Tribune de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer et de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, dans "Les Echos" le 5 mars 2003, sur l'audit des infrastructures de transport pour mieux prendre en compte l'environnement européen, l'avenir du fret, et les exigences des usagers.

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Tout regard sur les infrastructures de transport de notre pays porte en lui nostalgie et anticipation. Nostalgie d'un temps où le voyage lui-même était une aventure. Anticipation d'une découverte technique d'où naîtrait un progrès pour la civilisation.
Certes, l'audit des infrastructures commandé par le gouvernement en août 2002 n'a rien d'un roman de Jules Verne et renvoie à des considérations beaucoup plus matérielles. Il nous fallait dresser un état des lieux des projets actuellement dans les " cartons ", poser un diagnostic clair, complet, transparent sans concession. De nombreux projets de liaisons aéroportuaires, ferroviaires, routières ou fluviales avaient été promis au cours des dernières années sans que les financements nécessaires aient été garantis et pour beaucoup d'entre eux avec des calendriers de réalisation pour le moins fantaisistes...
Dans les prochaines semaines, d'autres contributions viendront enrichir la réflexion du gouvernement et nourrir le débat parlementaire prévu au mois de mai : le rapport des sénateurs Haenel et Gerbault sur la question spécifique du fret ferroviaire, celui du sénateur Richemont sur le cabotage maritime, l'éclairage territorial demandé à la Datar, enfin.
Ce vaste audit des projets et promesses survient à un moment charnière de notre politique d'équipement. L'accouchement dans la douleur du " schéma de services " par le précédent gouvernement marquait déjà les limites d'un système à bout de souffle et intimait une remise en ordre.
- Un système à bout de souffle. Interrogations financières d'abord avec, au-delà des fortes contraintes budgétaires d'aujourd'hui, l'épuisement et la remise en cause profonde des logiques qui avaient permis de construire les réseaux ferrés et routiers que nous connaissons et qui font notre fierté. Interrogations écologiques ensuite avec des citoyens de plus en plus sensibles et hostiles à la pollution atmosphérique, au bruit ou plus simplement à l'altération des paysages urbains et naturels. Interrogations démocratiques aussi car les citoyens sont toujours plus soucieux de comprendre les choix qui sont faits en leur nom par le pouvoir politique. Interrogations enfin sur le niveau de la demande d'équipement. Le débat parlementaire permettra, nous l'espérons, d'éclairer la question majeure de la demande de déplacements, liée bien entendu aux évolutions technologiques.
- L'Europe, nouvel horizon de nos infrastructures. Une nouvelle politique d'équipement doit naître. Nous voulons que l'Europe en constitue le nouvel horizon. Au cours de nos déplacements en Europe, et notamment en Italie et en Espagne, nous sommes chaque fois impressionnés par la vitesse à laquelle nos voisins rattrapent leurs retards d'infrastructures. " L'effet frontière ", qui freinait les échanges entre les pays européens, s'atténue de plus en plus et la monnaie unique est un accélérateur puissant de cette évolution.
L'enjeu revendiqué de notre nouvelle politique des transports est donc de maintenir ou de conforter en France les points d'ancrage stratégiques qui conditionnent les performances de notre économie : les portes d'entrée intercontinentales, aériennes et maritimes comme l'aéroport Charles-de-Gaulle ou les ports du Havre et de Marseille ; les liaisons avec l'Italie, l'Espagne et la Belgique (voies ferrées Lyon - Turin, Perpignan - Figueras, canal Seine-Nord ou autoroute A24) qui centrent notre pays à l'articulation de l'espace méditerranéen et du nord de l'Europe.
Par ailleurs, à côté d'espaces trop pleins qui accumulent activité et nuisances, il existe des régions affectées par le déclin industriel, et tenues à l'écart de la dynamique économique européenne. De même que chaque territoire aspirait hier à se rapprocher de Paris, les mêmes devront demain grâce aux infrastructures de transport devenir eux aussi acteurs de la dynamique d'échanges européenne. Pour les uns, ce sera grâce à un TGV, pour d'autres un aéroport, une autoroute ou même une voie fluviale performante.
- Quel avenir pour le fret ? Il ne s'agit donc pas d'opposer les modes mais de travailler au contraire sur leur complémentarité. Cela suppose de recourir par exemple aux transports collectifs dans le milieu urbain dense, au fret ferroviaire ainsi qu'aux autres modes alternatifs à la route (voies d'eau, cabotage maritime, oléoducs) sur les axes les plus chargés afin d'offrir des services compétitifs, en qualité et en coût.
Préférons l'intermodalité et l'expérience en région plutôt que la pensée nationale unique, qui a parfois jeté notre pays avec excès dans un mode de transport unique.
- Améliorer les services aux clients. Les technologies de l'information constituent un atout majeur pour harmoniser l'utilisation des infrastructures mais aussi pour y offrir une qualité de services optimale. Dans le domaine de la sécurité routière ou, également, dans celui du fret ferroviaire, le potentiel d'amélioration est considérable. Il suppose à l'évidence de rapprocher chercheurs et praticiens des infrastructures, ce qui demeure un vaste chantier.
- Une ressource nouvelle est impérative pour sortir de l'impasse actuelle. Les projets d'équipement analysés dans l'audit nous permettraient de nous maintenir au meilleur niveau d'équipement par rapport à nos voisins et de conserver notre vocation au coeur de cette nouvelle et grande Europe. L'audit a le grand mérite de révéler les ordres de grandeur financiers. Devrons-nous mettre cinquante ans pour construire ce dont le pays a besoin pour tenir son rang ? Notre ambition est autre.
Fixons-nous un horizon raisonnable de vingt ans. Recherchons les moyens de dégager des financements nouveaux et originaux.
Il est probable que l'usager, plus que le contribuable devra, à l'avenir, participer plus équitablement à ces nouvelles infrastructures, notamment sur les axes routiers où les écarts entre les coûts et les charges des usagers sont les plus importants : réseau actuellement hors péage, franchissements sensibles, traversées urbaines et périurbaines. C'est à la lumière de ces préoccupations, plutôt de ces convictions, que le gouvernement abordera, dans le débat au Parlement, ces sujets cruciaux pour l'avenir de notre économie et de nos régions, de notre vie sociale.
Au fil des siècles, le travail des hommes a permis de mailler notre espace de ponts, routes, canaux et viaducs. Ne vivons pas sur nos seuls acquis. Notre place au coeur de l'Europe des échanges est en jeu. Nous partageons la conviction commune que les infrastructures de transport sont aussi des " armes de la paix ".
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mars 2003)