Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur ses propositions pour améliorer la situation de l'emploi, Paris le 19 janvier 2000.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Les nouvelles politiques de l'empoi : entreprises et territoires" à l'Assemblée nationale le 19 janvier 2000

Texte intégral

Monsieur le député, cher Gérard Bapt,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de m'avoir invité à ouvrir ce colloque sur les nouvelles politiques de l'emploi, les entreprises et les territoires. Depuis trois ans, le chômage ne cesse de reculer dans notre pays. Plusieurs centaines de milliers d'emplois supplémentaires ont été créés. Le nombre de salariés augmente. C'est là le résultat en particulier du retour de la croissance, liée à la fois à la conjoncture internationale et à la politique gouvernementale. Nous devons chaleureusement nous en féliciter. Le plein emploi n'est plus un mythe. Il doit devenir un objectif.
L'efficacité des politiques pour y parvenir est un vieux sujet de discussions. En deux décennies, nous avons vu la création de nombreuses mesures, théoriquement toutes destinées à lutter contre la montée du chômage, mesures générales, mesures ciblées sur certains publics, sur certains territoires. Elles se sont parfois substituées, plus souvent ajoutées les unes aux autres, quand ce n'était pas " empilées ". Leur lisibilité en a pâti. Leur efficacité en a été réduite même si certaines ont obtenu des résultats. L'Etat régulateur doit aider à lutter contre les mécanismes d'exclusion qui caractérisent trop souvent le fonctionnement du marché du travail. Par exemple, demeure nécessaire l'action publique en faveur des chômeurs de longue durée, des jeunes sans qualification ou encore du développement de nouveaux services.
Pour autant, le régime des aides à l'emploi appelle des améliorations, des simplifications, des progrès. C'est le point de départ de cette réunion. Vous allez en discuter. Je voudrais me situer d'un point de vue peut être un peu plus large : au-delà de la rationalisation nécessaire d'un système devenu opaque, la France, pour retrouver durablement le plein emploi, doit remplir à mon sens en effet au moins cinq conditions : une fiscalité plus légère et plus juste, un encouragement au travail par rapport au non-travail, la généralisation par les entreprises de politiques de gestion prévisionnelle de l'emploi, une approche nouvelle de la formation des personnes peu ou pas qualifiée, enfin une politique très active des services publics.
1. Alléger le poids de la fiscalité et la rendre plus juste constituent des impératifs pour l'action publique. J'y insiste souvent et depuis longtemps. Le développement de l'emploi dans de nombreux secteurs d'activité demeure en effet encore trop contraint par le poids d'une fiscalité inadaptée. L'exemple de la restauration est évident. Des potentialités importantes en matière de création d'emplois demeurent inexploitées en raison d'un taux de TVA trop fort. De façon plus générale la diminution des prélèvements permise par un allégement de la taxe d'habitation et une baisse de l'impôt sur le revenu devraient favoriser la consommation, l'activité, le développement de l'emploi. Je commence d'être entendu sur ce point et j'en suis heureux.
2. S'agissant de la fiscalité directe, il n'est pas logique que le travail se trouve parfois pénalisé par rapport au non-travail. La loi de lutte contre les exclusions a rendu possible, dans certaines limites, le cumul de revenus de transferts sociaux et de revenus d'activité. Un chômeur qui retrouve un emploi ne devrait pas être confronté à une baisse de revenus par rapport à sa situation antérieure : sans cela la fameuse "préférence française pour le chômage" continuera. Là aussi, beaucoup reste à faire pour supprimer les incohérences. Il convient notamment de supprimer les " trappes à inactivité ", de remettre en cause la lourdeur excessive de prélèvements fiscaux qui, aujourd'hui, conduit un certain nombre d'actifs à se décourager, quand elle n'exporte pas tout simplement l'emploi chez nos voisins. Je me réjouis que le gouvernement ait pris des engagements dans cette direction.
3. Sur le front des entreprises, je crois souhaitable, en rupture avec le passé, la généralisation de véritables politiques de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. On entend en effet en général parler de l'emploi dans les entreprises au moment des difficultés, des plans sociaux, des licenciements : c'est souvent trop tard. Ce n'est pas la tradition des partenaires sociaux de notre pays de réfléchir en amont, de négocier prévisionnellement sur l'emploi et les compétences. La mise en oeuvre de la réduction de la durée du travail commence à changer la donne. Il nous à mon sens faut consolider cette évolution et inciter les partenaires sociaux dans les branches et dans les entreprises à faire de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences un sujet permanent de négociations et d'accords, au même titre que les salaires, la formation ou les conditions de travail. C'est ainsi que "l'employabilité" des salariés, c'est à dire leur capacité à occuper un emploi et à s'adapter aux changements technologiques et organisationnels, pourra être maintenue et accrue. C'est également ainsi que les entreprises pourront disposer des compétences dont elles ont besoin.
4. L'amélioration de l'emploi aujourd'hui est réelle. Bravo ! Encore faut-il noter qu'il s'agit souvent d'une moyenne. Dans certains secteurs, pour certains métiers, pour certaines régions, on s'approche d'une situation de pénurie de main d'oeuvre, ailleurs au contraire les exclus, les rejetés, les inemployés le sont d'une certaine façon deux fois plus. Une nouvelle approche de la formation des personnes peu qualifiées, ou dont les qualifications sont obsolètes, est nécessaire. Car la coexistence de difficultés de recrutement et de laissés pour compte de la croissance ne serait pas durablement acceptable. Le développement d'une politique plus active de formation, liée à la diversité des besoins, des entreprises, des territoires, permettra d'améliorer cette situation. La formation, c'est en effet la Sécurité Sociale du nouveau siècle. Il est de la responsabilité des partenaires sociaux, de l'Etat, des régions et du service public de l'emploi, d'en concevoir les modalités de financement, de mise en oeuvre et le contenu.
5. Je voudrais enfin insister sur la nécessité de disposer de services publics de qualité pour aider au développement de l'emploi. Le service public est garant de la cohésion sociale et de la solidarité territoriale. On l'a vu encore récemment, après les catastrophes climatiques, avec le dévouement souvent magnifique dont les agents ont su faire preuve, et c'est un instrument de compétitivité pour le pays. Mais le service public, tel qu'il fonctionne, souffre aussi parfois de certaines lacunes : complexité, insuffisance du service individuel, anonymat, uniformité. Une action d'ensemble en ce domaine pourrait compléter les principes traditionnels de notre théorie du service public (continuité, égalité de traitement, adaptation) par des principes d'action nouveaux définissant la notion essentielle de " service public de proximité " afin de permettre à la diversité des entreprises, des territoires, des citoyens, d'avoir leur chance : principe d'effectivité (des services plus présents sur le terrain, avec indicateurs de qualité, prestations diversifiées et personnalisées) ; principe d'ouverture (écoute des usagers, participation de leurs représentants, démarches partenariales, décloisonnement entre services) ; principe d'intelligibilité des textes (simplification et codification des règles de droit) ; principe de sécurité juridique (prohibant, sauf norme impérieuse d'intérêt général, la rétroactivité des textes) ; enfin principe d'évaluation (obligeant à mesurer périodiquement l'efficacité de l'action des services et les autorités de régulation). C'est sans doute au Parlement qu'il revient d'assurer cette fonction.
Ces réformes n'épuiseront certes pas la question du service public ni celle de l'emploi. Cependant, faisant partie de l'indispensable réforme de l'Etat, elles pourraient, tout en préservant la spécificité de notre équilibre économique et social, contribuer utilement au dynamisme de notre société, donc à l'activité.
Voilà quelques réflexions dont je souhaitais vous faire part pour améliorer durablement la situation de l'emploi. Tout au long de cette journée, vous aurez l'occasion de discuter, d'évoquer ces pistes d'action et d'autres. C'est avec beaucoup d'attention et d'intérêt que sera examiné le compte rendu de vos débats car il y va de l'essentiel, c'est-à-dire de l'emploi. Merci.
(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 21 janvier 2000)