Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, au "Nouvel Observateur" du 17 au 23 avril 2003, à "France Inter" le 18 avril 2003, à "RMC" le 24 avril 2003, sur l'échec du 21 avril un an après, sur l'apaisement prévisible dans les relations franco-américaines, sur l'action gouvernementale.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - France Inter - Le Nouvel Observateur - RMC

Texte intégral

France Inter
S. Paoli - Deuxième invité politique de cette matinée, en forme de bilan, après le choc politique du 21 avril 2002, F. Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, en ligne à Nice, bonjour !
- "Bonjour !"
Dans le sondage que France Inter, avec l'Express, a fait réaliser par la SOFRES, les Français répondent que, d'après eux, la gauche n'a pas tiré les leçons de la défaite de L. Jospin, 51 % des personnes interrogées.
- "D'abord, depuis le 21 avril j'ai appris à me méfier des sondages, je ne les prends pas comme des vérités révélées. Parce que si j'avais cru aux sondages, je n'aurais jamais pensé qu'il y aurait pu y avoir un 21 avril. Mais pour autant, la gauche doit faire son examen de conscience, tirer toutes les leçons de ce qui s'est produit, qui a été un choc, un choc pour tous les Français, quels que furent leurs votes de cette époque. Et un choc aussi pour la démocratie parce qu'elle a eu à relever un défi. Alors depuis un an, nous, les socialistes en tout cas, nous avons essayé de débattre au fond, des causes, certaines évidentes - la division de la gauche, la montée de l'abstention depuis trop d'années -, mais des causes plus profondes, c'est-à-dire l'éloignement d'un certain nombre de catégories, populaires notamment. L'éloignement du vote des jeunes ; qu'est-ce qui a pu faire que, ce qui a été jusqu'à présent finalement, un choix, gauche, droite ait pu être autre chose le 21 avril. Je pense que nous, depuis maintenant plusieurs mois, notamment dans la préparation de notre congrès, nous avons essayé de comprendre et de proposer."
Mais au fond, F. Hollande, aujourd'hui, qui incarne vraiment la gauche ? Parce que je vous pose la question, quand L. Jospin s'exprime sur l'antenne d'Europe 1 l'autre jour, qu'il parle de ses approches intellectuelles, plutôt que de ses raisonnements politiques, sert-il la gauche ?
- "C'est évident qu'il sert la gauche, parce que c'est un homme qui a eu une expérience considérable, qui a, je crois, le respect de l'opinion, même s'il n'y a pas eu le succès électoral. Et vous me demandez qui incarne la gauche ? Je dirai le Parti socialiste, tous les socialistes aujourd'hui. Il y a un électorat qui est devenu beaucoup plus unitaire, notamment depuis le 21 avril, qui a compris qu'il faut une grande force socialiste, une grande force de gauche pour représenter l'espoir et l'alternative à la droite. Alors cela ne dispense pas cette force de gauche de faire tous les efforts de rénovation, de renouvellement, de proposition, de marquer une différence claire à l'égard de la droite. Vous savez il y a un an, l'humeur des uns et des autres, parfois même au plan médiatique, c'était de dire : il n'y a pas de différence entre la gauche et la droite, entre le projet de Chirac et le projet de Jospin. Mais un an après, qui peut dire qu'il n'y a pas de différence entre ce que fait le gouvernement Raffarin ? C'est-à-dire exactement le contraire - en matière d'emploi, en matière de protection sociale, en matière de redistribution des richesses - exactement le contraire du gouvernement de L. Jospin. Donc il faut montrer les différences et en même temps, il faut donner une vision, il faut donner une perspective, un projet, c'est peut-être de cela dont nous avons souffert il y a un an."
Mais justement, il y a un an, après, quelle analyse faites-vous, d'un fait tout de même intéressant et surprenant : la défaite de L. Jospin intervient alors qu'il quitte Matignon sur un bilan, on peut certes discuter, mais sur un vrai bilan ? Qu'est-ce qui vous a manqué ?
- "Vous avez raison, je pense qu'il y a eu, peut-être de notre part, le sentiment que le bilan, parce qu'il était reconnu, même par nos adversaires, il était reconnu notamment en matière de lutte contre le chômage, en matière de réduction des inégalités, d'amélioration de la solidarité - je pense à l'allocation personnalisée à l'autonomie, à la couverture maladie. Mais un bilan ne suffit pas, dans une élection il faut donner, non pas à rêver, parce que là, ce serait de l'illusion, la droite y a, à chaque fois, succombé. J. Chirac, et en 1995 et en 2002, a fait des promesses dont on sait qu'elles ne seront pas tenues. Il ne s'agit pas là de promettre du vent, mais il s'agit de dire : " Voilà le cap que l'on fixe, voilà là, où on veut vous emmener ". Et on voit bien qu'on aurait dû davantage dans cette élection parler dû monde, parce que c'était là que se faisaient finalement les déséquilibres majeurs, à la fois sur le plan de la sécurité, de l'organisation de la planète, de l'environnement, des écarts de richesse. On aurait dû davantage parler de l'Europe, parce que c'est le cadre qui nous servira justement pour maîtriser cette mondialisation libérale, pour organiser politiquement notre continent. On aurait dû davantage parler de la cohésion sociale, de la citoyenneté, de ce qui fait que chaque citoyen a les mêmes droits et les mêmes devoirs. On aurait du davantage parler de lutte contre les discriminations. Alors c'est facile de le dire un an après, ce qu'il faut c'est travailler quand on est au gouvernement, avoir un bon bilan et je pense que celui de L. Jospin était à son honneur, à notre honneur. Mais en même temps, toujours inventer, imaginer et puis répondre aux préoccupations quotidiennes. Nous ne l'avons peut-être pas suffisamment marqué par rapport à la précarité, par rapport à l'insécurité, par rapport au cadre de vie, au logement. Il y a toujours beaucoup à faire et on demande toujours plus à la gauche qu'à la droite. Mais finalement je ne m'en plains pas, parce que c'est ce qui fait l'honneur de la gauche, peut-être par rapport à d'autres formations politiques."
Alors bon, on lui demande beaucoup, mais n'y a-t-il pas pour elle, aujourd'hui, le risque des rendez-vous manqués. Regardez tous les grands sujets qui se présentent au débat : l'Europe, les retraites, l'emploi, le chômage, je ne parle même pas de la guerre et des questions particulières qu'elle vient de poser. Là-dessus, on n'a pas beaucoup entendu la gauche tous ces derniers temps.
- "Ah bon ! alors c'est que je me suis mal exprimé. Sur la guerre, nous avons été les premiers - tant mieux! si cette position a été celle de la France - mais je ne vais pas, parce que je suis dans l'opposition, critiquer une position lorsqu'elle me paraît être la nôtre, cela serait paradoxal. Sur l'emploi, mais tout ce qu'a fait le gouvernement Raffarin, c'est de détruire ce que nous avions fait ; les emplois jeunes, les 35 heures, la loi sur les licenciements boursiers. Et là, nous avons les résultats que l'on peut imaginer, c'est-à-dire en détruisant les armes de la création d'emploi, en asséchant la croissance, il y a le retour du chômage. Donc là aussi je pense que cela permet de faire la différence entre la gauche. Sur les retraites, nous ne proposons pas, nous, de remettre en cause les retraites par répartition. Nous pensons qu'il est dangereux de revenir sur les niveaux de pension, comme c'est le cas dans la réforme Balladur et comme cela paraît être le cas de la réforme maintenant Raffarin. Et enfin vous m'interrogez sur l'Europe, mais l'Europe, J. Chirac n'a pas été capable dans ces derniers mois, et même dans ces derniers jours cruciaux pour l'Europe, de mettre finalement l'Union européenne devant ses responsabilités, en lui proposant un nouveau pas politique. Lorsque l'on demande simplement qu'un ralliement, il est clair qu'on ne crée pas l'adhésion."
Et le lien, le lien avec le peuple de ce pays, vous disiez vous-même d'ailleurs à gauche que ce lien vous avait manqué. Mais là, par rapport aux enjeux que vous évoquez à l'instant, on a plus l'impression de débats théoriques, qui ne sont pas inintéressants, mais précisément très théoriques. Les propositions de Mauroy, de Moscovici, de Weber, de Dray, de Frêche, de Cambadélis et j'en passe, sur : qui sommes-nous à gauche et pourquoi faire ? On est dans le raisonnement et dans la théorie.
- "Oui, mais enfin il est toujours bon d'analyser les causes, les phénomènes, la société, ne nous plaignons pas quand même que les socialistes fassent effort justement d'interrogation, d'introspection, d'analyse et de propositions parfois théoriques, mais nous avons besoin de la théorie. Mais ce que je vous dis sur les retraites, l'emploi, la protection sociale, l'Europe, c'est très pratique, c'est très concret, cela touche chacun d'entre nous ; la sécurité, le logement. Lorsqu'en matière de sécurité, on met en cause tout ce qui est prévention, surveillants dans les établissements scolaires, infirmières scolaires, lorsque l'on met en cause les emplois jeunes, lorsque l'on met en cause la politique de la Ville - il n'y a plus de crédit affecté à la politique de la Ville -, on crée les conditions, demain d'une insécurité encore plus forte. Alors ça c'est très concret, mais il faut éviter et le très concret et le trop théorique. Il faut montrer que nous avons une vision de la France, de l'Europe et du monde. Parce que les Français, ils ont toujours le choix, entre ou le réflexe de peur, cela donne le 21 avril ou le sentiment d'espoir. Et cela peut être les plus belles alternances ou les alternatives que nous avons pu connaître dans notre pays. Mais justement, parce qu'il y a eu une succession d'alternances, ces vingt dernières années, il faut montrer que la politique est capable d'avancer, de changer la vie quotidienne et pas simplement de faire une suite de gouvernements qui annulent ce qu'ont fait les prédécesseurs."
Une chose encore F. Hollande : une gauche, laquelle ? Le grand parti alternatif à l'UMP, c'est fini ce projet ?
- "Moi, je pense que le Parti socialiste qui a reçu un coup sérieux le 21 avril - nul ne peut le nier, nous avons nous-mêmes fait ce constat, constat amer, constat terrible, constat cruel, notamment pour le vote du 5 mai - mais le Parti socialiste a aujourd'hui une occasion extraordinaire d'être le parti de toute la gauche, s'il le veut. J'ai vu ce qui s'était passé chez les communistes et chez les Verts, je ne m'en réjouis pas. Si les socialistes, à partir des leçons bien tirées du 21 avril, à partir d'une vision de la société et du monde, à partir d'une volonté de rétablir de la citoyenneté, de la démocratie, si le Parti socialiste est à son rendez-vous de Dijon, oui, je pense qu'il peut être le parti de toute la gauche, le parti de l'espoir, ce qui est pour la vie politique, essentiel. Parce que si s'installe effectivement le fatalisme, la résignation et l'abandon, l'invité de tout à l'heure, ou sa fille pourrait éventuellement en tirer profit."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 avril 2003)
RMC
J.-J. Bourdin : Les Etats-Unis semblent plus modérés ce matin, cela semble s'arranger entre la France et les Etats-Unis. C'était mesquin l'idée de représailles contre la France ?
- "Je pense que c'était mesquin et impossible, parce qu'il y a des échanges économiques, culturels, entre la France et les Etats-Unis, et qu'il n'est pas possible pour un gouvernement, quel qu'il soit, de mettre dans l'impossibilité de commercer, d'échanger, de circuler, un certain nombre de marchandises ou de personnes. Donc c'étaient des menaces qui n'en étaient pas. Mais je trouve qu'on n'a pas besoin non plus d'aller faire des ronds de jambes à G. Bush et d'espérer..."
J.-J. Bourdin : Ce que fait le Gouvernement selon vous ?
- "... Ce que fait un peut trop le Gouvernement et même le président de la République... Espérer sa compassion ou sa reconnaissance. Je crois que nous avons pris des positions, elles devaient être prises. Les Etats-Unis ont mené une guerre rapide mais pour autant illégitime. Ce n'est pas parce qu'elle a été moins pire, que pour autant elle deviendrait finalement admissible. Ce n'est pas parce qu'un dictateur est parti - il fallait d'ailleurs qu'il parte - que pour autant, cette guerre trouve sa justification. On ne sait pas où va aujourd'hui l'Irak, on ne sait pas comment elle va être administrée, ou plutôt on le sait que trop bien. On apprend quand même qu'il y a eu des pillages dont un certain nombre d'éléments ne sont pas simplement Irakiens mais Américains. On a découvert à leur retour qu'ils avaient quelques produits ou quelques articles de musée dans leurs valises. Je pense qu'il faut être sévère à l'égard de ce qui s'est produit. Et à partir de là, nous aussi, avoir des relations normales avec les Etats-Unis. Ce serait absurde de faire en sorte que nos deux pays ne puissent pas avoir des conduites ordinaires."
J.-J. Bourdin : La France maintenant, avec ce "carnet de notes" que nous publions tous les mois avec L'Express : 11,3/20 pour J. Chirac, 12,9 en mars, 11,7 en février. Cela baisse. Vous êtes étonné, surpris ?
- "Non, je ne suis pas étonné, parce que d'abord, pendant toute une période, il y a eu un état d'indulgence à l'égard des autorités françaises publiques. C'est normal, le Gouvernement s'installait, le président de la République avait été réélu, on sait dans quelles conditions, donc les Français n'étaient pas dans un regard forcément de punition. Et puis ensuite, il y a eu la guerre. Cela a occulté un certain nombre de problèmes, mais cela n'a pas caché les difficultés. Et les difficultés, elles ressortent. Et quand il y a un certain nombre de décisions qui sont prises, même si, sans doute, le sondage a été fait avant des décisions qui concernent directement les Français, comme le déremboursement de 600 médicaments utiles, comme le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite - c'est également annoncé aujourd'hui -, comme la mise en cause d'un certain nombre de principes pour les retraites, comme l'augmentation de tarifs publics - on apprend aujourd'hui que le gaz va augmenter de 4 %, les Français découvrent que la politique économique et sociale du Gouvernement ne marche pas. Le chômage a repris sa progression, les déficits se creusent, et donc il y a une inquiétude. J'ai vu encore que les deux avaient la moyenne, donc je ne suis pas encore là pour dire qu'il faut sanctionner, ce n'est pas mon rôle. Je suis là pour alerter, pour critiquer aussi, et pour proposer le moment venu.
J.-J. Bourdin : Alerter, contester, proposer... Réquisitoire, vous avez employé le mot, mardi.
- "Ce n'est pas moi qui fais le jugement. J'essaye de mettre un certain nombre d'éléments d'information auprès des Français, des éléments de perspective. Je ne pense pas que les Français soient informés de l'ampleur des déficits. Un déficit, on ne le rencontre pas au coin de la rue ou autour du boulevard périphérique. Personne n'a jamais rencontré un déficit. En revanche, les déficits, ils sont là. Il faut savoir que le déficit de la Sécurité sociale à la fin de l'année, sera le double de celui qui existait au temps d'A. Juppé qui avait fait le fameux plan qui a entraîné un certain nombre de mouvements. Le déficit budgétaire de l'Etat, [...] c'est aujourd'hui au-delà de tous les engagements européens, et il va y avoir une condamnation de Bruxelles. C'est grave et cela aura des répercussions."
J.-J. Bourdin : Je vous lis : "Economie en panne, croissance en berne, chômage en hausse, des déficits en grand, des inégalités en plus, des services publics en moins, une solidarité en recul, une Education en repli." C'est terrible ça...
- "C'est la réalité."
J.-J. Bourdin : Les auditeurs ont réagi : que propose le PS ?
- "C'est une bonne question, parce que nous sommes aussi dans l'obligation de dire ce que nous ferions si nous étions aux responsabilités. On pourrait nous dire : vous y étiez il y a encore peu de temps, il y a un an - des auditeurs peuvent le rappeler Nous avions fait des avancées : emplois-jeunes, loi sur la modernisation sociale, l'allocation personnalisée d'autonomie. On pourrait s'appuyer sur ce que nous avions fait au temps de L. Jospin. Mais cela ne suffit pas. Il faut que nous soyons maintenant dans la prospective, dans l'avenir, donc dans la proposition. Qu'est-ce que nous aurions fait sur la croissance et le chômage ? C'est quand même là le sujet principal. La croissance : on voit que la consommation résiste encore, c'est l'élément qui tient, mais il faut absolument l'encourager et la préserver."
J.-J. Bourdin : En baissant les impôts, c'était une solution...
- "En baissant les impôts, mais pas de ceux qui sont les plus favorisés... On a constaté que ceux qui avaient eu les baisses d'impôts étaient les plus privilégiés. Qu'est-ce qu'ils avaient fait de leurs avantages ? Ils les avaient placés, donc ils avaient renfloué leur épargne. Qu'est-ce qu'on aurait fait ? On n'aurait pas supprimé les emplois-jeunes. On aurait, au contraire, essayé de proposer à celles et ceux qui sont le plus loin de l'emploi - les jeunes, parce qu'ils sortent du système universitaire ou scolaire ou du système d'apprentissage, et les chômeurs de longue durée -, on aurait essayé de favoriser leur insertion professionnelle. On aurait surtout préservé et amplifier les moyens de l'école et de la formation professionnelle. C'est là qu'on a besoin d'avoir une main-d'oeuvre qui correspond à l'économie d'aujourd'hui et de demain. Et c'est ce que le Gouvernement défait, puisque vous savez qu'il y a également un certain nombre de remises en cause dans l'Education, notamment des personnels de l'Education, qui entraînent des mouvements que l'on connaît aujourd'hui."
C. Barbier : Il y a quand même une différence, quelque chose que vous oubliez : le gouvernement Jospin a eu tout de suite, très vite, de la croissance. Et là, le gouvernement Raffarin n'en a pas. On ne peut pas faire avancer la voiture sans carburant. Reconnaissez au moins cette excuse-là au Gouvernement."
- "Non, je ne la reconnais pas complètement. Bien sûr qu'il y a une conjoncture internationale. Je vous rappelle que quand le gouvernement de L. Jospin est arrivé aux responsabilités en 1997, c'était à la suite d'une dissolution, parce que le président de la République pensait qu'il n'y avait pas justement de croissance."
C. Barbier : Mais les bonnes fées étaient sur le berceau de la gauche plurielle...
- "Il s'est trouvé qu'il y a eu une conjoncture meilleure, mais que nous avons su l'encourager et surtout la répercuter dans notre propre économie. Or le Gouvernement, aux mois de juin-juillet, lorsqu'il est arrivé aux responsabilités, a considéré que la croissance serait au rendez-vous. Il pensait que la croissance, pour l'année 2003, serait de 2,5 %. Et il pensait que naturellement, les déficits se résorberaient. Il pensait que ses baisses d'impôts pour les plus favorisés auraient un impact sur l'activité économique ; il n'y en a pas eu. Donc il a commis des fautes dans une conjoncture qui n'était pas facile, j'en conviens, il a commis des fautes de conduite - puisque vous avez pris cette image automobile, et vous avez raison, il faut être très prudent lorsqu'on conduit. Mais ce n'est pas simplement parce qu'il manquait de carburant - il n'en a pas beaucoup -, mais en plus, il a accéléré de la pire des façons, il a usé toute l'énergie pour une grosse cylindrée, alors qu'il fallait plutôt jouer sur les petites cylindrées."
J.-J. Bourdin : Concernant la route, le Gouvernement réussit pour l'instant...
- "Sur la sécurité routière, je pense que c'était déjà engagé. Je crois que c'est une nécessité. Là, il y a eu une prise de conscience aussi, et un renforcement des sanctions. Et je ne serai pas là dans une position critique, parce qu'il s'agit de la vie humaine, il s'agit de dizaines de milliers de familles qui sont concernées presque chaque week-end. Donc je suis extrêmement soucieux d'aller dans le même sens."
J.-J. Bourdin : Et satisfait de voir que le nombre de tués diminue...
- "Oui, parce que je pense que c'est un sujet d'intérêt général, un sujet commun. Et je crois que c'est comme la lutte contre les maladies, le Plan cancer... Il ne faut pas raconter là aussi ce qu'on n'est pas capable ensuite de suivre. Il y a eu l'annonce d'un Plan cancer ; nous n'avons rien dit parce que je pense que cela va dans la bonne direction. Mais aussitôt, les crédits à la recherche sur le cancer et sur la lutte contre les grandes maladies, ont été diminués. Je ne pense pas qu'on puisse un effet d'annonce et puis après un effet de réduction de dépenses."
C. Barbier : Sur les retraites, le gouvernement a publié son projet, cela chauffe avec les syndicats, mais il a au moins un mérite : il fait quelque chose. C'est quand même la grande réforme oubliée par la gauche.
- "Ce n'est pas vrai. D'abord, il y avait eu un certain nombre de décisions importantes prises sous la gauche, je pense notamment au Comité d'orientation des retraites, qui avait mis l'ensemble des partenaires sociaux dans le diagnostic, ce qui était indispensable ; et puis surtout, le fonds spécial pour les réserves en faveur des retraites, c'est-à-dire l'affectation d'un certain nombre de ressources pour préparer les retraites de demain."
C. Barbier : Aujourd'hui, les Français veulent que les fonctionnaires cotisent aussi longtemps que le privé.
- "Non, ils veulent qu'il y ait une réforme des retraites pour assurer la pérennité de leur retraite, qu'on soit salarié du privé ou salarié du public..."
C. Barbier : Et l'égalité des uns et des autres...
- "Bien sûr, parce que nous sommes dans un pays égalitaire, ils veulent l'égalité mais, en même temps, ils veulent surtout la sécurité, au sens où ils veulent que leur retraite soit garantie. Est-ce que la méthode du gouvernement est la bonne ? Cela fait plusieurs mois que l'on nous dit qu'on va nous annoncer la réforme, qu'on va avoir des bouts... On en a effectivement des bribes. Je souhaite que F. Fillon, ce soir à la télévision, en donne davantage. Mais d'ores-et-déjà, les syndicats ont dit que ce n'est pas un véritable dialogue social, ce n'est pas une discussion, qu'ils n'ont pas les éléments du dossier entre les mains, qu'ils ne connaissent pas les réponses du gouvernement, que ce n'est pas une véritable négociation, qu'il n'y aura pas un accord au bout. Il y aura un projet de loi et donc, il y a un risque. Maintenant, sur le fond, parce que c'est ce qui intéresse aussi essentiellement les auditeurs, le gouvernement n'a qu'une proposition à faire : c'est de cotiser plus longtemps, de travailler plus longtemps, dans un contexte où, aujourd'hui, la seule question est de savoir si le taux de chômage va pouvoir baisser. Aujourd'hui, il augmente. Donc, la démarche du gouvernement est à la fois dangereuse, parce que ce n'est pas la bonne façon de discuter avec les syndicats et cela provoque un conflit social. Deuxièmement, elle est tellement univoque, elle est tellement obsessionnelle : "il faut travailler plus longtemps". Troisièmement, la critique que je porte, c'est qu'on renvoie sur l'épargne-retraite, c'est-à-dire sur l'assurance personnelle, sur l'assurance individuelle, un certain nombre de dépenses qui étaient aujourd'hui garanties par les régimes de répartition. Sans le dire, sans l'avouer, ce qu'on dit aux Français, c'est qu'on va leur assurer un socle minimal, une retraite minimale, mais que si ils veulent plus, il va falloir qu'ils la paient. Alors, quelles sont les propositions que l'on peut faire ? Il faut absolument garantir les régimes de répartition, la solidarité entre générations. Il faut améliorer les petites et moyennes retraites, parce qu'il y a beaucoup de retraites, aujourd'hui, qui sont liquidées de la réforme Balladur, parce qu'on a changé le mode de référence pour des années qui servent au calcul de la retraite, qui sont de très petites retraites et qui mettent un grand nombre de familles en difficulté. Il faut les améliorer. Et, enfin, il faut essayer, pour l'égalité justement, de tenir compte de la pénibilité des métiers. Alors, comment financer ? Il y a deux manières : ou on dit aux gens qu'ils vont avoir plus d'années de cotisations à assurer - c'est la démarche du gouvernement -, ou on leur dit qu'ils auront moins de retraites par répartition - c'est aussi la démarche du gouvernement -, ou alors, il faut avoir des ressources nouvelles."
J.-J. Bourdin : Vous augmenteriez les cotisations ?
- "Oui, pour partie, l'augmentation des cotisations et, pour une autre partie, il faut dire que les entreprises et la richesse nationale doivent être davantage sollicitées. Est-ce qu'il est normal que ce soit sur le seul facteur travail, sur le seul salaire, que pèse le prélèvement ? Est-ce qu'on ne pourrait pas dire aussi, comme une ressource complémentaire, qu'il pourrait y avoir un prélèvement sur l'ensemble de la richesse produite par l'ensemble de l'économie, pour financer les retraites ? Je crois qu'il faut aller aussi vers des ressources nouvelles. Si on ne va pas vers des ressources nouvelles, cela veut dire que ce sont les particuliers eux-mêmes qui vont payer davantage sur toutes les formes, sous les formes moindre retraite ou sous les formes d'avoir à payer une cotisation dans un fonds de pension. Et ça, je m'y refuse, parce que c'est le pire."
J.-J. Bourdin: Concernant la Sécurité sociale, on annonce 16 milliards d'euros de déficit cumulé à la fin 2003. Et vous dites qu'il faut absolument augmenter la CSG ?
- "Non, je ne dis pas cela ! Je dis que le gouvernement a prétendu qu'il n'allait pas augmenter la CSG - j'ai entendu J.-P. Raffarin dans son émission. Il y a un déficit qui est de cette ampleur, sans doute davantage, mais c'est-à-dire beaucoup plus que ce qu'il y avait du temps d'A. Juppé, puisque nous avions remis les comptes à l'équilibre. Et donc, il va falloir boucher le trou et éviter qu'il ne réapparaisse l'année suivante - toutes les conditions sont réunies. Pour boucher le trou, vous avez deux solutions : ou vous augmentez un prélèvement - j'ai compris que le Gouvernement s'y refusait -, ou vous déremboursez, ce qui se passe aujourd'hui. C'est-à-dire qu'en fait, ce sont les assurés sociaux qui vont être moins remboursés, qui vont payer davantage. Donc, ce n'est pas un prélèvement, au sens où vous n'infligez pas un impôt, mais c'est pire encore ! C'est le fait qu'aujourd'hui, quand vous allez aller chez votre médecin, quand vous allez choisir un médicament, quand vous allez aller à l'hôpital, vous serez moins remboursé. Le gouvernement n'a pas besoin d'annoncer une hausse de la CSG : il réalise aujourd'hui un prélèvement supplémentaire sur l'ensemble des assurés sociaux. Et là, que s'est-il passé ? On a augmenté considérablement la dépense de santé, on a augmenté les médecins - cela a été les premières décisions. L'augmentation de la dépense de santé est de 7,5 % cette année ! Si on continue comme cela chaque année, sans augmenter les cotisations, que va-t-il se passer ? On va continuer à dérembourser. Donc, il faut maîtriser la dépense, il faut faire attention à ce que l'on dépense et, en même temps, il faut que ce soit la solidarité nationale qui paie. Pas l'assurance personnelle."
C. Barbier : Moins rembourser, c'est pour que les gens soient raisonnables, qu'ils fassent attention à ne pas gaspiller.
- "En l'occurrence, on a déremboursé 600 médicaments, mais quand vous êtes malade, quand vous avez un traitement, vous êtes obligé de prendre ce produit. Quand on dérembourse des médicaments qui sont jugés inefficaces ou inutiles, là, vous avez raison, c'est une mesure d'économie, c'est une mesure anti-gaspillage. Mais quand on vous prive - parce que ça peut être ça - de recourir à un médicament qui vous soigne, c'est extrêmement grave ! Quand vous êtes malade et que vous devez aller voir le médecin, c'est normal qu'on vous rembourse ; quand vous allez voir dix médecins pour la même infection, là, ce n'est pas normal."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 avril 2003)