Tribune de M. Dominique Perben, ministre de la justice, dans "Le Figaro" du 22 avril 2003, sur les leçons du scrutin d'avril 2002 et sur les façons dont le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin tente depuis un an de répondre à "l'onde de choc" que ce scrutin a provoquée.

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Le week-end pascal a vu défiler les images du choc, du "coup de tonnerre" ou - comme on a pu le lire dans de très nombreux journaux européens - du "tremblement de terre" du 21 avril. Moment propice pour revenir sur le sens du message adressé ce jour-là par le corps électoral et au-delà, probablement, par la société tout entière.
Le taux élevé d'abstention reflétait plus qu'un désintérêt, une déception profonde, un véritable désenchantement à l'égard de la politique.
La dispersion des suffrages exprimés sur des votes protestataires, voire extrémistes, et l'importance du score de Jean-Marie Le Pen pointaient aussi un véritable sentiment d'injustice face au déséquilibre entre les réalités vécues par nos concitoyens et des discours ou des politiques qui les ont trop longtemps niées ou minimisées. Ces réalités, ce sont d'abord les insécurités. Insécurité due à la violence ordinaire, quotidienne, au mépris des règles sans lesquelles il n'est pas de vie en société. Evidence aujourd'hui, ce constat n'allait pas de soi il y a un an.
A la "culture de l'excuse", au déni répandu par la vulgate du "sentiment d'insécurité", aux protestations de "naïveté" d'un premier ministre confronté à l'ampleur du phénomène et aux limites de son idéologie, les Français ont répondu par un vote de défiance, qui n'était pas assimilable à une adhésion profonde aux thèses du président du Front national.
Que n'a-t-on pu reprocher à Jacques Chirac d'avoir entendu ces souffrances, ces inquiétudes, ces inégalités, ces injustices provoquées par l'insécurité et d'avoir articulé un projet cohérent pour y répondre ! Mais qu'eût été le score de Le Pen s'il ne l'avait pas fait ?
Deuxième leçon du scrutin, qu'omettent encore trop souvent les responsables socialistes, la faillite d'une certaine suffisance de la part de gouvernants enfermés dans la défense d'un "bilan", avec une autosatisfaction proche de l'autisme.
Les Français n'étaient pas dupes. D'où leur exaspération.
Pas dupes d'une devise républicaine bafouée dans ses promesses, trop souvent synonymes, sur le terrain, d'impuissance et d'inégalités.
Pas dupes d'un immobilisme qui a gâché les fruits de la croissance en reportant des réformes essentielles, comme celles des retraites et de notre système de santé, tandis que d'autres réformes étaient illisibles et contre-productives : rappelons, par exemple, l'éclatement des smic à cause des 35 heures, ou les difficultés d'application de la loi sur la réduction du temps de travail dans les hôpitaux.
Pas dupes d'un aveuglement idéologique, d'un trop-plein de certitudes sur des projets imposés d'en haut, sans concertation ni dialogue, où l'esprit partisan l'emportait sur l'intérêt général.
De ce constat naquit une volonté de rupture à l'égard de l'impuissance publique. Un appel à l'action, qui a permis le sursaut et le rassemblement autour de Jacques Chirac au second tour. Puis, dans la foulée, aux législatives pour soutenir le gouvernement de mission de Jean-Pierre Raffarin.
Ce résultat n'est nullement "miraculeux", n'en déplaise à certains.
Il est dû à la rencontre entre l'aspiration populaire et le travail de fond mené très tôt par Jacques Chirac, pour rassembler autour de lui les composantes de toutes les familles de la droite et du centre, pour porter ensemble un projet. Un projet ouvert sur la société française d'aujourd'hui, qui a stimulé une opposition trop longtemps divisée sur le chemin de l'alternance.
Sur le terrain des idées d'abord, dans le débat, à l'écoute de tous les acteurs de la société dite civile, avec toutes les composantes d'une opposition lasse de divisions devenue artificielles. Avec Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Jacques Barrot, Michel Barnier et beaucoup d'autres, au sein de Dialogue Initiative puis de l'Union en mouvement, nous avons contribué à forger les bases de ce projet. Un projet mûrement réfléchi et préparé. Un projet plus fort que le rejet. Pour répondre aux attentes et aux déceptions des Français.
Pendant ce temps, Lionel Jospin s'enfermait dans un programme étroit. Malgré ses dénégations du début de la campagne - "mon projet n'est pas socialiste" -, il était resserré sur le plus petit dénominateur commun d'un parti ne pouvant plus rassembler une coalition de moins en moins majoritaire et de plus en plus plurielle. En plus des attaques personnelles, massivement rejetées par les Français, certaines maladresses - "zéro SDF" - insuffisances, absence de chiffrage et incohérences - le "virage à gauche" des derniers jours - ont achevé de miner cet édifice fragile. C'est ce "piège" qui s'est refermé, le 21 avril, sur le candidat socialiste.
C'est aussi pourquoi cette date n'est pas à mes yeux un simple accident de l'histoire.
La différence fondamentale entre la capacité de Jacques Chirac à rassembler et la propension de Lionel Jospin à diviser, non seulement leurs camps politiques respectifs, mais aussi l'ensemble des Français a, le 21 avril, éclaté au grand jour. Cette lecture de l'événement a été, à mon sens, occultée par maints commentateurs.
Depuis un an, comment avons nous répondu à cette onde de choc ? Ce sera l'objet même de nos échanges de cet après-midi.
Tout d'abord par l'action. L'action pour améliorer la sécurité des Français. Pour rétablir l'autorité de l'Etat. Pour répondre aux besoins de justice d'une société en quête de repères.
Car, sans l'assurance de la sécurité, sans le respect des règles, sans la protection du droit et de la justice, il n'est pas de République ni de société de confiance.
Les lois d'orientation et de programmation, préparées dès le printemps et adoptées l'été dernier, pour la sécurité intérieure et pour la justice ont mobilisé des moyens humains, financiers et juridiques sans précédent pour rétablir toute la chaîne de l'autorité, sur les cinq années de la législature.
Ainsi la France rattrape un retard accumulé au fil des ans pour se hisser au niveau de ses partenaires européens. Mais aussi de nouvelles réponses à la délinquance, avec l'ouverture, cette année, des premiers centres éducatifs fermés ; avec le projet de loi sur les nouvelles formes de criminalité, pour lutter contre les mafias, contre les responsables des catastrophes écologiques ou des menaces sur la santé publique.
Il nous a fallu aussi faire prévaloir un nouvel état d'esprit, pour rétablir le sentiment de justice dans notre société. D'abord, en n'oubliant plus les victimes, en leur garantissant des droits équilibrés par rapport aux délinquants. Une justice plus proche, avec la mise en place, dès cette année, des premiers juges de proximité. Une justice très attentive aux valeurs humaines, en particulier lorsqu'elles sont bafouées par les discriminations, par la haine de l'autre. Une justice qui prend toute sa part à la lutte contre la violence routière, pour sauver des vies. Car la justice est, au fond, la gardienne des promesses de la démocratie. L'assurance d'un bien commun.
Ce ne sont que quelques exemples, constamment soumis aux exigences posées par le 21 avril et par la confiance qui nous a été accordée par les Français. Tout indique que ces efforts commencent à porter leurs fruits. L'action du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin s'enracine dans une écoute permanente, dans un dialogue constant avec les Français, que quelques-uns paraissent mépriser en la taxant avec dédain d'"apologie douteuse du terrain".
(source http://u-m-p.org, le 1er juillet 2003)