la même considération pour des gens qui ont travaillé à la Direction générale des relations culturelles scientifiques et techniques ou à partir d'elle, autour d'elle, grâce à elle, en fait, et qui ont accumulé également un savoir-faire tout à fait remarquable en matière de formation dans d'autres domaines, en matière d'échanges culturels, artistiques, scientifiques. Il y a toute une palette.
C'est vrai en matière de Francophonie : il y a des gens qui ont beaucoup investi sur ce sujet difficile et qui ont accumulé un savoir-faire remarquable. En tant que responsable de la diplomatie française, je n'ai l'intention de ne me priver de rien, de nous priver de rien. Nous cherchons à maximiser cela. Quand je disais tout à l'heure qu'une réforme ne doit pas être un jeu à somme nulle, c'est parce que cela doit être un apport pour tous. Je considère que pour la diplomatie française, pour le corps diplomatique français, pour le ministère français des Affaires étrangères, c'est une chance aussi d'avoir à travailler plus étroitement, dans un bon esprit, avec autant de gens qui ont cette expérience et ce savoir-faire.
Est-ce qu'il y a des garanties absolues en terme administratif et budgétaire ? Il y a les garanties que nous avons apporté dans cette réforme, l'identification claire dont parlait Charles tout à l'heure et à laquelle nos partenaires africains, qui ne sont pas les seuls mais qui sont toujours les premiers auxquels nous pensons, ont été très sensibles. La garantie est dans le raisonnement politique fait par le Président de la République, par ce gouvernement, par le Premier ministre, par nous, et j'en suis convaincu, par les suivants. Cela correspond à un intérêt de fond de la France. Il n'y a pas à chercher des garanties artificielles. C'est une conviction, un engagement politique. A nous maintenant de réussir ce regroupement de ces métiers qui apportent tous quelque chose. Il faut les valoriser et il faut que rien de ce qui a été accumulé au fil des années ne soit perdu dans ce que nous allons faire maintenant.
M. Josselin ;- D'une manière plus générale, je voudrais profiter de la question qui a été posée et à laquelle Hubert Védrine vient de répondre. On a parfois dit que c'était deux cultures qui allaient devoir s'échanger ou échanger entre elles. Je crois qu'en effet, l'histoire des deux Maisons, les métiers très divers qui ont pu être exercés par l'une et l'autre, représentent une comme de compétences tout à fait considérable mais qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu beaucoup l'habitude de travailler ensemble. La réforme fait obligation de ce que j'appelle parfois un ensemencement réciproque. Je crois aussi, je suis content de le dire en présence d'Hubert Védrine, que Lionel Jospin est très conscient que la politique extérieure de la France est amenée à attacher à la question du développement et de la coopération au développement d'une importance considérable, probablement plus aujourd'hui qu'hier, et sans doute davantage encore demain, qu'il s'agisse des aspects multilatéraux de la coopération au développement ou des aspects bilatéraux. Lorsque l'on dit multilatéraux, on pense à ces grands organismes, qu'ils aient leur siège à New York ou à Washington. On sait assez l'importance que joue, en matière de diplomatie économique, le FMI ou la Banque mondiale. On a pu voir écrit qu'il allait résulter de cette réforme moins de coopération. C'est en réalité le contraire. La différence est que cette politique de Coopération internationale et de développement va mobiliser l'ensemble des services diplomatiques français, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères et les personnels de cette Maison, à qui je tenais ce langage ce matin, m'ont semblé le comprendre. Mais je serais tenté, en votre présence, de me tourner vers Hubert Védrine, pour savoir si c'est ainsi qu'on le comprend au Quai d'Orsay :
M Védrine- C'est ce que j'ai dit. Mais, j'en profite puisqu'il se trouve que c'est moi qui suis ministre des affaires étrangères à ce moment-là : je doit dire que sur le plan personnel, je ne suis pas du tout étranger à tout cela. Il ne faut pas me voir comme venant d'un monde extérieur à tout cela. Toute ma vie, j'ai été intéressé par ces questions ; quand j'étais au lycée, j'animais un club Unesco qui était centré sur les questions d'aide au développement et des relations avec le tiers monde. J'ai eu toute ma vie des amis très proches engagés sur ces terrains, des amis agronomes, des amis médecins, spécialisés dans le développement. J'ai participé aux activités de nombreux groupes orientés sur ce plan. J'ai de nombreux amis chefs de missions d'aide et de coopération. Je sais ce que c'est. Je vais prendre le sujet tout à fait dans l'esprit que Charles a cité. Et je vais le prendre avec respect, considération, amitié et en même temps, avec une vraie détermination pour que la réforme marche, car je pense que c'est une bonne réforme. Tous ces gens qui exercent ces métiers liés à la coopération ont tout à gagner à ce rapprochement et je pense qu'il vont découvrir, pour certains qui ne le savent pas assez, les qualités tout à fait formidables de l'appareil diplomatique français. Je pense qu'en sens inverse, ce sera une découverte, dans certains cas, dans d'autres cas, une confirmation, et dans tous les cas, un enrichissement. Je ne peux pas être plus clair sur mon état d'esprit.
Q- J'avais une question à poser à la lecture de cette déclaration faite à propos de la nouvelle politique de coopération. Il y est dit que cette nouvelle réforme va permettre à la France de mieux défendre les thèmes qui lui sont chers. Vous dites aussi que cela va se jouer notamment face aux initiatives que prend la Banque mondiale, initiatives qui sont utiles quand elles visent au renforcement des capacités des Etats. Est-ce à dire que, dans certains cas, vous trouvez que les initiatives de la Banque mondiale ne sont pas si utiles que cela ?
M Josselin :- J'ai même rajouté en communication orale hier matin en Conseil des ministres, la satisfaction des besoins sociaux. En effet, il est arrivé que les propositions de la Banque mondiale ne prennent pas forcément toujours en compte la situation sociale des pays concernés, que le vent libéral souffle un peu trop fort là-bas aussi et que le rôle de l'Etat y soit insuffisamment pris en compte. Ce n'est pas un secret que sur des questions particulières comme l'organisation des filières, il y a débat au sein de la Banque mondiale sur l'intérêt qu'il y a à libéraliser trop vite ou à privatiser de manière un peu intempestive des organisations économiques et sociales qui fonctionnent. C'est cela qu'il y a derrière cette recommandation. Autrement dit, nous entendons aussi faire de la politique à l'intérieur de ces grandes organisations.
Q.- Au sujet du programme de privatisation qui est mis en uvre dans la plupart des pays en ce moment, vous émettez donc presque immédiatement un certain nombre de critiques ?
M Josselin.- Nous considérons qu'avant de se lancer dans certaines privatisations, il faut s'assurer qu'après, l'organisation des producteurs - par exemple, sur certaines spéculations, sur le coton, on pourrait en trouver d'autres - ne va pas être par trop désorganisée car il y a eu des expériences où les privatisations n'ont pas toujours donné les résultats attendus. Nous voulons que l'on prenne aussi en compte le besoin des équilibres sociaux en particulier qui me paraissent importants.
Q- Seulement au plan agricole ou bien sur le plan des services publics ?
M Josselin.- Au plan général, mais là je pensais davantage peut-être au plan agricole parce que derrière, ce sont souvent des dizaines de milliers de producteurs concernés.
Q- Pour le coton, y-a-t-il une position claire ?
M Josselin ;- Ce n'est pas aujourd'hui que l'on en parlera.
Q. Ah bon !
M. Josselin ;- Il n'y a que de bonnes questions, mais il peut y avoir des non réponses.
Q.- Pour l'Agence du développement, quel est son rôle ? Est-ce une banque ?
M. Josselin ;- Cela arrive. Elle prête plus souvent, elle va rester " établissement financier " - ce qu'elle est - mais elle va avoir capacité à utiliser différents instruments financiers puisque c'était la question que vous soulevez en combinant le prêt et le don. C'est la singularité de cette banque-là par rapport à d'autres qui donnent plus rarement.
Q. Votre réflexion touchant la réorganisation va-t-elle inclure une réflexion sur l'articulation entre bilatéral et multilatéral, non seulement le multilatéral économique mais le multilatéral francophone et européen ?
M. Védrine.- Cette réflexion est constante. Ce n'est pas à partir de cette réorganisation que nous sommes confrontés à cette question. Nous sommes sans arrêt en train de chercher la meilleure répartition possible sur tous les plans et pas seulement sur l'aide au développement, entre le bilatéral, le multilatéral européen et les autres organisations. Il faut être assez concret et pratique, parce que dans certains cas, le multilatéral est un vrai relais qui nous permet de démultiplier en quelque sorte nos actions et de faire plus avec des monnaies identiques. Dans d'autres cas, c'est une perte de visibilité complète et il arrive que le multilatéral soit plus opaque en réalité que l'action bilatérale.
Je ne suis pas doctrinaire sur de point. Je pense qu'il y a des cas qui relèvent vraiment du bilatéral, quand on est plus expérimenté, plus solide, et dans d'autres cas, il y a une dimension européenne, ou autre. Il faut trouver la meilleure répartition. Ce n'est pas une réflexion qui commence aujourd'hui, c'est une pratique déjà, et c'est une question que l'on gère au jour le jour, sans arrêt, que ce soit au Quai d'Orsay ou Rue Monsieur. Il ne faut se priver d'aucune possibilité, chercher la meilleure combinaison passible et ne pas être un idéologue du bilatéral pur ou du multilatéral systématique. C'est une réponse un peu générale mais que Charlesva préciser certainement.
M. Josselin ;- Je veux simplement ajouter que, dans tous les cas, il faut que nous nous donnions les moyens de faire savoir quelle st la part prise par la France. Nous voudrions bien savoir planter, en Afrique par exemple, côte côte, le drapeau européen et le drapeau français parce que nous avons le sentiment que l'on ne sait plus assez ce ue nous faisons.
Derrière cette réforme, il y a une volonté de communiquer mieux, là-bas et ici sur ce qu'est la coopération au développement. Je signale d'ailleurs que dans quelques mois, en application d'une décision prise lors de la Conférence des ministres de la Zone franc en septembre dernier, nous envisageons probablement à l'automne prochain, une campagne de communication faisant apparaître un peu mieux la réalité de l'Afrique et en particulier la Zone franc. C'est dans l'intention des investisseurs de rappeler un peu mieux la part que la France prend dans tout cela. Car on a tendance un peu à l'oublier.
Q.- Que signifie une certaine remise en cause d'une politique qui a été introduite par M : Balladur et qui subordonnait d'une certaine manière l'aide à la Coopération à l'application des plans de réajustements structurels ?
M. Josselin.- D'abord, je voudrais souligner qu'il n'y a pas le FMI et nous. Nous sommes aussi dans le FMI, comme nous sommes dans la Banque mondiale et le travail, pour nous, consiste aussi, de l'intérieur de ces grandes institutions, à essayer de les faire évoluer sur des politique plus soucieuses parfois des mesures sociales comme nous le disions à l'instant. Aujourd'hui, certaines de nos politiques d'aide sont directement articulés sur le plan d'ajustement structurel du FMI. Il n'y a pas contradiction. Nous les reprenons parfois à notre compte mais, parfois, nous nous autorisons à nous en écarter davantage. Autrement dit, la France garde sa liberté d'intervenir éventuellement sur des critères et selon des conditions différentes de celles du FMI.
Q.- Je pense à Haïti qui est dans une situation peu normale en ce moment. Comment orienterez-vous certains éléments de cette réforme pour faire bouger cet état de fait ?
M. Josselin.- Je ne pense pas que nous aurons le temps de faire l'inventaire de chacun des pays dans la zone mais Haïti est dans la zone et j'espère, dans quelques mois, pouvoir, sur place, m'assurer que la situation n'est pas totalement désespérée. C'est vrai que la situation est très difficile en ce moment. Notre mission de Coopération y fait du très bon travail mais dans des conditions évidemment difficiles. Comprenez que ce n'est pas ce matin que nous allons entrer dans le détail de cette situation. Nous espérons simplement que les acteurs politiques en présence sauront faire preuve d'un peu de responsabilité, ce qui n'est pas vérifié aujourd'hui.
Je vais la semaine prochaine à Panama pour une rencontre Europe-Amérique latine. Je dis cela en passant pour rappeler que, s'il y a la zone de solidarité prioritaire, il y a aussi notre volonté de coopération avec aussi le reste du monde et en particulier le reste du monde en développement. C'est aussi une illustration de la réforme.
S'Il n'y a pas d'autres question, j'aimerais que dans vos articles de presse ou dans vos commentaires radios, vous évitiez, comme certains, de faire comme si toutes les affaires dont on a pu parler, dans la dernière période ou bien avant, trouvent leur origine au ministère de la coopération, parce que certains commentaires ont été vécus par les personnels de cette Maison comme à la limite de l'injure. Je voulais faire cette rectification. Cette Maison n'est pas indemne, mais il y a tellement de gens qui s'occupent de coopération, ou en tout cas des mêmes territoires, qui ont une part sans doute plus évidente dans ces affaires, que 'aimerais bien qu'on sache rétablir la vérité. Faites-le pour ces personnels qui s'inscrivent dans une longue histoire, faite souvent de générosité. Je pense que vous m'aurez compris, et c'est bien que l'on termine sur cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2001)
Cette conférence de presse se situe au lendemain de l'annonce par Lionel Jospin de la réforme présentée et acceptée en Conseil des ministres. J'ai souhaité qu'Hubert Védrine soit à mes côtés puisque nous sommes totalement complices dans la réussite nécessaire de cette réforme et que la décision de regrouper le Quai d'Orsay et la Rue Monsieur est l'un des points importants de la réforme.
Désormais, nous appartenons au même ensemble diplomatique et nous sommes sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine.
J'imagine que la conférence de presse organisée à Matignon aura permis déjà de dévoiler très largement le sens de la réforme et le dispositif qu'elle prévoit. Pour autant, nous sommes évidemment à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudriez nous poser. J'aimerais bien que le ministre des Affaires étrangères nous tienne un petit propos introductif.
M. Hubert Védrine
Je remercie Charles, non seulement de son invitation mais de ses propos. Je crois que nous sommes très heureux tous deux du bon aboutissement de cette première partie du processus : c'est-à-dire la décision.
Nous avons beaucoup travaillé ensemble ces derniers mois sur cette réforme qui était, à la fois nécessaire et en même temps délicate. On l'a vu dans le passé, il faut tenir compte des différentes aspirations, des différentes ambitions, des préoccupations légitimes des uns et des autres car nous voulions tous que cette réforme soit bien acceptée pour qu'elle réussisse.
Nous avons beaucoup travaillé depuis l'été dernier, sous l'égide du Premier ministre, non seulement tous les deux, mais aussi avec Dominique Strauss-Kahn et Alain Richard sur d'autres aspects. Nous sommes arrivés à ce dispositif qui a été présenté par le Premier ministre au Président de la République qui l'a accepté, après en avoir discuté entre eux. Cela a été réussi parce que nous nous sommes inscrits, je crois, dans une dynamique. Nous avons bien analysé les raisons pour lesquelles, dans le passé, certaines tentatives d'adaptation n'avaient pas abouti et nous sommes animés par la conviction que cette réforme n'est pas un jeu à somme nulle. Personne ne va perdre ou y perdre. Nous avons, je crois, ainsi que le Premier ministre, créé les conditions d'une réussite dynamique de cette mise en oeuvre. La décision qui a été présentée et longuement expliquée hier par le Premier ministre est la première étape et nous entrons maintenant dans la mise en oeuvre que nous avons bien l'intention, ensemble et en très bonne entente et avec toutes les concertations nécessaires et à tous les niveaux, de faire aboutir dans les semaines qui viennent.
Voilà mon état d'esprit, je me réjouis profondément de ce rapprochement car je crois qu'il y a, tant au Quai d'Orsay qu'ici Rue Monsieur et à partir de toutes les organisations administratives qui partent des deux Maisons, de formidables potentiels en réserve. Notre tâche, c'est que, dans ce rapprochement et dans la bonne combinaison à trouver - sur laquelle nous travaillons à partir de maintenant - nous arrivions à exercer la meilleure influence possible et à mettre en oeuvre la meilleure politique étrangère possible, la meilleure politique de Coopération possible, la meilleure politique d'aide au développement possible.
Q - Le Premier ministre a parlé hier d'une zone prioritaire de solidarité correspondant aux pays qui bénéficient aujourd'hui du FAC. Prenons deux pays comme la Côte d'Ivoire et le Cameroun pour être concret. Compte tenu de leur évolution économique, ils pourraient sortir de cette zone de solidarité un jour. Que se passerait-il ? Ils ne seraient plus aidés par l'Agence française de Développement. Dans ce cas, seraient-ils éligibles aux protocoles financiers ? Mais alors, qui gèrerait les protocoles financiers ? Serait-ce la Direction des relations économiques extérieures ?
R - M. Josselin - C'est une question technique qui vient de nous être posée. Je ne suis pas sûr que cette question ait grand chose à voir avec la réforme. Sur les aspects techniques que vous soulevez, ce n'est pas la réforme qui change quoique ce soit. La question politique intéressante derrière votre question, c'est de savoir si ces pays-là qui sont aujourd'hui dans la zone de solidarité prioritaire pourraient en sortir. Oui, ils le pourraient, mais la réponse mérite d'être aussi nuancée car on peut imaginer que des pays, à l'intérieur de cette zone de solidarité prioritaire, ne soient pas forcément tous amenés à bénéficier du même taux et du même niveau d'aide. C'est cette flexibilité qui me paraît importante et qui donne tout son sens au rôle du CICID qui, non seulement a possibilité de définir les contours de la zone, mais aussi d'afficher des priorités géographiques et sectorielles qui pourraient nous amener, en fonction du degré de la situation de pauvreté ou de richesse relative d'un pays, ou de sa manière de se gouverner, à intervenir plus ou moins, mais pas forcément à ne plus intervenir du tout. Mais il est vrai que l'on pourrait imaginer aussi des sorties, des évictions-sanctions. Ce n'est pas impossible puisque nous voudrions que, dans le cadre de ces accords de partenariat et de développement, nous prenions compte, à la fois des données objectives caractérisant la situation d'un pays par rapport aux autres, mais aussi, de la manière dont il se gouverne.
Q - Je voulais avoir une précision à propos de ce qu'a dit M. Védrine. Vous parliez tout à l'heure de quelques semaines pour achever la seconde partie. Pourriez-vous être un peu plus précis et d'autre part, demander à M. Josselin quand nous pourrons l'appeler ministre délégué ? Cela interviendra-t-il avant les régionales ou les cantonales ou après.
R - M. Josselin - Vous pensez que cela a un rapport ? R - M. Védrine - Vous pourrez l'appeler comme cela dès que le décret sera sorti. C'est très bientôt, c'est beaucoup plus court que l'autre délai sur lequel vous m'avez interrogé. Quand j'ai parlé de quelques semaines, cela ne veut pas dire que c'est moins d'un mois bien sûr. C'est pour faire passer l'idée qui nous est commune que nous voulons aller vite, mais nous voulons bien faire les choses, c'est-à-dire après avoir écouté tout ce qu'il faut écouter et avoir permis à toutes les procédures de concertations de se développer. Nous voulons que les choses se passent bien. Il y a des préoccupations légitimes dans cette Maison comme au Quai d'Orsay. Nous allons mettre en place une instance à la fois de pilotage de surveillance de la mise en oeuvre de la réforme. Il y a un certain nombre de sujets précis, que vous avez tous à l'esprit, sur lesquels il faut travailler maintenant et qui touchent au budget, au personnel, à l'organisation exacte, au contours des différentes directions. Cela prendra le temps qu'il faut. Je ne vais pas le fixer à l'avance, ce serait artificiel. Par avance, nous ne savons pas combien de temps dure une concertation. En tout cas, nous voulons aller aussi vite que possible et le mieux possible.
R - M. Josselin - Sans, en effet, donner un calendrier exact, l'objectif que nous nous donnons, serait qu'avant l'été, nous ayons une idée assez exacte de la nouvelle organisation des services concernés. La question du statut des personnels risque d'être plus longue surtout si cette question s'accompagne d'une certaine mobilité de ceux-ci qui devrait résulter de la nouvelle organisation des services, y compris de l'appel d'air que l'Agence française de Développement, va, du fait de l'élargissement de ses compétences, provoquer. Cela pourrait bien durer plus d'un an, la gestion complète de ces problèmes individuels devant être prise en considération.
Sur les questions touchant à l'organisation des services, nous pensons qu'il faudrait se donner un peu moins de six mois, de façon à ce que la traduction budgétaire de cette réorganisation puisse apparaître, et il faudra bien que cela soit fait pour le budget 1999, donc avant que les discussions de la loi de finances ne s'engagent. Quant à la méthode, comme le disait Hubert Védrine, c'est un groupe qui réunira toutes les compétences aussi bien en matière d'organisation que de gestion du personnel, qui va se mettre en place de manière régulière et qui aura aussi des rencontres très régulières avec les représentants du personnel, c'est-à-dire les syndicats, lesquels doivent être associés évidemment à cette réflexion qui les intéresse au premier chef.
Q - Que devient le FAC, est-il intégré à l'Agence ?
R - M. Josselin - Pour l'instant, le FAC perdure, tant qu'il n'est pas remplacé par autre chose. Mais, il y aura peut-être des modifications. La procédure FAC, au niveau du montage et de l'instruction des dossiers, va continuer telle quelle, au moins pendant toute cette année. Et c'est dans la perspective de l'année 1999 que nous allons réfléchir à la nécessité ou non d'en modifier le dispositif. Je ne peux rien vous dire de plus pour l'instant. Normalement, l'instruction des dossiers FAC continue.
Q - Ensuite, ce serait donc l'Agence qui devrait prendre la suite ? R - M. Josselin - Cela va dépendre de quel dossier ! Il y a des dossiers FAC qui concernent par exemple le pouvoir régalien des Etats, des appuis en matière de police ou de justice. Or il a été convenu que ces questions-là resteraient du ressort de l'administration. On ne peut donc pas considérer que le FAC nouveau serait basculé en totalité du côté de l'Agence. C'est pour cela que la situation, par rapport à ce qu'elle est aujourd'hui, ne va pas être profondément modifiée. Il reste à ouvrir la réflexion sur la modification éventuelle du FAC en tant que tel. Cela rentre dans le paquet des questions en discussion.
Q - Pouvez-vous nous donner un exemple de pays qui font partie de la zone prioritaire et qui ne figurent pas parmi ceux qui reçoivent à l'heure actuelle l'aide française ?
R - M. Josselin - La zone prioritaire de départ, appelons-la ainsi, ce sont les pays ACP, plus les PMA francophones, comprenez en clair, les pays de l'ancienne Indochine. Vous observerez en effet que les pays de l'Afrique francophone sont tous dans cette zone de solidarité prioritaire.
Q - Qui y aura-t-il ?
R - M. Josselin - Attendez qu'on les désigne. Ce sera le travail du CICID et en effet le rôle du comité interministériel que de faire le choix, à la fois sur des critères objectifs, tenant à la situation économique ou au degré de pauvreté ou aux besoins d'un pays, mais aussi sur des critères tenant à notre volonté politique de nous intéresser plus à tel ou tel morceau.
R - M. Védrine - Charles vous explique quel est le coeur de cette politique. Il a répondu, à une question antérieure, que c'était une politique qui, naturellement pouvait s'adapter. Le gouvernement peut adapter sa politique comme dans n'importe quel domaine, comme n'importe quel autre gouvernement, cela peut varier, en moins ou en plus. Cela peut s'ouvrir à d'autres qui rempliraient telle ou telle condition dont nous penserons au sein du CICID qu'ils remplissent les conditions et tel ou tel autre pourrait en être écarté pour des raisons politiques exceptionnelles. Ce serait tout à fait contradictoire, avec cette approche de souplesse et de pragmatisme, que l'on désigne par avance, avec une liste annexe complémentaire. Ce serait le contraire même de cette approche. Nous verrons, nous nous adapterons aux situations.
Q - Quelles sont les premières réactions des pays de l'ancien pré-carré concernant ce projet ?
R - M. Josselin - Ils ont exprimé, avant la réforme, l'espoir que serait préservée la relation privilégiée entre la France et leur pays. Certains ont été un peu plus précis en souhaitant par exemple qu'il y ait un ministère des Affaires africaines, je pense à M. Bongo qui s'était exprimé dans ce sens.
Ceux que j'ai vu plus récemment, je pense à M. Bédié que j'ai vu la semaine dernière et à M. Kerekou que j'ai vu lundi, en disant que les explications que nous leur avions données sur l'organisation d'une zone de solidarité prioritaire, étaient de nature à les satisfaire. Qu'au demeurant, il s'agissait d'un choix de la France, ce qu'ils ont quand même bien voulu reconnaître, ce qui me paraît le moindre. Mais, que le fait d'avoir un ministre identifié en charge de la Coopération était pour eux en effet un élément important. Je pourrais insister sur ce point en disant que ce qui les rassure complètement, c'est que ce soit moi qui continue à être leur interlocuteur, mais.... ce serait sans doute un peu excessif.
R - M. Védrine - J'ai entendu ce matin à la radio que le président Bongo avait dit que c'était très bien, que c'était l'affaire de la France et que cela ressemblait beaucoup aux structures qui existaient chez lui. Je suis convaincu que les réactions vont être bonnes et qu'il y a en Afrique, beaucoup de gens qui, comme nous, pensent qu'il fallait faire cette réforme et cette adaptation. L'Afrique elle-même bouge énormément. Il ne faut pas prêter sans arrêt aux dirigeants africains des positions qui ne sont plus forcément les leurs et qu'ils pensent, c'est ce qu'il ressort des contacts récents, que nous avons réussi cette fois-ci à combiner les différents éléments. C'est l'impression que j'ai à ce stade.
R - M. Josselin - J'observe aussi que ce qu'il est coutume d'appeler les nouvelles élites africaines, même s'il est quelquefois difficile de les définir avec précision, étaient globalement très favorables à cette réforme car elles considéraient que c'était une sorte de désenclavement de l'Afrique, en particulier du pré-carré par rapport à l'organisation internationale. Nous avons aussi pensé à cela en faisant cette proposition.
Q - Le Premier ministre a annoncé hier soir qu'il allait écrire à tous les chefs d'Etat africains pour leur faire part de façon formelle de cette réforme. S'agit-il de ménager quelques susceptibilités si vous voyez lesquelles ?
R - M. Josselin - Il a dit qu'il allait informer les chefs d'Etat, tous. Il n'est pas question de ménager je ne sais quelle susceptibilité. Il est normal que nous informions nos partenaires des modifications qui interviennent dans le dispositif de Coopération au développement.
Q - Ils ont été consultés...
R - M. Josselin - Faudrait-il que nous évitions de les informer de façon à éviter de donner l'impression de ménager des susceptibilités ? Non mais vous voyez où l'on arrive avec de tels raisonnements...
Q - Le fait que cela ait été annoncé de cette façon, il faudrait savoir un peu plus ce qu'il y a derrière.
R - M. Josselin - Rien d'autre, rien d'autre que la volonté d'informer. Q - La seconde question est simple : vous avez eu des mots très durs à l'endroit du Premier ministre béninois il y a quelques jours. Que déplorez-vous chez lui, son attitude au congrès du RPR ou son analyse de la politique africaine de la France ?
R - M. Josselin - Non, je lui reproche une erreur d'agenda. Q - C'est-à-dire ? R - M. Josselin - J'aurais préféré qu'il m'attende, prévenu qu'il était de mon voyage, c'est tout. Mais, je peux comprendre, il avait été président de l'Assemblée nationale du Bénin, au moment où le président du RPR était lui-même président de l'Assemblée nationale. Je peux comprendre que ce soit une relation de présidents d'Assemblée qui lui ait fait obligation d'être au congrès du RPR.
Q - J'aimerais savoir, très concrètement, et notamment durant la période intermédiaire de mise en oeuvre, sur le terrain, si le chef de mission de Coopération dépendra immédiatement de l'ambassadeur. Quel va être le statut du directeur de l'Agence de la Caisse française de développement ? Comment cela s'organisera-t-il sur le terrain dès aujourd'hui ?
R - M. Josselin - D'abord, ce ne sera pas à partir d'aujourd'hui. Dès à présent, et ce n'est pas d'aujourd'hui, le secrétariat d'Etat à la Coopération est en quelque sorte dépendant du ministère des Affaires étrangères ce que l'on a tendance à oublier. L'ambassadeur a dès à présent autorité sur la mission.
R - M. Védrine - Comme sur tous les services de l'Etat d'ailleurs. R - M. Josselin - Il est exact que la réforme va intégrer les missions dans les ambassades. Pas physiquement, c'est évident. Je connais des missions qui sont plus importantes que les services dont dispose, aujourd'hui, l'ambassadeur, c'est clair. L'ambassadeur va donc avoir autorité sur l'ensemble. Les missions participeront à l'action extérieure de la France aussi sur le terrain. Allons-nous garder le nom de mission de Coopération, la question est ouverte. Nos interlocuteurs sont très habitués à cette réalité-là, y compris concernant le nom, mais la question qui reste ouverte aussi c'est celle du statut des chefs de missions qui vont se trouver intégrés dans le personnel diplomatique. Là aussi, c'est au cours des semaines qui viennent, en liaison avec les représentants des personnels concernés et avec les spécialistes de ces questions, que le problème trouvera une solution plus complète. En tout cas, pour répondre à votre question, physiquement, rien ne changera. Mais il est vrai que la relation va se trouver consolidée entre l'ambassadeur et la mission.
R - M. Védrine - Je voudrais ajouter un mot pour rappeler simplement que l'ambassadeur à une autorité globale depuis longtemps. Je le dis pour ceux d'entre vous qui sont des spécialistes pointus de ces questions. Ce n'est pas vrai uniquement des missions de Coopération qui dépendaient du secrétariat d'Etat à la Coopération ou d'autres structures avant parce que les noms changent. C'est vrai par rapport à toutes les structures, au conseiller commercial, culturel. C'est la réalité juridique et administrative. Il y a des textes de tous les Premiers ministres qui l'ont constamment rappelé depuis très longtemps, mais la mise en oeuvre est très variable selon les administrations et selon les situations. L'autonomie réelle est plus ou moins grande selon les cas. Ce que l'on peut observer, c'est que, chaque fois que les représentants des différentes administrations françaises jouent le jeu sur ce plan et qu'il y a une vraie synergie, c'est l'influence française globalement qui en profite et qui en bénéficie, qui est plus grande et plus forte. Chaque fois qu'il y a des rivalités administratives traditionnelles qui perdurent, cela handicape tout le monde. Là aussi, il faut voir les choses en dynamique et pas uniquement à propos du cas particulier des missions.
R - M. Josselin - C'est d'ailleurs aussi à l'ambassadeur qu'il reviendra de s'assurer de la bonne coordination entre missions et représentants de la future Agence française de développement. C'est sous l'autorité de l'ambassadeur que la coordination doit se faire.
On essaie aussi de faire en sorte que le préfet, dans les départements, soit le patron de l'ensemble des services de l'Etat. C'est un peu la même démarche poursuivie sur les théâtres extérieurs que sont les ambassades.
Q - L'une des spécificités, des originalités, des richesses mêmes, disent certains, de cette Maison, était l'approche développement. J'aurais voulu savoir quel est le point de vue du chef de notre diplomatie sur cette approche. La juge-t-il pertinente, bien fondée et de manière plus technique, qu'est-ce qui garantit demain que les crédits qui allaient soutenir les projets de développement ne pourraient pas dériver pour la Coopération culturelle scientifique et technique, pour l'Europe ou les Etats-Unis puisque l'on parle de rapprochement et l'on sait parfois qu'il y a des alchimies administratives étonnantes ?
R - M. Védrine - Je suis extrêmement conscient de la formidable richesse que représente l'expérience accumulée par tous les personnels administratifs et dans d'autres cas d'ailleurs, par des gens qui ne sont pas dans les structures administratives mais qui concourent d'une façon ou d'une autre à l'action de développement de la France. On en trouve dans de nombreuses associations, ONG, organisation variées, entreprises. Sur tous les plans, il y a des gens qui ont orienté leur vie autour de cette tâche du développement, très prioritairement sur le continent africain, mais parfois dans d'autres régions. J'en connais énormément. Encore une fois, non seulement je ne sous-estime pas cela, mais je pense que c'est un des grands atouts de la France. En dehors du très grand engagement des pays scandinaves à travers les procédures multilatérales, la France est parmi les pays développés celui qui se consacre le plus à l'aide au développement. C'est un véritable atout. Il faudrait être vraiment absurde pour avoir l'idée de se priver de cela. C'est un apport considérable et j'ai bien l'intention, dans le travail que nous allons faire dans les semaines et les mois qui viennent pour réussir la seconde partie qui est la mise en oeuvre, de tenir compte de cet élément à tous les instants. Il faut que le regroupement se fasse dans le respect des métiers, des expériences, des savoir-faire des uns et des autres.
C'est vrai sur d'autres plans, il y a toujours une crainte de voir des budgets qui passent d'une activité à une autre. Mais il faut avoir le même respect et la même considération pour des gens qui ont travaillé à la Direction générale des relations culturelles scientifiques et techniques ou à partir d'elle, autour d'elle, grâce à elle, en fait, et qui ont accumulé également un savoir-faire tout à fait remarquable en matière de formation dans d'autres domaines, en matière d'échanges culturels, artistiques, scientifiques. Il y a toute une palette.
C'est vrai en matière de Francophonie : il y a des gens qui ont beaucoup investi sur ce sujet difficile et qui ont accumulé un savoir-faire remarquable. En tant que responsable de la diplomatie française, je n'ai l'intention de ne me priver de rien, de nous priver de rien. Nous cherchons à maximiser cela. Quand je disais tout à l'heure qu'une réforme ne doit pas être un jeu à somme nulle, c'est parce que cela doit être un apport pour tous. Je considère que pour la diplomatie française, pour le corps diplomatique français, pour le ministère français des Affaires étrangères, c'est une chance aussi d'avoir à travailler plus étroitement, dans un bon esprit, avec autant de gens qui ont cette expérience et ce savoir-faire.
Est-ce qu'il y a des garanties absolues en terme administratif et budgétaire ? Il y a les garanties que nous avons apporté dans cette réforme, l'identification claire dont parlait Charles tout à l'heure et à laquelle nos partenaires africains, qui ne sont pas les seuls mais qui sont toujours les premiers auxquels nous pensons, ont été très sensibles. La garantie est dans le raisonnement politique fait par le Président de la République, par ce gouvernement, par le Premier ministre, par nous, et j'en suis convaincu, par les suivants. Cela correspond à un intérêt de fond de la France. Il n'y a pas à chercher des garanties artificielles. C'est une conviction, un engagement politique. A nous maintenant de réussir ce regroupement de ces métiers qui apportent tous quelque chose. Il faut les valoriser et il faut que rien de ce qui a été accumulé au fil des années ne soit perdu dans ce que nous allons faire maintenant.
M. Josselin ;- D'une manière plus générale, je voudrais profiter de la question qui a été posée et à laquelle Hubert Védrine vient de répondre. On a parfois dit que c'était deux cultures qui allaient devoir s'échanger ou échanger entre elles. Je crois qu'en effet, l'histoire des deux Maisons, les métiers très divers qui ont pu être exercés par l'une et l'autre, représentent une comme de compétences tout à fait considérable mais qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu beaucoup l'habitude de travailler ensemble. La réforme fait obligation de ce que j'appelle parfois un ensemencement réciproque. Je crois aussi, je suis content de le dire en présence d'Hubert Védrine, que Lionel Jospin est très conscient que la politique extérieure de la France est amenée à attacher à la question du développement et de la coopération au développement d'une importance considérable, probablement plus aujourd'hui qu'hier, et sans doute davantage encore demain, qu'il s'agisse des aspects multilatéraux de la coopération au développement ou des aspects bilatéraux. Lorsque l'on dit multilatéraux, on pense à ces grands organismes, qu'ils aient leur siège à New York ou à Washington. On sait assez l'importance que joue, en matière de diplomatie économique, le FMI ou la Banque mondiale. On a pu voir écrit qu'il allait résulter de cette réforme moins de coopération. C'est en réalité le contraire. La différence est que cette politique de Coopération internationale et de développement va mobiliser l'ensemble des services diplomatiques français, sous l'autorité du ministre des affaires étrangères et les personnels de cette Maison, à qui je tenais ce langage ce matin, m'ont semblé le comprendre. Mais je serais tenté, en votre présence, de me tourner vers Hubert Védrine, pour savoir si c'est ainsi qu'on le comprend au Quai d'Orsay :
M Védrine- C'est ce que j'ai dit. Mais, j'en profite puisqu'il se trouve que c'est moi qui suis ministre des affaires étrangères à ce moment-là : je doit dire que sur le plan personnel, je ne suis pas du tout étranger à tout cela. Il ne faut pas me voir comme venant d'un monde extérieur à tout cela. Toute ma vie, j'ai été intéressé par ces questions ; quand j'étais au lycée, j'animais un club Unesco qui était centré sur les questions d'aide au développement et des relations avec le tiers monde. J'ai eu toute ma vie des amis très proches engagés sur ces terrains, des amis agronomes, des amis médecins, spécialisés dans le développement. J'ai participé aux activités de nombreux groupes orientés sur ce plan. J'ai de nombreux amis chefs de missions d'aide et de coopération. Je sais ce que c'est. Je vais prendre le sujet tout à fait dans l'esprit que Charles a cité. Et je vais le prendre avec respect, considération, amitié et en même temps, avec une vraie détermination pour que la réforme marche, car je pense que c'est une bonne réforme. Tous ces gens qui exercent ces métiers liés à la coopération ont tout à gagner à ce rapprochement et je pense qu'il vont découvrir, pour certains qui ne le savent pas assez, les qualités tout à fait formidables de l'appareil diplomatique français. Je pense qu'en sens inverse, ce sera une découverte, dans certains cas, dans d'autres cas, une confirmation, et dans tous les cas, un enrichissement. Je ne peux pas être plus clair sur mon état d'esprit.
Q- J'avais une question à poser à la lecture de cette déclaration faite à propos de la nouvelle politique de coopération. Il y est dit que cette nouvelle réforme va permettre à la France de mieux défendre les thèmes qui lui sont chers. Vous dites aussi que cela va se jouer notamment face aux initiatives que prend la Banque mondiale, initiatives qui sont utiles quand elles visent au renforcement des capacités des Etats. Est-ce à dire que, dans certains cas, vous trouvez que les initiatives de la Banque mondiale ne sont pas si utiles que cela ?
M Josselin :- J'ai même rajouté en communication orale hier matin en Conseil des ministres, la satisfaction des besoins sociaux. En effet, il est arrivé que les propositions de la Banque mondiale ne prennent pas forcément toujours en compte la situation sociale des pays concernés, que le vent libéral souffle un peu trop fort là-bas aussi et que le rôle de l'Etat y soit insuffisamment pris en compte. Ce n'est pas un secret que sur des questions particulières comme l'organisation des filières, il y a débat au sein de la Banque mondiale sur l'intérêt qu'il y a à libéraliser trop vite ou à privatiser de manière un peu intempestive des organisations économiques et sociales qui fonctionnent. C'est cela qu'il y a derrière cette recommandation. Autrement dit, nous entendons aussi faire de la politique à l'intérieur de ces grandes organisations.
Q.- Au sujet du programme de privatisation qui est mis en uvre dans la plupart des pays en ce moment, vous émettez donc presque immédiatement un certain nombre de critiques ?
M Josselin.- Nous considérons qu'avant de se lancer dans certaines privatisations, il faut s'assurer qu'après, l'organisation des producteurs - par exemple, sur certaines spéculations, sur le coton, on pourrait en trouver d'autres - ne va pas être par trop désorganisée car il y a eu des expériences où les privatisations n'ont pas toujours donné les résultats attendus. Nous voulons que l'on prenne aussi en compte le besoin des équilibres sociaux en particulier qui me paraissent importants.
Q- Seulement au plan agricole ou bien sur le plan des services publics ?
M Josselin.- Au plan général, mais là je pensais davantage peut-être au plan agricole parce que derrière, ce sont souvent des dizaines de milliers de producteurs concernés.
Q- Pour le coton, y-a-t-il une position claire ?
M Josselin ;- Ce n'est pas aujourd'hui que l'on en parlera.
Q. Ah bon !
M. Josselin ;- Il n'y a que de bonnes questions, mais il peut y avoir des non réponses.
Q.- Pour l'Agence du développement, quel est son rôle ? Est-ce une banque ?
M. Josselin ;- Cela arrive. Elle prête plus souvent, elle va rester " établissement financier " - ce qu'elle est - mais elle va avoir capacité à utiliser différents instruments financiers puisque c'était la question que vous soulevez en combinant le prêt et le don. C'est la singularité de cette banque-là par rapport à d'autres qui donnent plus rarement.
Q. Votre réflexion touchant la réorganisation va-t-elle inclure une réflexion sur l'articulation entre bilatéral et multilatéral, non seulement le multilatéral économique mais le multilatéral francophone et européen ?
M. Védrine.- Cette réflexion est constante. Ce n'est pas à partir de cette réorganisation que nous sommes confrontés à cette question. Nous sommes sans arrêt en train de chercher la meilleure répartition possible sur tous les plans et pas seulement sur l'aide au développement, entre le bilatéral, le multilatéral européen et les autres organisations. Il faut être assez concret et pratique, parce que dans certains cas, le multilatéral est un vrai relais qui nous permet de démultiplier en quelque sorte nos actions et de faire plus avec des monnaies identiques. Dans d'autres cas, c'est une perte de visibilité complète et il arrive que le multilatéral soit plus opaque en réalité que l'action bilatérale.
Je ne suis pas doctrinaire sur de point. Je pense qu'il y a des cas qui relèvent vraiment du bilatéral, quand on est plus expérimenté, plus solide, et dans d'autres cas, il y a une dimension européenne, ou autre. Il faut trouver la meilleure répartition. Ce n'est pas une réflexion qui commence aujourd'hui, c'est une pratique déjà, et c'est une question que l'on gère au jour le jour, sans arrêt, que ce soit au Quai d'Orsay ou Rue Monsieur. Il ne faut se priver d'aucune possibilité, chercher la meilleure combinaison passible et ne pas être un idéologue du bilatéral pur ou du multilatéral systématique. C'est une réponse un peu générale mais que Charlesva préciser certainement.
M. Josselin ;- Je veux simplement ajouter que, dans tous les cas, il faut que nous nous donnions les moyens de faire savoir quelle st la part prise par la France. Nous voudrions bien savoir planter, en Afrique par exemple, côte côte, le drapeau européen et le drapeau français parce que nous avons le sentiment que l'on ne sait plus assez ce ue nous faisons.
Derrière cette réforme, il y a une volonté de communiquer mieux, là-bas et ici sur ce qu'est la coopération au développement. Je signale d'ailleurs que dans quelques mois, en application d'une décision prise lors de la Conférence des ministres de la Zone franc en septembre dernier, nous envisageons probablement à l'automne prochain, une campagne de communication faisant apparaître un peu mieux la réalité de l'Afrique et en particulier la Zone franc. C'est dans l'intention des investisseurs de rappeler un peu mieux la part que la France prend dans tout cela. Car on a tendance un peu à l'oublier.
Q.- Que signifie une certaine remise en cause d'une politique qui a été introduite par M : Balladur et qui subordonnait d'une certaine manière l'aide à la Coopération à l'application des plans de réajustements structurels ?
M. Josselin.- D'abord, je voudrais souligner qu'il n'y a pas le FMI et nous. Nous sommes aussi dans le FMI, comme nous sommes dans la Banque mondiale et le travail, pour nous, consiste aussi, de l'intérieur de ces grandes institutions, à essayer de les faire évoluer sur des politique plus soucieuses parfois des mesures sociales comme nous le disions à l'instant. Aujourd'hui, certaines de nos politiques d'aide sont directement articulés sur le plan d'ajustement structurel du FMI. Il n'y a pas contradiction. Nous les reprenons parfois à notre compte mais, parfois, nous nous autorisons à nous en écarter davantage. Autrement dit, la France garde sa liberté d'intervenir éventuellement sur des critères et selon des conditions différentes de celles du FMI.
Q.- Je pense à Haïti qui est dans une situation peu normale en ce moment. Comment orienterez-vous certains éléments de cette réforme pour faire bouger cet état de fait ?
M. Josselin.- Je ne pense pas que nous aurons le temps de faire l'inventaire de chacun des pays dans la zone mais Haïti est dans la zone et j'espère, dans quelques mois, pouvoir, sur place, m'assurer que la situation n'est pas totalement désespérée. C'est vrai que la situation est très difficile en ce moment. Notre mission de Coopération y fait du très bon travail mais dans des conditions évidemment difficiles. Comprenez que ce n'est pas ce matin que nous allons entrer dans le détail de cette situation. Nous espérons simplement que les acteurs politiques en présence sauront faire preuve d'un peu de responsabilité, ce qui n'est pas vérifié aujourd'hui.
Je vais la semaine prochaine à Panama pour une rencontre Europe-Amérique latine. Je dis cela en passant pour rappeler que, s'il y a la zone de solidarité prioritaire, il y a aussi notre volonté de coopération avec aussi le reste du monde et en particulier le reste du monde en développement. C'est aussi une illustration de la réforme.
S'Il n'y a pas d'autres question, j'aimerais que dans vos articles de presse ou dans vos commentaires radios, vous évitiez, comme certains, de faire comme si toutes les affaires dont on a pu parler, dans la dernière période ou bien avant, trouvent leur origine au ministère de la coopération, parce que certains commentaires ont été vécus par les personnels de cette Maison comme à la limite de l'injure. Je voulais faire cette rectification. Cette Maison n'est pas indemne, mais il y a tellement de gens qui s'occupent de coopération, ou en tout cas des mêmes territoires, qui ont une part sans doute plus évidente dans ces affaires, que 'aimerais bien qu'on sache rétablir la vérité. Faites-le pour ces personnels qui s'inscrivent dans une longue histoire, faite souvent de générosité. Je pense que vous m'aurez compris, et c'est bien que l'on termine sur cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 2001)