Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur le développement des sites internet des bibliothèques, Paris le 3 juin 1998.

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Circonstance : Colloque "Bibliothèques virtuelles : états des lieux", à Paris les 3 et 4 juin 1998

Texte intégral

Je suis particulièrement heureuse que la New York Public Library et la Bibliothèque nationale de France aient pris l'initiative de consacrer cette réunion internationale à la numérisation des collections des bibliothèques.
En effet, le ministre français en charge de la culture ne peut que se féliciter que les représentants des plus grandes bibliothèques au monde dressent aujourd'hui un bilan des expériences qui sont menées depuis peu dans leur pays ou dans leur établissement.
Certes ce bilan n'est pas tout à fait le premier : une enquête avait déjà été réalisée en 1997 dans le cadre du projet international Bibliotheca universalis et plusieurs autres rencontres internationales ont permis des échanges, notamment sur les différents aspects techniques de la numérisation. Mais il n'en est pas moins important pour le gouvernement français qu'un colloque soit plus spécifiquement consacré aux choix intellectuels des documents à numériser.
En effet, le gouvernement français a mis en place, en janvier dernier, un plan d'action pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information. A ce titre, il a souhaité amplifier la numérisation du patrimoine conservé par les institutions culturelles françaises, qu'il s'agisse des musées, des bibliothèques ou des archives.
Car, de manière apparemment paradoxale, c'est bien le patrimoine ancien qui semble bénéficier le plus des derniers développements de la technique. De ce point de vue, le choix des grands témoins qui animent vos débats me paraît caractéristique : tous les quatre ont consacré à l'écriture de l'histoire beaucoup de leur talent et de leur intelligence.
La numérisation des richesses des bibliothèques est, bien sûr, une nécessité. En effet, le patrimoine écrit et graphique se caractérise à la fois par son étendue, c'est-à-dire par la très grande multiplicité de ses objets, et par sa fragilité constitutive. Alors que les collections les plus précieuses des musées appartiennent d'ores et déjà au " musée imaginaire " décrit par André Malraux, une part immense du patrimoine écrit et graphique pourrait encore longtemps demeurer inaccessible sans la constitution d'une bibliothèque virtuelle.
L'action de la France en la matière se manifeste déjà par l'important effort qu'a réalisé la Bibliothèque nationale de France. La mise sur le réseau Internet du site Gallica, que le Président Angremy vient de vous présenter, préfigure la mise à la disposition d'un corpus initial de 100 000 textes et de 300 000 images fixes, d'abord dans les locaux de la bibliothèque, puis rapidement - je l'espère - sur Internet. Cette collection numérique sera constamment enrichie de façon à offrir une image aussi complète que possible des richesses d'une bibliothèque qui rassemble à elle seule environ la moitié du patrimoine écrit français.
Par ailleurs, les villes françaises recèlent, dans les magasins de leurs bibliothèques, l'autre moitié des collections patrimoniales nationales, moins connue mais tout aussi importante. Le gouvernement a décidé de les aider à numériser les documents les plus intéressants et les plus significatifs. Cette mesure prendra effet à partir de la fin de cette année et sera coordonnée avec les programmes mis en oeuvre par des institutions nationales comme la Bibliothèque nationale de France.
De ce point de vue, je me réjouis vivement que la Bibliothèque nationale de France participe activement à la réflexion que la Direction du livre et de la lecture a engagée la semaine dernière pour élaborer ce programme de numérisation du patrimoine des bibliothèques françaises.
Ainsi, à terme, la partie la plus notable des richesses des bibliothèques de notre pays sera accessible sur Internet, aussi bien pour le spécialiste canadien de liturgie que pour l'honnête homme désireux de connaître ses racines.
La diversité de ce public implique, me semble-t-il, une variété des modes de diffusion et une multiplicité de collaborations. Si les bibliothécaires sont conscients des exigences que commande la méthode scientifique et s'ils maîtrisent bien les techniques documentaires qui permettent aux chercheurs de retrouver la documentation qui les intéresse, ils me paraissent peut-être moins fondés à choisir seuls les ensembles de documents à numériser et à délimiter ainsi le champ de la recherche future. La constitution de bibliothèques virtuelles doit donc, à mon sens, reposer largement sur le développement du dialogue entre bibliothécaires et chercheurs.
De même, je crois indispensable que les bibliothèques, même dotées des meilleurs services éditoriaux, coopèrent avec les professionnels du monde de l'édition pour la production multimédia destinée au grand public, qu'elle prenne la forme de services en ligne ou de cédéroms.
Ce dialogue avec les éditeurs est, me semble-t-il, d'autant plus important qu'il pourra apporter une réponse aux problèmes difficiles posés par les différents régimes juridiques de protection de la propriété intellectuelle. En effet, si je n'ai parlé jusqu'ici que de l'enjeu de première importance que représente la numérisation des documents anciens, c'est-à-dire des documents libres de droit, je suis convaincue que les bibliothèques doivent aussi jouer un rôle essentiel dans la mise à disposition sur Internet de la documentation de notre temps, sous ses diverses formes écrites et audiovisuelles.
De ce point de vue, je serais très heureuse si ce colloque vous permettait aussi de surmonter le paradoxe, peut-être plus supporté que réellement voulu, qu'il y aurait à utiliser les techniques les plus modernes pour diffuser de préférence des documents du passé.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 10 septembre 2001)