Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur la défense du pluralisme dans la majorité, la nécessité de réformer l'Etat, la situation sociale et l'élargissement de l'Europe, Issy-les-Moulineaux le 20 octobre 2002.

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Circonstance : Conseil national de l'UDF à Issy-les Moulineaux (Hauts-de-Seine) le 20 octobre 2002

Texte intégral

Mes chers amis,
ce discours de conclusion a à peine lieu d'être parce que ce n'est pas ce que l'on dit qui compte, c'est ce que l'on est !
Toute la journée il me semble qu'un observateur extérieur à notre aventure qui aurait été là, aurait vu non seulement le bonheur que nous avons eu à exprimer notre volonté, nos idées et notre existence, mais il aurait vu la force que nous représentons.
De cela, naturellement, je voulais vous dire merci. Mon sentiment est très simple. Nous avons reconstruit le bateau et le bateau est prêt de nouveau à prendre la mer pour les grandes traversées.
André Santini qui dissimule beaucoup de ses atouts et de ses richesses derrière la maestria du sourire, a fait et conduit de longues études de langues orientales en plus de ses études de droit. Il dit souvent que l'idéogramme chinois qui signifie le mot " crise " est le même que celui qui signifie " chance ".
Nous n'avons pas voulu cette crise, mais nous sommes déterminés à en faire une chance.
Derrière nous la page - elle a été longue - des querelles internes qui nous ont fait tant de mal. Derrière nous les abandons, les amertumes, les petitesses.
Nous sommes en ordre de marche et nous sommes en formation de combat.
J'ai été tout au long de la journée très fier que se manifestent les deux réalités que vous avez senties comme moi.
La première, c'est l'esprit d'équipe.
Très souvent on disait : mais, cette aventure, est l'aventure d'un homme. Et je vous affirme que cela n'a jamais été une minute dans mon esprit. Mais on voit aujourd'hui que, non pas cette aventure, mais cette entreprise, est une entreprise d'équipe. L'équipe, vous l'avez senti tout au long de la journée. Je ne dis pas qu'elle est la plus nombreuse, mais je dis une chose avec certitude, je crois qu'il n'y en a pas de meilleure dans la vie politique française.
Le deuxième élément de cette journée, c'est que cette équipe, c'est aussi la traduction d'une génération nouvelle, la génération terrain comme l'on disait, ceux qui ont conquis des mairies, des circonscriptions et qui font que notre groupe à la moyenne d'âge la plus basse de tous les groupes de l'Assemblée nationale.
La génération terrain, la génération nouvelle, dans les élus, dans les candidats, dans les responsables, tout au long de la journée, elle a parlé à cette tribune de l'avenir que l'UDF va conquérir.
Deuxième idée. Nous sommes, nous avons choisi d'être les défenseurs du pluralisme et le pluralisme est nécessaire à la démocratie que nous portons dans notre nom. Mais nous le disons à nos alliés et partenaires, le pluralisme est aussi nécessaire à la réussite de la réforme. Ceux qui ont tous les pouvoirs et qui voudraient de surcroît le monopole de l'expression, se trompent. Si l'on choisit l'intérêt national et l'intérêt de la réforme, alors il faut qu'il y ait dans la majorité un parti qui soit libre de soutenir les réformes avec toute la vigueur, toute l'énergie, tout le sens du combat nécessaire pour qu'elle réussisse.
Nous sommes le parti de la réforme et nous l'assumerons comme deuxième pôle de la majorité.
J'ai été très heureux que, ce matin, l'un d'entre nous note que ce n'est pas la même chose, pour le débat politique, que d'avoir un débat ou même des querelles à l'intérieur d'un parti, et d'avoir un débat devant les Français. Ce n'est pas la même chose d'essayer de faire triompher sa thèse à l'intérieur d'un parti et de proposer les thèses, pour que ce soient les français qui choisissent. Parce que, dans un cas, le choix appartient aux militants et à l'appareil du parti est, dans l'autre cas, le choix appartient aux citoyens qui l'expriment dans leur diversité, leur pluralité. C'est ainsi que nous reconnaissons le peuple souverain.
Dans un cas, vous triomphez si vous savez mieux contrôler l'appareil ; dans l'autre, vous l'emportez si vous savez mieux conquérir le cur d'un peuple. C'est cette deuxième voie que nous avons choisi.
Je dis, le pluralisme est l'allié du changement. Cette affirmation est nécessaire aujourd'hui. Parce que vous aurez tous aperçu que, devant le changement, les résistances sont énormes.
A tort ou à raison et au travers du temps, les obstacles sont devenus plus importants et de toute nature les corporatismes, les conservatismes, les idéologies, le populisme, l'extrémisme des deux bords. Tout cela constitue des obstacles devant la volonté de changer.
Et lorsque la volonté de changer ne parvient pas à vaincre les obstacles, alors il convient de dire : ce sont toujours les mêmes qui trinquent ; ceux qui ramassent dans la figure les conséquences de l'incapacité à changer les choses.
Ce n'est pas les cadres, les patrons d'entreprise, les entrepreneurs, les lecteurs des " Echos ". Ceux qui ramassent dans la figure les conséquences de l'incapacité du changement, ce sont les chômeurs et les exclus de la société française.
Et donc le courage nécessaire, c'est de se placer en défenseur des réformes parce que le véritable esprit social commence par là.
Enfin, dernière notation sur le pluralisme. L'équilibre des forces ne doit pas dépendre des plus forts, mais des plus faibles, quand ils en ont la capacité.
Je dis cela en voyant le projet que nous avons sur le monde ; je vois les Etats-Unis et leur puissance, je vois notre difficulté européenne et je dis : ce n'est pas la faute des États-Unis ; c'est la faute des Européens si nous ne sommes pas capables de construire une puissance, puisque nous en avons tous les moyens.
Eh bien, c'est la même chose à mes yeux dans la majorité. Le pluralisme, cela dépend de nous. N'attendons pas de cadeau, il n'y en aura pas.
Si en revanche nous croyons plus fort que les autres à notre idéal, à nos convictions, alors nous gagnerons l'équilibre, nous l'obtiendrons par la victoire et en manifestant notre engagement sur le terrain.
L'équilibre des forces dans la majorité dépend en réalité de la volonté de l'organisation et de notre force de conviction. C'est pourquoi je dis aujourd'hui : ce défi de l'équilibre, nous l'acceptons, pour les réformes, pour la France et pour une certaine idée que nous nous sommes formés de la démocratie.
Troisième observation. Ce qui est entre nos mains, au-delà du pluralisme et au-delà des réformes, c'est la question de l'espoir que l'on doit ré enraciner dans notre peuple.
Comme Hervé Morin l'a dit, nous n'avons pas oublié le 21 avril, ce jour où s'est exprimé le désespoir démocratique.
Ce désespoir, on le voyait monter .Je crois n'avoir pas fait un seul meeting de campagne électorale ni une seule émission sans dire : vous vous trompez, le scénario que vous avez écrit tout seul, les Français ne l'adopteront pas ; le duel que vous nous prévoyez et préparez, les Français n'en voudront pas. Il va se passer quelque chose qui est de l'ordre du séisme. Eh bien tout cela que l'on voyait monter, cela s'est manifesté malheureusement par le score de l'extrême droite le 21 avril.
Un vote d'exclusion et c'est le paradoxe de la part de français qui se sentent eux-mêmes exclus.
L'exclusion nourrit l'exclusion et nous avons sans cesse, depuis 5 mois, réfléchi à ce 21 avril oublié. Il me semble qu'il y a deux oublis qui ont expliqué ce qui est arrivé le 21 avril.
Le premier, c'est que l'on a oublié la nécessité d'un idéal pour façonner les rêves d'un peuple et la deuxième, c'est que l'on a oublié la nécessité des outils concrets qui servent à modeler la réalité.
La vie politique française, avec le temps, s'est avérée être : 0 en idéal, et 0 en réalité.
J'écoute avec attention les débats qui se déroulent à gauche. J'ai été très frappé de voir cette plainte d'un grand nombre de français qui avaient cru qu'il y avait là un espoir.
Et le constat qu'ils ont fait est que cet espoir, en réalité, avait été constamment déçu pour ne pas dire constamment trompé.
Je voudrais dire un mot des outils et un mot de cet idéal.
La première qualité d'un outil, c'est d'être bien en main. Aujourd'hui les outils démocratiques ne sont pas bien en main. D'abord, parce qu'initié que nous sommes, formés, ayant suivi les parcours scolaires, universitaires ou bien ayant l'expérience des mandats, nous perdons de vue que ces outils qui devraient être compréhensibles par tout le monde, sont désormais devenus des outils pour initiés supérieurs.
Lorsque les outils démocratiques ne sont plus compréhensibles par les citoyens, alors ils perdent leur efficacité, ils n'ont plus ni le tranchant, ni le mordant, ni la force nécessaire pour ceux qui croient, comme nous, que démocratie, cela veut dire quelque chose.
Je prends trois exemples : la déréliction du parlement, la chute de l'esprit parlementaire. Quand on voit, sur de grands textes qu'un groupe majoritaire de parlementaires comportant 365 députés, autant que de jours dans l'année, se voit imposer la consigne de ne pas déposer d'amendement sur un texte et qu'il l'accepte alors que l'on vient de faire campagne sur le renouveau démocratique -, je dis que tous les jours on nourri la chute du parlement dans nos institutions.
Lorsque je vois - j'aborde d'un mot le débat sur la décentralisation - le labyrinthe qu'est devenu la vie locale, dans laquelle - même nous, conseillers nationaux d'une grande formation politique française, sommes pour la plupart incapables de nous repérer, l'empilement des collectivités locales, le fait que l'on en ajoute constamment sans légitimité et sans lisibilité, et lorsque je pressens que, dans la grande oeuvre législative sur la décentralisation, on va en réalité renoncer à la simplification ou à ouvrir le débat sur la simplification, je dis que c'est au citoyen que l'on ment, parce que moi je voudrais que tout enfant de sixième puisse en 2 heures, comprendre le fonctionnement de nos institutions et le transmettre par exemple à leurs parents, ce qui ne serait pas inutile...
Si la démocratie n'est pas transparente, ce n'est pas une démocratie et c'est pourquoi Charles-Amédée de Courson et Jean Arthuis ont porté, portent depuis des années, ce débat que nous avons réclamé encore cette année avec insistance, le débat sur la vérité des comptes.
La croissance, elle n'est pas principalement de la responsabilité du gouvernement. C'est une erreur d'un autre temps que de le croire.
Et donc, il n'y aurait pas eu de honte et à nos yeux, il y aurait eu grand bien fait, à ce que nous examinions, face aux Français hypothèses différentes selon que la croissance serait haute, moyenne ou faible, parce que cela nous aurait appris quelque chose sur la nécessaire réforme de l'Etat.
Les outils, ils doivent être des outils de transparence, d'évidence, compréhensible par tout le monde. Il ne le sont plus. Il faudra donc préparer et conduire la réforme fondamentale de nos institutions démocratiques sans laquelle il n'y aura pas de véritable changement.
Ayant parlé des outils, je voudrais parler une minute de l'idéal.
Ce n'est pas des sujets que l'on aborde souvent en politique, mais il ont été très souvent, à cette tribune, invoqués par ceux qui s'y sont succédés.
Notre idéal, c'est de faire l'homme plus grand et la société plus fraternelle.
Nous nous sentons les héritiers de siècles, de millénaires, qui disent : l'homme, cela se construit. L'homme se fait. Si j'osais dire, je dirais : l'homme se mérite.
L'humanité de l'homme, elle n'est pas un donné que l'on reçoit comme cela, c'est le résultat d'un combat. C'est le résultat d'une action patiente qui est culturelle, qui est morale, qui est esthétique, mais ce n'est pas reçu automatiquement et cela se gagne contre tous les matérialismes et contre tous les égoïsmes dont, Dieu sait, que notre temps et si profondément marqué.
Notre idéal, c'est cela. Si c'est vraiment notre idéal, alors, notre priorité, c'est très simple, s'appelle d'abord éducation.
L'illettrisme que depuis 15 ans, j'essaie parfois avec difficulté, d'imposer comme un sujet majeur de la société et de la politique - qui ne concerne pas seulement l'Education nationale, mais principalement l'Education nationale - doit être une blessure pour tous ceux que nous sommes, pour tous ceux qui se reconnaissent dans cet idéal humaniste-là. Mais dire cela, cela veut dire en même temps qu'il faut trancher de la question des moyens de l'éducation. Je pense qu'il convient de les employer mieux, de les utiliser mieux, mais par pitié, cessons de poser comme préalable, chaque fois que la droite revient au pouvoir, que la première chose à faire est de couper dans les moyens de l'Education nationale.
En revanche, bien entendu, nous ne pouvons pas admettre que les résultats demeurent ceux qu'ils sont et donc, dans ce type de ministère, il faudra que démocratiquement, on se fixe des objectifs concrets à atteindre et vérifiables. Nous ferons des propositions sur ce sujet dans les semaines qui viennent.
J'en dirais autant de la réforme de l'Etat parce que ce sujet est exaspérant, tant il est répété et tant les résultats se font toujours attendre.
Ce sujet impose des choix. La réforme impose des choix. S'agissant des dépenses de l'Etat, il faut dire 2 choses : la première, c'est qu'il faut faire des économies sur le fonctionnement et pas sur l'investissement. Je veux dire que si l'on soutient l'idée qu'en période difficile il faut alimenter l'activité économique, ce qu'un certain nombre des nôtres et de très grands économistes défendent à juste titre, il faut dire qu'il faut le faire par l'investissement et pas par le laxisme sur le fonctionnement.
Il faut dire que la dette, le volume de cette dette, - je vais dire des chiffres qui n'ont pas de réalité, 1000 milliards d'euros divisés par le nombre des français, cela fait quelques 15000 euros par Français, vivant depuis le berceau, jusqu'à l'âge le plus avancé. Si vous prenez les actifs, vous allez voir que cela fait encore plus lourd.
Chaque fois que l'on fait du déficit, on ne fait pas du déficit, on fait de la dette.
Et cette année par exemple, on va augmenter la dette des Français de quelque chose entre 4 et 5000 francs par Français.
On est passé de 100000 à 105000 francs par français et nous allons devoir le rembourser, chacun d'entre nous, chacun de ceux qui travaillent, chacun de ceux qui viennent de naître, chacun de ceux qui sont en train de faire leurs études.
Naturellement, plus on a d'années d'activité devant soi, plus on va devoir payer cher. Il est irresponsable de ne pas traiter ce sujet.
Il n'y a à mes yeux qu'une manière, s'agissant de la réforme de l'Etat et de la Fonction publique de le dire. Il y a trois types de fonction publique : une fonction publique qui manque de moyen et à qui il faut en ajouter, je pense par exemple à la justice, je pourrais aussi penser à la santé ; il y a une fonction publique à qui il faut garantir ses moyens et faire avec elle un contrat d'objectifs, je pense à l'Education nationale, et il y a une fonction publique sur laquelle doit porter l'effort national, et c'est ce que j'appelle, administration de papier, administration de contrôle, administration de collecte des impôts par exemple.
Il ne s'agit pas de supprimer le poste de ceux qui sont en fonction, naturellement, mais il s'agit au minimum de poser la question, Jean-Louis Bourlanges me disait qu'il y aj, grosso modo, 150 impôts en France et 50 impôts en Allemagne. Franchement, je ne crois pas que la société française justifie dans sa différence avec la société allemande, une telle disparité. Il n'est pas normal que nous ayons le système de collecte des impôts le plus lourd de tous les pays développés. Je veux bien payer de l'impôt pour que cela rapporte à la société, mais il me paraît un peu paradoxal de payer de l'impôt, au profit de ceux qui collectent l'impôt.
Dernier sujet que je voulais aborder : le sujet social.
A juste titre, tout au long de la journée, un appel social s'est fait entendre et cet appel social, il est notre identité et ceux qui se sont exprimés, l'on fait au nom des abandonnés, des millions d'exclus, de tous ceux qui restent sur le bord de la route.
Mais, cet appel social exige que nous ayons le courage de dire que la vraie solidarité, ce n'est pas l'assistance. La vraie solidarité, c'est de multiplier le travail et tous les moyens pour multiplier le travail doivent être utilisés. Celui qui nous paraît le plus efficace et de loin, c'est la baisse du coût du travail qui est excessif en France et qui nourrit le chômage dont nous souffrons tant.
C'est la raison pour laquelle, nous avons forgé ce jugement sur les 35 heures. Ce que j'ai regretté dans ce texte, c'est que malgré le mandat du peuple français, on ne se soit pas attaqué au fond de la question des 35 heures. Nous avions proposé une solution qui permettait à la fois au salarié de gagner plus lorsqu'il fait des heures supplémentaires entre 35 et 39, et à l'entreprise que ces heures supplémentaires soient neutres pour elles par un jeu sur la baisse des charges.
Je dis au passage - cela va peut-être vous choquer - que je considère pour ma part comme injuste et indéfendable que l'on pérennise dans le temps le fait que l'heure supplémentaire travaillée dans une entreprise de moins de 20 salariés soit payé 15 % moins cher, que l'heure supplémentaire payée dans une entreprise de plus de 20 salariés.
Ce n'est pas la justice, ce n'est pas l'efficacité et naturellement, ce n'est pas un système que de courir le risque de voir ponctionner les meilleurs salariés des petites entreprises, au profit des plus grandes entreprises.
J'ai été heureux que Gilles de Robien l'aborde au moins entre les lignes dans son intervention ; tout cela est le prélude à l'expression d'une pensée sociale renouvelée. Cette pensée sociale naturellement, après les désastres boursiers que nous avons connu, doit porter sur la place des salariés dans le gouvernement d'entreprise. C'est un très grand et très vaste sujet, mais il y a là, matière à penser une société à capitalisme réformé, à la place de la société dans laquelle nous vivons depuis des années et pour certains à leurs risques et périls.
Je dis cela parce que, naturellement, une formation politique ne se définit que par l'originalité de son projet. La question qui se pose à nous, aujourd'hui, est la question du modèle. Ce que nous voulons, c'est penser, défendre et un jour faire entrer dans la réalité un modèle différent. C'est pourquoi, ce type de question tabou jusqu'à aujourd'hui, nous allons l'aborder et nous allons le traiter dans le projet que nous bâtirons dans les mois qui viennent.
J'aborde la dernière question avant de conclure et vous ne vous étonnerez pas que cette question soit sur le courage d'un vrai projet européen.
Jean-Louis Bourlanges s'est exprimé avec un immense talent et une connaissance approfondie sur ce sujet. Je vais le faire rapidement, comme je l'ai fait l'autre jour à l'Assemblée Nationale.
La question de l'Irak pose à l'humanité la question du modèle sur lequel elle va vivre pendant le siècle qui vient. Ou bien une planète dominée par une seule hyper puissance, ou bien l'équilibre des puissances.
J'approuve ce qui a été fait par la diplomatie française et par le président de la République sur l'Irak. Nous avons raison de poser la question comme nous l'avons fait, mais cette question ne se pose pas aux Etats-Unis d'Amérique et pas seulement aux Nations Unies. Il y aura équilibre des puissances si nous, européens, décidons d'exister.
Si nous continuons à décider à ne pas exister, nous signons l'acte qui constatera que le monopole de la puissance et en réalité exercée par un seul Etat à la surface de la planète.
Cela ne dépend pas des Etats-Unis, cela dépend de nous.
Or, le fossé ne cesse de se creuser.
Le fossé en matière de défense, le fossé en matière de recherche.
Rien n'est plus éclairant et plus inquiétant que de voir le drainage du monde par les Etats-Unis, des meilleurs cerveaux, des meilleurs chercheurs pour constituer les laboratoires de pointe en matière de bio-technologie, en matière de rayonnements qui font aujourd'hui la puissance potentielle des Etats-Unis.
Ils dépensent plus que nous, de manière concertée et concentrée. Il dépend de nous, européens, de savoir ce que nous voulons et cela dépend d'autant plus de nous que nous avons désormais une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Je vais prendre parti, à ma manière, dans le débat presque quotidien qui existe entre Jean-Louis Bourlanges et Marielle de Sarnez, tous les deux députés européens sur ce sujet.
Le drame devant le traité de Nice, c'est que la négociation en a été si mauvaise qu'on ne nous a désormais laissé le choix qu'entre le mauvais et le pire. Le traité de Nice est très mauvais. A chacun de juger s'il est pire qu'il ait été adopté ou si, son refus, aurait créé une situation pire encore.
Mais les deux branches de l'alternative sont deux branches profondément inquiétantes.
Je suis de ceux qui considère que l'Europe est entrée dans une situation de crise sans précédent.
Je répète, l'Europe vit aujourd'hui une situation de crise sans précédent.
Que tout le monde emploie les mots de l'Europe, ne fait que renforcer la situation de crise de l'idée et du projet européen.
J'en viendrais presque à préférer qu'à visage découvert, masques arrachés, il y ait une confrontation entre ceux qui veulent l'Europe et ceux qui ne la veulent pas. Mais la confrontation est entre ceux qui veulent et ceux qui ne la veulent pas, disant qu'ils la veulent.
L'analyse de Jean-Louis Bourlanges, très juste et très profonde, ce n'est même pas une lutte entre les souverainistes et les européens. C'est la lutte entre les européens qui veulent une volonté politique de l'Europe et les libre-échangistes qui n'en veulent pas. C'est cela le véritable débat.
C'est le drame qu'il y a dans le paradoxe du référendum irlandais. C'est un drame parce que les deux branches présentent un risque majeur.
Nous sommes nombreux dans cette salle à avoir rêvé que, un jour, le mur tomberait, que l'Europe se réunifierait. Nous sommes nombreux dans cette salle dont le cur a battu avec le cur de Walesa.
Nous sommes nombreux dans cette salle à avoir vu sortir de Pologne, ce double rêve incarné par un électricien et incarné par un pape.
Nous avons tremblé, frémi, pleuré, avec le peuple polonais et avec tous les peuples abandonnés à l'est ; Et au moment où ce rêve va se réaliser, voici que le projet est menacé d'effondrement. C'est là que nous en sommes.
C'est à ce moment de l'histoire et, ironie des ironies, voir ceux qui n'ont jamais servi ce projet, ceux qui ont voulu dès le début combattre ce projet, les voir se servir du rêve de l'élargissement, pour miner le projet qui était le nôtre.
S'il y a au moins une famille qui a eu la lucidité d'en identifier le risque dès le départ, c'est là nôtre.
Ceux qui disaient, pas d'élargissement sans approfondissement, c'est nous. Ceux qui ont dit, le traité de Nice est un traité poison, c'est nous et nous n'avons jamais changé d'avis sur ce point.
Donc, quand on voit l'ardente nécessité du projet européen, quand on constate en face l'épée de Damoclès que risque de constituer un élargissement mal maîtrisé sur une Europe fragilisée, à ce moment-là on dit l'urgence des urgences, c'est de vraies institutions pour une véritable volonté européenne.
Alors, je le dis en pensant à Valéry Giscard d'Estaing qui a la charge principale de cette immense affaire.
J'ai été son Secrétaire-général, il a été le fondateur et le président de cette maison, nous avons eu des débats de la politique intérieure, mais sur l'essentiel de nos convictions, vous savez bien que ce sont les mêmes.
Il a aujourd'hui une immense responsabilité.
Je voudrais proposer un critère pour que nous jugions dans les semaines et les mois qui viennent de la qualité des propositions qui seront faites par la convention ou, au nom des États.
Ce critère est pour moi celui de la formation de la volonté européenne.
Seront à mes yeux institutions justes celles qui permettront de forger et d'exprimer une volonté politique de l'Europe.
Si les corrections que l'on nous proposait étaient de nature à rendre plus difficile la formation d'une volonté politique de l'Europe, je dirais elles sont mauvaises.
Et si, au contraire, elles permettent de mieux forger la volonté politique de l'Europe, je dirais, elles sont bonnes.
A ce titre, je voudrais reprendre l'avertissement que Jean-Louis Bourlanges formulait. Il y a un avertissement qui mérite d'être exprimé, même si je sais qu'il est difficile à comprendre pour les opinions européennes.
Nous avons été les premiers à réclamer une constitution. Nous avons été les premiers à défendre l'idée d'un président pour l'Europe. Mais il y a président et président ou plus exactement, si au lieu d'un président - celui de la commission qu'on légitimerait - on en crée deux concurrents et rivaux, on aura fait reculer l'idée européenne, on l'aura rendu plus incompréhensible et plus incapable encore de forger une volonté politique commune pour les européens.
Or, c'est de cela que nous sommes menacés aujourd'hui.
Naturellement, cela demande que nous fassions l'effort de réfléchir, de comprendre. Mais vous comprenez bien que si vous bâtissez une dyarchie.
Une opposition, une cohabitation à la tête d'une institution aussi fragile que l'Europe et si vous en fait la loi de cette institution, vous rendez un mauvais service à cette institution.
Je demande donc, au nom de l'UDF et en particulier pensant à ceux qui siègent à la convention, que l'on veille à ne pas diviser les institutions européennes car, si on les divise, on les affaiblira.
Dernier sujet et dernière affirmation sur l'Europe : la question des frontières.
Je ne vais pas la reprendre aujourd'hui. Je veux seulement la traduire en 2 phrases.
Depuis longtemps, ceux qui ont pour but de rendre l'Europe inexistante, inefficace ou sans véritable signification, ont conçu le projet de la rendre extensible à l'infini.
Les philosophes nous ont depuis longtemps expliquer qu'étendre un concept, c'était l'affaiblir.
On a vu de très nombreux exemples de cette idée, on en voit encore. J'étais hier au congrès du PPE où Sylvio Berlusconi a proposé que l'on accepte la fédération de Russie au sein de l'Union européenne.
Toute proposition mérite examen. Mais si vous ajoutez, d'un autre côté, que Lionel Jospin et Jacques Chirac ont ensemble signé la promesse d'adhésion de la Turquie et, si vous mesurez que la Turquie d'un côté et la fédération de Russie de l'autre ouvrent sur des univers complètement différents, culturellement, historiquement, géographiquement de l'univers européen, alors vous direz en même temps que naturellement il y a un moment où, l'entreprise devient impossible et je crains qu'un certain nombre ne se satisfasse de cette entreprise ruinée.
Nous devrons aborder la question des frontières. C'est une question de définition de l'Union européenne.
Enfin, dernière réflexion et j'achèverai mon propos sur cela, l'Europe, c'est une question française.
Si Robert Schuman n'avait pas porté cette idée folle, si Jean Monnet ne l'avait pas alimenté, si des hommes de notre esprit ne s'en étaient pas faits les militants au sens propre du terme, c'est-à-dire les combattants, ce rêve n'aurait pas existé.
Aujourd'hui ou le rêve est menacé, c'est aux Français de proposer leur vision.
Je voudrais que le Gouvernement français, les autorités françaises et le Président de la République française, relèvent ce défi et disent au nom de la France et s'il le faut, avec débat ou nous assumerons notre part, ce qu'est la vision française, ce qu'est la proposition française pour l'avenir de l'Europe. Le nouveau gouvernement allemand étant ce qu'il est, et notamment M. Joska Fischer y occupant les responsabilités que nous savons, après les prises de positions qui ont été les siennes, peut-être y aurait-il là, le meilleur carburant pour relancer ce moteur franco-allemand dont on regrette tant qu'il ne fonctionne pas.
Nous sommes au terme de cette journée. Je dirai 3 choses toutes simples. Je voudrais faire, en parlant de vous et de nous, l'éloge du courage en politique.
Courage, ce n'est pas seulement d'exister dans les mauvais moments, mais si l'on a le courage tranquille de refuser les oukases, alors il est probable que l'on aura le moment venu le courage nécessaire pour porter la réforme dont la France à temps besoin.
Je voudrais faire l'éloge, vous ayant entendu toute la journée, de la cohérence en politique.
La force que vous avez exprimée tout au long de la journée, vient, non pas seulement du nombre de ceux qui se sont exprimés, non pas seulement de leur jeunesse, elle vient de ce qu'ils croient ; nous croyons les mêmes choses et c'est une extraordinaire force que de partager une conviction lorsqu'il s'agit de monter au combat.
Ayant dit tout cela, je voudrais ouvrir une perspective.
Le jour viendra, du moins j'en ai la conviction, où ce pôle de renouveau de la démocratie, que nous formons ensemble, va devenir attirant pour beaucoup de citoyens ou de responsables qui, jusqu'à maintenant, se reconnaissaient dans d'autres courants, qui étaient investis ou engagés ailleurs.
Nous sommes un pôle de renouveau et nous serons un pôle de rassemblement. C'est pour moi ce que cette journée voulait dire et c'est une très bonne nouvelle pour la démocratie française et le parti qui la défend. Je vous remercie.
(source http://www.udf.org, le 21 octobre 2002)