Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur la compétence et la qualité des médecins, des soins médicaux et les réformes de la formation et de l'enseignement médical, Paris le 23 juin 2000.

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Circonstance : Rencontre avec le Conseil national de l'ordre des médecins sur la qualité et la compétence en médecine à Paris le 23 juin 2000

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames, messieurs,
Je tiens tout d'abord à vous remercier Monsieur le président du conseil national de l'ordre des médecins de m'avoir conviée à cette rencontre et de me donner ainsi l'occasion d'intervenir sur le thème de la compétence et de la qualité en médecine.
Ces deux mots, compétence et qualité, s'entrecroisent nécessairement quand il s'agit de caractériser la pratique médicale.
Compétence du médecin, qualité des soins, sans doute ? Mais je suis tentée d'ajouter aussitôt, compétence dans les soins, c'est à dire sécurité dans les soins et évidemment qualité du médecin, de sa relation avec son patient, de sa manière de faire et d'être.
Nous réduisons trop rapidement la compétence au seul savoir, à la somme des connaissances, à l'instruction : bien entendu, c'est un moment essentiel dans la formation du médecin j'y reviendrais.
Mais il me semble que la notion de compétence va plus loin que ce moment d'acquisition initiale et qu'il est du devoir de tous de veiller à ce que la compétence ne soit pas un acquis sur lequel on peut se reposer mais qu'il s'agit d'une exigence permanente, d'une aptitude à développer et à entretenir un véritable devoir-être.
La qualité ne saurait se limiter aux seuls soins, comme si l'homme qui les dispense avait disparu, comme si ce n'était pas d'abord lui qui est et qui fait la qualité et qui en est les vecteur.
Je sais les médecins très attachés à ces valeurs humaines et même humanistes, je partage totalement leur orientation : être un " homme de qualité " ; derrière cette expression se dessine le modèle d'un médecin à l'écoute du malade, celui qui loin de se défaire de ses responsabilités et de son jugement sur la technique sait la maîtriser, la mettre à contribution et l'enrichir de son expérience humaine.
Vouloir une médecine de qualité, vous me permettrez de le dire en ouverture de mes propos, c'est vouloir des médecins de qualité ; nous travaillons tous dans ce but.
Ces deux principes, compétence et qualité, soulèvent la question de leur mesure ou plus exactement de leur évaluation. Comment évaluer des compétences quand celles-ci ne se réduisent plus au simple bagage scolaire ou universitaire, mais qu'il s'agit d'estimer des professionnels à travers des pratiques certes spécialisées, quotidiennes adaptées à la personnalité et aux besoins de leurs patients ?
Comment évaluer, c'est à dire d'une certaine manière quantifier la qualité alors que par définition la qualité nous renvoie aux limites de toute évaluation ?
Et pourtant, peut-on pour autant échapper à cette nécessité ?
Je ne le crois pas !
Quelle qu'en soit la difficulté, l'évaluation est indispensable. Elle ne peut cependant, à mon sens, que se concevoir dans un esprit de partenariat ou chacun tient sa place et joue le rôle qui lui est propre.
Evaluer les compétences d'un médecin, évaluer la qualité des soins qu'il dispense : à qui revient cette tâche ?
Quel rôle doit jouer l'Etat dans ce processus ?
Telles sont les questions que j'aimerai aborder ici avec vous en clôture de cette journée que le Conseil de l'Ordre a eu la riche idée d'organiser.
Comme vous le savez, le gouvernement prépare un projet de loi sur la modernisation du système de santé. Nous aurons l'occasion de rediscuter avec vous de ce projet avec vous d'ici quelques semaines.
Un des trois chapitres de ce texte, autrement dit une part importante du projet porte justement sur la qualité des soins. Il est en effet apparu prioritaire d'associer, et cela n'est bien entendu pas anodin, à un chapitre sur les droits des malades, un autre chapitre sur la qualité des soins.
Ce projet comprend des dispositions importantes sur l'encadrement de certaines pratiques, je pense notamment à la chirurgie esthétique et surtout tout un chapitre sur la formation médicale continue dont la réorganisation - l'organisation devrais-je dire - est je sais très attendue.
En effet, la compétence professionnelle d'un médecin relève :
D'abord des connaissances qu'il acquiert par la formation initiale
C'est pourquoi la réforme des études médicales est sans aucun doute une sorte de socle sans lequel rien de solide ne peut se faire.
Vous le savez cette réforme est en marche. Les maquettes du 2ème cycle sont en cours de révision sur la base d'une large concertation avec les professionnels et à travers les instances pédagogiques.
La réforme du 3ème cycle, très attendue je le sais, devait être portée par la loi de modernisation sociale qui a malheureusement été décalée en raison de problème d'agenda parlementaire.
Mais ce n'est que partie remise, et je ferais passer ce texte dès que cela sera possible en utilisant pour cela le premier vecteur législatif. Ce texte est en effet le complément indispensable du précédent et porte à travers la réforme de l'internat - qui devient la règle pour tout médecin qu'il soit spécialiste ou généraliste - un objectif clair d'amélioration de la formation des médecins généralistes.
Enfin, la concertation pour la réforme du premier cycle va débuter dans les toutes prochaines semaines en liaison étroite avec les collaborateurs de Jack Lang.
Mais la compétence du médecin relève aussi de la formation continue
Vous le savez le dispositif prévu par les ordonnances de 1996 n'a pas fonctionné.
La partie strictement conventionnelle de la formation ayant été traitée dans le cadre de la CMU, il nous restait à traiter de la formation dite parfois scientifique par opposition à la formation conventionnelle plus centrée sur les problématiques professionnelles.
Nous avons rebâti un dispositif qui, me semble-t-il est à la fois pragmatique et ambitieux. Ce texte, je le répète, sera un élément fort du projet de loi de modernisation du système de santé.
Après la réflexion que nous avons porté en commun, notamment avec le conseil de l'ordre des médecins, mais aussi avec les professionnels, sur la manière de débloquer la formation médicale continue, le projet de texte vous sera communiqué très prochainement de façon à ce que la concertation puisse être lancée et que nous aboutissions rapidement à un texte dont je souhaite qu'il rassemble le plus largement possible. Il est, chacun en est conscient, temps de passer à l'action.
Je peux cependant d'ores et déjà vous en tracer la philosophie :
- L'obligation de formation, déjà prévue par le dispositif de 96, est maintenue et étendue à l'ensemble des médecins qu'ils soient libéraux, hospitaliers ou salariés non hospitaliers. En fait tout médecin tenu de s'inscrire au conseil de l'Ordre sera concerné. Il m'est en effet apparu important de ne pas introduire de différence entre les praticiens, en fonction de la nature de leur pratique. Cela correspond, me semble-t-il à une réalité qu'il faut défendre : l'unicité de la médecine au-delà de la diversité des pratiques.
Le dispositif sera essentiellement confié au professionnels : conseil de l'ordre, médecins, associations de formation, université ; l'Etat restant dans son rôle qui consiste à définir un cadre légal et réglementaire et à créer les moyens permettant à un tel dispositif d'exister.
C'est aussi un dispositif qui a été conçu pour être le plus pragmatique possible, afin d'éviter toute complexité excessive. Ainsi la validation de l'obligation sera-t-elle possible selon différentes modalités que nous voulons souples et qui seront dans les mains des différents conseils qui seront créés pour cela au niveau régional.
Cette compétence professionnelle, si elle relève de la formation, appelle également une évaluation et notamment une évaluation des pratiques.
Le décret sur l'évaluation des pratiques a été publié et doit maintenant être mise en uvre sur l'ensemble du territoire ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Cette évaluation, conçue sur une base volontaire, est un pas important. A vous maintenant, les professionnels, de rendre la chose effective. L'ANAES est là pour vous y aider.
L'encadrement de pratiques présentant des risques particuliers est également un élément important du dispositif permettant d'assurer une qualité des soins adaptée à des contextes particuliers.
C'est ainsi qu'il est prévu de préciser et d'encadrer la formation, ainsi d'ailleurs que les normes touchant à l'environnement technique, pour certaines pratiques dont on sait qu'elles ne sont pas sans risque pour le patient en raison notamment du haut niveau de technicité qu'elles requierent. Il est important que le patient sache, quand il a recours à ce type d'acte - l'implantation d'un défibrillateur par exemple - que cet acte est réalisé par un professionnel particulièrement qualifié dans ce domaine et dans les conditions d'environnement humain et technique nécessaires qui seront définies avec les professionnels eux-mêmes.
Conclusion
Au terme de ce bref exposé, il me paraît important de dire que l'évaluation des compétences et de la qualité en médecine libérale doit devenir une dimension habituelle du paysage médical, non pas banale, mais normale. Il faut dépasser la dimension inquisitoriale que ce projet peut encore avoir dans l'esprit de certains pour devenir une règle constante, une référence commune, une véritable culture partagée.
Je n'ignore pas les réticences qui peuvent se manifester de la part de certains médecins qui voient, à tort je le pense, dans cette procédure un assujettissement aux normes.
Je crois, tout au contraire, que ces procédures d'évaluation des compétences et de la qualité sont de nature à améliorer la valeur de nos politiques et à renforcer la confiance des malades à votre égard , au bénéfice de tout le système de santé en général.
La loi de modernisation du système de santé à laquelle nous travaillons, Martine Aubry et moi-même, depuis déjà de nombreux mois, vise essentiellement à améliorer cette confiance réciproque des médecins et des malades.
Vous ne l'ignorez pas, nos sociétés connaissent actuellement des attitudes paradoxales dans le domaine de la santé : les malades veulent être de plus en plus respectés en tant que personne ; mais il leur arrive de traduire cette volonté à travers des procédures juridiques parfois excessives à l'égard des médecins qui témoignent d'un manque de confiance.
Affirmer leur statut d'usager du système de santé, leur permettre de participer davantage à l'élaboration et à la gestion de la politique de santé, c'est, j'en suis persuadée, l'un des moyens de consolider la confiance des malades.
Les médecins, par leur volonté d'accroître leurs compétences et la qualité de leurs pratiques, par leur engagement dans l'évaluation courante de celles-ci, sont les premiers artisans de cette confiance.
Je tiens à leur dire, par votre intermédiaire, que nous les accompagnerons dans cette démarche et qu'ils peuvent compter sur nous pour réussir cette ambition.
( Source http://www.sante.gouv.fr, le 4 juillet 2000)