Déclaration de M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le souhait de la France et de l'Union européenne de faire de l'OMC un des instruments d'une stratégie collective de croissance partagée, fondée sur des règles du jeu équitables et de créer une "charte de la mondialisation", Seattle le 30 novembre 1999.

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Circonstance : 3ème conférence ministérielle de l'OMC pour lancer le prochain cycle de négociations commerciales, dit du Millénaire, à Seattle (Etats-Unis) du 30 novembre au 3 décembre 1999

Texte intégral

Pour une charte de la mondialisation : une croissance partagée, des règles du jeu équitables
Le débat n'est plus aujourd'hui de savoir si nous voulons, ou pas, du développement des échanges et de la mondialisation des économies. Ce sont des faits acquis. Il y a vingt ans, l'économie mondiale ne comprenait que les pays riches et une poignée de pays émergents. Elle couvre aujourd'hui la quasi-totalité de la planète, à l'exception de quelques dictatures repliées sur elles-mêmes.
Nous n'avons pas à regretter ce mouvement. Car il est facteur de démocratie : ouverture économique et émancipation politique vont de pair. Car il est facteur de croissance : l'ouverture des économies permet de rompre avec des stratégies de développement autarcique vouées à l'échec. Car il est facteur de progrès ; la mobilité des hommes, des biens et des capitaux a souvent favorisé l'amélioration des conditions de vie.
Mais gardons-nous de toute illusion. La mondialisation s'est aussi accompagnée d'un développement préoccupant des inégalités. Les pays les moins avancés sont restés au bord de la route. Les mafias ou la corruption sont venues combler le vide parfois laissé par les Etats.
La France et l'Europe ne s'accommodent pas de ces réalités comme autant d'effets, certes négatifs, mais inévitables de la mondialisation. Elles souhaitent que l'Organisation mondiale du commerce soit l'un des instruments d'une stratégie collective de croissance partagée, fondée sur des règles du jeu équitables. En un mot, une charte de la mondialisation, établie par tous et dans l'intérêt de tous.
1 - Un objectif : la croissance partagée
Depuis vingt-cinq ans une spirale de l'inégalité s'est créée : le PIB par tête a augmenté de 71 % dans les pays développés contre 6 % dans les pays les moins avancés. Et, ce n'est pas le fait du hasard, l'espérance de vie des uns n'est que de 51 ans contre 77 ans pour les autres.
Pour enrayer ce cercle vicieux, il faut une nouvelle politique qui allie l'aide et le commerce. De vieux réflexes protectionnistes avaient pu nous pousser à jouer l'aide contre l'ouverture. Ces réflexes ont heureusement disparu : la France veut le commerce et l'aide. Avec l'Europe, elle propose une ouverture commerciale totale pour la quasi-totalité des produits des pays les moins avancés. Elle encourage l'intégration régionale de ces pays, pour qu'ils puissent développer leur marché intérieur et leurs exportations. Et elle compte rester généreuse pour l'aide au développement, comme le montre l'importance de sa contribution pour l'annulation de la dette des pays pauvres.
L'OMC peut être au coeur de ce projet. Parce qu'elle est mondiale : de ce point de vue, les nombreuses candidatures à l'adhésion, notamment celle de la Chine, sont des atouts. Parce que sa mission ne se limite pas au grand livre des droits de douane à démanteler. Parce qu'elle peut faire prévaloir l'arbitrage sur l'arbitraire.
2 - Un moyen : des règles du jeu équitables
Jouer le jeu de la mondialisation, cela veut aussi dire se doter de règles du jeu. Les propositions européennes sont dictées par ce souci de l'ouverture et de l'équité.
Libérer les énergies pour la croissance, les canaliser pour le bien commun. C'est pour cela que l'Europe demande qu'à une ouverture accrue correspondent une réelle sécurité sanitaire et une reconnaissance du rôle multifonctionnel de l'agriculture. C'est pour cela que nous demandons la prise en compte de normes sociales fondamentales, non pour établir un salaire minimum mondial mais pour lutter contre le travail des enfants et des prisonniers. C'est pour cela enfin que nous demandons que les entreprises puissent se développer dans le cadre de règles d'investissements, de concurrence et de marchés publics équitables et transparentes.
Le mandat confié par tous les pays de l'Union Européenne - sans exception -, à la Commission européenne reflète cette volonté. Je le soutiens totalement. Voici quelques axes fondamentaux.
Sur l'agriculture, nous voulons maintenir les outils de Marrakech, qu'il s'agisse des "boites", de la clause de sauvegarde spéciale ou de la clause de paix, traiter de manière équilibrée tous les soutiens et prendre en compte la dimension multifonctionnelle de l'agriculture moderne. Sur les services, nous proposons de terminer les travaux en cours et d'améliorer le cadre de règles et de disciplines. Sur l'environnement, l'OMC n'est pas le lieu pour définir les normes en la matière. Mais il faut clarifier l'articulation entre les accords multilatéraux sur l'environnement et l'OMC pour qu'elle en respecte pleinement les dispositions. Elle doit aussi prendre en compte le principe de précaution.
Sur la propriété intellectuelle, il est nécessaire de renforcer la protection des indications géographiques et de clarifier les règles de dépôt des marques. Sur les normes sociales fondamentales, nous préférons une approche incitative par la création d'un forum permanent entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail. Sur les marchés publics, nous voulons étendre l'accord actuel et améliorer la transparence. Enfin, il nous faut veiller à ce que la diversité culturelle soit préservée et la capacité de chaque Etat à définir librement sa politique culturelle et audiovisuelle soit garantie.
3 - Une méthode : démocratie et concertation
"La loi est l'expression de la volonté générale". Ce grand principe légué par la Révolution française doit être au coeur de notre démarche. De deux manières : il faut un accord de tous, il faut un accord sur tout. C'est pour cela que l'Union Européenne veut un cycle de négociation large et fondé sur le principe de l'engagement unique, à même d'assurer l'équilibre des résultats entre les pays et les sujets.
Pour réussir, la France est ouverte au dialogue avec tous ses partenaires. Elle l'a démontré jour après jour dans la préparation de cette conférence. Et j'ai la conviction que les malentendus parfois évoqués sont aujourd'hui dissipés. Il n'y a pas de protectionnisme dans notre vision sociale, par de doute sur notre générosité pour les pays les plus pauvres, pas de réticence sur la mise en oeuvre du programme de travail de Marrakech ou sur la revue du fonctionnement des accords du cycle d'Uruguay, bref pas d'ambiguïté dans notre ambition d'une mondialisation maîtrisée.
Ce dialogue, le gouvernement français l'aborde avec la force de conviction que lui donne un dialogue intense avec le Parlement et une écoute attentive de la société civile. La concertation a priori a remplacé la justification a posteriori. Au culte du secret et de l'ignorance, je préfère le choix de la responsabilité et de la transparence.
Dans le même esprit, l'OMC doit adopter un mode de fonctionnement plus transparent, pour être plus légitime. Le temps des négociations menées dans le secret des antichambres et des ambassades est révolu. Il en est de même des procédures contentieuses réservées à la seule compréhension de quelques experts. L'OMC doit être une institution efficace et transparente au coeur de la mondialisation citoyenne, travaillant mieux avec les autres organisations et tout particulièrement le FMI et la Banque mondiale.
L'Organisation mondiale du commerce est une institution encore jeune sur la scène internationale. Elle a aujourd'hui la possibilité de s'affirmer pleinement, autour de cette "charte de la mondialisation" dont j'ai dessiné les contours. Les propositions de l'Union européenne, défendues par Pascal Lamy, vont dans cette voie. La France souhaite que la conférence de Seattle définisse un programme de négociations qui fasse progresser l'universalité par rapport à l'unilatéralisme et qui mette au siècle prochain l'économie au service de l'homme, alors que l'évolution spontanée va fort souvent en sens inverse.
Je vous remercie.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 1999)