Texte intégral
Je suis heureux de l'occasion qui m'est ainsi offerte, de découvrir le CAPE, et je vous remercie d'être venu à mon invitation ; il est vrai que vous avez pu faire coup double puisque Anne Gazeau-Secret vient elle-même de faire son point de presse. C'est également un point de presse que je souhaitais faire et sur un sujet bien précis qui est la Côte d'Ivoire, et plus particulièrement la situation dans ce pays au lendemain du référendum qui a permis aux Ivoiriens de s'exprimer sur un projet de constitution qui a mis quelques temps avant de trouver une version définitive, celle là même sur laquelle les Ivoiriens se sont prononcés.
La situation en Côte d'Ivoire est suivie par le gouvernement français avec une attention soutenue depuis de long mois, il s'agit d'un des partenaires africains les plus important pour la France, où vivent vingt mille ressortissants français, qui pèsent d'un poids économique tout particulier dans cette sous région de l'Afrique de l'Ouest - puisque la Côte d'Ivoire, c'est à elle seule pratiquement la moitié de l'économie des six pays de l'UEMOA. Cette situation est, vous le savez, difficile depuis les événements qui, à la veille de Noël 99, ont provoqué la destitution du président Bedié et la mise en place d'un conseil national de sécurité présidé par le général Gueï. Ce conseil national a défini un calendrier de retour à l'ordre constitutionnel qui prévoyait comme première étape ce référendum constitutionnel.
Je vous rappelle donc les étapes suivantes, il est important que nous les ayons présentes à l'esprit :
Les élections présidentielles sont prévues les 17 septembre et 8 octobre, les législatives le 20 octobre, et la fin du cycle, si je puis dire, ce sont les municipales prévues, elle, le 19 novembre. Cette première étape, nous pouvons considérer qu'elle a été franchie avec succès par la démocratie ivoirienne. Le taux de participation, autour de 60%, le "oui", exprimé par environ 80% des votants, peuvent être considérés comme des expressions, par les Ivoiriens, d'une maturité dont nous nous réjouissons, d'autant que les élections se sont, dans l'ensemble, [déroulées] dans une certaine sérénité.
Ayant dis cela, chacun voit bien que les étapes qui sont devant nous sont au moins aussi importantes. Je rappelle que cette première étape a vu les trois parties soutenir le projet de constitution, ce qui explique aussi la majorité large que celui-ci a recueillit, même s'il est vrai que l'examen plus détaillé des résultats fait apparaître des différences selon les régions voire les ethnies, mais retenons ce bon résultat global. La prochaine étape, ce n'est pas seulement l'élection présidentielle, c'est un peu avant. C'est la déclaration de candidature : le dépôt des candidatures est prévu le 18 août. Il appartiendra à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité de ces candidatures. C'est là que le débat autour de l'ivoirité, évidemment, prend toute sa signification. Et c'est en effet, pour dire la pensée du gouvernement français sur cette question, que je voulais ce matin, tout de suite après le référendum, vous dire quelques mots, en espérant que ceux-ci participeront au bon déroulement du processus démocratique.
La question qui nous paraît essentielle, est d'éviter que les électeurs ivoiriens aient l'impression d'être privés de leur liberté de choix, et nous espérons que c'est avec cette préoccupation là que l'autorité légitimement reconnue pour décider de la constitutionnalité de telle ou telle candidature doit se positionner, car c'est bien aux Ivoiriens qu'il revient de décider, en toute connaissance de cause, c'est cela l'expression même de la démocratie. C'était, en quelque sorte, ma première observation.
La seconde, est que la Côte d'Ivoire a la chance, par rapport à d'autre pays africains, d'avoir un paysage politique relativement bien structuré : trois grands partis, et ceci est une chance quand nous savons la situation extrêmement compliquée observée dans certains pays où le nombre de partis se comptent par dizaines, ou dépasse parfois la centaine. Et l'existence même de ces trois partis politiques fait considérer que ce qui permettrait au choix des Ivoiriens de s'exprimer dans la plus grande clarté est que chacun de ces grands partis présente un candidat. "Chacun des partis", ai-je dit, cela veux dire qu'il ne doit pas y avoir d'exclusion artificielle de l'un ou de l'autre.
Je vous disais en commençant, la Côte d'Ivoire vient de passer une première étape avec succès du point de vue du retour à la démocratie, c'est un pays qui a de nombreux atouts, l'expression même des citoyens ivoiriens dimanche de la volonté de se sortir de cette situation anormale. C'est donc bien aux partis qu'il convient de s'attacher, non seulement à la présentation des candidats, mais aussi à présenter un projet de façon à permettre aux Ivoiriens, non seulement de s'exprimer pour un homme, mais aussi pour un avenir ivoirien.
Nous souhaitons, bien sûr, que le calendrier que j'annonçais au départ soit respecté, il est d'autant [plus important] de le respecter, du point de vue des Ivoiriens ou de la Côte d'Ivoire, que c'est le respect de ce calendrier qui détermine, en quelque sorte, la solidarité de la communauté internationale ; et nous savons bien que l'économie ivoirienne, que les finances publiques ivoiriennes, ont besoin de cette solidarité, mais elle ne pourra se redéployer que lorsque le processus aura été abouti. Cela vaut pour les bailleurs de fond multilatéraux, cela vaut pour l'Europe, et la France, qui en ce moment préside l'Union européenne, entend le dire avec force et être entendu des Ivoiriens.
Voilà, mesdames et messieurs, ce que je souhaitais dire. Il est clair que la France souhaite voir continuer son soutien à un pays qui est ami de la France depuis longtemps. Je suis donc à votre disposition pour répondre à quelques questions.
Je voudrais aussi dire que selon nous le conseil national de salut public doit poursuivre son rôle de garant de la transition républicaine, en conformité avec les engagements pris devant la communauté internationale, il est important de rappeler la responsabilité de ce conseil national dans la période.
Q - Vous dites aux Ivoiriens, " laissez M. Ouattara aller aux présidentielles ", vous leur dites clairement, alors que c'est contraire à la constitution.
R - Autorisez-moi à ne pas préjuger ni de la décision du RDR ni de la décision que prendra le juge constitutionnel, car quand j'entends M. Ouattara, selon lui , cette constitution ne l'empêcherait pas de se présenter. C'est une des raisons, nous dit-il, pour lesquelles il a fait campagne, pour cette constitution, je rappelle que M. Ouattara a appelé à voter en faveur de cette constitution, donc je ne peux répondre que cela.
Q - Que vous inspire la modification in extremis des articles les plus controversés des premières constitutions où le "ou" aurait été remplacé par le "et", alors qu'une commission constitutionnelle avait été nommée, et que le projet semblait bouclé cinq jours avant par l'autorité suprême ?
R - Lorsque j'avais été interrogé par l'Assemblée nationale il y a quelques mois sur la situation en Côte d'Ivoire, j'avais évoqué cette préparation du texte de la nouvelle constitution, nous en étions à "ou". C'est dans les derniers jours que le général Gueï a cru bon de changer le texte initial en préférant le "et" à la place du "ou". A l'Assemblée nationale, j'avais dit que cette première disposition, en introduisant une part d'ouverture me paraissait intéressante. Il est incontestable que le choix du "et", c'est une démarche différente qui a été préférée. Nous pouvons sans doute le regretter mais c'est désormais le texte qui a été adopté par les Ivoiriens. Il reste à lui donner, j'espère, en ce qui concerne cet aspect de la nationalité des parents, force de loi sans doute, mais en tenant compte de l'histoire de ce pays. Car en appliquant à la lettre cette disposition, tous ceux qui étaient français avant 1960 doivent se trouver en situation difficile du point de vue de la lisibilité, ce qui serait tout de même un peu.... Même s'il s'agit d'éléments vérifiables, encore faut-il les utiliser avec intelligence. L'autre élément, cette référence à des fonctions occupées en se prévalant d'une autre nationalité mérite aussi d'être utilisée avec discernement, mais j'ai cru comprendre que l'intéressé, M. Ouattara, nommé à l'instant, considérait que cette disposition là ne s'appliquait pas non plus a son propre cas, c'est le juge qui devra apprécier, mais nous souhaitons, je le répète, que les décisions prises ne donnent pas le sentiment aux Ivoiriens qu'on les empêche d'exprimer leur libre choix, c'est un élément important, et la cohésion nationale, à la[quelle nous] tenons fortement, est à ce prix.
Q - Le gouvernement français n'avait quasiment aucun contact officiel avec le CNSP. Est-ce que dans l'optique de la Présidentielle vous avez l'intention de rencontrer l'un des candidats à cette élection ?
R - Le gouvernement français peut aussi, et il le fait souvent, entretenir la relation par les ambassadeurs dont c'est directement le métier, et je peux vous dire que notre ambassadeur à Abidjan a des relations normales, j'allais dire continues, avec le CNSP, et en particulier avec le président Gueï, mais aussi avec un certain nombre de ceux qui l'entourent. Quant aux candidats, je peux vous dire aussi, que dans le cadre de ses contacts, notre ambassadeur rencontre, a rencontré encore tout récemment, les représentants de ces partis, y compris du PDCI, qui tient un congrès dans quelques jours, je crois que c'est le 10 Août, qui devrait justement permettre au PDCI de choisir son candidat. Donc nous considérons que nous avons un contact normal. J'ajoute que j'ai eu l'occasion de rencontrer le général Gueï à deux reprises, à Dakar en particulier à l'investiture du président Wade, et qu'il est déjà arrivé que certains des ministres du président Gueï viennent à Paris et que nous les rencontrions.
Q - Il y a plusieurs indices qui commence à laisser entrevoir que Robert Gueï allait se présenter à élection. Est-ce que la France, comme les Américains, pense que ce n'est pas une bonne chose.
R - Je crois que la démocratie et l'uniforme se conjuguent mal. Vous pourrez observer que le général Gueï apparaît souvent en civil. Notons même qu'il était déjà retraité. Je reviens à ce que j'ai dit tout à l'heure : les bonnes candidatures seront celles qui seront portées par les partis politiques, c'est l'idée que je me fais aussi de la démocratie.
... Cela voudrait dire que le général Gueï aurait pris suffisamment de distance par rapport au conseil national pour que l'organisation des élections en particulier, ne puisse pas être entachée de quelque influence excessive.
Q - Je voudrais juste revenir sur la notion d'"exclusion artificielle", que voulez-vous dire par là ?
R - Je suis sûr que vous avez compris. Il faut que chaque parti puisse présenter librement son candidat.
Q - Vous aviez insisté sur le fait que les différents candidats des partis doivent être sur la ligne de départ lors de l'élection présidentielle, vous avez insistez notamment sur, si j'ai bien compris, le fait que M. Ouattara devrait être de la partie. Quel risques y aurait-il à ce que M. Ouattara ne soit pas présent aux présidentielles ?
R - Je souhaite que ce processus démocratique, je le répète, qui a fait l'objet d'un engagement, presque d'un contrat entre le conseil national et la communauté internationale, dont la France, aille jusqu'au bout en respectant les principes de démocratie. C'est cela qui met la Côte d'Ivoire à l'abri de je ne sais quelle violence que pourrait provoquer le sentiment d'un nombre significatif d'Ivoiriens d'être écarté. Ayant dit cela, il appartient, je me répète mais c'est vous qui m'y obligez, aux acteurs politiques ivoiriens à prendre leurs responsabilités, l'apprécier, au lendemain d'un vote qui a fait que la Côte d'Ivoire a une nouvelle constitution, comment faire vivre cette constitution et les échéances électorales qui sont devant nous, je n'ai pas dit que tel ou tel devait être candidat, j'ai dit qu'il fallait que la volonté des Ivoiriens puisse s'exprimer librement. Je sais aussi que la Côte d'Ivoire est un pays qui accueille un nombre considérable d'Africains venant d'autres pays, j'espère bien que le processus électoral que je décrivais tout à l'heure va leur permettre de vivre en Côte d'Ivoire, en bonne intelligence avec les Ivoiriens, ceci est aussi très important. Je ne voudrais pas que, évidemment, les éléments qui sont devant nous soient des occasions de tensions voire de violences entre les communautés qui vivent en Côte d'Ivoire, et il est vrai que dans cette période, nous devons être très attentif car une situation comme celle que nous observons, en particulier dans la relation entre les musulmans et les chrétiens, est porteuse de risque. Il faut que les Ivoiriens sachent les prévenir et qu'au lendemain de ce processus électoral, il n'y ait ni frustration ni sentiment d'exclusion, il ne faut pas que la xénophobie, qui est toujours latente dans chaque pays malheureusement.
Q - Quand vous dites "très attentif à cette situation", qu'entendez-vous par là ?
R - Lorsque je dit "attentif", cela veut dire essayer d'anticiper, faire passer un certain nombre de messages, c'est ce que nous faisons maintenant, cela veut dire ce que notre ambassadeur fait, c'est à dire être de manière continue en relation étroite avec les acteurs, cela veut dire aussi être en contact étroit avec la communauté française, qui a besoin sans doute d'être rassurée parce que nous avons vu, les journaux l'ont montré, qu'il y avait eu plus de départ en vacances que d'habitude, que la relation entre la France et la Côte d'Ivoire en cette période avait tendance à s'exercer de manière un peu unilatérale. C'est tout cela être attentif. Il n'y a pas d'autres décisions à prendre, ou n'importe quel moyen qui pourrait mobiliser à l'avance en prévision ; au demeurant, nous sommes prêts à apporter aux ressortissants français si la question se posait l'aide dont il faudrait avoir besoin.
Q - Est-ce que l'on peut penser de votre discours, avoir l'idée, dans le cas d'une impossibilité pour M. Ouattara de se représenter, de suspension de la coopération française ?
R - Nous n'en sommes pas là, heureusement. Nous attendons, dans le cadre de nos relations avec la Côte d'Ivoire comme avec d'autres pays, c'est d'ailleurs ce que les nouveaux accords entre l'Europe et les pays ACP signés il y a quelques semaines prévoient, c'est qu'en effet la démocratie, l'état de droit soit un principe de gouvernement, c'est une des conditions de la coopération entre l'Europe et les pays ACP, et entre la France et ces pays.
Q - Vous avez dit tout à l'heure que la solidarité internationale ne pourrait s'exprimer que si le processus était abouti. Est-ce que vous considérez que le processus sera abouti si M. Ouattara ne peut pas se présenter ?
R - Non, ces questions d'exclusion dont vous parlez, ce sont les Ivoiriens qui en décident. Moi je verrais le processus comme abouti quand la Côte d'Ivoire se sera donnée des institutions reconnues qui auront permis à une majorité de s'exprimer dans la clarté. Et "abouti" signifierait également une Côte d'Ivoire totalement apaisée. Que l'apaisement en question passe par une interprétation intelligente des dispositions dont nous venons de parler, sans doute, c'est ce que nous attendions des Ivoiriens.
Q - Que vous inspirent les tensions récentes manifestées au sein des forces armées, vous parlerez peut-être comme certains analystes de risque de coup d'état avant septembre ?
R - Les mutineries qui se sont produites début juillet participent aux éléments qui nous obligent à être attentifs. C'est vrai que cela participe à une certaine instabilité de la situation. Le regard doit aussi se porter vers cette composante de la vie ivoirienne qu'est l'armée ivoirienne. Elle aura eu un rôle important dans les événements de décembre. Mais il est incontestable que parmi nos préoccupations, il y a une autorité politique à laquelle l'autorité militaire doit être soumise. Nous encourageons le conseil national et le général Gueï en particulier à s'assurer d'une bonne maîtrise des éléments militaires, parce que ceux-ci participent en effet de l'apaisement nécessaire en Côte d'Ivoire.
Q - La France se félicite du succès de la première étape. Est-ce qu'elle est maintenant disposée à aider financièrement la poursuite du processus électoral ?
R - Je pense que, s'il n'est pas nécessaire d'attendre la fin du processus dans sa globalité pour mobiliser les moyens dont la Côte d'Ivoire a besoin. La France déterminera son attitude et avec elle l'Europe en ce qui concerne la reprise de la coopération pleine et entière, car il y a des aspects de notre coopération que nous n'avons pas interrompus. Mais pour le reprendre complètement, il faut que le processus soit davantage engagé.
Q - Mais sur le processus électoral lui même...
R - Toutes les étapes que je viens de présenter sont importantes. Il est évident que la présidentielle est probablement l'étape majeure, et nous pouvons penser que si elle se passe bien, les autres devraient également se passer de manière satisfaisante. Alors nous pourrons envisager la pleine reprise de la coopération. Nous avons participé au financement du référendum. Je voudrais, pour terminer, dire surtout ma confiance et la confiance que le gouvernement français fait aux Ivoiriens pour maîtriser une situation que nous savons délicate, mais dont nous sommes convaincus qu'ils ont tous les moyens de la maîtriser.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 04 août 2000).