Points de presse conjoints de M. Dominique galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, avec MM. Abdullah Gul, ministre turc des affaires étrangères, à Ankara le 22 avril 2003, Marwan Muasher, ministre jordanien des affaires étrangères, à Amman le 23, et Kamal Kharrazi, ministre iranien des affaires étrangères, et interview à RFI à Téhéran le 24, sur les relations de la Turquie et de l'UE et sur la reconstruction de l'Irak.

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Circonstance : Tournée de M. de Villepin en Turquie, en Jordanie et en Iran du 22 au 24 avril 2003

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

(Point de presse conjoint à Ankara, le 22 avril 2003) :
Permettez-moi d'abord de dire combien je suis heureux de me retrouver ce soir à Ankara et d'avoir pu avoir des entretiens approfondis avec le Premier ministre M. Erdogan, ainsi qu'avec mon collègue et ami Abdullah Gul.
Ma visite en Turquie aujourd'hui a plusieurs significations. D'abord, elle intervient à un moment où cette région, votre région connaît des bouleversements profonds, la crise irakienne représente un défi majeur. La France a vivement apprécié la modération, la maturité dont a fait preuve la Turquie, et je tiens à saluer le rôle constructif de votre pays avec les autres Etats de la région pour la stabilisation de l'Irak. Après la réunion d'Istanbul, la réunion de Riyad, des pays voisins de l'Irak, comme le sommet d'Athènes ont réaffirmé les grands principes auxquels nous sommes attachés, le rôle central des Nations unies, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Irak. Deuxième signification, c'est le défi européen. A Athènes avec la signature du traité d'adhésion, s'est ouverte une nouvelle époque pour l'Europe, celle d'une Europe élargie. Nous mesurons bien l'aspiration profonde de la Turquie à rejoindre l'Union, et la France entend être à vos côtés, aux côtés de la Turquie, sur ce chemin qui est celui de la démocratie, du développement économique et de la cohésion sociale. Nous voyons tous ce que la Turquie peut apporter à l'Union européenne. Il y a de nombreux arguments qui plaident en faveur de cette candidature, qu'il s'agisse de stratégie, de sécurité, d'économie ou de diversité culturelle. Bien entendu, vous le savez, il y a des règles à respecter. Nous saluons les efforts que vous avez déjà faits dans l'avancée, la marche vers cette adhésion à l'Union européenne. Nous souhaitons vous accompagner dans la préparation de la grande échéance de la fin 2004, si ce rendez-vous est positif, ce que nous souhaitons, il doit permettre d'engager les négociations d'adhésion. Enfin au-delà du défi régional, du défi de la sécurité, il y a un troisième défi qu'il faut relever, c'est la conciliation entre identité nationale et modernité. Plus que tout autre, la Turquie a la volonté de relever ce défi, c'est aussi vous le savez une priorité pour la France lorsqu'elle insiste sur le dialogue des cultures. Voilà pourquoi le partenariat bilatéral entre nos deux pays est si riche. La France et la Turquie ont en partage une longue histoire, une longue tradition diplomatique, des liens culturels anciens. J'évoquerai d'un mot la grande alliance conclue en 1536 entre François Ier et Soliman le Magnifique qui ouvrirent une nouvelle ère diplomatique entre nos deux pays, fondée sur des relations permanentes. Je rappellerai aussi la fascination culturelle entre la France et la Turquie qui ont inspiré nos plus célèbres écrivains, de Chateaubriand jusqu'à Lamartine et Pierre Loti. Aujourd'hui notre partenariat est un partenariat global, économique, culturel, commercial, universitaire, des relations particulièrement denses, et je reprendrai deux exemples, bien sûr d'abord la position de la France comme premier investisseur en Turquie mais aussi la coopération culturelle qui existe entre nos deux pays, coopération culturelle et technique avec 7 milliards d'euros, la même enveloppe que l'Allemagne. Il y a là donc véritablement des positions que nous devons défendre et développer.
Q - L'ambassadeur de France aux Nations unies a dit aujourd'hui que les sanctions contre l'Irak pourraient être levées. Quelle est la position de la France au sujet des sanctions ?
R - Après la guerre en Irak, nous avons dit très clairement que la position de la France était de contribuer au plein succès de la reconstruction de l'Irak. Nous estimons qu'il est du devoir de l'ensemble de la communauté internationale de se comporter de façon pragmatique, ouverte et d'essayer de se pencher sur les problèmes de la population irakienne. Nous devons réellement traiter la situation en Irak en tenant compte de celle du peuple irakien. Les problèmes sont bien connus : le désarmement, les sanctions, la constitution d'une autorité irakienne à laquelle doit être conférée la légitimité. Tout cela doit être traité par la communauté internationale. Il convient bien entendu de respecter la légalité internationale et les résolutions des Nations unies. En ce qui concerne les sanctions, il faut tenir compte de la situation nouvelle après la guerre. Il nous semble qu'en respectant la légalité internationale, nous devrions essayer de lever les sanctions le plus rapidement possible. Ceci passe d'abord par leur suspension afin de se conformer à la légalité internationale. Il nous faut être très pragmatiques, en recourant aux forces sur le terrain, mais aussi, si possible, à la compétence des inspecteurs, afin d'être à mêmes de certifier le désarmement complet de l'Irak. En étant pragmatiques, en recourant d'abord à la suspension des sanctions, nous pourrions être en mesure de parvenir à la levée complète des sanctions.
Q - Après demain il y aura l'ouverture du monument arménien, nous rappelons qu'il y avait une crise entre les deux pays à ce sujet ? Quelle seront ses effets sur les relations entre la France et la Turquie ?
R - C'est là une question douloureuse, un difficile débat de la mémoire. La France, elle-même dans les dernières années a été à plusieurs reprises confrontée à ces débats. Les relations d'amitiés très profondes et très anciennes entre la France et la Turquie font que nous sommes capables de faire la part des choses. Il appartient au premier chef, aux historiens à faire toute la lumière sur ces débats de mémoires. Alors il y a des initiatives, vous avez évoqué celle du Parlement français, vous avez évoqué des initiatives de collectivités territoriales. Rien de tout cela ne vise à froisser le peuple turc. Et il nous appartient de faire la part des choses, c'est ce que nous avons clairement débattu, et nous sommes, je crois, tout à fait d'accord, mon ami Abdullah Gul et moi.
Q - Où en êtes-vous sur la question de Chypre ?
R - C'est un enjeu pour l'Union européenne. Il est évident que nous souhaitons que le plus rapidement possible cette hypothèque qui pèse puisse être levée. Et nous soutenons les efforts qui ont été engagés par le Secrétaire général, le plan qu'il a adopté. Ce que nous souhaitons c'est que les parties puissent, le plus rapidement possible arriver à un accord qui satisfasse évidemment chacune d'entre elles et que nous puissions avancer dans la voie de l'Union européenne en ayant réglé cette question difficile et douloureuse qui dure depuis trop d'années. Quand on regarde en arrière les derniers mois, on constate que des progrès ont été faits, que l'on discute aujourd'hui à partir de propositions sérieuses qui peuvent constituer je crois des bases de compromis. Il faut aller jusqu'au bout de ce processus.
Q - La position de la France n'a-t-elle pas changé ?
R - La position de la France dans ce domaine est constante, nous sommes confrontés à une situation nouvelle en Irak. Avec la fin de la guerre, il faut désormais prendre acte de cette situation nouvelle et nous souhaitons pouvoir très rapidement avoir un retour à la normale concernant l'Irak. Encore faut-il que les conditions soient pleinement remplies pour pouvoir suspendre puis lever ces sanctions, et il faut donc à chacune des étapes étudier quelles sont les nécessités de façon à respecter la légalité internationale, l'exigence du désarmement pour aller de l'avant. Bien évidemment la France veut aller de l'avant dans un esprit d'ouverture, dans un esprit pragmatique, elle veut que l'on puisse certifier rapidement le processus engagé de désarmement afin que la suspension des sanctions puisse ouvrir la voie à un levée complète des sanctions, tout cela en liaison avec la constitution d'une autorité légitime en Irak qui doit évidemment constituer le point qui permettra à l'Irak d'assurer sa souveraineté.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2003)
(Point de presse conjoint à Amman, le 23 avril 2003) :
Merci infiniment Marwan, je suis très heureux de cette nouvelle occasion pour moi de faire une tournée au Proche-Orient et au Moyen-Orient et de m'arrêter ainsi pour la deuxième fois à Amman, qui évidemment est au cur des différentes crises que connaît cette région : bien sûr la situation de l'Irak, mais aussi la situation du conflit israélo-palestinien.
Chacun connaît les liens de confiance et d'amitié qui unissent nos deux pays, les liens entre Sa Majesté le Roi Abdallah II et le président Jacques Chirac, entre Marwan Muasher et moi-même. Nous avons évidemment la conviction, dans ce moment difficile, qu'il est essentiel de se consulter, de réfléchir ensemble sur la situation de la région et c'était évidemment l'occasion de le faire.
La France se félicite de la stabilité du Royaume. Nous sommes particulièrement conscients des répercussions économiques comme politiques de cette crise et nous en tenons naturellement compte en insistant auprès des instances européennes pour accélérer la mise en place des programmes de coopération de l'Union européenne. La France reste pleinement engagée pour aider la Jordanie dans sa politique d'ouverture économique et de développement.
Concernant l'Irak, je veux dire que nous avons une très large convergence de vues avec nos amis jordaniens. Il y a pour la France aujourd'hui deux priorités : d'abord bien sûr répondre à l'urgence humanitaire, il faut pouvoir faire face aux besoins très urgents de la population. Je verrai d'ailleurs tout à l'heure les Organisations non gouvernementales françaises qui travaillent en Irak et dont je connais la mobilisation. La deuxième urgence c'est de prévoir la suspension, puis la levée des sanctions. Nous avons le souci d'être pragmatiques pour essayer de régler cette question et donc d'obtenir une suspension immédiate qui permettra, en liaison avec les Nations unies et en respectant bien sûr les contraintes de la légalité internationale, d'organiser la levée future de ces sanctions.
Pour essayer d'avancer le plus efficacement possible, dans cette période difficile, il est important de s'appuyer sur les grands principes et je pense bien sûr d'abord à l'unité et à l'intégrité territoriale, la souveraineté de l'Irak, bien sûr aussi au rôle central des Nations unies, qui apporte la légitimité indispensable pour que l'ensemble de la communauté internationale puisse être mobilisée sur le terrain, et enfin aussi au respect et à la protection des ressources naturelles de l'Irak, dont les Irakiens doivent rester maîtres. Sur l'ensemble de ces points, la communauté internationale doit pouvoir apporter sa contribution. Les forces qui sont engagées sur le terrain, les forces de la coalition, américaines et britanniques, ont bien sûr une responsabilité particulière pour assurer l'urgence humanitaire, pour rétablir aussi la sécurité sur le terrain. L'Europe, à Athènes, s'est montrée unie pour jouer tout son rôle et pour appuyer les efforts de reconstruction politique et économique, mais les pays de la région ont une responsabilité très grande par ailleurs et je me réjouis qu'après Istanbul, la réunion ministérielle de Riyad ait permis de faire en sorte que la région parle d'une seule voix. Cette concertation, cette unité de la région pour appuyer le processus de reconstruction de l'Irak est clairement essentielle.
Au-delà de l'Irak, il faut bien sûr se mobiliser pour traiter l'ensemble des crises de la région et je pense particulièrement à la question israélo-palestinienne. Nous sommes très largement d'accord avec nos amis jordaniens pour considérer qu'il est essentiel de reprendre l'initiative. Il faut à la fois concilier l'impératif de justice et l'impératif de sécurité. Il est maintenant nécessaire non seulement de publier mais de mettre en uvre la feuille de route et nous voulons croire qu'au cours des prochaines heures un accord pourra être trouvé entre les autorités palestiniennes pour permettre de passer à cette nouvelle étape indispensable de la relance du processus de paix. L'Europe, vous le savez, la France au sein de l'Union européenne est prête à jouer tout son rôle, et c'est un des grands rendez-vous pour la communauté internationale, pour les Etats-Unis, pour les pays arabes, pour les pays européens, pour Israël, que d'essayer ensemble de relever le défi de cette région qui a trop longtemps souffert de cette crise douloureuse.
Q- Il y a des informations selon lesquelles les membres de la famille de Saddam Hussein seraient réfugiés dans le sud de la France ?
Que pensez-vous des déclarations de M. Powell selon lesquelles la France serait sanctionnée pour sa position sur le conflit irakien ?
R - Sur les informations dont vous faites état, ceci est bien sûr totalement infondé. En ce qui concerne les relations entre la France et les Etats-Unis, vous savez que nous sommes des amis, des alliés. Quand s'est posée la question de la guerre et de la paix, vous connaissez la position choisie par la France. Il est important maintenant, après la chute du régime de Saddam Hussein dont nous nous réjouissons, de se tourner résolument vers l'avenir. Nous avons des défis importants à relever : la reconstruction politique, économique, sociale, administrative de l'Irak. La tâche est immense et il faut tout le ressort, toute la mobilisation de la communauté internationale pour faire face à ces défis. C'est dire qu'il n'est évidemment pas question des mesures dont vous avez parlé qui seraient totalement déplacées. On ne sanctionne pas l'amitié, on ne sanctionne pas les principes, on ne sanctionne pas la légalité internationale, et ce sont les principes et la légalité qu'a défendus la France tout au long de cette crise.
Q- Comment réagissez-vous aux plans américains en vue de dominer la reconstruction de l'Irak après la guerre ?
R - La reconstruction de l'Irak est un défi très important pour l'Irak lui-même, pour la région et pour la communauté internationale. Ce défi nous concerne tous, bien entendu. Nous pensons que la communauté internationale devrait être unie pour traiter un tel défi. Nous sommes mobilisés pour y apporter des réponses. Nous devons faire progressivement face à la situation et à ces différents problèmes. Il y a l'urgence humanitaire, et comme vous le savez, nous avons décidé, au Conseil de sécurité, avec la résolution 1472, d'y répondre et de mobiliser la communauté internationale. Vous savez que l'Union européenne est très mobilisée sur cette question. Il y a aussi beaucoup d'autres problèmes auxquels nous devons faire face : les sanctions, le désarmement, la constitution d'une autorité irakienne, qui est très importante pour l'avenir de l'Irak. L'ensemble de ces défis est tellement important que nous avons besoin de l'énergie, de la mobilisation et de l'imagination de toute la communauté internationale. Bien entendu, au stade actuel, les forces sur le terrain, les forces de la coalition ont une responsabilité particulière sur le terrain en ce qui concerne l'urgence humanitaire, les questions de sécurité. Il nous faut conserver l'unité de l'Irak, sa stabilité et celle de la région.
Q- Il y a un autre pays important. C'est la Chine. Est-ce que vous allez continuer à discuter des problèmes de la région avec le président chinois ?
R - Comme vous le savez, la concertation avec la Chine a été constante tout au long des derniers mois au sein du Conseil de sécurité et dans nos relations bilatérales avec la Chine. J'étais en Chine il y a quelques semaines et j'ai eu la possibilité de poursuivre ces discussions avec l'ensemble des dirigeants chinois. Une fois de plus, les défis auxquels nous sommes confrontés sont des défis qui mobilisent toute la communauté internationale, qui concernent toute la communauté internationale, et comme vous le savez, nous avons maintenu tout au long de cette période des liens très étroits à la fois pour échanger nos vues et en même temps pour faire en sorte que des solutions puissent être trouvées à chaque étape de la crise au sein du Conseil de sécurité. Il est normal que les membres permanents, particulièrement, aient cette coordination et nous souhaitons bien évidemment construire et maintenir cette relation particulière tout au long des prochains mois parce qu'une fois de plus, les défis de l'Irak sont d'une telle importance, les défis du Moyen-Orient - et je pense bien évidemment aussi à la crise israélo-palestinienne -, justifient la mobilisation de tous et la Chine est l'une des grandes voix qu'il faut écouter et auxquelles nous accordons beaucoup d'importance.
Q- Maintenant qu'il y a une présence importante de troupes américaines au Moyen-Orient, comment l'Europe et la France peuvent-elles faire en sorte de jouer un rôle dans cette région et de ne pas être marginalisées ?
R - Vous voyez, en un temps très court depuis mon précédent voyage dans la région, je dois dire que votre question est tout à fait hypothétique, comme on dit. Je dois dire que tous les entretiens que j'ai eus dans la région montrent que la position de l'Union européenne et de la France n'a peut-être jamais été aussi élevée. Beaucoup de gens attendent que l'Union européenne arrive avec une position forte, et il y a une très forte attente en ce qui concerne cette position. Donc, je pense que tout le monde comprend que pour gagner la paix dans le processus israélo-palestinien, nous devons nous engager à travailler ensemble. La communauté internationale doit travailler ensemble. C'est vrai au Conseil de sécurité, c'est également vrai dans la région et je suis très heureux de voir qu'après la réunion ministérielle d'Istanbul, les pays voisins de l'Irak ont travaillé ensemble, se sont engagés ensemble. Il est important de faire preuve d'une telle coordination, de se parler, de tenter de trouver des solutions, comme nous en avons parlé avec Marwan. Les problèmes sont très nombreux : quand on parle du désarmement, des sanctions, de la situation humanitaire, de la reconstruction politique, on voit que les défis sont très importants et qu'il nous revient à tous d'être mobilisés, en donnant le meilleur de nous-mêmes, sans compter notre imagination, notre énergie, nos moyens financiers, notre temps. Je pense que le moment est approprié pour venir dans cette région, pour se concerter, consulter nos partenaires, et c'est ce que je suis en train de faire. Bien entendu, nous restons en contact les uns avec les autres pour échanger nos points de vues, nos expériences, notre détermination. Il est important qu'après la guerre, la communauté internationale se réunifie. C'est important pour la paix, pour la stabilité et pour le développement de cette région.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2003)
(Point de presse conjoint à Téhéran, le 24 avril 2003) :
Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureux d'être en Iran aujourd'hui.
Après une visite en Jordanie et en Turquie, j'ai eu des entretiens très denses et très constructifs avec le ministre des Affaires étrangères, M. Kamal Kharrazi et je suis très heureux de pouvoir être reçu tout à l'heure par le président Khatami et le président du Conseil de discernement, le président Rafsandjani.
L'Iran est un pays de première importance dans cette région par son histoire, par sa situation géographique, par son poids démographique, par sa civilisation. Il est donc particulièrement utile que nous puissions développer notre concertation à un moment-clé. A un moment très particulier où la communauté internationale doit relever d'importants défis. C'est vrai bien sûr dans le cas de l'Irak et j'ai adressé un double message aux responsables iraniens. D'une part, il s'agit de contribuer ensemble à la stabilité de l'Irak et de la région. Il s'agit ensuite de faire preuve collectivement d'un esprit de responsabilité. Cela implique dans l'esprit de la France un rôle central des Nations unies et une approche pragmatique afin que nous puissions trouver à chaque étape les solutions adaptées. La situation humanitaire constitue naturellement aujourd'hui la première urgence et elle doit être gérée sous la coordination des Nations unies. Le rétablissement et le maintien de la sécurité sur le territoire irakien constituent des préalables indispensables à la reconstruction et les forces engagées sur le terrain, les forces de la coalition ont une responsabilité première à cet égard.
Nous sommes favorables à une suspension immédiate des sanctions puis à leur levée définitive selon les modalités définies par les Nations unies. La situation en Irak a profondément changé. Nous devons en tenir compte. C'est pourquoi il faut clore rapidement le dossier du désarmement. C'est une question importante pour tous les voisins de l'Irak.
Pour construire l'avenir de l'Irak, nous devons travailler dans un esprit ouvert et constructif. Il faut rétablir les institutions et la pleine souveraineté de l'Irak dans le respect de son unité, de son intégrité territoriale et de sa souveraineté. Sur l'ensemble de ces questions, les pays voisins de l'Irak, dont bien sûr l'Iran ont un rôle important à jouer. Ils ont lancé vendredi à Riyad lors de la réunion ministérielle un processus de concertation sur la base de principes que nous partageons.
Au-delà de l'Irak, l'autre défi à relever, bien sûr, c'est le conflit israélo-palestinien. Son règlement doit nous permettre de concilier l'impératif de justice et l'exigence de sécurité. Les principes qui nous guident sont ceux qui sont posés par le droit international. Notre objectif, celui de toute la communauté internationale, est celui d'un Etat palestinien viable et démocratique au côté d'un Etat d'Israël vivant en sécurité et pleinement intégré dans la région.
Nous devons collectivement reprendre maintenant l'initiative, c'est pourquoi nous nous réjouissons de l'accord qui a pu être trouvé hier entre le président Arafat et le Premier ministre palestinien Abou Mazen sur la composition du gouvernement palestinien. C'est une étape majeure dans la voie des réformes.
Une fois ce gouvernement investi, la feuille de route du Quartet doit être publiée et mise en uvre sans délais. Tous ceux qui ont une influence doivent contribuer évidemment à faire avancer ce processus.
Un mot enfin sur les questions bilatérales entre nos deux pays.
Sur la question de la prolifération, vous savez que c'est une question à laquelle la France porte une attention particulière. C'est un élément essentiel de la stabilité internationale. Nous avons vu avec satisfaction les déclarations du président Khatami. Il est important de continuer, d'avancer dans la voie de la légalité internationale, dans la voie du respect des grandes règles qui sont posées dans le domaine de la prolifération. Et à ce titre nous pensons qu'il faut poursuivre dans la voie des mesures de confiance et en particulier par la signature du protocole additionnel à l'accord de garanties de l'Agence internationale de l'Energie atomique comme l'a proposé M. El Baradeï lors de sa récente visite. Voilà des éléments importants pour la stabilité de l'ordre international, pour la confiance entre les peuples sur la scène internationale.
De la même façon nous avons évoqué la question des Droits de l'Homme. Nous nous félicitons des progrès qui ont été enregistrés. Et souhaitons qu'ils soient poursuivis. Là encore, l'Union européenne, la France attachent vous le savez une importance particulière à ces questions. Et il est important que nous continuions d'avancer dans le cadre du dialogue que nous avons engagé entre nos deux pays ainsi qu'entre l'Union européenne et l'Iran.
Q - Comment la France voit-elle les objectifs des Etats-Unis dans la région ? Est-ce que le changement de la carte politique de la région et la monopolisation du monde font partie de ces objectifs ? Que pense la France à ce sujet ? A quel point la France collabore-t-elle ou s'oppose-t-elle à ces objectifs ?
R - Avec la chute du régime de Saddam Hussein, dont nous nous félicitons, c'est une nouvelle étape qui s'ouvre. Et le souhait de la France c'est de pouvoir contribuer à engager le processus de reconstruction politique, économique, social de l'Irak dans les meilleures conditions.
Nous souhaitons le faire sur une base de pragmatisme, dans un esprit d'ouverture et de dialogue avec l'ensemble des parties sur la scène internationale. Bien sûr les pays voisins de la région ont une responsabilité particulière. Et nous souhaitons maintenir une coopération et une concertation très étroite avec chacun d'eux. Je l'ai dit, nous nous réjouissons après Istanbul de voir se poursuivre cette concertation et notamment il y a quelques jours à Riyad. Il nous paraît essentiel de faire face aux problèmes qui se posent avec le souci de résultats concrets rapides, et c'est pour cela que dans le cadre des Nations unies, après la décision de voter la résolution 1472 consacrée aux problèmes humanitaires, résolution qui a été votée à l'unanimité, nous privilégions cette concertation pour aboutir au règlement des grandes questions qui se posent : désarmement, sanctions, constitution rapide d'une autorité souveraine irakienne qui est évidemment un point essentiel pour la France comme pour la communauté internationale de façon à ce que les Irakiens puissent très rapidement prendre en main leur propre destin. Dans la phase actuelle marquée par l'urgence humanitaire et par les questions de sécurité, il est évident que les forces de la coalition américaine et britannique ont une responsabilité particulière et notre souhait, c'est que la communauté internationale tout entière puisse travailler pour permettre à l'Irak très rapidement de retrouver la voie de sa souveraineté.
Q - Dans l'entretien des présidents Chirac et Bush, on a mis l'accent sur la prompte intervention de l'ONU en Irak mais on n'a pas parlé du rôle principal de cette organisation. Je voudrais savoir la position française à ce propos ?
R - En ce qui concerne la position de la France vis-à-vis des Nations unies, je crois que nous partageons le sentiment de toute la communauté internationale, sentiment qui est qu'il faut aller vite dans la voie de la reconstruction en Irak dans le respect bien sûr de la légalité internationale. La France parle du rôle central, vous savez que les Américains et les Britanniques parlent d'un rôle vital, je crois que nous sommes tous d'accord, pour que, à chaque étape, les Nations unies apportent leur pleine capacité et leur pleine contribution et il est évident que plus la légitimité de l'action internationale sera forte, plus cette action sera aussi efficace. Nous pensons qu'il faut être pragmatique dans notre volonté de faire face à chacun des problèmes et c'est pour cela que nous avançons sur chacun des dossiers qui sont aujourd'hui à traiter par la communauté internationale, je pense au dossier du désarmement, à celui des sanctions, à la constitution d'une autorité légitime en Irak. Nous sommes donc prêts à faire des propositions dans le cadre du Conseil de sécurité pour permettre très rapidement de répondre aux difficultés sur le terrain en Irak. Notre premier souci, c'est de répondre aux vux du peuple irakien, à ses besoins urgents, qu'il s'agisse des besoins humanitaires, des exigences de la reconstruction économique, politique, sociale, administrative de l'Irak et, évidemment l'objectif pour nous tous c'est l'unité, le respect de l'intégrité de l'Irak et de sa souveraineté.
Q - Quelle est votre réaction à l'annonce de la libération des Juifs de Chiraz ?
R - Permettez-moi de vous remercier parce que c'est une annonce qui nous touche beaucoup et qui avait créé évidemment beaucoup d'émotion en France. Nous nous réjouissons donc de ce que vient d'indiquer M. Kharrazi concernant ces Juifs de Chiraz.
Merci.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 avril 2003)
(Interview à RFI à Téhéran, le 24 avril 2003) :
Q - Lors de la conférence de presse, vous avez parlé de progrès dans le domaine des Droits de l'Homme. Dans quel domaine voyez-vous ces progrès ? Est-ce que l'annonce que les juifs condamnés pour espionnage étaient libres est considérée par vous comme un progrès dans le domaine des Droits de l'Homme ?
R - Ecoutez, c'est une préoccupation particulièrement forte pour un pays comme la France, pour l'Union européenne, nous avons donc suivi de façon très particulière l'ensemble de ces cas. J'avais évoqué avec mon homologue la situation de ces membres de la communauté juive de Chiraz et donc nous sommes particulièrement heureux d'apprendre qu'ils sont libérés. C'est évidemment des progrès qui sont significatifs. Et le dialogue que nous avons avec l'Iran prend tout son sens, ainsi que la concertation qui est la nôtre à ce moment si important de la vie internationale où l'on voit à quel point cette région est troublée par les crises : la situation en Irak, la situation du Proche-Orient justifient ce dialogue global, cet échange sur l'ensemble des sujets. Et bien évidemment, nous pensons qu'il est important de continuer les progrès qui ont été engagés dans ce domaine des Droits de l'Homme. Il y a un chemin important qui reste à parcourir et la concertation, la confiance qui se sont établies entre nos pays doivent contribuer justement à des progrès supplémentaires dans ce domaine.
Q - En ce qui concerne le protocole additionnel à l'accord de garanties de l'AIEA, est-ce que votre déclaration demandant à l'Iran de signer ce protocole additionnel, qui permet aux inspecteurs de l'AIEA de faire des visites impromptues sur des sites non déclarés par le gouvernement iranien, est le signe que la France partage l'inquiétude des Etats-Unis, mais aussi d'autres pays comme la Russie, sur le programme nucléaire iranien ?
R - La préoccupation concernant les questions de prolifération est une préoccupation qui s'exprime pour l'ensemble du monde. On le voit, et on l'a vu en Irak, on le voit avec la Corée du Nord, il est important que tous les Etats puissent se soumettre. Il n'y a pas là à faire d'exception. L'Iran a signé le traité de non-prolifération, le président Khatami a fait des déclarations importantes marquant la disponibilité de son pays à satisfaire pleinement aux obligations internationales ; M. El Baradeï, le directeur de l'Agence internationale de l'Energie atomique, était présent ici en Iran, il est important d'aller jusqu'au bout de cette coopération et dans le cadre des mesures de confiance qui doivent être prises il est important qu'effectivement l'Iran puisse signer ce protocole additionnel à l'accord de garanties de l'Agence internationale de l'Energie atomique. C'est pour cela que dans le cadre des échanges que j'ai eus aujourd'hui, j'ai dit tout l'attachement et tout l'intérêt qu'était le nôtre que ce protocole puisse être signé rapidement.
Q - Et si l'Iran refuse de signer ?
R - Nous n'en sommes pas là. Nous sommes dans le cadre du développement des mesures de confiance, nous sommes dans un processus où les garanties les plus importantes possibles doivent être données par tous les grands acteurs qui sont impliqués dans ces technologies civiles et nucléaires. Il est donc important de progresser et que chacun exprime sa sensibilité, ses préoccupations. Nous le faisons ici, nous le faisons ailleurs, il est important d'avancer dans cette voie, et je pense que, dans le cadre de l'intensification des échanges que nous avons, il est important que nous puissions faire part de nos priorités, et certainement la lutte contre la prolifération fait aujourd'hui partie des priorités de la communauté internationale.
Q - En ce qui concerne l'Irak, la France et l'Iran avaient une position à peu près commune s'opposant à l'intervention américaine en Irak. Dans quel domaine vous voyez la coopération entre l'Iran et la France en ce qui concerne l'Irak ? Dans quel domaine ces deux pays peuvent coopérer aujourd'hui ?
R - La concertation avec l'ensemble des pays de la région est extrêmement importante à cette heure de la reconstruction de l'Irak après l'effondrement du régime de Saddam Hussein, et la France s'est réjouie de voir les huit pays de la région se réunir après Istanbul, à Riyad à travers des prises de position qui vont tout à fait dans le sens que nous souhaitons. Il est important que chacun travaille au maintien de l'unité, de l'intégrité territoriale de l'Irak, à la pleine souveraineté de l'Irak. Pour nous, les Nations unies doivent avoir un rôle central, et dans la concertation que nous avons avec chacun des pays, j'étais hier en Jordanie et aussi en Turquie et nous abordons l'avenir avec le même souci. Il est important que chacun mobilise ses capacités et pour le moment la clé, c'est la stabilité de l'Irak. Il est important que chacun puisse faire preuve de retenue, de modération, puisse mettre à plein, utiliser son esprit de responsabilité pour contribuer ainsi à ce que très rapidement, les Irakiens puissent reprendre en main leur destin, reprendre en main leur propres affaires.
Alors vous savez qu'il y a un certain nombre de problèmes urgents qu'il nous faut régler. Il y a bien sûr les questions humanitaires, et la résolution 1472, qui a été adoptée à l'unanimité du Conseil de sécurité, marque une première étape, il y a les questions de désarmement, il y a les sanctions et nous sommes en train d'en parler actuellement au Conseil de sécurité. La France a proposé une suspension immédiate des sanctions qui pourrait conduire à terme à leur levée dès lors qu'il y aurait pleine conformité avec les obligations internationales. Il y a le problème de la constitution d'une autorité légitime en Irak. Il est très important que les Irakiens puissent très rapidement se doter de cette autorité qui leur permettra véritablement de prendre eux-mêmes en main leurs propres affaires. Donc sur tous ces points la concertation est essentielle. Il y a là un enjeu majeur. De la même façon, j'ai longuement évoqué la situation du Proche-Orient parce qu'on ne peut pas diviser la justice, on ne peut pas diviser la paix, il est important que sur chacun de ces points, dans chacune de ces zones de crises nous arrivions à progresser par la concertation.
Il est donc important de saisir l'occasion qui est donnée avec la formation d'un nouveau gouvernement israélien, avec l'accord entre le Premier ministre palestinien et Yasser Arafat. Il faut transformer dans le fond en une chance les difficultés auxquelles cette région est confrontée, les épreuves qu'elle connaît. Et nous ne pouvons le faire que si nous unissons nos efforts.
Q - Peut-être une dernière question, si vous le permettez. En ce qui concerne les propos des responsables américains concernant la France, même si ces propos ont été atténués par le porte-parole de la Maison blanche. Comment voyez-vous les relations entre la France et les Etats-Unis ? Que pensez-vous des déclarations sur le fait que la France devait payer le prix de sa position sur l'Irak ? Comment réagissez-vous à ces propos ?
R - Je l'ai exprimé clairement, la France a agi conformément à ses principes, conformément à ses convictions, conformément à la légalité internationale et chacun a vu que la position de la France était très largement partagée au Conseil de sécurité. Au sein de la communauté internationale la France est fidèle et restera fidèle à ses convictions. Mais nous le voyons bien, une page se tourne en Irak et il faut se mobiliser et regarder vers l'avenir, c'est ce que nous souhaitons faire avec nos amis américains. J'ai eu longuement hier Colin Powell, nous avons abordé ces questions, celles dont nous débattons au Conseil de sécurité. L'Irak est confronté à d'importantes difficultés, le peuple irakien est confronté à d'importantes difficultés, nous devons trouver des solutions, les aider à régler ces problèmes, c'est pour cela que nous nous mobilisons sur les questions humanitaires, sur les questions du désarmement, sur les sanctions pour faire des propositions. Et c'est dans cet esprit d'ouverture, de pragmatisme, d'esprit constructif que nous souhaitons traiter les questions et je n'ai aucun doute qu'avec les Etats-Unis, qui est un pays ami, un pays allié, nous trouverons les voies qui permettront justement d'aider et de conforter ce processus de paix et de stabilité de l'ensemble de la région.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2003)