Texte intégral
Je suis particulièrement heureux de vous recevoir aujourd'hui et d'avoir ainsi l'occasion de vous parler de l'UEO et de sa place dans l'architecture européenne de sécurité.
Cette architecture suscite beaucoup d'interrogations : pourquoi ne développe-t-on pas tout de suite une défense commune au sein de l'Union européenne ? La France en se rapprochant de l'OTAN a-t-elle renoncé à ses objectifs européens ? L'UEO a-t-elle encore un rôle à jouer ?
Nous vivons une période charnière pour l'Identité européenne de sécurité et de défense. C'est ce dont témoignent le Sommet de l'OSCE à Lisbonne, la dernière réunion des ministres de l'Alliance à Bruxelles, le Sommet de Dublin, la présidence française de l'UEO et le Sommet de l'Alliance à Madrid en juillet prochain.
Ces échéances sont toutes importantes pour l'UEO. En apparence, elles sont distinctes. En réalité, elles constituent les volets successifs du grand enjeu de la sécurité de l'Europe. 1997 sera l'année des décisions. 1997 a la même importance que 1947.
I - La conception française de la nouvelle architecture de sécurité européenne 1) A ce défi, la France entend répondre de façon globale et avec une perspective claire :
- il ne faut pas créer de nouvelles lignes de divisions et de confrontations en Europe,
- il faut associer tous les pays européens, y compris la Russie et l'Ukraine, à la nouvelle architecture de sécurité européenne ; chaque pays doit obtenir une réponse aux questions de sécurité qu'il se pose légitimement,
- il nous faut poursuivre avec détermination le développement de l'Identité européenne de sécurité et de défense ; la personnalité de l'Europe doit s'affirmer,
- il nous faut développer un nouveau partenariat transatlantique, sur la base de la solidarité et de l'équilibre entre alliés européens et nord-américains.
2) Comment mettre en oeuvre ces principes ? Nous devons le faire dans différentes enceintes :
- dans l'enceinte la plus large, l'OSCE, il importe de développer de nouveaux principes de sécurité et de coopération. C'est ce qui a commencé à être fait à Lisbonne. La déclaration sur la sécurité qui a été adoptée par les 54 pays membres de l'OSCE fait clairement apparaître que l'Acte final d'Helsinki et les principes et engagements qui en découlent, constituent en quelque sorte le socle de l'architecture européenne de sécurité. Toutefois, I'OSCE n'est pas une organisation qui doit coiffer les autres. Par ailleurs, aucun Etat ne doit avoir de droit de veto en matière de sécurité européenne. Mais l'OSCE est le lieu où tout Etat, qu'il appartienne ou non à une alliance, peut exprimer ses préoccupations en matière de sécurité, être écouté et rechercher avec les autres des réponses appropriées.
- Nous voulons ensuite réussir la réforme interne de l'Alliance atlantique pour qu'elle s'adapte véritablement au nouveau contexte stratégique qui prévaut en Europe. Nous sommes convaincus que l'Alliance demeure essentielle concernant les garanties de défense collective (l'article 5) et qu'elle a un rôle important à jouer dans la gestion de crise en Europe (les "nouvelles missions"), comme on le voit en ex-Yougoslavie. Il faut aujourd'hui pleinement mettre en oeuvre les orientations définies à Berlin, afin notamment d'établir enfin une véritable identité européenne au sein de l'Alliance.
Des progrès réels ont été accomplis. Des problèmes subsistent, mais nous devons tout faire d'ici au Sommet de Madrid pour parvenir à un partenariat renouvelé et rééquilibré entre européens et nord-américains.
- Nous voulons parallèlement que la CIG débouche sur des progrès tangibles dans le domaine de la sécurité et de la défense. Des propositions raisonnables sont sur la table. Il faut tout mettre en oeuvre pour parvenir à un accord significatif lors du Conseil d'Amsterdam, en juin prochain.
- Enfin, nous sommes engagés dans une démarche d'ouverture de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique, afin d'accueillir dans la famille européenne des pays qui en font légitimement partie. Aujourd'hui, I'Europe tout entière est en train de se rassembler. Sa sécurité est indivisible.
II - Dans cette architecture nouvelle de sécurité, quelle est la place de l'UEO ?
1) Certains, nous le savons, ne voudraient considérer l'UEO que comme un sous-ensemble de l'OTAN : d'autres se demandent si l'UEO a encore un rôle à jouer et voudraient la fusionner immédiatement avec l'Union européenne. Dans l'un et l'autre cas, c'est se tromper de perspective.
- En effet, si la rénovation de l'Alliance atlantique implique le développement en son sein de l'Identité européenne de sécurité et de défense, c'est l'UEO qui sera l'instrument de cette identité. Notre organisation s'est vu reconnaître, par les décisions de Berlin, un rôle majeur dans le développement de l'identité européenne au sein de l'Alliance.
- Dans le même temps, I'UEO doit devenir l'instrument militaire de l'Union européenne. Elle doit donner à la Politique étrangère et de sécurité commune le prolongement militaire dont elle a besoin pour assurer sa crédibilité. Un resserrement progressif des liens entre l'UEO et l'UE est donc indispensable.
Notre perspective est claire : I'UEO est nécessaire pour faire de l'Europe une puissance capable de jouer pleinement son rôle dans le nouveau contexte stratégique. L'UEO doit réellement devenir le pilier européen de l'Alliance et la composante de défense de l'Union.
Elle a donc un rôle charnière essentiel entre l'Alliance et l'Union ; de la première, elle devra tirer sa pleine dimension opérationnelle ; de la seconde, sa légitimité politique, en devenant le bras armé de l'Union européenne.
Il faut en tirer les conséquences sur le plan institutionnel en rapprochant les deux organisations dans la perspective de l'insertion, à terme, de l'UEO dans l'Union européenne.
La place de l'UEO est, dans ce cadre, essentielle. Le contexte stratégique nouveau qui existe en Europe renforce son rôle dans la sécurité du continent. Le Traité de Bruxelles a permis naguère d'établir entre Européens des liens de confiance. La renaissance de l'organisation en 1986 a placé l'UEO au coeur des transformations de l'Identité européenne de sécurité et de défense. Depuis cette date, des progrès importants ont été réalisés. L'UEO s'est adaptée. Elle est aujourd'hui plus forte. Il nous appartient de lui faire jouer pleinement son rôle dans l'architecture européenne de défense et de sécurité qui, je l'espère, verra le jour en 1997.
2) C'est dans cet esprit que la France, pendant sa présidence de l'UEO, a proposé des orientations à la fois ambitieuses, cohérentes et réalistes.
- Nous voulons développer les capacités opérationnelles propres de l'UEO, c'est-à-dire tirer le meilleur parti possible des structures existantes : renforcer la cellule de planification pour faire des plans de circonstance, mieux exploiter le centre satellitaire de Torrejon en Espagne, mener une politique d'exercices pour tester ces moyens, et faire mieux fonctionner les différents organes politiques (en particulier le conseil) et militaires de l'organisation.
- Nous comptons aussi tirer parti de la chance que nous offre la rénovation des structures de l'OTAN, puisque la mise en oeuvre des orientations de la session ministérielle de l'Alliance atlantique de Berlin permettra à l'UEO d'utiliser les moyens et capacités de l'OTAN pour la conduite d'une opération : élaborer un accord sur les modalités de transfert à l'UEO des moyens de l'OTAN, faire fonctionner l'accord de sécurité UEO/OTAN, apporter une contribution de l'UEO à la Directive ministérielle de l'OTAN sur la planification de Défense, définir la notion de "contrôle politique et de direction stratégique "d'une opération par l'UEO.
- Nous souhaitons préparer l'insertion à terme de l'UEO dans l'Union européenne. Il est important d'établir une véritable coopération entre deux organisations qui ont vocation à une relation très étroite et qui s'ignorent encore trop.
C' est pour cela que nous allons chercher, sans préjuger de ce qui sera fait dans la CIG, à clarifier les procédures en cas de saisine de l'UEO par l'UE pour une opération militaire (art. J4.2 du Traité de Maastricht). Nous voulons également entamer une réflexion conjointe sur le contenu d'une politique européenne de défense commune dont la mention est faite dans le Traité de Maastricht.
- Il est nécessaire enfin de faire travailler davantage l'UEO avec ses partenaires d'Europe centrale, orientale et baltique, qui souhaitent être mieux associés aux travaux de l'organisation. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé de conduire une réflexion à 28 sur les intérêts de sécurité européens dans la perspective de l'élargissement de l'UE et de l'OTAN. Nous souhaitons que cet exercice débouche sur des conclusions lors de la prochaine réunion ministérielle de l'UEO, qui se tiendra à Paris les 12-13 mai prochains. C'est aussi la raison pour laquelle nous souhaitons poursuivre dans la voie ouverte par les Britanniques et les Belges d'une utilisation commune des capacités nationales d'entraînement.
Ce programme est ambitieux, d'autant qu'il se conjugue avec des défis nationaux en matière d'adaptation de notre propre outil de défense. La France cherche à apporter à l'Europe, dans le domaine de la défense, une vision globale. Elle définit cette ambition de façon lucide et pragmatique. La France a fait, vis-à-vis de l'OTAN, des gestes importants, au nom de sa vision de la construction européenne et de la solidarité transatlantique. Elle attend de ses alliés et partenaires une égale disposition d'esprit à développer l'Identité européenne de sécurité et de défense. Elle compte sur le concours de tous les pays représentés à l'UEO pour mettre en oeuvre ces objectifs./.
Q - Vous avez parlé des relations avec les pays partenaires associés de l'UEO. Au sujet des pays neutres membres de l'Union européenne, on dit que ces pays souhaitent participer à la prise de décisions concernant des opérations de l'UEO. Pensez-vous que la CIG pourra régler cette question et de quelle manière ?
R - Il y a au sein de l'Union européenne, comme d'ailleurs au sein de l'UEO des situations propres, c'est-à-dire qu'il y a des pays de l'Union européenne qui sont entrés dans l'Union européenne en conservant leur statut de neutralité.
Je ne sais pas si on a bien fait à l'époque, mais il ne vous échappera pas qu'il y a un léger paradoxe. Ces pays, tout en gardant leur neutralité, ont adhéré au Traité de l'Union, y compris aux dispositions qui prévoient que l'Union européenne devra avoir, à terme, une politique commune de défense. J'observe personnellement une évolution assez significative de la part des dirigeants de ces pays sur leur statut, sur la situation. C'est une évolution qui sera sans doute progressive. Je n'attends pas un changement brutal mais le fait est que je constate, à entendre leurs ministres des Affaires étrangères notamment, qu'un mouvement est enclenché, qu'une prise de conscience se fait, qui est assez légitime. Le concept de neutralité, il faut bien le dire, était directement lié à l'existence de la division européenne. Dans une Europe qui n'est plus divisée, le concept de neutralité devient de plus en plus flou, ambigu, il perd une bonne partie de sa signification. J'espère qu'à l'occasion d'une discussion sur la CIG, nous verrons cette évolution prendre de l'ampleur.
Evidemment, plus cette évolution sera forte, et plus la réponse à la question que vous avez posée sera positive. J'ajoute que les situations dans lesquelles nous pourrions nous trouver sont des situations touchant aux autres missions, disons aux missions de Petersberg. Dans ces missions, il est tout à fait souhaitable que les Quinze puissent parler ensemble. Donc, si on se place du point de vue de l'Union européenne, nous avons intérêt à favoriser une évolution allant dans ce sens. Je dirai qu'en même temps, dans ces matières qui sont complexes, à évolution lente, ce que je comprends tout à fait, notre intérêt n'est pas de bousculer cette évolution. Il est aussi de comprendre les situations particulières de tel ou tel pays, liées à son histoire et liées à ses attitudes pendant près d'un demi-siècle.
Q - Vous avez mentionné dans la conception française un troisième point disant qu'il faut associer tous les pays européens, y compris la Russie, dans une nouvelle architecture européenne de sécurité. Pouvez-vous expliquer la position française par rapport à la situation de la sécurité de certains pays de l'Europe centrale ou orientale qui, par exemple, ont pour ambition de devenir un pays membre de l'OTAN et de l'Union européenne, mais qui ne se qualifient pas par exemple dans la première vague de cet élargissement. Certains pays, qui ne sont pas tellement mentionnés, ont aussi pour ambition de recevoir des garanties de la part de l'OTAN ou de l'UEO. Quelles seront les garanties pour ces pays, s'ils ne sont pas admis dans la première vague ?
R - Il faut d'abord retenir le premier point : il est absolument essentiel que cette architecture européenne de sécurité ne laisse personne au bord de la route. J'ai insisté sur la cas de la Russie, un cas tout à fait majeur. Il serait en effet extrêmement dommageable, pour la Russie certainement, mais aussi pour la sécurité des Européens, que la Russie puisse avoir l'impression qu'elle se trouverait, au terme de cet exercice, dans une situation de marginalisation qui, au fond, aboutirait à recréer les lignes de fracture du passé en les ayant déplacées vers l'Est. Ce serait une très mauvaise solution qui serait inacceptable. Il est donc absolument - ce n'est pas simple - de travailler dur au cours des semaines et des mois qui viennent pour que l'on puisse trouver les éléments d'un engagement réciproque en tout cas entre la Russie et l'OTAN, de telle sorte qu'il ne se développe pas chez les Russes le sentiment qu'ils ont été, non seulement tenus à l'écart, mais humiliés. Ce raisonnement vaut pour tous les Etats d'Europe centrale et orientale. S'il apparaît qu'en effet un certain nombre ne seraient pas dans la première phase de l'élargissement de l'Alliance, il faut apporter à ces Etats les réponses à leurs questions de sécurité.
Il y a pour cela beaucoup de moyens. Cela peut se faire dans le cadre de l'OSCE. Cela peut se passer aussi avec le concours de l'Alliance atlantique. Je dirai que sur ce point, nous ne sommes pas en état aujourd'hui d'apporter des réponses concrètes mais il nous faut ouvrir la discussion. Il faut l'ouvrir avec l'idée que, dans l'Europe de demain, la sécurité de tous sera assurée parce que la sécurité de chacun le sera. Alors, le continent européen pourra se consacrer à ce qui est essentiel pour lui, c'est-à-dire son développement.
Quelles sont des modalités pratiques, me demandez-vous ? Je crois que c'est un peu prématuré mais je crois que c'est un chapitre essentiel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le président de la République a proposé que le Sommet de Madrid pourrait, pour une part, réunir les membres de l'Alliance, et devrait aussi, dans un second temps, réunir l'ensemble des partenaires européens pour établir des principes et des bases permettant de répondre à la question que vous évoquez et dont je répète qu'elle est tout à fait centrale.
Q - Croyez-vous que la réforme de l'OTAN concernera un groupe limité de pays de l'Europe centrale et orientale, ou bien peut-on imaginer un nombre de pays plus vaste ?
R - Il est prématuré de répondre à cette question. De toute façon, nous savons qu'il y aura un certain nombre de pays pour lesquels cela se fera très probablement, et que pour d'autres, ce sera dans un deuxième temps.
Q - Le fait que la France puisse s'intégrer dans une architecture comme vous la décrivez, cela signifie-t-il la fin d'initiatives comme la Force d'intervention rapide créée durant la guerre en Bosnie ?
R - Je ne comprends pas le sens de votre question, Monsieur. Q - Si la France s'intègre dans l'Alliance, est-ce que la France renoncera à ce moment-là à certaines initiatives comme des forces d'intervention rapide ?
R - Non, je ne vois pas pourquoi elle renoncerait à avoir un dispositif militaire approprié à ses intérêts. Nous devons, lorsque l'on regarde l'avenir nous préparer à diverses éventualités. Des éventualités où il y aurait une intervention de l'ensemble de l'Alliance, y compris les Américains, comme c'est la cas aujourd'hui en Bosnie Herzégovine, des situations dans lesquelles l'Europe pourrait en prendre la décision, c'est-à-dire que l'Union européenne prendrait une décision de la mise en oeuvre pour son compte par l'UEO, utilisant les moyens de l'OTAN, avec les moyens de l'OTAN mais aussi ses moyens généraux, et enfin, les hypothèses où nous serions amenés à intervenir nous-mêmes dans une autre configuration. Il faut garder naturellement cette possibilité.
Q - La situation telle qu'elle est à l'heure actuelle en Algérie, est une menace pour la France et d'autres pays de l'Europe. Quelle sera la position de la France en tant que présidente de l'UEO face à cette situation ?
R - Je dirai très clairement que la France, en tant que présidente de l'UEO n'a pas l'intention de se mêler des affaires algériennes, ni de près ni de loin.
Q - L'UEO pourrait-elle s'en mêler un jour si cela impliquait une menace pour l'Europe ?
R - Pour l'instant, telle n'est pas la configuration. Il y a un problème en Algérie qui est un problème pour les Algériens.
Q - D'après vous, quel est le pays de l'Europe centrale le mieux préparé pour être dans la première phase ? La Roumanie est-elle parmi eux ? Comment cette décision de l'OTAN au mois de juillet influencera-t-elle la structure ou le travail de l'UEO ? L'UEO pourra-t-elle jouer un certain rôle pour combler une lacune qui se produirait dans l'élargissement de l'OTAN ?
R - Sur la première question, la France estime que la Roumanie devrait pouvoir figurer au nombre des pays appelés à ouvrir des négociations à propos de leur entrée dans l'OTAN. A votre première question, la réponse est "oui" : la France soutient la candidature de la Roumanie. Pour les autres pays, la situation sera regardée par les Etats membres au cas par cas.
Ensuite, pour votre deuxième question : non, je ne crois pas que l'UEO ait vocation à donner des garanties à des Etats tiers. Au sein de l'OSCE, nous avons organisé des tables régionales qui sont des outils extrêmement intéressants et utiles pour contribuer à résoudre les difficultés qui peuvent apparaître. C'est une voie possible. Ensuite, il faudra regarder comment peuvent être apporter ces garanties de sécurité par leurs voisins, que ce soit l'Alliance, que ce soient d'autres pays. Je ne crois pas que l'on puisse penser que l'UEO pourrait jouer un rôle dans ce domaine.
Q - Sur le rapprochement entre l'UEO et l'Union européenne, il y a des divergences entre les quinze : vous prônez un rapprochement à terme, certains prônent la fusion à très court terme, d'autres comme les Britanniques disent "jamais". Pensez-vous vraiment que l'on pourra faire un jour de l'UEO autre chose qu'une coquille vide et ne pensez-vous pas que c'est vraiment le domaine où la clause flexibilité sera la première à être utilisée ?
R - Oui, c'est possible. Ce que vous dites sur les différences d'appréciation des Etats, notamment au sein de l'Union européenne, quant à l'avenir de l'UEO, c'est tout à fait exact. Je crois néanmoins que ces différentes appréciations n'empêchent pas de travailler dans le présent. Naturellement, si l'on mettait sur la table le débat sur la fusion de l'UEO et de l'Union européenne, on serait sûrs d'aller vers une impasse puisque il y a des désaccords. Cela poserait d'ailleurs beaucoup de problèmes connexes. Mais, que ceux qui ont cette perspective la gardent, je trouve cela très bien, et d'ailleurs, personnellement, je serais plutôt de ce côté-là. Mais ces différences d'appréciation n'empêchent pas de travailler et en particulier, tout le programme de travail que la présidence française a retenu et proposé et fait adopter par ses partenaires montre bien que l'on peut travailler, consolider l'UEO, renforcer son caractère opérationnel, dynamiser ses instances, renforcer son efficacité. On peut faire tout cela sans préjuger des questions d'avenir que vous avez évoquées et qui, de toute façon, ne seront pas résolues en 1997.
Q - (Sur les relations franco-allemandes et la sécurité en Europe)
R - Sincèrement, Français et Allemands ont des vues communes en matière de sécurité européenne. Beaucoup de signes le montrent. S'agissant de toutes ces questions d'architecture européenne de sécurité, le chancelier Kohl et le président de la République ont un dialogue très étroit. Le chancelier est allé à Moscou rencontrer le président Eltsine, il y a une quinzaine de jours. Le président de la République va y aller à son tour. Nous avons beaucoup travaillé pour préparer la session franco-allemande. Je constate que sur la rénovation de l'Alliance, les Français et les allemands ont développé des thèses très proches, souvent communes. Bref, nous avons, sur ces sujets de sécurité en Europe, des vues de plus en plus convergentes. J'ajoute que le fait que, pour la première fois, les troupes allemandes participent à la SFOR en Bosnie-Herzégovine montre que, dans tout le domaine très riche des missions de Petersberg, l'Allemagne est probablement appelée à jouer un rôle croissant que nous approuvons et qui fait que nous avons et nous aurons probablement de plus en plus de points communs et d'occasions de travailler ensemble. Oui, je crois que Français et Allemands ont, sur la sécurité européenne, des points de vues extrêmement proches, pour ne pas dire très souvent les mêmes.
Q - En Turquie on a une déception envers l'Europe. La Turquie se sent exclue de l'Europe. L'Union douanière ne marche pas dans son intégralité : elle ne trace pas une perspective d'adhésion pour la Turquie. De même, pour l'UEO, il y a des problèmes que vous connaissez très bien. La Turquie pense qu'elle a contribué à la défense de l'Europe pendant 45 ans, et maintenant elle est exclue. Les pays d'Europe centrale et orientale pourront entrer prochainement, mais pas la Turquie. On a l'impression en Turquie que l'on est exclu de l'architecture de l'Europe, tant sur le plan de défense et de sécurité que sur les plans politique et économique.
R - Si cette impression que vous exprimez est réelle, la France ne pourrait que le déplorer. Nous sommes très attachés à la qualité de la relation entre la Turquie et les différentes instances européennes. La Turquie a fait un formidable effort de développement au cours des dernières décennies. C'est un pays solidement accroché au continent européen et avec lequel nous voulons, par conséquent, continuer à progresser la main dans la main. Qu'il y ait certaines difficultés, je le vois bien, mais la Turquie doit savoir que la France a toujours appuyé ses démarches de façon fraternelle. Nous continuerons à le faire.
Q - Les pays neutres sont enthousiastes pour la révision du Traité UEO. Concevez-vous la possibilité d'un nouveau traité qui permettrait l'adhésion de membres neutres sans les soumettre à l'article cinq ? Pensez-vous que ce serait possible ? Si non, pourquoi ?
R - En réalité, la réponse à votre question est très simple. Il n'y a pas de projet de révision du Traité de l'UEO. Le Traité de l'UEO a un caractère permanent. Si d'aventure, quelqu'un veut s'en retirer, c'est possible à l'échéance de 1998 en effet, mais il n'y a pas de procédure de révision du Traité de l'UEO qui soit en cours, à vues humaines. Ce n'est pas pour l'instant une question ouverte.
Q - Les pays baltes seront-ils dans le premier train d'élargissement de l'Union européenne et de l'OTAN ?
R - La question de la sécurité des pays baltes, comme pour les autres pays dont nous avons parlé, est l'un des chapitres importants de l'architecture européenne de sécurité. Je le répète avec force, personne ne peut penser que la sécurité européenne serait assurée si l'un quelconque des pays européens ne se voyait pas apporter les garanties dont il a besoin. Cela vaut pour les uns et pour les autres. Bien entendu, on ne peut pas aller dans cette voie si, en même temps, on essaie de passer en force et de régler les questions sans le concours des autres. C'est, me semble-t-il, à la lumière de ces questions, qu'il faut examiner les questions sécurité intéressant les pays de la mer baltique. C'est un sujet sur lequel les uns et les autres, nous avons fait un certain nombre d'efforts au cours d'un période récente. Je crois que nous n'avons pas encore trouvé la pierre philosophale. Par conséquent, il faut encore progresser.
Q - Il y a trois mois, la France, l'Espagne et la Belgique ont parlé d'une intervention militaire au Rwanda et au Zaïre. Il y avait encore 200 000 personnes perdues dans la nature. Il y a des coopérants qui sont morts il y a trois jours. On voit que cette initiative n'est jamais arrivée à son terme. Pourquoi et, si c'est toujours en vigueur, y-a-t-il encore un espoir de changer tout cela, d'après vos derniers contacts avec les Américains ?
R - On est loin de l'UEO. Comme vous le savez, j'ai plaidé, je crois pouvoir dire plus que quiconque, pour que la communauté internationale vienne au secours du million, chiffre approximatif mais enfin, probablement pas éloigné de la vérité, de réfugiés et de personnes déplacées qui erraient sur les chemins boueux de la province zaïroise du Kivu. Vous avez pu constater que, dans une premier temps, après pas mal d'hésitations, il y a finalement eu un certain mouvement et une décision du Conseil de sécurité. Dans la communauté internationale, on ne peut pas agir sans une décision du Conseil de sécurité, on ne peut pas agir comme on l'entend, ni se faire justice soi-même, ni régler soi-même les questions. Il fallait donc cette décision du Conseil de sécurité. Quelques pays se sont portés volontaires et notamment quelques pays européens, en nombre limité, mais quelques-uns. Ensuite, le fait est qu'un certain nombre de ces réfugiés sont effectivement rentrés au Rwanda et la situation a paru évoluer. Elle a conduit la communauté internationale à voter une autre résolution au Conseil de sécurité disant que, tout compte fait et compte tenu de cette évolution, il n'était pas nécessaire d'intervenir avec une force de sécurisation que nous proposions au Kivu. Très bien. Personnellement, j'ai continué de penser qu'il y avait encore des réfugiés et j'ai continué de regretter qu'on les laisse à leur sort. C'est ainsi que la communauté internationale en a décidé.
Il est vrai que dans la période entre les deux résolutions, entre le moment où la communauté internationale a dit qu'il fallait intervenir et celui où elle y a renoncé, l'Union européenne a demandé à l'UEO d'examiner dans quelle mesure elle pourrait être l'organe d'intervention des forces européennes. C'était une bonne idée. Simplement cette idée n'a pas pu être conduite à son terme puisqu'entre temps, la communauté internationale a renoncé à cette intervention. Pour le reste, comme vous le savez, un certain nombre de pays, dont la France, s'efforce d'acheminer des secours vers l'est du Zaïre, à partir de l'aéroport de Kisangali pour acheminer des aides à ces populations. La France, pour ce qui la concerne, continue d'assumer ses responsabilités humanitaires à l'égard de ces populations. Q - Le président de l'Assemblée de l'UEO a récemment dit que les Européens avaient en fait renoncé à construire une défense européenne autonome pour des raisons budgétaires. Partagiez-vous ce point de vue ?
R - Non, je ne crois pas. C'est vrai qu'en effet, un certain nombre de pays européens, dont le nôtre, ont fini par tirer les conséquences du changement de la donne à la fois stratégique et militaire en Europe. Je crois que c'était très sage. Il était tout à fait raisonnable, et personnellement j'ai tout à fait soutenu cette orientation du président de la République, de modérer l'ampleur des crédits militaires français dans une conjoncture difficile sur le plan économique interne. Nous faisons un énorme effort d'adaptation de notre économie et de notre budget aux exigences du redressement économique français et aux perspectives de l'adhésion de la France à la monnaie européenne. Tout cela a été fait dans d'autres pays pour les mêmes motifs.
(Source://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2001)