Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur les risques d'une guerre en Irak et sur la nécessité de résister à la pression des Etats-Unis sur la communauté internationale en recherchant des alternatives à la guerre basées sur les résolutions du Conseil de sécurité, à Paris, Assemblée nationale, le 8 octobre 2002.

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Circonstance : Débat sur la déclaration du gouvernement concernant la question de l'Irak à l'Assemblée nationale le 8 octobre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Madame et Messieurs les ministres,
Mes chers collègues,
La guerre frappe à nos portes.

Depuis déjà de longues semaines, le Président des Etats-Unis prépare l'opinion publique à un nouveau conflit tandis que le dictateur Saddam Hussein multiplie les provocations au mépris du sort de son peuple.
Au nom du groupe communiste et républicain, je veux dire ici la nécessité d'une opposition ferme de la France à cette marche forcée vers une guerre que rien ne justifie. Les enjeux sont humains, politiques, institutionnels, économiques, éthiques... La France doit être à la hauteur du défi, tout comme l'Europe qui est sollicitée jusque dans ses valeurs fondatrices.
Nous sommes, aujourd'hui, entrés dans une crise mondiale majeure qui peut connaître des évolutions dramatiques. Cette crise ne concerne pas seulement l'Irak et le Moyen-Orient. Elle touche à l'ensemble des relations internationales à leur contenu. Elle met en cause des avancées possibles dans le monde pour aujourd'hui et pour demain. Cette crise est grave. Elle fait planer ses menaces dans un monde déjà trop souvent ballotté au gré des volontés de domination, dans un monde incertain où la haine conduit aux actes les plus fous.
C'est parce que l'état du monde est si préoccupant, parce que la France a un rôle à y jouer, que nous avons souhaité que le Parlement puisse débattre de la question irakienne.
Je crois, mes chers collègues, que dans la période qui s'ouvre, le sens de la responsabilité et le principe de nécessité devraient nous conduire à déclarer, que notre Parlement reste saisi en permanence de cette question. En fonction des circonstances, il doit, en effet, pouvoir assumer pleinement son rôle face à des évolutions internationales de cette portée.
La guerre n'est pas la solution. Dans notre histoire, nous en connaissons les résultats tragiques. Faire la guerre, c'est imposer la loi du plus fort. Tout doit être fait pour l'éviter. Absolument tout.
Au lendemain du dramatique 11 septembre, la lutte contre le terrorisme a pris une nouvelle dimension. Cette lutte est indispensable. Mais il serait indécent d'instrumentaliser l'effroyable tragédie connue par le peuple américain en apparentant les relations internationales à une croisade du bien contre le mal, ou à un choc de civilisations entre l'Orient et l'Occident. L'engrenage de la guerre qui s'est mis en place autour de l'Irak en porte pourtant les traces. Pourquoi cette lubie soudaine et résurgente chez les autorités américaines ? Il n'y a pas d'autres explications crédibles que l'attrait du pétrole, la soif de dominer cette région du monde, ou la préparation d'échéances électorales à venir. C'est pourquoi les arguments invoqués apparaissent de plus en plus comme des prétextes et ne rencontrent aucunement l'écho escompté. " La guerre devient plus difficile, parce qu'avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel ", affirmait Jean Jaurès en son temps [1] . Cette vision a bien du mal à prendre pied dans le réel, mais il ne tient qu'à nous qu'elle s'affermisse, et que la guerre ainsi soit freinée puis empêchée car dans la situation de tension que nous connaissons, croyant servir la démocratie et les peuples, il se pourrait fort qu'en réalité, l'on serve l'affirmation d'un nouvel impérialisme et quelque intérêt capitaliste mal dissimulé. La stabilisation d'un Moyen-Orient en proie à de graves tensions ne passe pas par un remodelage imposé par la force. Le monde ne doit pas se bâtir sous la pression d'une visée unilatérale. Le droit doit à tout prix prévaloir sur les volontés de domination.
Depuis la guerre du Golfe, peu de choses ont été faites pour tenter une normalisation des rapports entre l'Irak et le monde. L'embargo économique dont souffre quotidiennement la population irakienne, en particulier les enfants, attise les rancoeurs et conforte le dictateur Saddam Hussein à son poste. Depuis dix ans, l'étranglement économique des Irakiens, la tragédie vécue par le peuple palestinien ont alimenté les ressentiments les plus profonds et les frustrations les plus vives. Comment s'étonner qu'un tel contexte puisse profiter aux extrémismes et aux fanatismes, aux nationalismes et aux intégrismes les plus durs, jusqu'au terrorisme le plus ignoble ? Si nous voulons éradiquer cette violence insupportable, alors, il est temps, non pas de bombarder, mais de s'attaquer à la racine des problèmes. Nous souhaitons que le droit s'applique et que la communauté internationale s'investisse courageusement dans ce sens. Il ne peut y avoir deux poids et deux mesures. Les résolutions de l'ONU et la légalité internationale doivent avoir la même force pour tous !
Il y a quelques jours, les autorités irakiennes ont enfin accepté le retour des contrôleurs de l'ONU : C'est une brèche ouverte pour trouver un règlement à la crise. Elle ne doit pas être minimisée, ni donner lieu à une surenchère aveugle.
En effet, la dimension des risques n'échappe à personne. Ces risques suscitent dans les opinions publiques, française et européennes en particulier, mais aussi beaucoup plus largement dans le monde, des inquiétudes véritables et des oppositions, le plus souvent majoritaires. Même aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, des réactions importantes se font entendre. Les parlementaires que nous sommes auront à coeur de traduire dans l'action cette préoccupation forte. Car, il ne s'agit pas d'inquiétudes irrationnelles, ni d'oppositions ignorantes des réalités. Parmi les hommes et les femmes de notre pays, beaucoup ressentent profondément, avec beaucoup de conscience, que le recours à la guerre n'est pas la solution des problèmes.
Cette guerre annoncée en Irak, ce sont d'abord des risques humains terribles. Dans le grand échiquier géostratégique d'aujourd'hui, il est légitime de s'interroger sur le sort réservé aux peuples irakien et kurde. A la merci des bombes américaines ou des représailles du régime de Saddam Hussein, n'ont-ils pas déjà trop souffert de la guerre du Golfe et ses dégâts dits "collatéraux", de dix années d'un embargo synonyme de désastre économique, social et humain ? Que les images nous hantent des maisons effondrées, des villes décapitées, des corps ensanglantés, de la misère étendant son voile durablement. Que ces images nous portent conseil.
Le deuxième risque d'une telle aventure guerrière confine lui aussi à l'évidence: c'est celui d'une déstabilisation régionale. Dans une configuration de tensions extrêmes, d'ingérences et de contradictions multiples impliquant tous les pays de la région ... tout est possible : jusqu'à l'éclatement de l'Etat irakien. On peut craindre, dans ce contexte, la possibilité d'une montée de radicalisme intégriste ou nationaliste, ainsi que d'une nouvelle et terrible aggravation de la confrontation israélo-palestinienne au Proche-Orient. Le risque existe même d'une déstabilisation plus vaste.
Enfin, si on laissait faire cette guerre, on laisserait porter un coup décisif au droit international, à l'esprit fondateur des Nations Unies. L'exigence de vivre ensemble à l'échelle mondiale nécessite de s'organiser et de tenir ensemble les liens de dialogue et de confrontation nécessaires.
Avec cette crise, ce qui est en question, c'est en effet le monde que nous voulons construire et les responsabilités que la France et l'Europe pourraient y prendre.
Les partisans de la guerre affirment vouloir renverser le régime irakien. Mais, au nom de quelle conception du droit international et dans quelle perspective ? La question est bien là : comment réintégrer un Irak démocratique, pacifique et stable dans la communauté internationale ? Il faut pour cela un effort politique et diplomatique constant ; l'exigence de l'application des résolutions de l'ONU, en particulier celles concernant les droits de l'homme ; un soutien actif à l'opposition démocratique irakienne; une levée définitive de l'embargo. Il faut redonner espoir et dignité au peuple irakien, et contribuer ainsi à ce qu'une perspective politique démocratique puisse naître. Pourquoi ne pas tenir une conférence régionale sous l'égide des Nations Unies, avec la participation, notamment, de toutes les forces d'opposition démocratique ? Un tel cadre pourrait permettre la réaffirmation et la garantie des droits du peuple kurde en partant des acquis du Kurdistan autonome.
L'ambition d'un nouveau Moyen-Orient de sécurité, de démocratie, de développement, est la condition indispensable pour trouver pas à pas les chemins de la coopération, du dialogue des cultures, de l'état de droit.
Si la crise majeure que nous connaissons exige de la France et de l'Europe une grande efficacité dans les responsabilités qu'elles exercent dans le monde, cette efficacité ne se trouvera pas dans une nouvelle course aux armements, ni dans l'augmentation du budget militaire, ou dans des forces de réaction rapides sous l'égide de l'OTAN. Cette efficacité se démontrera dans un investissement économique et politique original pour le développement durable, pour l'aide publique et l'annulation de la dette, pour la résolution négociée des conflits. Elle existera par des initiatives marquant une réelle volonté de considérer l'espace méditerranéen et le Moyen-Orient comme lié à l'avenir de la construction européenne. Aujourd'hui, l'Europe est à la peine, elle semble une fois de plus absente. Sans doute faudrait-il que la France prenne les initiatives nécessaires afin qu'elle se saisisse, au coeur de ses instances, de ce débat international qui nous occupe aujourd'hui. Plus que jamais, l'avenir est à la recherche de solutions collectives aux problèmes communs, sur la base du droit, dans des cadres institutionnels légitimes, à partir de valeurs universelles. Le multilatéralisme est essentiel pour qu'un esprit constructif permette la recherche de l'intérêt général et le progrès pour tous.
La guerre en Irak n'est absolument pas une fatalité. Dans le cas présent, nous considérons comme un point d'appui crucial la convergence de trois membres permanents de ce Conseil, dont la France, pour exiger le respect des règles des Nations-Unies et des résolutions pertinentes. Jusqu'ici, par la voix du Président de la République et du gouvernement, la France a adopté une attitude réservée quant aux projets américains. Mais, Monsieur le Premier ministre, elle doit être confirmée et se traduire dans l'utilisation de toutes les formes de dialogue pour convaincre, et par des actes forts jusque dans les instances internationales y compris en utilisant son droit de veto. On ne peut au nom de " l'unité du Conseil " accepter le déclenchement d'un nouveau conflit mondial. Ce serait pourtant la conséquence mécanique de la neutralité et de la résignation, fussent-elles habiles. Notre pays doit contribuer à la recherche d'alternatives à la guerre basées sur les résolutions du Conseil de sécurité, en particulier celle concernant le retour des observateurs de l'ONU, avec la levée progressive de l'embargo. La pression constante des Etats-Unis sur la communauté internationale est insupportable. Notre pays doit refuser la surenchère proposée. En effet, un ultimatum constituerait un pas décisif vers le choix des armes. La volonté exprimée par le Président de la République et le gouvernement de ne pas intégrer cette dimension dans une première résolution soumise au Conseil de sécurité nous semble aller dans le bon sens. Cette volonté affirmée ne lève pourtant pas toutes nos craintes : les mots ne suffiront pas. La France ne doit pas céder, la France ne doit pas lâcher. Parce que c'est encore possible, tout doit être fait pour tirer les fils de la paix, pour empêcher la guerre.
Mes chers collègues,
Une diplomatie basée sur une volonté unilatérale et sur un rapport de force ne peut conduire qu'à des tensions dangereuses. Il nous faut désormais repenser le monde et les relations internationales en termes de fraternité, de solidarité, de co-développement, de coopérations. Le chemin qui y mène passe par une entreprise de désarmement concertée, une plus grande place de la communauté internationale organisée pour ce qui concerne la gestion des litiges et conflits, une démocratisation des institutions internationales elles-mêmes, la définition d'autres optiques et perspectives économiques rompant avec les pratiques d'un capitalisme prédateur. La gestion de la question irakienne peut être le moment pour ouvrir des pistes nouvelles. Le développement de mouvements populaires protestant contre la guerre en préparation est un atout. Le 12 octobre prochain, une grande manifestation est prévue. Les députés communistes et républicains en seront avec coeur et espoir, car c'est la responsabilité de chacun qui est engagée, pour dire non à la guerre.
Cette volonté portée par la France dans le débat international ne doit pas fléchir, nous attendons du gouvernement qu'il prenne clairement position en ce sens. Le courage doit nous conduire à refuser d'engager quelles que soient les pressions ou les intérêts en jeu, " le crime de tous " et " le péril de tous ".
(Source http://www.pcf.fr, le 10 octobre 2002)