Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, sur la place des femmes dans l'agriculture, Paris le 5 juin 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée générale de la Commission nationale des agricultrices à la FNSEA à Paris le 5 juin 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs,
Merci, Monsieur le Président de m'accueillir dans cette instance.
Merci, Madame la Présidente, de m'avoir invitée à l'Assemblée générale de votre Commission nationale des agricultrices, consacrée au rôle présent et à venir des femmes dans l'agriculture.
Merci de me donner l'opportunité de saluer devant vous, Monsieur le Président, le dynamisme et la modernité de la FNSEA qui, dès 1957, s'est dotée d'une commission féminine, dans le but de fournir l'information et la formation au plus grand nombre possible d'agricultrices, afin de leur permettre de s'investir dans le cadre syndical.
Cette matinée m'offre l'occasion de partager avec vous l'idéal d'égalité entre les hommes et les femmes, qui implique la promotion des femmes dans une société de liberté et de responsabilité.
L'agriculture est importante, non seulement parce qu'elle nous nourrit et qu'elle contribue au dynamisme de notre économie, mais aussi parce qu'elle maintient une présence humaine et une vie sociale et qu'elle préserve la qualité de nos paysages, dans des zones rurales qui, sans elle, seraient désertées.
Il s'agit non seulement de l'activité agricole proprement dite, mais aussi de toutes les activités annexes, notamment commerciales, touristiques, artisanales et pédagogiques que les agriculteurs ont su développer.
Les femmes sont omniprésentes dans toutes ces activités.
En additionnant tous les types de pluri-activité, on constate que, dans près d'une exploitation sur deux, une femme est présente en qualité de dirigeante ou de co-dirigeante. Et ce sont surtout les agricultrices ou les femmes d'agriculteurs qui prennent en charge les activités annexes.
Mais comme vous l'avez fort bien montré, Madame la Présidente, cette omniprésence des femmes ne garantit ni l'égalité professionnelle, ni la parité.
D'une part, les femmes exploitantes agricoles ont, en moyenne, un potentiel économique nettement inférieur à celui des exploitants masculins, qu'il s'agisse de la surface cultivée ou du revenu de l'exploitation.
D'autre part, elles sont proportionnellement très peu nombreuses au sein des organisations professionnelles et des instances représentatives de la profession.
Selon votre estimation, la participation des femmes dans les organisations professionnelles agricoles, toutes confondues, ne dépasse pas 5 % .
Certes, la sous-représentation des femmes dans les fonctions de responsabilité n'est pas propre à l'agriculture. C'est malheureusement un phénomène général, qui affecte aussi bien la représentation politique que le monde professionnel. Mais ce chiffre de 5 % paraît tout de même exceptionnellement bas. Dans les chambres de commerce et d'industrie, par exemple, la représentation des femmes est, en général, plus élevée, même si l'on est encore très loin de la parité.
La situation du monde de l'agriculture est-elle liée aux pesanteurs sociologiques ? S'explique-t-elle par le fait que les femmes agricultrices ne se portent pas candidates à des fonctions de responsabilité en raison des difficultés particulières qu'elles rencontrent pour concilier leur vie de travail et leur vie familiale ?
Quelles que soient les causes de ce retard, il est urgent d'y remédier. Car, dans ce secteur comme dans tous les autres, l'équilibre et le dynamisme sont conditionnés par la réalisation de l'égalité professionnelle.
Depuis quelques années, le législateur est intervenu pour faciliter l'accès des femmes aux responsabilités dans la sphère politique et, parfois même, dans la sphère professionnelle. Par exemple, des garanties de mixité ont été instituées en ce qui concerne les conseils de prud'hommes et les jurys de concours de la fonction publique. Mais, comme vous l'avez dit vous-même, Madame la Présidente, si l'on veut que la parité s'inscrive durablement dans notre société, il vaut mieux qu'elle ne soit pas imposée par des quotas. Et j'ai posé comme un principe de mon action qu'il vaut mieux convaincre que contraindre.
L'agriculture a besoin de l'activité des femmes. Or, peut-être parce que leur rôle n'est pas encore suffisamment reconnu, les jeunes filles hésitent de plus en plus à s'engager dans cette voie.
Pour combattre cette crise des vocations, il convient d'améliorer le dispositif d'orientation, de prendre des mesures pour revaloriser la situation des agricultrices et de faciliter la conciliation vie professionnelle et vie familiale.
En ce qui concerne l'orientation, il n'est pas acceptable que les jeunes filles soient essentiellement présentes dans 6 filières professionnelles seulement sur les 31 recensées par l'INSEE.
Les filières agricoles doivent renforcer leur attractivité de façon à susciter l'intérêt et à encourager les vocations de jeunes gens et de jeunes filles. Nous nous sommes engagés aux côtés du Ministère de l'agriculture, dans la présentation des métiers, et cet effort doit être poursuivi.
J'ai également proposé au Ministère de l'agriculture de s'associer à l'expérimentation que nous allons mener avec le Ministère de l'éducation nationale en Basse et Haute Normandie.
L'objectif est de favoriser la mixité dans les différentes filières, par une impulsion forte et nouvelle et par la synergie des actions. Les métiers de l'agriculture sont vecteurs de dynamisme économique. Ils sont facteurs d'épanouissement individuel et d'enrichissement collectif.
La revalorisation de la situation des agricultrices passe par la reconnaissance de qualifications fondées non seulement sur les études, mais aussi sur l'expérience professionnelle.
Vous souhaitez, en particulier, que cette expérience puisse permettre de valider en totalité le stage de 6 mois nécessaire avant l'installation. Le projet d'arrêté est en cours de rédaction et sera signé par le Ministre de l'Agriculture pour que ces nouvelles dispositions soient applicables au plus tard le 1er janvier 2004.
Plus largement, le Ministère de l'Agriculture souhaite que le dispositif de validation des acquis de l'expérience, qui est maintenant opérationnel pour les diplômes agricoles, puisse permettre à des jeunes d'acquérir la capacité professionnelle. Il est souhaitable qu'un jeune diplômé du BEPA ou d'un diplôme de niveau suffisant, acquis hors du domaine agricole, puisse désormais s'installer plus facilement.
Enfin, la gestion des temps de vie nécessite de développer, en milieu rural, des services publics adaptés au rythme des travaux agricoles.
Les femmes assument une pluralité de fonctions et elles aspirent à une meilleure conciliation vie familiale-vie professionnelle, il est donc indispensable de leur offrir des services en matière de garde d'enfants, d'accueil des adolescents et d'aide aux personnes âgées.
Le Gouvernement a fait de la politique de la famille un axe majeur de son action.
Les dix mesures annoncées lors de la Conférence de la Famille du 29 avril ont pour objet d'aider les parents, dans le souci de faciliter l'équilibre des vies.
Par exemple l'instauration de " points info famille ", pour améliorer l'accès des familles à l'information, vise à faciliter la proximité des services vers les usagers, particulièrement en milieu rural
Le Gouvernement entend également soutenir l'utilisation des nouvelles technologies, afin d'offrir des opportunités pour effacer les distances, qui peuvent être problématiques en zone rurale.
Le développement de l'administration numérique, en facilitant de façon permanente l'accès à l'information et aux formulaires, assouplira sensiblement les relations avec les services publics.
Pour être pleinement efficace ces mesures doivent être soutenues par un cadre juridique bien adapté.
La loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 a élargi l'éventail des choix offerts à la conjointe d'un exploitant agricole. Au statut ancien de conjointe d'exploitation sont venus s'ajouter ceux de conjointe collaboratrice et de co-exploitante. Ces deux statuts nouveaux semblent correspondre assez bien aux besoins de la profession. D'après les chiffres du ministère de l'agriculture, il ne subsiste plus aujourd'hui qu'environ 15 000 conjoints d'exploitation ancien système, contre 80 000 conjoints collaborateurs et 90 000 co-exploitantes.
Ces chiffres sont encourageants, car le statut de co-exploitante est celui qui valorise le mieux le travail des femmes agricultrices. D'une part, son appellation rappelle que les conjoints doivent participer de façon égalitaire à la direction de l'entreprise. D'autre part, il donne droit à la retraite complémentaire obligatoire (RCO), ce qui est une garantie d'autonomie.
Mais, de même que pour les artisans, les commerçants, les marins pêcheurs et les professions libérales, ces statuts ne sont accessibles, pour le moment, qu'aux couples mariés. Or, dans d'autres domaines, l'évolution des moeurs a conduit à reconnaître certains droits aux concubins ainsi qu'aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité (PACS). On peut donc se demander si certains couples non mariés ne devraient pas pouvoir bénéficier également des possibilités offertes par la loi du 9 juillet 1999.
J'ai demandé à Hervé Gaymard, Ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, à Renaud Dutreil, Secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et aux professions libérales, et à Léon Bertrand, Secrétaire d'Etat au tourisme, de constituer un groupe de travail commun sur les conjoints collaborateurs. La situation des couples non mariés sera certainement l'une des questions évoquées dans le cadre de ce groupe de travail.
En ce qui concerne les retraites, je veux rendre hommage à la maturité dont fait preuve la FNSEA, en reconnaissant qu'une réforme est indispensable pour maintenir le système par répartition.
Le projet de réforme du Gouvernement présente des avancées sensibles pour les personnes non salariées des professions agricoles.
Il prévoit tout d'abord de rénover le mode de calcul de la durée de cotisation, qui serait alignée sur le régime général passant dans un premier temps à 40 ans. Des dispositions particulières prévoient, en effet, la prise en compte des périodes d'activités exercées en tant qu'aide familial, avec la possibilité de leur rachat en cas de liquidation des pensions après le 31 décembre 2003.
Il prévoit également de simplifier le régime des non salariés des professions agricoles par la transposition des dispositions du régime général relatives à l'ouverture des droits, à la liquidation et au calcul des pensions de réversion. A ce titre, la jouissance d'une pension de réversion pour le conjoint survivant d'un chef d'exploitation ne devrait désormais plus être soumise à des conditions d'âge, ni de durée de mariage.
Le projet de loi prévoit enfin d'assouplir les modes de calcul des pensions par un abaissement sensible de l'âge de la liquidation à taux plein en cas d'activité précoce, par la majoration des pensions liquidées après 60 ans au-delà de la durée de cotisation légale, et par le maintien du droit à revalorisation des pensions de base des non salariés agricoles déjà retraités.
Rénover, simplifier, assouplir: tels sont les postulats qui ont dicté l'esprit de ce texte, avec pour objectif de maintenir les niveaux de retraites, de préserver l'équité du régime et d'offrir à nos concitoyens et nos concitoyennes davantage de liberté pour construire leur retraite.
Avant de conclure, je souhaite évoquer brièvement deux points de préoccupations importantes pour les acteurs que vous êtes.
Tout d'abord les aides à l'agriculture que vous souhaitez voir attribuées en fonction des biens à exploiter plutôt qu'en fonction de la personne de l'exploitant, afin de ne pas pénaliser les couples qui mettent en commun leurs exploitations. C'est la position que le Gouvernement français s'efforce de défendre dans les négociations qu'il mène à Bruxelles sur l'avenir de la politique agricole commune (PAC).
Ensuite les activités annexes, dont le développement doit être encouragé, car elles sont nécessaires non seulement pour rentabiliser certaines exploitations, mais aussi pour lutter efficacement contre la désertification. Or, ce développement risque d'être freiné par des effets de seuil, car, si le chiffre d'affaires des activités annexes dépasse 30 % du chiffre d'affaires total, le régime fiscal applicable à l'exploitation se trouve modifié. Dans le cadre de la future loi de développement rural, des solutions sont à l'étude pour supprimer ces effets de seuil ou pour en atténuer la brutalité.
Comme le disait le Président de la République, lors de sa visite au salon international de l'agriculture, le 24 février dernier : " au delà de la politique agricole commune, il nous faut une politique nationale qui permette de promouvoir une agriculture qui soit écologiquement responsable et qui soit, également, économiquement forte ".
Le succès de cette politique nationale passe assurément par une reconnaissance du rôle joué par les femmes dans l'agriculture.

(source http://www.social.gouv.fr, le 5 août 2003)