Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre dans "Les Echos" du 17 mars 2003, sur la conjoncture économique internationale et française, les déficits publics, la politique de l'emploi et sur la réforme des retraites et celle de l'Etat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

La guerre semble aujourd'hui imminente. Quel impact va- t-elle avoir sur l'activité et sur votre politique ?
Nous avons d'ores et déjà encaissé un certain nombre d'effets de cette tension internationale. Le 15 juin, tous les experts objectifs prévoyaient 3% de croissance, et puis d'étape en étape, ils ont dû rectifier leurs chiffres. L'accélération de l'effondrement de la bourse, à l'automne, a été pour nous le signal que nous étions entrés en situation de crise et qu'il fallait déclencher un processus de précaution. La première décision que nous avons prise a été de raisonner désormais, en matière de prévisions, semestre par semestre pour essayer de maintenir, malgré tout, une certaine lisibilité. Aujourd'hui, notre estimation de croissance pour cette année est de 1,3%. C'est un chiffre très prudent car beaucoup de phénomènes peuvent l'affecter, notamment l'évolution de la parité euro dollar qui sera un des éléments clés de la situation d'une éventuelle après guerre : la devise américaine va- t -elle flamber ? A quel niveau sera le dollar ? En réalité il y aurait autant de raisons, aujourd'hui, de tabler sur une prévision de croissance de 1,5% mais nous avons voulu être prudents car nous tenons à la sincérité de notre politique.
Est-ce que ce climat d'incertitude n'offre pas l'opportunité de retenir une prévision de croissance basse pour être plus sévère dans les économies budgétaires et créer, ainsi, une marge plus confortable pour plus tard ?
Nous ne cherchons pas à utiliser la guerre à des fins intérieures, ni sur le plan économique ni sur le plan politique. Il y a aujourd'hui une incertitude réelle, un attentisme fort même si les industriels ne sont pas catastrophistes et qu'il y a de grosses différences selon les régions. Mais tant que nous n'aurons pas levé les hypothèques internationales, nous devons veiller à la crédibilité de notre position économique. Pour le moment, nos estimations sont articulées autour de quatre chiffres : une croissance de 1,3%, une prévision de déficit public égal à 3,4% du PIB sur l'année 2003 et de 2,9% en 2004, et un volume d'économies budgétaires de 1,4 milliard d'euros. J'ai signé dès vendredi le décret par lequel l'Etat engage ces économies. Nous verrons dans six mois .
Cette politique de précaution ne brouille-t-elle pas toute votre ligne économique, notamment votre politique de baisse d'impôt, qui paraît de plus en plus compromise ?
Malgré l'Irak, les réformes continuent. Nous ne changeons pas de ligne économique: je dirais même que moins nous avons de marges financières, plus nous avons d'exigences en matière de réformes. Nous avons respecté, à la semaine près, le calendrier que nous nous étions fixé. Après les réformes régaliennes, nombre de réformes arrivent à maturité : la décentralisation, qui fait l'objet aujourd'hui de la réunion du Congrès à Versailles ; le projet de loi d'ordonnances pour les simplifications administratives qui sera présenté au conseil des ministres de mercredi et qui est d'une ampleur inégalée ; le développement du partenariat public- privé qui va permettre de mieux financer les investissements publics. Nous sommes en train de créer progressivement les conditions de ce que j'appelle la société de croissance durable et qui consiste à aller chercher les points de croissance qui nous ont manqué dans le passé. Quand on regarde sur vingt ans l'évolution de l'économie française, on s'aperçoit qu'il a manqué un point de croissance par an. Et le pire, c'est qu'on ne sait pas à qui cette croissance a profité ces dernières années. Il nous manque un million d'entreprises par rapport aux pays voisins. En arrivant à Matignon, j'ai cru que le précédent gouvernement avait favorisé l'appareil d'Etat et le secteur public. Or j'ai découvert qu'Edf, France Telecom et la Poste, comme tout le secteur public, étaient dans une situation financière dégradée. Le gouvernement précédent a créé des déficits par des dépenses publiques, c'est absurde. Moi, je veux aller puiser dans toutes les réserves de croissance en développant la formation, l'innovation, en lançant la décentralisation et la réforme de l'Etat. C'est pour cela que notre action de réforme va continuer avec beaucoup de détermination.
Premier encadré
La conjoncture économique ne dépend pas seulement des pouvoirs publics français. Les taux d'intérêt doivent-ils baisser davantage en Europe ?
Je n'ai aucun doute là dessus. Il y encore une marge pour une baisse des taux d'intérêt de la banque centrale européenne. En un an, la monnaie américaine a perdu plus de 35% de sa valeur.
Comment souhaitez-vous que la parité euro- dollar évolue ?
Les chefs d'entreprise que je vois sont vigilants. Nous ne pouvons que craindre une stratégie durable du dollar faible. Cependant, dans le passé, nous avons plutôt enregistré des hausses du dollar dans de telles circonstances. La Banque centrale européenne lie les gestes qu'elle pourrait faire à une amélioration de la situation des comptes publics, notamment en Allemagne et en France. Or, vous souhaitez une renégociation du Pacte de stabilité Le gouvernement a conscience de l'acquis que représente l'euro aujourd'hui et du désordre monétaire auquel nous devrions faire face s'il n'était pas là. Et cet acquis exige une discipline budgétaire. Nous ne sommes pas des va-t-en guerre contre Bruxelles.
Je pense, néanmoins, qu'il faut trouver une nouvelle définition des déficits publics. Un déficit qui s'explique par les dépenses de fonctionnement, de recherche ou de défense, ce n'est pas tout à fait la même chose. Je voudrais que l'on introduise un peu de qualitatif dans les critères, notamment en ce qui concerne la recherche, qui doit être une priorité européenne.
Les dépenses de recherche devraient pouvoir être sorties du Pacte de stabilité. Quand cette renégociation doit-elle avoir lieu ?
Après les éclaircies internationales. Il ne faut pas donner le sentiment que nous voulons modifier les règles par opportunité. Il s'agit d'une discussion stratégique, à construire par consensus.

Mais pour revenir aux baisses d'impôts, quelle est aujourd'hui votre politique ?
Nous ne changeons rien pour 2003. Nous restons dans les orientations que nous avons fixées à l'automne et qui consistent notamment à baisser l'impôt sur le revenu de 1%, en plus de 5 % de l'année précédente. Face aux difficultés, nous avons refusé la rigueur de l'impôt. Nous voulons que l'économie française soit en position de profiter à plein de la reprise de la croissance car nous sommes dans une mauvaise passe, pas dans un mauvais cycle.
Mais, au delà de 2003, que ferez- vous ? Les déficits sociaux font craindre une hausse de la CSG.
Cette hausse n'est pas du tout à l'ordre du jour. Nous apprécierons semestre après semestre l'évolution de la croissance et des comptes publics, mais je peux vous assurer que la hausse de la CSG ne fait pas partie de nos intentions. Quant aux baisses d'impôts, l'évolution de la croissance sera évidemment déterminante. Si elle tourne autour d'un rythme de 2,5%, nous continuerons notre programme d'allègement fiscal tel que nous l'avions envisagé, en poursuivant la baisse de l'impôt sur le revenu. Si, en revanche, la crise devait être plus longue, nous ferions en sorte que les allègements d'impôts soient ciblés encore davantage sur nos objectifs économiques et sociaux : l'emploi, la création d'entreprise, l'investissement, le soutien au secteur du bâtiment et de la restauration via la baisse de la TVA. En tout état de cause, nous garderons l'objectif de baisser globalement le niveau des charges et des impôts parce que c'est nécessaire pour l'emploi durable.
Vous dites qu'il n'y aura pas de hausses d'impôt mais envisagez- vous des relèvements de tarifs publics ? Edf réclame une hausse de plus de 4% au 1er avril. Que lui répondez- vous ?
La décision n'est pas prise à ce jour. Je suis très attentif, dans cette conjoncture qui n'est vraiment pas facile, à la cohésion sociale. Nous avons des réformes essentielles à mener, je pense notamment aux retraites. Je ne souhaite pas provoquer des déchirures sociales. C'est pour cela que j'ai pris depuis mon arrivée à Matignon un certain nombre de décisions comme le refus d'augmenter la redevance télévision ou de diminuer le taux de rémunération du livret A. Je reconnais que, sur ce dernier point, les arguments économiques étaient assez convaincants ; mais dans le contexte d'incertitude que traverse l'économie mondiale, j'ai voulu donner aux français quelques éléments de certitude notamment sociale. Face à une bourse très secouée, il n'était pas juste de s'attaquer à l'épargne populaire.
Vous ne changez pas de politique économique mais vous avez quand même annoncé la semaine dernière un programme d'initiatives intérieures. En matière d'emploi, qu'allez vous faire alors que les plans sociaux se multiplient ?
L'emploi marchand qui continue sa progression est notre priorité. La création d'emploi par les entreprises, soutenue par les allègements de cotisations sociales ou les contrats sans charges sociales pour les jeunes que nous avons créés, reste évidemment le socle de notre politique. Mais il va de soi qu'à partir du moment où le tissu social peut se déchirer, il faut aussi éviter que les plus fragiles soient les premières victimes du ralentissement économique en mobilisant tous nos dispositifs. Je pense notamment à de nouvelles formes de contrats emploi solidarité (CES) et de contrats emploi consolidés (CEC), à la création du Revenu minimum d'activité à partir du RMI (Revenu minimum d'insertion) et celle du contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis). Nous espérons pouvoir en créer à terme 25 000 dans les associations pour soutenir les projets des jeunes. Nous allons aussi redonner de la puissance au contrat initiative emploi en entreprise (CIE) qui avait été créé en 1995 par le gouvernement Juppé. Nous allons soumettre l'ensemble de ces propositions aux partenaires sociaux demain à l'occasion de la conférence sur l'emploi.
L'idée de cette conférence a été, au départ, assez mal accueillie par les partenaires sociaux
Ils ont eu, c'est vrai, le sentiment que le gouvernement empiétait sur leur terrain. Ce rendez-vous, c'est, pour moi, un appel à la mobilisation générale sur l'emploi. Les bruits du monde accélèrent nos calendriers. C'est une invitation ferme à activer les négociations sociales, notamment sur la formation professionnelle. Nous avons, dans ce dernier cas, le souvenir de la négociation qui avait été engagée sous le gouvernement précédent et qui avait duré plus d'un an sans aboutir. Jacques Chirac, vous le savez, a fait de l'assurance emploi, c'est-à-dire de l'alternance dans la vie professionnelle entre les périodes de formation et d'emploi, une orientation majeure de son mandat. Mais il faut concrétiser cette idée. Nous attendons aussi que les syndicats et le patronat nous fassent des propositions.
Quelles sont vos prévisions en matière d'emploi ?
Nous sommes préoccupés. Il est difficile, bien sûr, de faire des pronostics puisque nous ne connaissons ni la durée de la crise internationale, ni l'évolution de la conjoncture ou de la parité euro - dollar. Mais nous savons que l'année 20O3 sera difficile. Notre objectif, c'est d'enrayer la hausse du chômage qui a débuté - faut-il le rappeler ?-il y a maintenant deux ans. Ceci dit, il faut rappeler que le marché de l'emploi évolue en permanence : si l'économie détruit des emplois, elle en créé aussi 1,5 million par an et six millions de français changent de postes chaque année.
Estimez-vous que le patronat, dans la conjoncture actuelle, vous soutient suffisamment ?
Je défends les entreprises et je regrette les discours idéologiques de ceux qui les critiquent. Il y a, là, un archaïsme préoccupant dans la société française ! C'est l'entreprise qui fait l'emploi. La création d'entreprises a baissé en France, ces dernières années. Cela repart tout récemment. Il faut donc se battre pour que les Français aient confiance en elles. Je souhaite que les organisations professionnelles participent à ce combat. C'est, pour moi, un vrai sujet de préoccupation. Ainsi, elles ne doivent pas hésiter à dénoncer les mauvais comportements, quand l'état de droit social n'est pas respecté. Les entreprises seront d'autant plus respectées qu'elles condamneront celles qui ne seront pas respectables.
Vous estimez que le patronat a été trop silencieux, notamment dans l'affaire Metaleurop?
D'une façon générale, le discours entreprenarial doit être lui aussi moins idéologique, moins politique et plus près des réalités du terrain. Il faut parler de nos performances et de nos réussites ! Il faut un discours qui rende les Français fiers de leurs entreprises. Les succès de nos réalisations industrielles sont plus convaincants que les discours politiques. Il faut remettre la micro- économie, l'économie des entreprises au cur du débat. Les performances techniques des ouvriers et des ingénieurs français ne sont pas assez mises en valeur. On doit trouver d'autres circonstances que la mort d'un grand capitaine d'industrie pour parler positivement des réussites économiques françaises.
Parmi les attentes des entreprises, il y a la simplification administrative. Le projet de loi qui sera présenté cette semaine ne dit rien sur le droit du travail. Avez-vous abandonné l'objectif d'alléger le code du travail ?
Pas du tout. Les partenaires sociaux seront invités à travailler sur le sujet lors de la conférence sur l'emploi.
Est-ce en raison de la fragilité du tissu social que vous adoptez un calendrier de plus en plus allongé sur la réforme des retraites ?
Vous ne pouvez pas dire cela. La réforme des retraites est la réforme prioritaire du printemps et elle sera discutée par le Parlement en juin, avant la session extraordinaire qui a été envisagée pour juillet. Le projet de loi sera donc présenté en conseil des ministres à la mi-mai. Cela veut dire que les discussions devront être terminées avec les partenaires sociaux d'ici là. Nous respectons notre parole.
Vos intentions sont, en fait, connues : un allongement de la durée de cotisation du secteur public de 37,5 à 40 ans avant, plus tard, que ce chiffre augmente pour le privé comme le public
Vous allez trop vite. Le dossier n'est pas arbitré, le gouvernement travaille. Ce que nous voulons, c'est un rendez-vous de justice que les Français acceptent. Mais il faut définir son contenu et son calendrier. Il y a, aujourd'hui, beaucoup d'inégalités à corriger. Vous pouvez formuler des pronostics, je peux avoir des convictions, mais il faut respecter le dialogue social. Avec François Fillon, Jean-Paul Delevoye et les syndicats, nous y sommes très attachés. A ce stade, les seules orientations connues sont celles que j'ai annoncées le 3 février au Conseil économique et social. Tout le reste est ouvert à la discussion.
Deuxième encadré
Le congrès se réunit aujourd'hui à Versailles pour ratifier le projet de loi constitutionnelle sur la décentralisation Qu'attendez- vous précisément de ce texte qui ne semble pas mobiliser les Français pour le moment ?
Je ne crois pas qu'ils soient aussi indifférents que vous le dites. Sur notre site Internet, la décentralisation est le sujet qui suscite le plus d'intérêt. Pour moi, elle marque le début de la réforme d'un Etat qui va se recentrer sur ses priorités régaliennes. C'est aussi une vraie clarification des compétences territoriales. Aujourd'hui, toutes les collectivités font tout, elles se superposent en permanence.
Dorénavant, il y aura une logique de leader de proximité avec le département et une logique de cohérence et de schéma avec la région. Les deux structures n'auront plus les mêmes missions, elles se spécialiseront et éviteront ainsi les rivalités de financement.
J'ajoute, enfin, que la réforme va donner une nouvelle force politique à la région qui bénéficiera d'un exécutif stable, élu pour six ans. Des élus qui représenteront plusieurs millions d'habitants verront leur rôle de ce fait renforcé au sein de notre architecture politique.
Avec des compétences étendues en matière d'intervention économique et de formation, des ressources nouvelles que leur procureront une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, tout est en place pour les régions prennent leur envol et je prends le pari que nous irons dans les prochaines décennies vers des grandes régions à puissance européenne.
Les élections régionales de 2004 seront le premier test politique pour votre gouvernement. Qu'aimeriez vous avoir démontré à ce moment là ?
Que la France est sortie de ses archaïsmes et que ses deux moteurs principaux tournent à fond : le dynamisme d'un côté, la justice de l'autre.

L'impression qui domine cependant est que l'effort sera concentré sur les fonctionnaires. Quid des salariés du privé ?
Qu'il n'y ait aucun doute : c'est la justice et l'équité qui primeront. Mais il est hors de question de faire des fonctionnaires les cibles de cette réforme. Celle-ci concernera tout le monde. Les fonctionnaires bénéficient, certes, de certains avantages mais ils sont aussi victimes d'un certain nombre de handicaps. La réforme des retraites s'inscrit dans une perspective plus large de réforme de la fonction publique. Je souhaite un service public modernisé, des usagers satisfaits et des fonctionnaires plus heureux.
La maîtrise des dépenses publiques va-elle conduire à réduire le nombre de fonctionnaires ?
Comme l'a dit le président de la République, la diminution des effectifs de la fonction publique n'est pas une fin en soi. Ce n'est pas, pour nous, un objectif politique. Ce qui nous importe, je l'ai dit, c'est la qualité du service public. Dans le budget 2003, nous avons augmenté le nombre de fonctionnaires dans certains secteurs qui correspondent aux priorités gouvernementales - comme la sécurité et la justice- nous l'avons réduit dans d'autres.
Votre point de vue va-t-il changer à l'automne, une fois passée la réforme des retraites ?
Encore une fois, je veux rassurer les fonctionnaires. A l'horizon de dix ans, il est sûr que nous aurons moins de fonctionnaires en raison des évolutions démographiques et de la réorganisation de l'Etat. La décentralisation fera également évoluer les choses en améliorant la qualité du service public et les conditions d'exercice de ce service.
Pourquoi, alors, les fonctionnaires, notamment ceux de l'éducation nationale, sont-ils réticents aux transferts de personnels que vous avez annoncé il y a deux semaines ?
Les organisations syndicales, vous le savez, sont un peu jacobines, comme les forces politiques ! Les personnels restent membres du service public de l'Education nationale mais leur condition de travail seront améliorées. Il n'est pas raisonnable, comme le dit Luc Ferry que la rue de Grenelle gère un million et demi de personnes. Un gestion décentralisée est une gestion humanisée.
Francis Mer a-t-il raison, lui, de ne vouloir remplacer qu'un fonctionnaire sur deux à Bercy ?
Le ministre des finances s'inscrit dans une logique de réforme de son administration, et il a raison. Dans ce cadre, cette évolution est possible.
Au total pourtant, votre prudence contraste avec la méthode Juppé. Ne faudra-t-il une épreuve de vérité avec les fonctionnaires ?
Je ne suis pas sûr que l'on résolve les difficultés en confondant réforme et épreuve. A. Juppé est bien de cet avis. Les personnes ne sont pas des statistiques. Chacun doit avoir le temps de s'adapter.
Un dernier sujet est sur la table avec les fonctionnaires, celui des salaires. Quelles sont vos intentions et avec quel calendrier ?
Nous avons annoncé que la question des salaires serait abordée mais qu'elle le serait après la réforme des retraites qui doit être adoptée à l'été. Il me semble en effet que nous aurons une vision plus claire de nos marges de manuvres et de nos perspectives.
A propos d'économies, que faites-vous pour " l'Aide Médicalisée d'Etat (A.M.E.) remise en cause par le Parlement ?
Je n'ai pas abandonné cette réforme, j'ai seulement décidé de suspendre le décret d'application dans l'attente de la mise en uvre des mesures proposées par le rapport de l'Inspection générale des Affaires sociales . Si ces mesures ne sont pas efficaces pour faire des économies, je signerai les décrets nécessaires. J'équilibre toujours fermeté et humanité.
Plus généralement, où sont les marges de manuvre dont parle Jacques Chirac pour baisser la dépense publique. On a du mal à les discerner ?
Si on veut faire des économies budgétaires sans toucher aux missions des différents ministères, il faut avoir le courage de toucher à leur organisation. Le président de la République a donc clairement dit aux ministres : prenez les choses en amont, et vous trouverez des marges de manuvre. La nouvelle loi organique réformant le processus budgétaire devrait les y encourager.
Une façon de trouver des recettes, c'est de reprendre les privatisations. Quel est votre calendrier ? Quel est, par ailleurs, votre scénario pour l'évolution du statut d'EDF ?
Dès que nous aurons une fenêtre économique, nous reprendrons les ouvertures de capital. Avec Air France en priorité. Ce dossier avance bien. Sur EDF, nous ne sommes pas prêts pour l'instant sur le statut. Mais nous travaillons pour réformer dans l'année qui vient.
Est ce que c'est l'échec du référendum sur les retraites qui explique votre réserve ?
Non, le dossier des retraites à EDF n'a pas d'influence sur notre calendrier. Le référendum a simplement eu le mérite de confirmer qu'il fallait avancer différemment pour chaque régime spécial des entreprises publiques, entreprise par entreprise.
Soutenez- vous le processus de réforme souhaitée par la banque de France ?
La réforme est nécessaire. A partir du moment où les missions de la banque de France ont évolué, il faut trouver une nouvelle organisation en étudiant avec sérieux et justice ses conséquences. La créativité sur ces sujets n'est pas interdite. Par exemple, je ne suis pas sûr qu'il faille maintenir systématiquement la structure départementale dans la capitale régionale. Tant qu'à avoir une agence départementale, elle peut aussi être dans une petite ville. Il faut répartir le plus harmonieusement possible les structures publiques sur le territoire.
Le récent audit des infrastructures a suscité beaucoup d'émotion. Allez vous appliquer ses recommandations ou bien revisiter le dossier avec un regard politique ?
Nous allons revisiter complètement le dossier avec un regard économique. Nous sommes très en retard en terme d'infrastructures de transport. Nous devons traiter, y compris pour des questions de sécurité, le problème du transport routier, résoudre le problème des camions qui, en provenance d'Espagne ou d'Italie, traversent notre territoire. Tout le problème est de trouver la recette qui nous permettra de financer le cabotage et le ferroutage. Les initiatives que sont en train de tester les Allemands sur le transport routier sont très intéressantes. Il faut nous en inspirer. Sur les grandes liaisons fluviales, en revanche, le dossier est moins avancé.
Vous parlez beaucoup de l'Europe. Et pourtant elle actuellement en crise sur le plan politique en raison des prises de position divergentes de ses responsables sur la guerre en Irak. Comment sortir de l'impasse ?
L'Europe, vous savez, est un besoin, elle n'est ni évidente dans l'histoire, ni naturelle dans la géographie. Elle est née, comme le disait Jean Monnet, du désir de paix et elle s'est renforcée dans les crises ! C'est vrai qu'il y a, aujourd'hui, des divergences fortes mais d'ores et déjà, nous préparons des initiatives communes en cas de guerre. J'ai demandé à tous mes ministres d'être en contact avec leurs homologues européens pour gérer le plus efficacement possible les semaines qui viennent, dans tous les domaines : renseignement, lutte contre terrorisme et l'antisémitisme, mesures économiques. Je suis en contact étroit avec tous les chefs de gouvernement européen. Je veille à préserver un esprit de dialogue avec tous.
Certains pays sortiront de la crise renforcés, d'autres affaiblis. Ceux qui sortiront renforcés devront tendre la main aux autres. Notre vie européenne n'est pas suspendue à cette crise. Je peux en donner un exemple : nous rapprochons actuellement les contributions française et allemande d'une part, espagnole et britannique d'autre part sur l'avenir de l'Europe. Nous avons, aussi, publié il y a quelques jours un texte franco britannique sur l'initiative et le soutien aux PME.
Craignez-vous les menaces de boycott pour les entreprises françaises ?
Non, y compris de la part des actionnaires américains de nos entreprises. Nous sommes très attentifs à ce qui se passe et à ce que nous disent les entreprises. Mais rien de négatif ne remonte. Entre la France et les Etats-Unis, l'échange est devenue une valeur très forte et le commerce ne dépend plus, comme avant, de la politique. Par ailleurs, les tensions actuelles ne freinent pas la coopération des services de renseignement américain, britannique et français.
Ne craignez- vous pas que la France se soit isolée en brandissant la menace du veto ?
Je ne le crois pas. Dans les périodes de crise, il faut agir avec éthique et conviction. Nous pensons aujourd'hui qu'une guerre n'est pas la bonne réponse.
Ce message est fort et il est très soutenu par l'opinion publique
Ce message est d'autant plus fort qu'il n'est pas pollué par la cohabitation. Nos institutions tournent à plein régime, le Président peut assumer la plénitude de sa fonction.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 19 mars 2003)