Déclaration de M. Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, devant l'Institut national des juges de Pékin, sur les réformes engagées en Chine en matière judiciaire et sur la coopération judiciaire entre la France et la Chine, à Pékin le 19 septembre 2002.

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Circonstance : Voyage à Pékin (Chine) du 17 au 20 septembre 2002

Texte intégral

Monsieur...
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs les Juges et les Procureurs,
Vous me faites un grand honneur en me permettant de m'exprimer devant vous, au nom de M. Perben, Garde des Sceaux, Ministre de la justice.
Il est impossible pour un français prenant la parole en Chine devant une assemblée de magistrats, de ne pas évoquer la figure traditionnelle du juge chinois, magistrat intègre, s'appuyant dès la période Tang sur un véritable code pénal et portant dans le provinces les plus reculées la justice impériale.
Cet héritage vous oblige et il vous appartient de rendre à la justice de ce pays le prestige qu'elle a connu dans le passé.
Etre fidèle à ce passé, est l'une des voies de la modernité.
Deng Xiaoping, ce grand visionnaire, l'avait compris lorsqu'il affirmait, il y a 25 ans, que la modernisation de la Chine ne pourrait pas se faire sans l'instauration d'un Etat de Droit.
Soyez persuadés que c'est avec le plus grand intérêt que nous suivons, en France, toutes les réformes engagées en Chine afin de progresser vers l'Etat de Droit et renforcer l'autorité de la justice, qu'il s'agisse:
- de la loi sur l'indépendance des avocats ;
- des règles publiées par la Cour suprême en matière d'éthique ;
- des progrès de l'aide juridictionnelle ;
- de la révision au début de cette année par le Parquet populaire suprême des règles de procédure en matière de poursuites pénales ;
- de l'instauration en 2002 d'un examen national pour les juges, les procureurs et les avocats.
De même suivons-nous avec intérêt le travail considérable engagé pour la mise en conformité du droit chinois avec les règles de l'O.M.C.
Il est impossible d'énumérer tous les textes qui ont été révisés et je ne vais mentionner que ceux qui intéressent le plus les intérêts français :
- la révision en 2000-2001 des trois grandes lois relatives aux entreprises sino-étrangères ;
- les amendements récents aux lois sur les brevets, les marques, les droits d'auteur, et le renforcement de la lutte anti-contrefaçon ;
- ou encore les dispositions, prises cette année sur les bureaux de représentation des cabinets d'avocats étrangers et dont nous avons discuté au colloque sur les services juridiques organisé par le ministère de la justice, et qui mériteraient à notre sens d'être approfondies.
Vous savez que l'accord signé par la Chine pour l'accès à l'O.M.C. pose différents principes :
- Le principe de transparence qui suppose que toues les réglementations soient publiées, et que seules les réglementations publiées soient applicables.
- Le principe d'application uniforme qui interdit qu'on oppose tel ou tel particularisme local à une règle O.M.C.
- Enfin, le principe de contrôle judiciaire impartial et indépendant des actes administratifs relatifs au droit O.M.C.
Sur ce dernier point, permettez-moi de saluer la réglementation publiée par la Cour populaire suprême il y a quinze jours et qui permet un examen judiciaire des actes administratifs pour les affaires économiques mettant en cause des intérêts étrangers. C'est un progrès évident, mais pour un esprit français, une telle règle devrait s'appliquer à tous les domaines - et pas seulement au domaine économique - et bénéficier à tous, et pas seulement aux étrangers. Un contrôle de l'administration par un organe indépendant est une garantie d'équilibre social et d'efficacité économique.
Il est un dernier domaine dans lequel nous suivons l'évolution de la Chine, c'est celui des Droits de l'Homme.
Nous nous réjouissons de la coopération engagée avec le haut Commissariat des Nations-Unies pour les Droits de l'Homme, ou avec l'Organisation internationale du travail, ou de la ratification du pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, tout en déplorant la réserve sur la liberté sur ce sujet.
Nous nous réjouissons enfin de ce que la croissance économique a permis d'élever le niveau de vie de beaucoup de chinois et d'améliorer leur situation économique et sociale.
Il n'en reste pas moins que des progrès concrets sur des sujets comme la détention en centre de rééducation par le travail sans décision de justice, l'usage massif de la peine de mort, ou la libération des "prisonniers de conscience" seraient les bienvenus.
Comme le disait Montesquieu, un philosophe français du XVIIIe siècle qui était également magistrat, il faut dans un Etat moderne "un pouvoir qui arrête le pouvoir". C'est vous, Mesdames et Messieurs, qui devez incarner ce pouvoir.
Mais toute évolution demande du temps et aucun édifice juridique n'est jamais parfait.
Vous savez que la France soutient les efforts de la Chine, notamment en essayant de répondre aux besoins de formation que vous nous communiquez : ce soutien, nous le fournissons d'abord à travers les programmes de l'Union européenne, dont nous sommes un des principaux contributeurs :
- vous connaissez certainement le programmes Europe-Chine de coopération juridique et judiciaire dont peut-être certains d'entre vous ont bénéficié;
- vous connaissez peut-être aussi le programme européen d'assistance à la Chine pour l'accès à l'O.M.C., programme qui va être prolongé jusqu'en 2009 et qui bénéficiera au total de financement de l'ordre de 20 millions d'euros.
Aux côtés de l'Union européenne, la France a développé ses propres programmes :
- l'Ecole nationale de la magistrature entretient depuis longtemps des relations étroites avec l'Institut national des juges et l'Institut national des procureurs. C'est avec plaisir que nous accueillerons en France en octobre le vice-président de l'Institut national des juges, M. Niu Jianhua.
- de nombreuses coopérations sont établies entre le Cour suprême populaire, les cours supérieures de Pékin et de Shanghai et des juridiction françaises.
- depuis fort longtemps, le Barreau de Paris reçoit en stage des avocats chinois.
- nous recevons dans les universités françaises des étudiants chinois qui viennent y faire leur thèse de doctorat et qui bénéficient de bourses.
- nous organisons régulièrement des colloques auxquels sont invités magistrats, universitaires ou juristes chinois. Permettez-moi de vous signaler le prochain qui se tiendra le 30 octobre à l'Institut de droit de l'Académie des sciences sociales et qui sera consacré aux "aspects économiques du droit de l'environnement". Si ce sujet vous intéresse, vous y serez les bienvenus.
Nous avons une base de coopération ancienne et nourrie, mais nous pensons qu'il est temps de passer à la vitesse supérieure.
C'est l'objet du programme de formation de juges et de procureurs qui va démarrer en janvier 2003 dont l'ambition est la suivante : donner à des magistrats une connaissance pratique du fonctionnement de la justice en France. Les magistrats sélectionnés passeront près de six mois en France dont l'essentiel sera consacré à des stages auprès de leurs collègues français. Naturellement ceci suppose que ces magistrats parlent français et nous leur proposerons donc une formation à la langue française qu'ils pourront suivre dans les alliances françaises installées en Chine.
Les directions de l'Institut national des procureurs et de l'Institut national des juges connaissent bien ce programme et sont en mesure de vous fournir toutes les informations nécessaires.
En France, comme en Chine, il est d'usage de critiquer la justice, sa lenteur, sa complexité, voire son coût excessif.
Il y a un proverbe chinois qui rend bien compte de cette image négative :
"Une fois qu'une plainte est déposée au tribunal, neuf buffles ne parviendraient pas à l'en extirper" (yizi ru gongmen, jiuniu babuchu).
Voltaire, un autre philosophe français du XVIIIe siècle, a écrit "qu'il n'avait été ruiné que deux fois dans sa vie : le première fois parce qu'il avait perdu un procès et la deuxième fois parce qu'il avait gagné un procès".
Comme toute institution humaine, la justice ne peut pas être parfaite ; c'est un chantier permanent et en France même, où nous avons une tradition judiciaire ancienne, il faut en permanence réformer, renforcer, adapter la justice au monde d'aujourd'hui.
C'est d'ailleurs une des priorités du nouveau gouvernement français auquel j'appartiens qui a été mis en place en avril 2002. l'une des premières lois votées par ce gouvernement, concerne précisément la justice. C'est une loi qui porte beaucoup moins sur les principes, bien établis en France, que sur les moyens.
Nous allons notamment créer 10.000 emplois supplémentaires dont 3.300 postes pour des juges de proximité qui seront chargés en première instance du traitement des petits litiges de la vie quotidienne dans les matières civile et pénale.
Nous avons aussi décidé de renforcer les mécanismes de l'aide juridictionnelle. Vous savez qu'en France, on bénéficie de l'assistance gratuite d'un avocat si l'on dispose de ressources insuffisantes et si la demande que l'on veut porter devant le juge est considérée comme sérieuse.
Nous avons décidé d'étendre l'aide aux victimes dans deux domaines, sans qu'elle soit réservée aux personnes ayant de faibles ressources :
- quelles que soient les ressources de la personne en cause, la victime, dans une affaire pénale, pourra demander l'assistance d'un avocat, alors que jusqu'à présent seuls les prévenus et les gardés à vue pouvaient le faire.
- de même, sans condition de ressources, l'aide juridictionnelle sera accordée automatiquement aux victimes des crimes les plus graves.
En résumé, il s'agit de rendre la justice plus accessible, plus efficace, plus rapide et plus proche des victimes.
Avoir une justice indépendante, compétente et intègre n'est pas suffisant. Encore faut-il que les citoyens aient confiance en elle, que son accès soit facile, qu'elle décide dans des délais raisonnables et que ses décisions soient effectivement appliquées.
Un cadre légal stable et une justice efficace et forte sont nécessaires au fonctionnement d'une société démocratique, tout comme ils sont nécessaires à une économie moderne de marché ouverte au monde.
Les juges et les procureurs ont un rôle considérable à jouer dans la construction de la Chine moderne qui se dessine peu à peu.
Je vous laisse en conclusion méditer cette réflexion de l'un des grands penseurs du XVIe siècle, Blaise Pascal : "la justice sans le force est impuissante ; le force sans la justice est tyrannique".

(source http://www.ambafrance-cn.org, le 14 octobre 2002)