Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur le projet de loi sur le secret-défense, la compétence de la Commission d'enquête parlementaire, sa saisine et ses relations avec la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, à l'Assemblée nationale le 10 juin 1998.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur le secret-défense, à l'Assemblée nationale le 10 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,

Le projet de loi que je vous présente au nom du Gouvernement, au terme de deux lectures devant les deux assemblées et après l'échec de la commission mixte paritaire, vise à créer une commission consultative du secret de la défense nationale. Cette mesure s'inscrit dans le mouvement engagé depuis plusieurs années pour mieux encadrer l'administration au profit des citoyens et elle a fait l'objet d'un engagement du Premier ministre lors de son discours de politique générale.
Ce texte va permettre de mieux encadrer le régime juridique du secret en lui donnant un nouvel équilibre, davantage axé sur la protection des citoyens. Il n'est pas question de remettre en cause l'existence du secret de la défense nationale, car il est indispensable pour protéger notre démocratie contre les menaces qu'elle est susceptible d'affronter, mais il est néanmoins nécessaire de créer une instance afin de prévenir les abus, toujours possibles, dans l'utilisation du secret.
Compte tenu de la nature même du " secret-défense ", le régime juridique actuellement en vigueur laisse une importante marge de manoeuvre à l'exécutif, responsable en dernier ressort de la sécurité nationale. Lorsque l'exécutif oppose le secret au juge, celui-ci prend acte de cette opposition et rend son jugement en conséquence.
Mais les difficultés rencontrées par certaines juridictions ont soulevé des interrogations légitimes sur l'utilisation parfois abusive du secret de la défense nationale. Le projet de loi vise à lever le doute dans l'utilisation du secret. Tant l'Assemblée nationale que le Sénat ont partagé cet objectif du Gouvernement.
Je profite de l'occasion qui m'est aujourd'hui offerte pour vous dire ma grande satisfaction devant cet accueil qu'a reçu le projet de loi de la part des deux chambres du Parlement. Celles-ci ont partagé l'orientation générale de ce projet et ont cherché à améliorer le texte du Gouvernement pour garantir l'efficacité de la commission. Je me félicite notamment du consensus intervenu entre le Sénat et l'Assemblée sur la présence au sein de la commission d'un député et d'un sénateur.
Cependant, les deux examens du texte par chaque assemblée n'ont pas permis d'aboutir à une rédaction totalement consensuelle. La commission mixte paritaire n'a pu adopter un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi.
Ainsi des divergences subsistent entre les deux chambres sur quelques questions. Le débat de cet après-midi doit notamment permettre d'examiner trois points importants: les deux premiers ont été modifiés par votre assemblée en seconde lecture et le troisième concerne l'opportunité d'une présidence commune de la Commission avec la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Sur le premier point qui concerne la compétence de la commission pour les secrets opposés aux commissions d'enquête parlementaires, le Gouvernement rejoint l'Assemblée nationale pour estimer que le présent projet de loi n'a pas à prévoir que la commission puisse se prononcer à la demande d'une commission d'enquête parlementaire. En effet, cette dernière est une instance politique qui exerce un contrôle politique et une telle orientation serait contraire à l'esprit de nos institutions.
Si l'on demandait à la Commission du secret de la défense nationale de se prononcer sur des demandes de levée du secret émanant de commissions d'enquêtes parlementaires, on la transformerait en un organisme chargé de s'immiscer dans un débat politique entre le pouvoir législatif et l'exécutif, ce qui n'est pas la volonté du Gouvernement.
Sur le second point qui tend à ce que l'autorité administrative ne saisisse la Commission que dans les cas où elle ne s'estime pas en mesure de procéder directement à la déclassification demandée, le Gouvernement désire maintenir la solution qui prévoit une transmission uniforme de toutes les demandes par l'autorité administrative saisie. Le projet de loi ne doit pas faire de la commission du secret défense une instance d'appel après un refus de communication des ministres; elle doit au contraire être une instance de réflexion permettant aux autorités administratives de prendre ou non des décisions de déclassification, en s'appuyant sur un avis éclairé et indépendant.
De même, il est important que la saisine de la commission tende à l'exhaustivité et qu'elle s'effectue dans tous les cas où une demande émane d'une juridiction. Cela permettra à la commission du secret de la défense nationale de se forger une jurisprudence solide en ayant de nombreux précédents à comparer.
Le troisième point de notre débat aujourd'hui n'est pas nouveau. Il est relatif à la présidence commune avec la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Le Gouvernement a proposé au Parlement que cette présidence ne soit pas distincte. Un tel choix, générateur d'économies, lui semblait répondre à un souci de cohérence avec la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications.
La Commission de la défense de l'Assemblée nationale et son rapporteur, M. Bernard GRASSET, ont depuis l'origine cherché à faire partager au Gouvernement leur appréciation différente de cette question. M. GRASSET a, à plusieurs reprises, souligné qu'une présidence conjointe lui semblait porteuse de conflits d'intérêts potentiels. Il a en outre indiqué l'importance des responsabilités qui pèseraient sur un même président.
Je voudrais vous indiquer toute l'attention que le Gouvernement a apporté à ces indications de la Commission de la défense et de son rapporteur. Le Gouvernement se rallie aujourd'hui à ces indications dont la constance a souligné la force. Ainsi, un accord total pourra exister sur la composition de la Commission.
La discussion d'aujourd'hui va permettre de débattre de ces trois points et d'examiner l'ensemble du projet de loi. L'adoption de ce texte constituera un progrès réel dans l'ordonnancement juridique pour conforter les garanties offertes aux justiciables. En présentant cette réforme à votre approbation, le Gouvernement souhaite restaurer un climat de confiance, en créant un meilleur équilibre entre le maintien d'un secret efficace et la consolidation des droits des citoyens.

(Source http://www.defense.gouv.fr, le 19 septembre 2001)