Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF sur Radio Classique, le 9 octobre 1999, sur la position du patronat sur le projet de loi sur les 35 heures, la menace de retrait du MEDEF des organismes paritaires et les entreprises et le dialogue social.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral

GERARD BONOS : Ernest-Antoine Seillière, bonjour. Et après ? Et après le succès de lundi dernier, car quel que le soit le prisme à travers lequel on analyse votre initiative, personne ne peut nier la démonstration de force. Vous nous direz, passés cinq jours pratiquement, quelle analyse vous en faites et les enseignements que vous en tirez pour votre action à venir. Et après, monsieur Seillière ? Cela va-t-il suffire à fléchir une volonté gouvernementale qui semble d'airain. Malgré 25 000 personnes au moins et plus de 600 amendements, on ne voit pas ce qui pourrait faire capoter la grande uvre de Martine Aubry. Dès lors, quelle va être la suite possible pour des patrons qui sont de plus en plus sceptiques au fur et à mesure que le mur avance. D'autant que le financement de cette loi sera supporté en partie par l'Unedic et la Sécu. Pour le ministre du Travail, cela ne se fait pas au détriment de ces organismes et de leurs mandants, vous nous direz exactement où se trouve la ligne de fracture. D'un sujet qui fâche l'autre, il y a aussi la Sécu. Là encore, gouvernement et partenaires sociaux s'affrontent, vous nous direz ce qui vous semble tolérable et ce qui tient du casus belli. Car, et c'est l'écueil, si nous sommes tous concernés au premier chef, la bataille se joue sur des chiffres ou sur des mécanismes pas toujours très compréhensibles pour celui qui n'est pas dans le dossier. Cette émission sera peut-être l'occasion d'y voir un peu plus clair. Et puis, monsieur Seillière, il y a l'entreprise avec un grand E. Quelle est-elle aujourd'hui à l'heure des fusions-acquisitions, alliances, OPE, OPA et autres possibilités de sacrifier à la désormais sacro-sainte création de valeur. Sacro-sainte et aussi redoutée. Non seulement par ceux chargés de la générer mais aussi par ceux qui risquent d'en faire les frais. Alors sans tomber dans de faciles imprécations, force est de constater qu'à l'aune de l'affaire Michelin que le rayon de soleil des uns peut être le crépuscule des autres. Vous nous direz, monsieur Seillière, quel est votre sentiment. Mais la mutation en cours est également plus profonde, quel que soit le nom qu'on leur donne, fonds de pension ou, je cite, fonds partenariaux de retraite, au bout du compte la nécessité devient le dogme, au-delà ne va-t-on pas vers une nouvelle approche qui va faire des salariés les actionnaires de plus en plus présents de leur entreprise ? Ironie de l'histoire avec cette version marxiste consistant à dire que désormais l'entreprise appartient à celui qui la fait prospérer. Vous le voyez, Ernest-Antoine Seillière, ça nous en fait des sujets de conversation. Alors, présents dans le studio pour vous interroger, Hedwige Chevrillon, L'EXPANSION, Jean-François Couvrat, LA TRIBUNE, Michèle Lécluse, LES ECHOS et Pierre Zapalski, RADIO CLASSIQUE. Monsieur Seillière, je vous propose tout d'abord un petit retour en arrière, nous sommes lundi dernier, vous montez sur l'estrade et devant vous il y a à peu près, on l'a dit, 25 000 personnes. Alors à ce moment-là, qu'est-ce que vous vous dites ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout d'abord je me dis qu'il y a du monde et j'en suis heureux parce que, très honnêtement, on avait disposé dans cet immense hall de la Porte de Versailles 23 000 chaises, je crois, et je n'étais absolument pas sûr qu'elles seraient garnies. Alors, je me dis, il y a du monde, je me dis donc c'est une réussite et je me dis qu'il va falloir apprendre à parler à 25 000 personnes, ce qui était, dans mon cas, quelque chose évidemment de tout-à-fait nouveau. Donc j'ai un sentiment de succès, j'ai un sentiment de réussite, j'ai un sentiment d'un MEDEF qui est en relation avec sa base. Vous savez que nous avons beaucoup travaillé à cela, consacré pratiquement un an à réformer notre organisation, à la remettre en contact de notre base, de façon à être sûrs de traduire le sentiment des entrepreneurs. Et je me dis : nous allons traduire avec les paroles que j'ai préparées - avec mon équipe, avec le Conseil exécutif -, nous allons traduire le sentiment de notre base entrepreneuriale, nous allons être considérés par notre pays enfin comme vraiment représentatifs de l'entreprise, quelle que soit sa taille, quel que soit son secteur. Et donc, je crois qu'en effet, c'est un sentiment que nous avons réussi par cette manifestation, qui comme toujours, présentait des risques d'échec. Mais elle est réussie et je me dis : nous sommes enfin en position de pouvoir nous exprimer au nom des entrepreneurs de notre pays avec une vraie légitimité et j'espère une vraie puissance.
PIERRE ZAPALSKI : Alors j'aimerais maintenant qu'on parle un peu du soir, du lundi. C'est-à-dire quel enseignement avez-vous tiré de cette journée ? Et puis comme le MEDEF c'est d'abord une force de proposition, je suppose qu'on ne se contente pas de dire " non " à la loi, mais quelles sont vos propositions ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, le soir du lundi ce n'est pas " le grand soir ", c'est un soir de manifestation réussie et je crois qu'en effet l'entrepreneur de notre pays et l'opinion en ont été frappés. Alors, nous avons parlé au cours de cette réunion essentiellement, parce que c'était le thème, des 35 heures. Parce que c'est vrai que les entrepreneurs de notre pays sont toujours du sentiment que c'est une erreur et nous avons d'ailleurs dit que les conditions dans lesquelles on voulait voter la deuxième loi seraient probablement une faute, donc nous avons manifesté tout-à-fait clairement, au nom de tous, notre très grande réprobation devant cette loi. Mais cela dit, je crois qu'il faut bien comprendre - et on feint de ne pas le comprendre parce que nous l'avons tellement dit que maintenant je crois que tout le monde l'a entendu - que notre position n'est pas, comme on le dit, une position négative et de blocage. Nous avons eu cette position négative et de blocage jusqu'au vote de la première loi, c'est incontestable, on a essayé de dissuader notre pays de s'engager sur cette mauvaise route. Mais du jour du vote de cette loi, nous avons pris sur nous-mêmes, parce que finalement nous sommes des entrepreneurs et que nous savons faire preuve d'abord de réalisme, et nous avons dit : puisqu'on s'engage dans cette voie-là, alors il faut que nous soyons positifs ! Et nous avons négocié. Comme vous le savez, nous avons négocié de façon intense, nous avons conclu en un an 118, moi j'appelle ça des conventions collectives, de façon à ce que ça se comprenne bien, dans 118 métiers qui couvrent 10 millions de salariés, et nous l'avons dit... Et d'ailleurs je l'ai dit au gouvernement, nous avons fait en sorte que ces 35 heures que l'on veut tant dans notre pays, qui pour nous sont une erreur mais que la démocratie française semble vouloir installer avec conviction, nous avons dit : si c'est ça que vous voulez, nous allons faire en sorte que ça puisse rentrer dans trop de dommages vis-à-vis de l'entreprise. Et donc, cet énorme effort de négociation sociale a eu lieu et se traduit par 118 accords. Ce que nous disons, et c'est tout de même très positif, c'est : si vous voulez bien respecter ces accords, les 35 heures pénétreront, quoi qu'il nous en coûte, dans la réalité française. Et donc, cette position, elle est à mon sens très positive. Il faut faire preuve de très grande mauvaise foi pour dire que dans ce contexte nous avons fait uvre de blocage. C'est donc la position que nous présentons aujourd'hui, renforcée bien entendu par l'appui qui est donné à cette thèse qui a été très clairement présentée aux 25 000 présents et que tout le monde connaît et nous avons actuellement, je dirais, un gouvernement qui a le choix. Ou bien il en passe par les conventions collectives pour appliquer les 35 heures et je crois en effet qu'on peut s'attendre à ce qu'avec des difficultés, des réticences, des lenteurs, enfin toutes sortes de difficultés pratiques, nous soyons vers les 35 heures. Ou bien il dit : je ne veux pas regarder tout cela parce que ça ne correspond pas à la vision politique que j'aie de ma loi, l'idée que ce que l'on appelle le patronat ait pu se mettre d'accord avec des syndicats, " le patronat je n'aime pas beaucoup, les syndicats j'en conteste finalement un peu la représentativité et donc tous ces partenaires sociaux, au fond ne comptent pas pour moi, moi je suis le politique, je suis la loi, je suis le règlement et je vais le leur imposer ". Alors si c'est cette démarche-là, je prévois en effet énormément de difficultés. Et je crois que nous sommes donc dans une démarche positive, nous l'avons dit avec beaucoup de clarté et c'est toujours sur la table ! Le Parlement n'a pas encore voté quoi que ce soit, il y a des amendements qui sont présentés, qui vont dans ce sens, nous demandons en effet à ce qu'on les vote. Je ne vois pas très bien pourquoi on considérerait cette position autrement que très positive et je dirais que nous faisons effort sur nous-mêmes et je dirais qu'une partie de notre base, d'ailleurs, considère que nous ne sommes pas où nos devrions être, c'est-à-dire à refuser purement et simplement les 35 heures jugées, dans le cas de leur entreprise, comme étant tout-à-fait inapplicables. Donc nous sommes déjà, je dirais, dans de la bonne volonté et du positif. Et je demande franchement à ce que l'opinion le comprenne.
MICHELE LECLUSE : Depuis votre manifestation, est-ce que vous avez eu des signaux de la part du gouvernement montrant qu'il avait vu votre mobilisation ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous plaisantez ? Le moindre signal du gouvernement ...
GERARD BONOS : Michèle Lécluse s'interroge ...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, non, je vous dis que cette question est une plaisanterie ! Je n'ai jamais du gouvernement le moindre signal ! Le moindre... J'entends madame Aubry dire " ma porte est ouverte ". Attendez, la porte est ouverte pour que l'on dise quelque chose, quelles sont vos propositions, avez-vous entendu ce que les entrepreneurs vous ont dit de façon claire qui se sont réunis de façon exceptionnellement forte et nombreuse pour vous dire, non ! La stratégie politique du gouvernement est de ne pas entendre les entrepreneurs. C'est quelque chose que nous réprouvons totalement. Nous sommes la seule démocratie au monde où on construit sa réussite politique en s'opposant aux entreprises et je crois que ceci est, à terme, je ne vous le cache pas, extrêmement dangereux pour la réussite économique et sociale de notre pays. Et donc nous sommes, nous, la main tendue vers le gouvernement en disant : nous avons fait notre travail de négociation, voulez-vous, oui ou non, le reconnaître et nous tendre la main pour aller dans ce sens-là et si vous le faites pas... Or je n'ai aucun signal d'aucune sorte, d'aucune sorte.
HEDWIGE CHEVRILLON : Parmi les différents slogans qu'il y avait Porte de Versailles, il y en avait qui criaient " dans la rue ". Jusqu'où peut aller le mouvement de protestation du MEDEF ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord, je crois que le même jour il y avait une manifestation de la CGT qui, eux, étaient dans la rue. Nous, nous avions choisi d'être abrités...
HEDWIGE CHEVRILLON : C'est plus confortable...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais c'est exactement la même démarche ! Qu'on soit assis ou qu'on soit en train de marcher dans la rue, c'est une démarche dans laquelle les gens se rassemblent pour dire à ceux qui nous gouvernement, qui nous dirigent : attention ! Il y a une limite que vous êtes en train de franchir et qui va rendre les choses très difficiles. Donc, je ne vois pas de différence entre notre manifestation-rassemblement et une manifestation dans la rue. Cela dit, le cri " dans la rue " qui a été créé, ce sont les entrepreneurs qui estiment qu'il faut aller plus loin et donc le mouvement protestataire doit prendre d'autres formes et plus d'ampleur. Ca n'est pas du tout notre démarche à nous mais je ne peux pas exclure que cette partie de la base, si elle devait se généraliser, donne un beau jour, en effet, au caractère du mouvement des entrepreneurs français de plus visible. Je suis là pour traduire le sentiment des entrepreneurs, je ne suis pas là pour le créer. Et je l'ai traduit en montant cette manifestation ou ce rassemblement autour de ce thème d'ouverture de la discussion sociale, il est possible que les entrepreneurs considèrent qu'on va à ce point à l'encontre de leurs intérêts, de leur dignité et de leur écoute qu'il se passe autre chose. Je ne peux pas en préjuger bien entendu, on me le dira de la base.
HEDWIGE CHEVRILLON : Ernest-Antoine Seillière, est-ce que, entre les petits patrons et les grands patrons, il n'y a pas une différence de style ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il y a une évidente différence de style mais il y a une évidente unanimité. Je ne suis pas assez naïf pour ne pas avoir tout de même rassemblé les grands entrepreneurs, qui font ce que l'on appelle l'establishment, pour leur présenter très clairement nos orientations, nos choix, nos options et nos actions. J'ai un appui total de l'establishment français, à l'exception bien entendu de tel ou tel, je ne peux pas faire l'unanimité mais enfin je suis très, très attentif à ne pas suivre particulièrement le point de vue des grands, comme on dit, mais à être attentif à ce qu'ils comprennent ce que nous faisons et l'appuient. Quant à la base, elle a bien entendu donné là complètement accord.
GERARD BONOS : Il y avait monsieur Rebuffel avec vous...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Lucien Rebuffel a monté cette opération totalement avec nous, nous l'avons fait à parité avec une égalité je dirais complète, je salue la CGPME qui s'est mobilisée à nos côtés pour faire cette réussite et nous avons une unité complète actuellement avec la CGPME sur ce thème - comme sur la plupart - parce que le temps de la division des troupes d'entrepreneurs est terminé. Nous sommes aujourd'hui dans une démarche de consultation qui fait que les uns et les autres écoutent la base et donc il n'y a plus aucune divergence entre ce que disent ceux qui s'expriment au nom des entrepreneurs et leur base. Et je crois que ceci était quelque chose que nous avons d'ailleurs voulu dans notre propre réforme et qui a été accompli.
JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Monsieur Seillière, si j'ai bien compris, le critère de la main tendue du gouvernement pour vous c'est la validation des 118 accords de branche que vous avez signés. Combien jusqu'à présent ont été validés et sur quoi, le cas échéant, portent les réserves du gouvernement ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà, si vous voulez, là nous sommes dans une situation extraordinairement ambiguë. Parce que les accords de branche ont été, je crois, pour une cinquantaine, étendus avec des réserves. Alors, c'est une procédure - c'est un peu technique évidemment - qui permet au gouvernement de dire : ce dont vous êtes convenus me va, mais sur tel ou tel point, bien entendu majeur, je n'ai pas la possibilité de vous donner le feu vert puisque j'attends la loi pour savoir si ceci va être légal ou non. Donc, en réalité, c'est une manière au fond très élégante de dire : vos accords, le contenu de vos accords est subordonné au contenu de la loi. C'est pas du tout ce que nous demandons. Nous demandons que la loi reflète les accords. Nous ne demandons pas à ce que les accords soient ensuite, je dirais... On impose aux accords le contenu d'une loi. C'est toute une démarche que nous dénonçons profondément. Nous sommes dans un pays dans lequel on a parlé, nous, nous parlons de " socialisme d'Etat ". Bien entendu avec un petit " s " et un petit " e ", il ne faut pas essayer de comparer ça aux régimes des démocraties populaires, c'est absurde. Mais ça veut dire qu'en fait l'Etat s'arroge le droit de pénétrer très profondément dans les rapports sociaux. Pas au niveau des grands principes. Quand je vois que la loi délibère sur quand on met le costume de Blanche Neige à Walt Disney, est-ce ou non un temps de travail, eh bien je vais le préciser, si le costume est de nature à imposer etc, etc. On rentre par le détail de la réglementation et de la loi dans ces détails-là. Nous disons qu'il n'appartient pas à la loi dans un pays moderne, dans un pays qui veut être dans le coup du monde qui vient, de pénétrer dans ces détails. Et un socialisme d'Etat qui nous paraît contraire à la bonne marche et à un bon équilibre social dans notre pays. Donc si on dit : les dispositions d'un accord qui a été négocié pour mettre en place les 35 heures ne sont pas bonnes et on va y substituer ce qu'on en dira dans la loi, nous disons que nous ne sommes pas d'accord. Et ça détruit le dialogue social. Nous l'avons dit de la manière la plus ferme, nous ne souhaitons pas cela, nous savons que la puissance du dialogue social comme étant créateur de normes et de normes adaptées au réel quand on le discute dans l'entreprise, dans la branche, voire pourquoi pas, au niveau national. Mais très honnêtement, cette pénétration de la loi dans les rapports sociaux a quelque chose qui nous paraît intolérable et totalement négatif. Donc ce que nous demandons, c'est que la loi reprenne les dispositions des accords conclus. Ils savent ce qu'ils font, les partenaires sociaux, nous avons beaucoup de respect pour les négociations sociales avec les syndicats, ce sont des partenaires essentiels. Et je ne vois pas pourquoi, sur l'incitation de je ne sais quel chef de bureau, une majorité totalement politisée va dire aux acteurs sociaux : vous n'avez pas à traiter des choses que vous avez inscrites comme vous le faites. Ca n'est pas, à mon avis, profondément démocratique, ça ne respecte pas la volonté des acteurs sociaux et donc, là-dessus, nous sommes tout-à-fait déterminés à dénoncer le travers.
GERARD BONOS : Mais le ministre met en avant l'ordre public social et sur des points qui ne sont pas aussi caricaturaux que celui que vous avez cité, comme les costumes de Disneyland, mais enfin c'est le repos dominical, les horaires illimités jusqu'aux agents de maîtrise, enfin quelque chose comme ça...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Le repos dominical, excusez-moi, je crois que c'est depuis la naissance du Christ, pratiquement, ce n'est pas ce que j'appellerais une avancée sociale. Non, si vous regardez le détail des 35 heures, vous voyez qu'il n'y a pas de principe nouveau qu'on puisse qualifier d'" ordre public social ". On qualifie aujourd'hui " ordre public social " le fait que Blanche Neige mette son costume et que ce soit du temps de travail. C'est plus qu'abusif, c'est complètement ridicule ! Je m'excuse du terme, mais c'est vraiment, en effet, un déviationnisme sur le plan du comportement de l'Etat qui va au-delà des mécanismes possibles. Donc nous le dénonçons avec beaucoup de force. D'autre part, on me dit : dans les accords ça n'a pas d'importance, tout ceci est accessoire et donc la loi reprendra des dispositions que les accords ont. Mais quand on met dans les accords, comme ça a été mis beaucoup, que le temps de travail annuel c'est 1645 heures, c'est-à-dire en fait 47 fois 35 heures et qu'on vous dit dans la loi c'est 1600 heures. Tous les accords qui ont été conclus sur 1645 heures, ça fait pas 45 heures, c'est-à-dire en fait dix jours de travail. On ne peut pas considérer qu'un accord qui a été conclu sur la base de 1645 heures peut passer à 1600 heures et qu'il n'y a pas une modification. Les heures supplémentaires, c'est la même chose. Dans l'accord textile, qui a été signé par tous les syndicats, y compris la CGT, il y a des heures supplémentaires qui vont jusqu'à 210 heures. Le gouvernement met dans la loi 130 heures et s'il y a un accord d'annualisation, 90 heures comme limite. On ne peut pas dire que ce soit un détail de perdre la possibilité de 130 heures supplémentaires... Donc, tout est comme ça, le temps de formation, la définition de ce qu'est un cadre qu'on peut annualiser et forfaitiser. Non, mais attendez, il va falloir lire dans les détails de la réglementation ce qu'est un cadre qu'on peut soumettre au forfait alors que la variété des métiers et des entreprises est telle que c'est aux partenaires sociaux de définir entre eux ce que sont ceux qui justifient... Donc, voilà, je crois qu'il faut être clair, la prétention qu'a le gouvernement de dire aujourd'hui : attendez, tout cela c'est un argument du MEDEF, encore une fois dicté par je ne sais quel dogmatisme, ce n'est pas vrai . Nous regardons la réalité, elle s'est traduite dans des accords, nous en demandons le respect et là-dessus nous sommes très sérieux et je vous garantis que ce n'est pas un argument parce que comment voulez-vous faire fonctionner le dialogue social dans notre pays si le gouvernement et si l'Etat se mêlent des choses pour annuler les résultats du dialogue social. C'est donc là quelque chose, encore une fois j'y reviens, de très, très sérieux.
Pause publicitaire
GERARD BONOS : Encore beaucoup de questions, Ernest-Antoine Seillière, vous vous en doutez, sur ce thème des 35 heures.
MICHELE LECLUSE : La semaine dernière, vous disiez qu'au lendemain de la manifestation, ce serait le premier jour de la reconquête de l'opinion. Vous avez donc l'impression que l'opinion publique ne vous suit pas tout-à-fait, ne vous comprend pas vraiment ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, je crois qu'il faut le reconnaître quand on voit le véritable partenariat qui existe entre l'opinion et les entreprises dans les pays qui nous entourent, notamment en Europe, je ne parle pas des Etats-Unis, bien entendu, mais c'est vrai aussi en Asie, je crois que nous avons en effet un retard ou un travers ou je ne sais quelle forme de distance. Je crois qu'on peut se reprocher, à nous d'ailleurs les entrepreneurs de ne pas avoir su expliquer notre rôle, expliquer nos problèmes, peut-être ne pas avoir été assez force de proposition, bref tout ceci le MEDEF en est conscient et je pense, en effet, quand nous parlons d'un premier jour de reconquête de l'opinion, nous sommes bien déterminés à faire sentir un style de communication nouveau et un rythme de proposition plus fort, ce sera certainement un des objectifs de l'an 2000 pour nous. Mais si on va plus profondément, je pense qu'il est fondamental que ceux qui nous dirigent se rendent compte que sans partenariat entre l'entreprise et la nation, en quelque sorte, notre pays ne peut connaître que des revers. Et des revers qui ne se feront pas sentir en l'espace de quelques mois, ce qui est d'habitude le temps politique, mais en l'espace de quelques années. Nous sommes, si nous nous engageons sur les voies où nous nous sommes engagés, avec bien entendu les 35 heures mais également avec la resucée de mesures-sanctions prises il y a quelques jours à la suite de je ne sais quelle erreur de communication d'un gouvernement qui a voulu se rattraper face à sa majorité plurielle, tout cela s'est traduit par toute une bordée de mesures nouvelles contre les entreprises. Si on n'arrive pas à faire cela, nous aurons dans cinq ans un " désentrepreunariat ", je ne sais pas si l'expression est très jolie, mais un ralentissement de rythme de créations d'entreprises, de développement d'entreprises dans notre pays. C'est inscrit dans la nécessité. On me dit : aujourd'hui, ça marche très bien, l'expansion est belle etc. Mais attendez, c'est celle des 39 heures, ce n'est pas celle d'entreprises contraintes au point de se demander si elles maintiennent leur liberté d'entreprendre. Et nous pensons, et nous redoutons que le mouvement de désaffection vis-à-vis du métier d'entrepreneur, qui est déjà sensible chez les jeunes comme vous le savez en ce qui concerne la création d'entreprises en France, ne se développe jusqu'au point où, en réalité, on sentira que la zone d'attractivité française pour le développement d'entreprises et donc la création de richesses, et bien entendu l'emploi, faiblira. Donc c'est là-dessus que nous voulons mettre l'accent, communiquer. Et d'ailleurs j'appelle tous les entrepreneurs à se mobiliser pour la communication sur ce thème. Ca ne peut pas être fait seulement par les représentants du sommet, c'est un mouvement de la base et il y a dans notre réunion de la Porte de Versailles un vrai message de l'entrepreneur : si vous voulez sauver votre métier, sauver l'avenir donc en fait de la réussite française, il faut que vous vous y mettiez ! Pour faire comprendre vous-mêmes avec l'effort de trouver les idées, de trouver les arguments et d'oser communiquer, de sortir de sa torpeur, de son mutisme, de je ne sais quelle pudeur qui caractérise l'entrepreneur français qui se sent un peu à l'écart dans la société française, il faut qu'il sorte et donc notre message, à cet égard, est extrêmement fort et notre travail de communication à tous les échelons de notre organisation va être multiplié.
MICHELE LECLUSE : Et quand vous parlez de délocalisation, est-ce que ce n'est pas une arme à double tranchant qui est mal ressentie par les Français qui comprennent cela comme une menace.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous n'avons jamais parlé de délocalisation comme une menace. Nous avons, nous, au contraire, à lutter contre les délocalisations et tout notre effort pour essayer de rappeler au bon sens la société française en ce qui concerne les données du fonctionnement de l'entreprise a pour objet, bien entendu, d'éviter que les entrepreneurs n'aient envie de développer leur entreprise. Vous voyez, un communiqué qui m'a été donné il y a quelques instants par lequel Valéo, qui est une société de très très grande qualité et qui d'ailleurs fait partie du groupe CGIP et qui n'a qu'une envie c'est de faire réussir l'économie française, eh bien elle prévoit de créer 2000 emplois en Pologne dans les années qui viennent avec quatre sites de production, elle y est contrainte par le fait qu'elle doit fournir aux constructeurs automobiles des pièces avec des réductions de prix parce que les automobiles ne commandent aujourd'hui que si on promet sur trois ans des réductions de prix et qu'elle ne peut pas affecter ces efforts de productivité au temps libre des salariés, comme on nous le commande. Parce qu'il faut bien comprendre ça, tout le monde dans le monde entier fait des efforts de productivité, fait de la compétitivité et n'affecte pas ses efforts de productivité au temps libre des salariés. Il l'affecte à la baisse des prix, il l'affecte à l'innovation, et à l'investissement et bien entendu également aux salaires et donc nous sommes, nous, dans un cas particulier qui frustre en quelque sorte la France d'une quantité d'efforts possibles d'amélioration de sa compétitivité, tout ceci au profit du bricolage et du jardinage, si j'ai bien compris.
GERARD BONOS : On rappellera peut-être aux auditeurs que la CGIP est le groupe que vous présidez, si j'ose dire, dans le privé au-delà de vos fonctions de président du MEDEF.
HEDWIGE CHEVRILLON : Lorsque vous parlez de travail de communication, j'imagine que vous avez été un tout petit désespéré lorsque vous avez entendu les déclarations de monsieur Edouard Michelin ? C'est pas très bon pour l'opinion !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors écoutez, très honnêtement, moi je suis président du MEDEF, je sais qu'on me reproche, on dit en tant que président du MEDEF vous devez prendre parti sur des choses qui comptent... Moi je ne porte pas de jugement sur la communication des entreprises françaises, je n'en sortirais pas ! Entre les bonnes, les mauvaises...
HEDWIGE CHEVRILLON : Ca n'améliore pas l'image des patrons !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE :... Je ne donne pas comme d'autres des bons points ou des mauvais points. Donc si vous voulez, ça, c'est leur responsabilité. Ca a créé dans notre pays un vrai effet, un effet politique dont on a mesuré immédiatement les conséquences, c'est-à-dire que pour se rattraper de l'aveu donné par certains qu'on ne pouvait pas grand-chose contre la mondialisation qui contraignait une entreprise à se restructurer, alors on a essayé d'attaquer le contrat à durée déterminée. Comprenne qui voudra ! En tous cas l'entreprise de 20 personnes à Besançon ou à Angoulême qui voit menacé le régime du travail temporaire dans son entreprise n'a pas compris que c'était la réponse politique à une annonce faite par une grande multinationale qui devait se restructurer. Ca, c'est ce que nous dénonçons comme un vrai travers français, c'est-à-dire la politisation extrême des réactions contre l'entreprise.
PIERRE ZAPALSKI : A propos de politisation, et compte tenu, dans le cadre d'une opposition qui est très déchirée, je voudrais vous faire réagir à une formule à l'emporte-pièce qu'on entend de temps en temps : le MEDEF, c'est la droite !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là, je préfère vous dire que ceux qui disent ça, ils peuvent immédiatement aller se coucher avec une mauvaise note parce que, parce que depuis que nous avons créé le MEDEF, dans les actes constitutifs du MEDEF, il est prévu que nous sommes non-partisans. Non-partisans, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que nous n'avons rien à faire et rien à voir dans la manière dont les citoyens déterminent la majorité politique qui va conduire le pays. C'est pas notre affaire, à nous le MEDEF et aux entrepreneurs ! C'est clair et ça doit être compris et tous les procès d'intention, toutes les manuvres minables pour essayer de nous camper dans je ne sais quelle position politique, eh bien nous les rejetons avec grande vigueur. Pourquoi ? Parce que notre mission à nous, c'est de faire en sorte que ceux qui nous dirigent comprennent l'enjeu entrepreneurial ! J'y reviens, l'avenir de notre pays, il est dans la force de ses entreprises et dans leur réussite. Un moment donné, ça a pu être la vie militaire, les succès militaires, la diplomatie, la culture, que sais-je ? Aujourd'hui, c'est la réussite de l'entreprise, le monde est ainsi fait ! Et donc, nous n'avons pas d'autre mission que de dire à ceux qui nous dirigent, quelle que soit leur origine politique : je vous en prie, prenez en compte ce que disent les entrepreneurs, ils n'ont pas d'autre mission que de faire réussir notre pays et les entreprises, écoutez-les !
MICHELE LECLUSE : Mais Ernest-Antoine Seillière, est-ce que vous avez l'impression que la droite défend bien les entreprises à l'Assemblée Nationale sur les 35 heures ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois qu'à la suite de notre manifestation, l'opposition s'est un peu enhardie sur ce thème. Elle avait le sentiment que ce que nous disions était peut-être pas en effet l'expression de la base. Elle a compris que c'était l'expression de la base et donc je crois comprendre - parce que tout ceci est un peu compliqué -, je crois comprendre que tout de même elle a dit : si nous revenons au pouvoir, nous allons remettre tout ça en question. Elle ne l'avait pas trop dit avant notre manifestation et donc nous considérons qu'il y a là un progrès. Cela dit, c'est bien entendu son affaire. Ce n'est pas la nôtre, nous sommes heureux qu'un puissant message des entrepreneurs puisse être mieux entendu par l'opposition, comme il le sera, j'espère un jour, par la majorité.
JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Dans ce contexte, pardonnez-moi une question un peu basique, mais une entreprise c'est quoi ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Une entreprise, je vais vous dire ce que c'est...
HEDWIGE CHEVRILLON : Vous avez trente secondes pour répondre...
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Une entreprise, c'est un homme ou une femme qui se met à risque pour réunir une équipe qu'on appelle des salariés et auxquels on propose des emplois et, trouvant des moyens financiers pour s'équiper, mettre sur le marché des biens et des services à des prix et à une qualité qui font que les clients l'achètent. C'est donc fondamentalement une démarche au départ de quelqu'un et à risque. Et si on n'a pas compris qu'il faut respecter ce quelqu'un et ce risque, vous aurez moins d'entreprises. Et d'ailleurs, vous savez que le nombre faiblit, nous avons 20 % d'entreprises en 1995 de moins qu'en 1985 en créations annuelles, le phénomène de la baisse entrepreneuriale est en route et donc nous, nous disons avec beaucoup de force que si on ne respecte pas ceux qui ont cette démarche et qui vont le faire ailleurs ou qui ne veulent plus la faire, vous allez avoir un vrai problème. Je vous rappelle en passant que les sociétés dans lesquelles on n'a pas voulu d'entreprises, d'entrepreneurs et qu'on a installé dans le socialisme d'Etat, ont été au désastre sur le plan politique, économique, social, stratégique, militaire, elles ont pratiquement disparu de la carte ! L'entrepreneur, nous ne le dirons jamais assez, est au cur de la société quelque chose d'essentiel.
HEDWIGE CHEVRILLON : Vous avez dit tout-à-l'heure une phrase tout-à-fait intéressante à propos des 35 heures, vous avez dit : nous avons pris sur nous-mêmes, nous nous sommes dit : soyons positifs ! Si, in fine, la loi est votée plus selon les desiderata du gouvernement et ne tenant pas compte de ce que vous demandez aujourd'hui, est-ce que là aussi vous ne ferez pas preuve de réalisme ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là, si vous voulez, ce sont les scénarios à la suite du vote de la loi. Alors nous avons, nous, un scénario, il est peut-être optimiste, mais nous n'en sortirons pas, c'est que cette loi doit inclure les accords sociaux tels que conclus.
HEDWIGE CHEVRILLON : Et si ce n'est pas le cas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Et si ce n'est pas le cas, vous avez en fait deux orientations avec des variantes, évidemment je ne peux pas prévoir les choses dans le détail. Mais vous avez, ce que j'appellerais l'attitude de soumission par lassitude du corps des entrepreneurs qui dit : bon, la loi a été votée, elle est exécrable, elle est inapplicable mais je n'ai pas trop le choix et donc il faut que je m'y mette et même si je ne veux pas je vais le faire ou alors il y aura des gens peut-être qui s'arrêteront, qui vendront, etc. Nous, nous disons que cette démarche de soumission est très négative pour l'avenir de l'économie française. Mais elle peut exister. Et puis il y a la démarche que je dirais démarche de refus, démarche qui dit : vous ne pouvez pas m'imposer des choses que je ne peux pas appliquer. Votre démarche ringarde, archaïque qui manque la réalité de mon entreprise, alors c'est une démarche d'enlisement. Et moi, je peux vous dire ceci, c'est que si la loi est votée, comme elle le sera probablement d'ailleurs, je ne me fais pas d'illusions, et si elle est votée sans la référence au dialogue social, nous verrons, nous avons une Assemblée générale au début de l'année, nous verrons auprès de l'ensemble de nos adhérents quelle est la démarche qu'ils envisagent ou qu'ils regardent comme probable. Et bien entendu, ce sera une consultation de la base. Parce que nous allons traduire la base. Si la base veut aller vers la soumission, eh bien, bien entendu, elle ira vers la soumission et nous serons, nous MEDEF, les accompagnateurs de cette soumission parce que nous n'avons pas à faire une politique qui soit contraire à notre base. Mais si au contraire, elle est dans le refus et dans l'enlisement, eh bien nous serons bien entendu vigoureux pour pousser le refus et l'enlisement au-delà du vote de la loi, tout ceci n'est pas simple à faire rentrer dans la réalité. Vous connaissez d'ailleurs un certain nombre des domaines , une entreprise qui veut bénéficier de la compensation financière pour les 35 heures dans cette usine à gaz incompréhensible doit passer un accord avec un syndicat qu'elle n'a pas, elle doit pouvoir, le cas échéant, aller par référendum, tout ceci est dans l'existence des entreprises moyennes, petites, de notre pays, qui sont, comme vous le savez l'immense majorité, une novation totale qu'ils réprouvent complètement eh bien écoutez, on verra bien ! Donc rendez-vous, si vous le voulez bien, après le vote de la loi pour savoir si nous sommes dans une stratégie de soumission ou dans une stratégie d'enlisement.
JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Est-ce que cette stratégie d'enlisement est liée à vos menaces répétées de retrait des organismes paritaires ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah ça, si vous voulez, c'est en effet, c'est une double question. Il y a une question en soi du paritarisme sur lequel nous ne cessons d'insister puisqu'on le sait, je ne reviens pas là-dessus, que le paritarisme a été vidé de son contenu par l'invasion de l'Etat, là aussi ! C'est une évidence, il n'y a plus d'autonomie de décision, sauf dans de rares organismes, un paritarisme qui est donc un paritarisme de façade où les partenaires sociaux sont des potiches qui regardent en effet passivement l'Etat avec son invasion textuel prendre en mains tout ceci. C'est un problème de fond sur lequel nous avons en effet eu beaucoup de réflexion. Et puis il y a le problème de circonstance. Nous avons appris, comme tout le monde par la presse, ou à peu près, que pour financer les 35 heures on allait prélever dans les organismes sociaux, alors là en ce moment on est en train de dire c'est peu de chose, on s'arrangera pour pas en prendre trop... Alors Martine Aubry a fait des alignements de chiffres toujours un peu complexes dans son cas et on croit comprendre que c'est seulement 7 milliards, qui pour elle est un détail, mais 7 milliards sur l'Unedic, par exemple, et puis 5 milliards sur les caisses de Sécurité sociale. Nous considérons, nous en tant que partenaires sociaux, et là nous sommes en ligne avec l'ensemble des syndicats, ce qui n'est pas du tout surprenant, il n'y a pas de surprise à avoir, que nous ayons des positions communes quand tout d'un coup l'Etat se trouve vraiment très au-delà de ses bases, c'est bien ce que nous recherchons, cette position commune des partenaires sociaux parce que nous avons l'habitude de gérer ensemble dans le cadre limité qui est le nôtre et donc nous avons avec les partenaires sociaux d'excellentes relations de gestion des organismes. Si on prend un franc, un franc aux organismes sociaux, eh bien nous n'y serons plus ! Ca, c'est tout-à-fait clair, nous l'avons dit avec la dernière sévérité ...
GERARD BONOS : Vous le confirmez là ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je le confirme totalement ! Comment voulez-vous que nous acceptions ?
GERARD BONOS : Y compris l'Unedic ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais bien entendu ! Comment voulez-vous que nous acceptions ? Enfin, écoutez, je vous appelle au bon sens ! Que l'argent qui est collecté sur les salariés des entreprises pour financer la lutte contre le chômage par l'ensemble des mécanismes d'assurance-chômage, et pour traiter les maladies des gens dans la Sécurité sociale, soit pris dans les caisses pour financer les 35 heures, c'est-à-dire en fait par l'usine à gaz financière, est quelque chose que nous réprouvons complètement. Mais enfin, il faudrait être non pas une attitude de soumission, il faudrait avoir perdu l'esprit ! Donc, moi, je vous dis que les entrepreneurs qui sont des gestionnaires, ne seront pas entraînés dans je ne sais quelle complicité à faire des choses qu'il n'est pas possible pour eux d'accepter ! Donc, je le dis et de la dernière netteté. Et d'ailleurs le gouvernement le sait très bien, en est prévenu, ça n'est en aucune manière une menace ! C'est une conséquence de ce que nous considérons comme une agression, c'est autre chose ! Pause publicitaire
GERARD BONOS : Alors une question, c'est un peu le désordre dans le studio mais il y a tellement de questions et le temps passe.
JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Oui, nous avons bien compris, Ernest-Antoine Seillière, votre véhémence à refuser tout financement des 35 heures proprement dit. Est-ce que ça signifie que si une autre appellation était trouvée à un financement quelconque, pour quelque autre objet que ce soit, un accord serait possible ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là, malheureusement je vais sous décevoir. Si vous croyez qu'on peut débaptiser le prélèvement 35 heures par je ne sais quel petit mécanisme technique qui dit : eh bien vous donnez quand même l'argent mais ça s'appelle autrement, il n'en est absolument pas question !
MICHELE LECLUSE : A la caisse d'assurance maladie, le gouvernement a, dans la loi sur la sécurité sociale, donné un petit zeste d'autonomie supplémentaire. Est-ce que c'est un signe suffisant pour vous encourager à retarder votre départ de la caisse ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors ce petit zeste est-il fait pour presser le citron du paritarisme jusqu'au bout ? J'ai du mal aujourd'hui à répondre là-dessus parce que c'est vrai que la menace sur le paritarisme, née du financement sur les 35 heures, est aujourd'hui tellement forte que je dirais, nos préoccupations sur le paritarisme et son fonctionnement passent légèrement au deuxième rang. Mais nous avons tout de même salué le fait que... Est-ce la conséquence du fait que quelquefois un message parvient dans les oreilles, qu'on dise que la CNAM dans sa responsabilité en ce qui concerne la médecine de ville va être vraiment chargée de faire fonctionner le système ? Si c'est le cas, c'est un vrai mieux. Maintenant il y a tous les problèmes de savoir quels sont les moyens qu'on lui donne pour ça et les moyens de tutelle qui peuvent être extraordinairement étroits et puis les moyens financiers. Or vous savez que la répartition entre l'hôpital public et la médecine privée en ce qui concerne les augmentations de l'année prochaine sont extrêmement minces et sont très, très mal ressenties par la CNAM. Donc tout ceci sera pesé en termes, je dirais, tout-à-fait équilibrés. Est-ce que le paritarisme est en train de s'orienter vers un meilleur fonctionnement ou au contraire est-ce que tout ceci, ce sont des illusions ? Alors je ne peux pas vous répondre aujourd'hui.
MICHELE LECLUSE : Ce sera pesé quand, monsieur Seillière ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien je crois d'abord à l'occasion du débat sur le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale, mais je ne suis pas non plus très au clair sur ce qu'il y aura comme débat au fond là-dessus parce qu'on me dit qu'il y aura une deuxième loi au premier trimestre pour préciser tout cela et donc, si vous voulez, aujourd'hui nous sommes un peu dans le vague. Vous savez, les procédures à la fois parlementaires et administratives quand la politique envahit tout, sont très complexes.
GERARD BONOS : On signalera aux auditeurs que, justement, l'invité qui vous succèdera samedi prochain sera Jean-Marie Spaeth, le président de la CNAM, on aura l'occasion de développer ce thème.
PIERRE ZAPALSKI : Je voudrais vous demander un petit peu : est-ce que le moment n'est pas favorable aujourd'hui, compte tenu des dissensions entre le gouvernement et les syndicats, pour vous de vous organiser et d'aller plus avec eux ? Faire un bout de chemin avec eux et de négocier davantage ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, c'est une des retombées, je crois, les plus négatives de l'initiative prise d'imposer par la loi, les 35 heures, que d'avoir profondément troublé le dialogue social dans notre pays. Je ne le cache pas, nous avons été tétanisés par cette décision majeure imposée à tous et nous avons tout de même vu que les syndicats, de manière générale, étaient à la fois très heureux de cette initiative qui va dans le sens des aspirations diverses mais également un peu gênés de voir que la loi allait prendre finalement leur place. Et tout au long, depuis maintenant 18 mois, des procédures et des mécanismes qui conduisent aujourd'hui à la deuxième loi nous avons vu tout de même nos partenaires sociaux très mal traités par ceux qui, au gouvernement, ont la charge de tout cela. Pas écoutés ! Au fond blessés dans leur responsabilité, comme nous ! Et donc, c'est vrai qu'il y a une certaine communauté entre partenaires sociaux qui résulte de tout ce comportement excessif...
PIERRE ZAPALSKI :.. Il faut en profiter, là !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, attendez, il est bien possible qu'on en profite à un moment donné pour reconstruire le dialogue social. Mais, bien entendu, si la loi l'a détruit, nous ne pourrons rien reconstruire. Mais ne croyez pas que nous soyons dans une démarche qui soit autre que de profonds regrets, que les circonstances dans lesquelles fonctionne en France la démocratie sociale ne permettent pas, ne permettent pas aux partenaires sociaux de reprendre les initiatives. Alors on dit, c'est votre faute, on dit c'est la faute des uns et des autres, etc. Peu importe, tant que l'Etat n'aura pas accepté de reculer par rapport à la véritable invasion qu'il a fait du domaine social, je ne pense pas que le dialogue social puisse reprendre dans notre pays correctement. Et je pense que c'est quelque chose qui est un phénomène de société sur lequel donc il doit y avoir une délibération forte, qui n'est pas, je dirais de politicaillerie de conjoncture, mais une vraie réflexion. Si on veut que dans notre pays le paritarisme, le dialogue social comme ailleurs - prenez l'exemple de la Hollande -, prennent position, il faut que l'Etat convienne qu'il recule ;dans le domaine social. Tant que ce ne sera pas fait, je crois que nous serons mal à cet égard. Je vous indique d'ailleurs qu'il y a des pays pratiquement sans dialogue social où les choses marchent très bien. Mais ce sont des pays qui ont fait de ce que l'on appelle le libéralisme leur règle de comportement, après tout, il n'y a pas beaucoup de syndicats aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, en tout cas pas généralement et ce sont des pays dans lesquels il y a le plein emploi et il y a une progression d'expansion, en tous cas aux Etats-Unis, très très forte. Donc, il y a des modèles mais on ne peut pas, en effet, dans notre pays, s'attacher à une forme de capitalisme très réglementé et en même temps avoir dit à l'Etat : avancez et prenez tout ! Là, je crois que c'est une société contrefaite dans laquelle le dialogue social est mis à l'écart et très honnêtement je crois que c'est dangereux.
HEDWIGE CHEVRILLON : Il y a eu un autre couac dans la communication patronale, dans son ensemble, c'est les conditions du départ du président d'Elf Aquitaine. Il y aura sans doute une loi un peu fourre-tout en janvier, février, où il sera question de stock-options et peut-être d'un alourdissement des stock-options. Est-ce que, finalement, le patronat ne donne pas des verges pour se faire battre ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Quand on est dans une société où l'opinion et la majorité politique, en tout cas les milieux politiques, sont perpétuellement à l'affût du prétexte qui pourrait permettre de sanctionner un milieu, qui est celui qui fait l'emploi, l'expansion, le milieu de l'entreprise que l'on réprouve, bien entendu ce n'est pas difficile de trouver des comportements ici ou là, alors c'est un prétexte. Quel est d'ailleurs le jugement ? Nous, qu'est-ce que nous disons sur les stock-options ? Tous les pays du monde qui veulent motiver, MOTIVER les dirigeants et souvent d'ailleurs maintenant de plus en plus les cadres, et souvent aussi les salariés, à faire réussir l'entreprise, les associer aux résultats, selon des méthodes diverses, qui sont l'actionnariat salarié, qui sont les stock-options, qui sont d'ailleurs les bonus, enfin toutes sortes de méthodes, nous, nous sommes entièrement pour cela ! Et qu'est-ce que fait notre société française ? Elle cherche des prétextes pour essayer de faire machine arrière sur ces mécanismes, parce qu'elle les réprouve par idéologie.
HEDWIGE CHEVRILLON : Non monsieur Seillière, le problème c'est que les stock-options sont souvent réservés à ce que l'on appelle le top management, à une élite dans l'entreprise.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : D'abord, si vous voulez, qu'est-ce que c'est qu'un stock-option ? C'est l'actionnaire qui donne au salarié quelque chose qui lui appartient. Donc c'est une démarche qui devrait enchanter ceux qui pensent que les salariés sont au centre de l'entreprise. C'est exactement cela ! Je m'excuse, vous cherchez un argument mais c'est l'actionnaire qui renonce à une partie de ce qui lui appartient du profit de l'entreprise et dit : ça, ce sera à vous, les salariés, les dirigeants, les cadres, etc. Alors vous me dites on n'a pas assez généralisé les stock-options. Mais moi je vous dis, parce que je crois qu'il faut être franc dans ce genre de conversation, c'est que le capitalisme français est encore infantile. Il n'a pas, il n'a pas reçu les moyens de grandir, il a été, souvenez-vous en, il y a une quinzaine d'années totalement combattu par une nationalisation générale de l'ensemble de ses circuits financiers, des banques, des assurances, les deux tiers des grandes entreprises, bref nous sommes quinze ans après et on nous dit : mais comment, vous n'êtes pas comme les Etats-Unis à avoir généralisé les stock-options. D'ailleurs, on est toujours en train d'appeler l'exemple américain, je dirais à On vous dit : mais vous devriez publier vos traitements, vous devriez avoir fait des stock-options et en même temps on vous dit : mais c'est un système épouvantable, c'est l'horreur économique ! Donc soyons clairs. Qu'est-ce qui nous intéresse, nous, représentants des entrepreneurs et des entreprises ? C'est de trouver des systèmes qui motivent pour la réussite. Les stock-options, à l'évidence le font, et donc nous sommes partisans de ce système et nous ne voyons pas pourquoi on cherche encore une fois le prétexte de tel cas pour mener l'offensive à contre-courant de ce qui se passe dans le monde entier.
MICHELE LECLUSE : Le MEDEF prône la transparence sur la distribution des stock-options. Mais, l'autre jour, Dominique Strauss-Kahn disait : si la transparence avait existé, monsieur Jaffré n'aurait jamais pu recevoir une telle somme parce que les salariés se seraient révoltés.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh écoutez, Dominique Strauss-Kahn dit beaucoup de choses mais je l'invite à prendre la mesure de ce qui se passe dans toutes les entreprises françaises. Chacune a ses règles de fonctionnement. C'est encore une fois tout-à-fait la démarche : on juge abusif ! Mais je vous demande un peu ! Qu'est-ce qui est abusif ? C'est toujours très subjectif ! Et bien entendu pour un Rmiste, le traitement de Dominique Strauss-Kahn est probablement très, très abusif ! Vous comprenez, tout cela ce sont des jugements politiques qui s'appuient sur du subjectif ! Ce n'est pas comme ça qu'il faut regarder une vie économique et une vie sociale et moi je suis incapable de me substituer au jugement des milieux d'entreprise très différents. Il y en a d'immenses, il y en a de toute petites, la rémunération des uns est considérable, ailleurs elle est plus faible, tout cela c'est la liberté d'entreprendre et je crois qu'il faut lui laisser le champ.
JEAN-FRANCOIS COUVRAT : Pour parler transparence, vous, monsieur Seillière par exemple vous en avez combien ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, moi j'ai pris une résolution, j'ai présenté en tant que président du Conseil à l'Assemblée générale de la CGIP, à ma dernière assemblée générale en juin dernier, par laquelle, à compter de cet exercice, les stock-options que je reçois en tant que dirigeant et que recevront les mandataires sociaux de notre société, seront publiés dans mon rapport annuel. C'est-à-dire que je me suis aligné sur la transparence souhaitée par le MEDEF, le Conseil exécutif a sur ce point, je vous le signale, complété le rapport Viénot. Il dit dans cette affaire de stock-options, qui est une relation entre l'actionnaire et les dirigeants, il est normal que les actionnaires sachent le nombre de stock-options remis à leurs dirigeants. Donc vous connaîtrez, par la lecture du rapport annuel, le nombre de stock-options qui m'ont été remises et j'en suis fier et j'espère qu'elles me rapporteront beaucoup d'argent parce que j'espère que ma société va bien réussir. C'est comme ça qu'on motive.
GERARD BONOS : Rendez-vous au rapport annuel de la CGIP.
MICHELE LECLUSE : Peut-on revenir sur votre proposition de reconstruire le dialogue social ? Parce que, quand vous êtes arrivé au MEDEF, vous avez dit qu'il n'était plus question de discuter au niveau national interprofessionnel. Donc, si je vous comprends bien, cette reconstruction du dialogue, elle se ferait au niveau des branches et des entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, j'ai longuement, je crois, au cours de notre entretien, caractéri0sé la manière dont en France l'Etat, le législateur, la réglementation avaient envahi le champ du dialogue social, les 35 heures en étant le meilleur exemple. Et donc nous avons, nous, tiré les conclusions de cette manière de faire en disant : je ne vois pas très bien comment nous pouvons nous remettre dans un dialogue national tant que l'Etat n'aura pas accepté de modifier son comportement, ça n'a pas de sens de se mettre à quelques-uns sous la menace du législateur. Regardez, par exemple, dans l'affaire des contrats à durée déterminée dont on veut durcir le régime, on a dit qu'on allait les taxer, et on a dit : vous avez très peu de temps pour vous mettre ensemble et négocier, de toute façon la loi est prête. Alors ça, si vous voulez, cette manière de faire c'est pas la peine d'y penser. C'est une question plutôt de dignité, encore que d'autre chose. Au niveau des branches au contraire, nous pensons que le dialogue social est, lui, très riche parce que c'est des professions dans lesquelles les gens connaissent la nature des problèmes qui se posent aux entreprises de leur secteur, il y a du réalisme et donc d'ailleurs c'est comme ça qu'on a mis en place les 118 accords de mise en place des 35 heures. Et, bien entendu, au niveau de l'entreprise, ceci est encore plus vrai. Donc, plus on se rapproche de la réalité de l'entreprise dans le dialogue social, plus celui-ci est riche et apporte des solutions, des solutions qui adaptent, qui adaptent au monde qui est et qui donne donc la possibilité de faire mieux, donc de faire réussir l'entreprise donc de faire de l'emploi. Donc voilà, si vous voulez, notre démarche, le dialogue social nous le sentons très, très menacé parce que le dialogue social de branche, si on annule les 118 accords ou en tous cas si on annule l'essentiel de leur contenu par la loi, je crois en effet, cela on le dira dans notre assemblée générale de janvier auquel je me référerai à ce moment-là pour prendre en quelque sorte le pouls de notre organisation et de tous ceux qui y adhèrent mais je suis tout de même du sentiment que les gens n'auront pas envie de renégocier dans des conditions comme ça. Donc, ce qui est en cause, c'est non seulement le dialogue national, non seulement le dialogue de branche mais peut-être le dialogue d'entreprise parce que c'est tellement compliqué au niveau de chaque entreprise de devoir se prendre un syndicat pour se faire un accord qu'il est possible que ça se paralyse aussi. C'est donc notre grande crainte et c'est ce que j'appelle l'enlisement, c'est-à-dire en fait une mesure qui est à ce point, je dirais attentatoire au dialogue social et tellement inadaptée à la réalité économique que, quelle que soit la volonté du législateur, elle ne pénètre pas dans la réalité .
HEDWIGE CHEVRILLON : Dans un autre ordre d'idées, on observe beaucoup de rapprochements en France, combien restera-t-il selon vous de grandes entreprises mondiales françaises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors qu'est-ce que sera dans 5 ans, dans 10 ans, une entreprise française ? En tout cas de celles qui auront étendu leur rayon d'action au-delà des frontières ? Moi je pense que dans 10 ans, on parlera d'entreprises européennes. L'euro aura eu un puissant facteur d'européanisation et les critères de ce qu'est une entreprise nationale, c'est-à-dire son camp de base, sa culture existeront toujours, je pense en effet que c'est quelque chose qui se maintiendra mais on ne verra plus dans le monde entier des entreprises
HEDWIGE CHEVRILLON : Le camp de base restera français malgré tout ! Enfin pour certaines d'entre elles.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, si vous voulez, alors qu'est-ce que c'est que le camp de base ? Aujourd'hui une entreprise dont on est très fier comme étant nationale, la plupart du temps a à peu près 80 % de son activité en dehors de France, elle a souvent maintenant des comités exécutifs tout-à-fait multinationaux et des actionnaires de fonds de pension qui sont majoritairement étrangers, tout ceci est en train de perdre
HEDWIGE CHEVRILLON : Mais il restera combien de camps de base en France ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je suis incapable de vous le dire, je sais qu'on salue avec beaucoup de force en France l'initiative prise par des entreprises françaises qui prennent des initiatives de rachat, regardez Renault sur Nissan par exemple ou Vivendi sur une grande entreprise américaine, tout ça fait notre fierté et bien évidemment quand quelqu'un veut acheter une grande entreprise française ça nous paraît inacceptable ! Je crois qu'il faut être logique, il y a des rapports de forces, bien entendu la force des entreprises françaises, elle est fonction de tout, c'est-à-dire y compris les conditions dans lesquelles elles fonctionnent et je crois que nous sommes, nous, parfaitement capables d'avoir un certain nombre de grandes entreprises françaises sur lesquelles nous sommes leaders mondiaux, qui mènent le jeu mondial, mais, bien entendu, à condition qu'on ne les décourage pas d'agir en France. Sans quoi elles seront en effet toujours actives mais elles auront quasiment leurs équipes à Londres, leurs activités installées de plus en plus en dehors de chez nous, ce sera toujours nominalement des entreprises françaises mais elles ont, hélas, constaté que la dévalorisation de l'espace économique en terme d'entreprise en France les amènent de plus en plus en plus à se porter à l'extérieur. Il faut là-dessus, je vous assure, je m'excuse de le dire, mais c'est trop bête, il faut prendre la mesure du risque de tout ceci et raisonnablement nous écouter et nous entendre. Nous ne sommes pas abusifs, nous ne sommes en rien extrémistes, nous ne sommes pas dogmatiques, nous connaissons les entreprises et les conditions de leur réussite. Je vous en prie, ceux qui nous dirigent, écoutez nous !
PIERRE ZAPALSKI : Je voudrais revenir au MEDEF. Je voudrais savoir ce qui vous sépare du Centre des jeunes dirigeants. Est-ce que c'est le président Degroote qui a appliqué les 35 heures depuis 3 ans et qui encourage la syndicalisation des ses entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout ! Le président Degroote et son bureau, et nous MEDEF, avons les relations les plus confiantes. Nous nous voyons fréquemment, il n'y a pas de secret en disant que j'ai été passé deux heures avec leur bureau peu de jours avant le 4 octobre, non pas du tout pour les convaincre de rejoindre et d'être comme toutes les entreprises, toutes les organisations d'entrepreneurs de notre pays en appui de notre organisation, mais pour prendre la mesure de leurs arguments. Et au fond, qu'est-ce que dit le CJD ? Il fait un peu profession de ne pas s'aligner sur le MEDEF parce qu'il veut avoir son autonomie de pensée, son expérimentation et nous respectons ça totalement. Eh bien, en réalité, ils disent nous, nous attendrons la deuxième loi pour la juger.Ca, c'est une démarche qui est la leur ! Mais ils disent aussi : nous avons fait un rapport parce que nous avons été invités par le gouvernement à expérimenter les 35 heures de façon approfondie, ils ont pris 500 entreprises et ils ont fait un rapport sur la manière dont, d'ailleurs avec de l'argent public qui les a aidés, pour faire de la consultance etc, ils ont pu ou pas pu mettre en place les 35 heures. Leur rapport, je m'excuse de vous le dire, est accablant. Il est accablant, ils appellent ça " la galère ". C'est-à-dire qu'ils disent : quelle que soit notre bonne volonté, nous devons constater que cette manière qu'on a de vouloir imposer à nos entreprises, ce sont des petites entreprises pour l'essentiel, cette loi autoritaire, a soulevé tellement de problèmes qu'en réalité nous n'avons que 150, sur 500 qui ont été capables de mettre un accord en place et qui le font vivre de façon très difficile. Alors je ne veux pas exagérer leurs réticences, mais ces gens qui sont vraiment de très bonne volonté, et très intelligents, je m'empresse de le dire, et très en avance quelquefois par leurs réflexions sur la base entrepreneuriale, ont avec leur meilleure volonté dû constater que cette usine à gaz, je crois que l'expression est entièrement reprise par eux, n'est pas applicable sans d'immenses difficultés. Et donc, il ne faut pas croire que quand quelqu'un n'a pas rejoint le MEDEF, il est pour autant acquis à la loi ringarde.
GERARD BONOS : Ernest-Antoine Seillière, on arrive à la fin de cette émission. Imaginez que, je sais que ça va être dur, que je sois un jeune et qui vous dise : voilà, je voudrais créer mon entreprise. Est-ce que vous me conseillez de le faire ici ou ailleurs ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, je vais vous dire une chose. Si moi, représentant des entrepreneurs et président du Mouvement des Entreprises de France, je dis aujourd'hui à un jeune qui me pose la question : écoutez, moi j'ai bien regardé les choses, vous devriez faire ça ailleurs, vous vous rendez compte de la portée catastrophique de ce message ! Ca n'est pas du tout le mien. Moi je dis : entrepreneurs de France, mobilisez-vous, de façon à faire comprendre à notre société qu'elle a tous ses atouts d'avenir si elle sait retenir ses jeunes entrepreneurs chez nous. Et pour ce faire, nous allons nous organiser. Je l'ai dit : nous sommes au premier jour de la conquête de l'opinion sur nos valeurs entrepreuneriales qui feront que ce jeune comprendra que tout cela n'est pas acquis, que la société française a beaucoup changé et qu'elle peut encore beaucoup changer et que nous, nous ferons bien entendu tous nos efforts dans notre mesure pour la faire changer, pour que les jeunes entrepreneurs veuillent entreprendre en France.
GERARD BONOS : Ernest-Antoine Seillière, merci.
(source http://www.medef.fr, le 9 février 2001)