Texte intégral
Je suis très heureux d'avoir l'occasion de vous présenter le concept franco-allemand de sécurité et de défense, approuvé par le président de la République et par le chancelier Kohl à Nüremberg, le 9 décembre dernier.
Ce concept s'inscrit dans une longue tradition de travail en commun. C'est ainsi qu'en 1984, M. Mauroy doit s'en souvenir, Français et Allemands ont relancé conjointement l'UEO. En 1987, le président Mitterrand a fait une déclaration importante pour l'Allemagne, dans laquelle il annonçait une consultation franco-allemande sur l'emploi des armes nucléaires préstratégiques.
En 1988, François Mitterrand étant toujours président et Jacques Chirac, Premier ministre, ont été créés la Brigade franco-allemande et le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité. Nous avons formé ensemble l'Eurocorps en 1992, quand Mme Cresson était Premier ministre et M. Quilès, ministre de la Défense. En janvier 1993, le regretté Pierre Bérégovoy dirigeant le gouvernement, la France, l'Allemagne et l'OTAN se sont accordées sur les conditions d'emploi de l'Eurocorps.
Le document qui nous intéresse s'inscrit donc dans une longue succession d'efforts, de réalisations et de progrès.
Il fait suite à la décision prise en juin 1996, lors du Sommet de Dijon. Comme l'ont constaté à l'époque M. Chirac et M. Kohl, les profondes réformes engagées dans nos deux armées, le bouleversement de l'environnement stratégique en Europe et les contraintes budgétaires justifiaient ensemble une réflexion commune et l'élaboration d'un nouveau concept. Il s'agit bien de relancer la coopération franco-allemande en matière de défense, dans une perspective européenne.
Le texte en question n'est pas un traité, ni même un accord au sens du droit international - par conséquent, il ne demande pas de ratification. C'est un document politique d'orientation qui prend acte de l'évolution du concept stratégique européen et de la profonde convergence de vues entre nos deux pays sur ces sujets.
C'est encore moins un texte secret. Il a été élaboré avec un souci de transparence pour aboutir à un document public. Il a été adopté au Sommet de Nüremberg le 9 décembre dernier et transmis aux présidents des deux assemblées. Je reconnais qu'il y a eu ensuite disons quelques "imperfections" administratives, mais en fin de compte vous avez ce texte, nous en débattons et il sera également transmis à nos partenaires de l'UEO et de l'Alliance atlantique de façon, non seulement à fixer un cadre de référence entre la France et l'Allemagne, mais à donner aux autres Etats un signal politique fort de notre détermination commune à renforcer notre coopération en matière de défense et de sécurité.
Nous poursuivons en la matière, sous l'autorité du ministre de la Défense et sous l'impulsion du président de la République, une action tenace visant à mettre en place un nouveau modèle d'armée fondé sur la projection de forces, mais aussi à parvenir à une politique européenne de défense. Nous menons cette action au sein de l'Union européenne, à l'occasion de la CIG, et aussi au sein de l'UEO, mettant à profit la présidence française pour faire avancer le processus de rapprochement entre l'UEO et l'Union européenne et pour développer les capacités opérationnelles de cet organisme au service de l'Europe.
Enfin, nous cherchons à ce que s'organise, au sein de l'Alliance atlantique, une identité européenne de défense s'exprimant au sein de l'Alliance de façon crédible, sur le plan militaire et visible, sur le plan politique. La plupart de nos partenaires européens approuvent et soutiennent cette démarche, à laquelle le document fait expressément référence et marque la communauté de l'Alliance et de la France sur cet objectif.
Comme je vous l'ai indiqué en d'autres circonstances, si l'européanisation de l'Alliance est menée à son terme, alors la France prendra toute sa place non pas dans les structures de l'OTAN qu'elle a quittées en 1966, mais dans des structures rénovées permettant aux Européens d'assumer pleinement leurs responsabilités en matière de sécurité et de défense.
Le concept franco-allemand de défense et sécurité s'inscrit dans cette perspective et traduit cette démarche fondée sur la convergence des vues entre Français et Allemands. La première partie du texte constate la convergence croissante des intérêts et objectifs de sécurité de nos deux pays. La seconde partie analyse l'environnement et l'évolution des risques et menaces au cours des dix dernières années qui y sont exposés et étudiés. Ensuite, le document constate que les actions franco-allemandes en matière de sécurité et de défense s'inscrivent dans la solidarité européenne et atlantique. Enfin, le document propose une approche stratégique commune qui englobe la mission des armées dont la complémentarité doit être accrue et la politique d'armement : une place importante est accordée au développement de la coopération dans ce dernier domaine car à l'avenir ce sera la seule manière de conserver une capacité de production d'armements en Europe, non seulement dans le cadre franco-allemand, mais si c'est possible, dans un cadre plus largement européen. Enfin des annexes précisent et développent l'ensemble de ces points.
Communauté de destin et d'intérêts entre la France et l'Allemagne, analyse et approche stratégique communes, coopération militaire - ce document représente un pas important et utile, mais il ne remet en cause aucun élément essentiel de la politique française de défense et de sécurité.
En conclusion, je voudrais insister sur la continuité de notre politique vis-à-vis de notre partenaire allemand : le renforcement constant de la coopération n'est pas le fait d'un seul gouvernement ou président de la République, il a été poursuivi depuis de nombreuses années par tous les gouvernements, quelle que soit leur appartenance, agissant dans le sens de l'intérêt général de la France et d'un renforcement constant de la coopération franco-allemande.
Je me réjouis d'écouter l'analyse que feront de ce document les orateurs des différents groupes et ne manquerai pas de répondre aux questions ou inquiétudes qui pourraient s'exprimer.
Le ministre des Affaires étrangères a répondu aux interventions des différents orateurs des groupes parlementaires.
Je remercie MM. Boyon et Paecht du soutien qu'ils ont apporté au document et à la position du gouvernement, ainsi que des éclairages utiles que comportent leurs propos. Je leur confirme que je suis prêt à venir, à tout moment, débattre avec la représentation nationale de tous les sujets qui intéressent la politique étrangère et de sécurité de la France. Je ne vois que des avantages, en effet, à ce que l'opinion publique puisse être éclairée par nos échanges et le gouvernement par l'avis du Parlement.
J'ai cru déceler, du côté de l'opposition socialiste et communiste, une timide tentation de retrouver l'esprit polémique d'hier, mais sans doute la lecture attentive du document lui a-t-elle fait apparaître, avec la clarté de l'évidence, qu'il n'y avait pas là matière à polémique. Si notre doctrine militaire, en effet, s'en trouvait modifiée en quoi que ce soit, il y aurait matière à s'inquiéter, à s'indigner ou, le cas échéant, à se féliciter, mais tel n'est pas le cas, et c'est ce qui a conduit MM. Fabius, Bocquet et Chevènement à parler d'autre chose, c'est-à-dire de l'Alliance atlantique, dont il n'est nullement question dans le document franco-allemand.
Ces sujets, essentiels à la sécurité de notre pays pour les générations à venir, méritent d'être traités avec sérieux et sérénité. M. Fabius a cru discerner dans le concept commun franco-allemand une "tonalité atlantiste", mais il faut se fonder, en pareille matière, sur des phrases ou des éléments précis, et non sur une "tonalité" supposée, qui rappelle par trop l'"atmosphère" d'Hôtel du Nord. Y a-t-il dans le document une seule phrase qui dénote un changement de doctrine ? La réponse est non. La reconnaissance du rôle des forces nucléaires américaines reprend exactement la "formule d'Ottawa", par laquelle le Conseil atlantique a fixé, en 1974, c'est-à-dire il y a ving-trois ans, les rôles respectifs des forces de frappe française, américaine et britannique !
Est-ce à dire que le document n'est novateur en rien ? Point du tout, et le président de la République a eu raison de le qualifier d'"historique". C'est la première fois, en effet, que la France et l'Allemagne définissent aussi précisément leur doctrine en matière de défense, de stratégie, de coopération militaire et d'armement. Cette doctrine s'est incarnée, il est vrai, dans une longue série d'actions depuis le Traité de l'Elysée, sous l'autorité de présidents de la République et de gouvernements de toutes tendances, mais c'est la première fois qu'un document établit que nos deux pays partagent une même conception de leur sécurité et de leur défense, et sont résolus à mettre leurs efforts en commun dans ce domaine.
Voilà qui nous éloigne beaucoup des sujets vers lesquels nous ont fait dériver les propos de MM. Bocquet, Chevènement et Fabius... J'ai entendu M. Bocquet, au demeurant, avec un grand intérêt, et je me disais qu'il faudrait lui confier une mission auprès du porte-parole du département d'Etat, afin de le convaincre - s'il en était besoin - qu'il n'y pas de crise entre la France et les Etats-Unis : sans soute serait-il le mieux à même de le convaincre que nous sommes, en réalité, inféodés aux Etats-Unis !
Les choses, en vérité, sont claires : ce que nous voulons, c'est organiser la défense commune de l'Europe. Au sein de l'Union européenne d'abord, et j'espère que la CIG permettra certains progrès, qui seraient grands s'il ne tenait qu'à nous, mais nous avons quatorze partenaires, qui ont, pour certains, des conceptions divergentes, telle la Suède, par exemple, qui n'adhère à aucune alliance militaire. Au sein de l'UEO, en second lieu, afin que cette organisation soit le bras armé de l'Europe, et lui permette d'intervenir collectivement pour maintenir la paix ou résoudre des crises. Au sein de l'Alliance atlantique, enfin, où les choses sont d'une grande clarté : ou bien nous obtiendrons que s'y exprime l'identité européenne et que les responsabilités y soient équitablement partagées, et nous serons prêts à tenir toute notre place dans ses instances ; ou bien nous attendrons, dans la sagesse et la sérénité, des jours meilleurs. Rien n'est plus simple.
Dire que la France perd sa souveraineté, parler de l'indépendance nationale à propos d'un texte qui n'est pas un traité, mais qui est un document d'orientation, qui, entre la France et l'Allemagne, marque la détermination de coopérer, davantage encore qu'aujourd'hui, en matière de politique de défense, de coopération militaire et dans le domaine de l'armement, c'est évidemment heurter le simple bon sens. Chacun sait bien que nous ne faisons aujourd'hui qu'appliquer dans le domaine de la coopération militaire ce qui était dans le Traité de l'Elysée en 1963. Nous n'avons pas une avance si considérable sur le temps.
Enfin, Monsieur le Député, ne comptez pas sur moi pour partager quoi que ce soit de cette attitude étroitement nationaliste qui ne correspond ni de près ni de loin à l'intérêt de la nation
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 2001)