Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur la politique d'intégration des femmes handicapées à la vie sociale, Paris le 7 mars 2003.

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Circonstance : Clôture du colloque "Vie de femmes et handicap moteur : sexualité et maternité" à Paris le 7 mars 2003

Texte intégral

Madame la Ministre,
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très sensible à l'honneur que me fait ma collègue et amie Marie-Thérèse BOISSEAU, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, de me laisser clôturer ce colloque, organisé à l'occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars.
Je remercie l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et sa Directrice générale, Madame Rose-Marie VANLERBERGUE d'avoir organisé cette rencontre, qui met en lumière le désir de vie sexuelle épanouie et de maternité, le plus souvent ignoré, des femmes handicapées.
2003 a été proclamée année européenne des personnes handicapées et nous invite à supprimer toute forme de discrimination à leur égard.
La vie ne s'arrête pas parce que le handicap survient.
Chacune et chacun a droit à une existence riche et épanouissante, tout au long de sa vie. La dynamique de la vie nous porte vers la responsabilisation et l'autonomie.
Or, les femmes handicapées cumulent les obstacles liés à une double discrimination : celle de leur sexe et celle de leur invalidité. Il convenait donc d'évoquer leurs difficultés dans la spécificité de leur vie de femme.
Pendant toute cette journée, les problèmes particuliers à l'information sexuelle, la contraception, la gynécologie, l'obstétrique, la prévention ont été posés et des solutions recherchées, en termes d'accessibilité et de soins.
Les jeunes mères handicapées inventent, pour résoudre les problèmes qu'elles rencontrent dans les soins quotidiens à donner à leur bébé, des astuces individuelles qui gagneraient à être connues et répandues. Des aménagements du domicile, des meubles, peuvent être imaginés et conçus pour les y aider.
La question a été évoquée des ressources offertes par la génétique pour mieux connaître la nature des handicaps congénitaux et leur transmissibilité. Les futurs parents confrontés à ces difficultés disposent maintenant d'outils incomparables pour les orienter dans leur décision de donner la vie ou non. Les avancées de la génétique permettent de nouveaux diagnostics, mais posent également des problèmes en matière d'éthique. Il est essentiel que les recherches dans ce domaine soient développées dans le cadre du respect de la dignité et de l'intégrité de l'être humain.
Je suis sûre que ce colloque, en posant une problématique trop souvent oubliée, voire niée, celle du désir d'une vie sexuelle épanouissante, de maternité et d'éducation de leurs enfants par les femmes handicapées, contribuera au changement du regard de la société. Les femmes handicapées veulent être considérées avant tout comme des femmes aspirant au bonheur, désireuses de tout mettre en oeuvre pour réussir.
Dans une nouvelle approche de l'intégration des femmes handicapées à la vie sociale et familiale, quatre pistes de travail peuvent être envisagées.
1. Il faut, d'abord, pour pouvoir analyser les situations objectivement, il disposer de données chiffrées, ventilées suivant le sexe.
Or, ces données sont pratiquement inexistantes pour les femmes handicapées. Il est, en particulier, essentiel de réaliser des enquêtes pour obtenir des données précises concernant la situation maritale et familiale des femmes handicapées. Ce travail de recueil de données est à mener dans la sphère professionnelle.
De même que l'intégration sociale peut avoir un effet positif ou négatif sur l'expression de la sexualité et sur les " rôles de genre ", la sexualité est un indicateur de l'intégration sociale et de la qualité de vie des personnes handicapées. Il faut donc susciter des études et travaux de recherche permettant d'approfondir nos connaissances en ce domaine et d'affiner nos actions concernant le développement et les adaptations de la vie sexuelle, de la vie de couple, de la vie de parent.
2. Il faut, ensuite, améliorer l'information sexuelle et la contraception
Les personnes handicapées sont, le plus souvent, perçues comme peu autonomes et la tendance habituelle est plutôt de les protéger contre l'extérieur ou contre elles-mêmes. Ceci conduit à les fragiliser, par rapport à la sexualité, et à les rendre, par leur ignorance, plus vulnérables aux violences.
Les maltraitances physiques et émotionnelles, les violences et abus sexuels sur les personnes handicapées sont malheureusement trop fréquents, et encore plus sur les jeunes filles et les femmes, dans un rapport de domination.
L'isolement affectif des personnes handicapées les rend plus sensibles à toute marque d'attention et d'affection, les entraînant parfois dans des situations qui peuvent être sources de violences. La lutte contre les violences s'inscrit dans la problématique de l'égalité, dans celle du respect de soi et de l'autre, dans celle de la dignité de l'être humain. Il est indispensable de prévenir ces violences en apprenant le respect du corps, d'autant plus qu'il ne correspond pas à l'image habituelle, et à savoir dire non.
Il nous faut transformer la vision, le plus souvent asexuée, que porte notre société sur les personnes handicapées. Elle constitue en elle-même une forme de violence, alors que le respect de la différence est source d'enrichissement.
Les femmes handicapées ont le droit d'avoir des désirs et des besoins en matière de sexualité, le droit d'être attirantes et de séduire, de ressentir des émotions et d'avoir un avenir.
Il est difficile, pour les parents, d'aborder ces sujets. De plus, les jeunes handicapés ont peu d'occasion d'échanges d'expériences avec leurs pairs ou des adultes les aidant à construire leur identification sexuelle.
Il est donc essentiel que les adolescents handicapés, filles et garçons, reçoivent une information sexuelle, dans le respect de l'autre, incluant la contraception, la prévention des MST, la grossesse, la maternité et des solutions à leurs difficultés sexuelles spécifiques. Ils doivent trouver compréhension, soutien et des informations justes et adéquates.
Les conseillers qui dispensent cette information, doivent être spécialement formés, pour connaître les différents types de handicaps et leurs implications, fournir des informations adaptées suivant les âges.
La dimension de la relation à l'autre est particulièrement importante pour ces personnes, souvent isolées des autres.
Cette information doit être développée quand ces jeunes vivent en institution, où ils ont peu d'occasions, contrairement à ceux qui vivent en milieu scolaire, d'être informés sur la sexualité. Il serait bénéfique que cette information soit donnée par des intervenants extérieurs à l'institution, formés spécifiquement.
Pour ceux qui vivent chez leurs parents ou de façon autonome, cette information pourrait être dispensée dans le cadre des réseaux d'accès aux droits.
Les Centres de Planning familial et les Centres d'information des femmes pourraient ainsi organiser des permanences avec des animatrices spécialisées pour donner des informations aux jeunes filles et femmes handicapées : comment, malgré le handicap, avoir le respect de son corps, une identité sexuelle.
Pour cela, un module de formation à destination des animatrices du Planning familial pourrait être créé : il traiterait des divers types de handicap et de l'approche spécifique à apporter. Il conviendrait d'avoir, parmi ces animateurs et animatrices, des personnes elles-mêmes handicapées pour un échange plus fructueux.
Une expérience de ce genre, pour des femmes handicapées mentales, dans le cadre de relais de prévention de la violence a été menée dans le cadre européen, conjointement entre la France (Montpellier, Strasbourg, Toulon), l'Irlande et l'Ecosse, avec prise en charge d'animations par des femmes handicapées elles-mêmes. Ce projet d'une durée de 1 an s'est terminé en décembre. L'expérimentation sera généralisée par une formation nationale pour diffuser cette action. De nombreux enseignements sont sans doute à tirer de cette expérience qui peut être transposable.
Une large publicité, dans les Mairies et les revues spécialisées, devrait permettre de faire connaître les ressources ainsi offertes au Planning familial et au CNIDF.
Les institutions pour personnes handicapées pourraient être informées de ces compétences, pour faire intervenir ces animateurs et animatrices) dans les institutions.
Dans le cas de handicap acquis, les conseillers en réhabilitation devraient inclure la sexualité et la perception de soi à leur travail, dans un processus global de qualité de vie.
3. Il faut également faciliter la maternité
Ce même besoin d'informations et d'échange d'expériences se retrouve pour les jeunes mères handicapées. Elles disent manquer de structure où partager leurs expériences, leurs réussites comme leurs difficultés.
Il faut, de la même façon, rendre accessibles certains Centres de Protection Maternelle et infantile aux femmes handicapées, y prévoir des permanences de personnes spécialisées pour les mères handicapées, afin de leur apprendre des astuces pour donner le biberon, le bain etc Un tel centre pour parents mal et non-voyants existe à Paris, un autre utilisant le langage des signes pour mal-entendants.
Il faut donc inclure, dans la formation des médecins et personnels de ces centres, une formation particulière pour leur permettre de renseigner et d'aider utilement les jeunes mères handicapées. Ceci pourrait être fait dans les départements, avec les acteurs concernés.
Une information sur la disponibilité de ces services doit être diffusée dans les maternités et centres d'allocations familiales.
4. Il faut, enfin, faciliter l'accès au réseau associatif
Il importe de rendre accessibles les associations aux femmes handicapées qui aspirent à participer à leurs activités.
Dans le cadre du Réseau parité, dont j'ai annoncé la création que en Conseil des Ministres , mercredi dernier, que j'ai présenté hier, devant la conférence de l'égalité, et qui doit créer une synergie et une dynamique nouvelle de l'égalité, une attention particulière sera portée aux femmes handicapées, pour qu'elles puissent s'intégrer dans tout le réseau associatif, en fonction de leurs intérêts et de leurs compétences.
Cette démarche contribuera à les faire participer à la vie associative et à y prendre des responsabilités, sans rester cantonnées aux seules problématiques du handicap.
Le handicap est, avant tout, dans la tête et dans le regard des autres. L'enjeu de notre société est de transformer ce regard pour faire de la diversité une source d'enrichissement. Le vingt et unième siècle doit marquer cet élan vers une démocratie moderne, forte de toutes les compétences et dans tous les talents, de la richesse, de toutes les femmes et de tous les hommes qui la composent. Il doit leur offrir le cadre nécessaire à leur épanouissement. Il doit être celui de la liberté et de la responsabilité.
Celui de la performance et de la solidarité.

(source http://www.social.gouv.fr, le 2 mai 2003)